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21/06/2024 | FRANCE | N°21/05196

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale b, 21 juin 2024, 21/05196


AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR





N° RG 21/05196 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NWGX





[W]



C/

S.A.S. LE FROMAGER DES HALLES







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 31 Mai 2021

RG : 19/01329











COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE B



ARRÊT DU 21 JUIN 2024







APPELANT :



[D] [W]

né le 11 Janvier 1975 à [Loc

alité 5] ( MEXIQUE)

[Adresse 1]

[Localité 2]



représenté par Me Fabien ROUMEAS de la SARL ROUMEAS AVOCATS, avocat au barreau de LYON substituée par Me Christopher REINHARD, avocat au barreau de LYON







INTIMÉE :



Société LE FROMAGER DES HALLES

[Adresse...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 21/05196 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NWGX

[W]

C/

S.A.S. LE FROMAGER DES HALLES

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 31 Mai 2021

RG : 19/01329

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE B

ARRÊT DU 21 JUIN 2024

APPELANT :

[D] [W]

né le 11 Janvier 1975 à [Localité 5] ( MEXIQUE)

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Fabien ROUMEAS de la SARL ROUMEAS AVOCATS, avocat au barreau de LYON substituée par Me Christopher REINHARD, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

Société LE FROMAGER DES HALLES

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON

et ayant pour avocat plaidant Me Olivier LACROIX de la SELAS ORATIO AVOCATS, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 10 Avril 2024

Présidée par Régis DEVAUX, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Mihaela BOGHIU, Greffière.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Béatrice REGNIER, Présidente

- Catherine CHANEZ, Conseillère

- Régis DEVAUX, Conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 21 Juin 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Béatrice REGNIER, Présidente et par Mihaela BOGHIU, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

La société Prelodis exerce une activité de prestataire en logistique et fait application de la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport (IDCC 16).

La société Le Fromager des halles est quant à elle spécialisée dans l'achat et la distribution de fromages et de produits laitiers auprès des producteurs et des grossistes. Elle fait application de la convention collective nationale de commerces de gros (IDCC 573).

La société Prelodis a embauché M. [D] [W], dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée du 18 janvier 2010, en qualité de standardiste.

Le 29 novembre 2017, était conclue une convention tripartite aux termes de laquelle la société Prelodis mettait à disposition M. [D] [W] auprès de la société Le Fromager des halles, et ce jusqu'au 31 mars 2018. Il était prévu qu'il occupe un poste d'employé administratif et que sa rémunération serait maintenue par la société Prelodis. Un avenant à cette convention était signé par les mêmes parties le 1er avril 2018, afin de prolonger la mise à disposition du salarié jusqu'au 15 avril 2018.

Le 16 avril 2018, la société Le Fromager des halles embauchait M. [D] [W] dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, en qualité d'approvisionneur crémerie.

Le 12 mars 2019, M. [W] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 21 mars 2019. Par courrier en date du 26 mars 2019, M. [D] [W] a été licencié pour faute.

Par requête reçue au greffe le 