AFFAIRE PRUD'HOMALE
DOUBLE RAPPORTEUR
N° RG 21/07369 - N° Portalis DBVX-V-B7F-N34I
[V]
C/
S.A.S.U. TOYOTA MATERIAL HANDLING FRANCE
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOURG-EN-BRESSE
du 10 Septembre 2021
RG : F19/00205
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE C
ARRET DU 27 Juin 2024
APPELANT :
[O] [V]
[Adresse 1]
[Localité 2]
comparant en personne, assisté de Me Jacques THOIZET de la SCP THOIZET & ASSOCIES, avocat au barreau de VIENNE
INTIMEE :
S.A.S.U. TOYOTA MATERIAL HANDLING FRANCE
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Anne VINCENT-IBARRONDO de la SAS VOLTAIRE, avocat au barreau de PARIS substituée par Me François HUBERT, avocat au même barreau
DEBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 28 Mars 2024
Présidée par Nabila BOUCHENTOUF et Françoise CARRIER, conseillères, magistrats rapporteurs (sans opposition des parties dûment avisées) qui en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistés pendant les débats de Fernand CHAPPRON, greffier
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Delphine LAVERGNE-PILLOT, présidente
- Nabila BOUCHENTOUF, conseillère
- Françoise CARRIER, conseillère honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
ARRET : CONTRADICTOIRE
rendu publiquement le 27 Juin 2024 par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Delphine LAVERGNE-PILLOT, présidente et par Fernand CHAPPRON, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
La société Toyota Material Handling France (ci-après, la société) déploie son activité dans la vente, la location de chariots élévateurs, le service après-vente lié aux chariots en circulation.
Elle applique la convention collective de la métallurgie.
Elle a embauché M. [O] [V] à compter du 17 avril 1990, en qualité de technicien SAV.
A compter de 2002, M. [V] a été titulaire de plusieurs mandats : délégué syndical d'établissement, délégué du personnel sur l'agence de [Localité 5] et élu au CHSCT.
Le 18 juin 2003, il a fait l'objet d'un rappel à l'ordre pour avoir utilisé son véhicule de service à des fins non professionnelles et avoir adopté une conduite très dangereuse, s'abstenant de respecter le code de la route et coupant la route à un autre véhicule. Il a contesté les faits.
Le 15 avril 2005, M. [V] s'est vu notifier un avertissement suite au refus d'une société cliente de renouveler les contrats d'entretien de ses chariots par manque de confiance. Dans un courrier du 6 juin suivant, il a fait valoir que les faits lui semblaient prescrits.
Par courrier du 13 août 2014, une nouvelle mise en garde a été notifiée au salarié suite à des dysfonctionnements constatés sur des chariots sur lesquels il était intervenu. Ce dernier a de nouveau contesté les faits.
Suite à un avis d'inaptitude à tous postes du médecin du travail en date du 5 juillet 2018 et sur autorisation de l'inspection du travail en date du 21 janvier 2019, M. [V] a fait l'objet d'un licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement par courrier du 5 février suivant.
Par requête du 23 août 2019, M. [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Bourg en Bresse afin de solliciter des dommages et intérêts pour discrimination syndicale.
Par jugement du 10 septembre 2021, le conseil de prud'hommes a débouté les parties de leurs demandes et a laissé à chacune la charge de ses propres dépens.
Par déclaration du 5 octobre 2021, M. [V] a interjeté appel des dispositions de ce jugement le déboutant.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées, déposées au greffe le29 décembre 2021, il demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de ses demandes et de :
Condamner la société à lui verser la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination syndicale ;
Condamner la société à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner la société aux dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées, déposées au greffe le 28 mars 2023, la société demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [V] de ses demandes, de l'infirmer en ce qu'il l'a déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et de sa demande de condamnation aux dépens, et de :
Débouter M. [V] de ses demandes ;
Condamner M. [V] à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner M. [V] aux dépens.
La clôture est intervenue le 27 février 2024.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, la cour rappelle qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de « constatations » ou de « dire » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions dans la mesure où elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques ou qu'elles constituent en réalité des moyens.
1-Sur la demande de dommages et intérêts pour discrimination syndicale
Aux termes de l'article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être notamment sanctionnée en raison de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes.
En application de l'article L 1134-1 du même code, lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
L'entrave à la liberté de circulation du représentant du personnel dans l'entreprise, tant durant ses heures de délégation qu'en dehors de ses heures habituelles de travail, laisse supposer l'existence d'une discrimination syndicale.
L'existence d'une discrimination salariale s'apprécie au regard du salaire perçu par des salariés bénéficiant d'une ancienneté comparable et exerçant des fonctions identiques ou similaires.
M. [V] soutient avoir été victime de discrimination syndicale à partir de 2003, année suivant l'obtention de son premier mandat.
Il aurait subi des reproches et des sanctions disciplinaires injustifiés et des difficultés dans l'exercice de ses mandats, n'aurait pas bénéficié des mêmes formations que ses collègues ni de la même évolution de carrière, ni des mêmes augmentations salariales et une inactivité partielle lui aurait été imposée lors de sa dernière affectation.
Sur le premier point, le salarié fait valoir les courriers de mise en garde des 10 juin 2003 (débrayage en soutien à un collègue licencié), 18 juin 2003 (conduite dangereuse du véhicule de service en dehors du temps de travail), du 31 janvier 2011 (non présentation chez un client sans prévenir) et du 13 août 2014 (qualité de ses interventions chez le client Kuehne & Nagel) et un avertissement daté du 15 avril 2005 pour lui reprocher le non-renouvellement des contrats d'entretien par le client pour lequel il travaillait, FSP One.
M. [V] évoque également une convocation en date du 10 mai 2005, mais sans la communiquer, et ses démarches, entreprises dès le 16 mars 2004 afin d'obtenir la régularisation de sa paye, lesquelles n'ont abouti qu'en février 2008, ce que confirment en effet ses pièces.
Sur les entraves à l'exercice de son mandat, il ne se fonde que sur des difficultés générales relatives aux convocations de certaines instances, sans relever de problèmes le concernant personnellement.
En matière de formation, si M. [V] déplore un nombre trop restreint de formations techniques, portant en outre sur des chariots obsolètes, ce qui ne lui aurait pas permis d'évoluer dans son métier, alors qu'il serait nécessaire de former le technicien concerné sur chaque nouveau chariot. L'employeur démontre toutefois qu'il a passé près de 200 heures en formation entre 2009 et 2016
M. [V] n'explique pas à quel moment il aurait été amené à intervenir sur les chariots Combi et OP 1000, ni pour quelles raisons l'employeur aurait porté atteinte à ses possibilités d'évolution en s'abstenant de le former sur ce matériel, alors que celui-ci affirme sans être contredit que ce matériel très spécifique était rarement utilisé par les clients.
Sur le chariot frontal qui équipait son unique client, l'employeur justifie qu'il disposait de la documentation technique nécessaire sur sa tablette.
Si M. [V] fait valoir qu'il a occupé le même poste pendant toute sa carrière, que les appels à candidature n'étaient pas systématiques pour pourvoir les postes de chef d'équipe, si bien qu'il ne pouvait postuler, et que les entretiens professionnels n'ont jamais été mis en place, il reconnait toutefois avoir refusé de participer aux entretiens individuels d'évolution et il ressort des comptes-rendus de réunion du comité d'entreprise produits qu'une bourse à l'emploi existait.
Le salarié verse aux débats un tableau reprenant l'ancienneté moyenne des techniciens par coefficient, dont il ressort qu'il se situait dans la moyenne.
La cour relève en outre que s'il déplore ne pas s'être vu proposer plus tôt le poste de formateur évoqué pour lui lors de la recherche de reclassement après inaptitude, il ne démontre pas avoir fait montre d'appétence pour ce type de fonctions au cours de sa carrière et qu'en tout état de cause, son refus de participer aux entretiens individuels d'évolution empêchait l'employeur d'avoir connaissance de ses souhaits en termes d'évolution de carrière.
Sur les augmentations salariales, M. [V] ne conteste pas son coefficient mais compare son salaire à celui de 4 de ses collègues, dont 2 seulement avaient le même coefficient et disposaient d'un salaire supérieur au sien, à savoir, pour M. [T], à savoir 2 060 euros en décembre 2016 au lieu de 1 916 pour l'intéressé, et pour M. [Z], 2 106 euros en février 2016 au lieu de 1 902 pour M. [V].
La cour rappelle toutefois, avec l'employeur, que le salarié a été régulièrement augmenté, qu'outre son salaire fixe, il percevait une prime d'ancienneté de 323,58 euros et un forfait d'heures supplémentaires de 192,22 euros, que celles-ci aient été réalisées ou pas, et que M. [T] travaillait en région parisienne.
Quant à l'inactivité forcée que déplore M. [V] sur sa dernière affectation, soutenant qu'il aurait été employé sur 1/6 de son temps de travail, étant chargé de la maintenance de 30 chariots uniquement, au lieu de 200 en moyenne pour ses collègues, elle ne repose sur aucun élément probant, alors que la société la conteste et rappelle qu'il ne l'a jamais alertée sur ce point et qu'en outre, vu l'importance de ses mandats et de ses heures de délégation (234 heures entre janvier et juin 2018), il n'a jamais géré seul un parc de 200 ou 300 chariots.
M. [V] ne démontre en définitive que le retard apporté par l'employeur à la régularisation de sa paye et un faible écart entre sa rémunération et celle de deux techniciens au même coefficient, dont l'un réside en région parisienne.
Sachant par ailleurs que le nombre de rappels à l'ordre et de sanctions n'apparait pas excessif sur 7 années, la cour constate que donc M. [V] ne démontre pas la matérialité d'éléments qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'une discrimination syndicale.
M. [V] sera débouté de sa demande de dommages et intérêts, ainsi qu'en a jugé le conseil de prud'hommes.
2-Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Les dépens de première instance et d'appel seront laissés à la charge de M. [V].
L'équité commande de le condamner à payer à la société la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour l'instance d'appel.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris, sauf sur les dépens ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Laisse les dépens de première instance et d'appel à la charge de M. [O] [V] ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [O] [V] à payer à la société Toyota Material Handling France la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ;
Le greffier La présidente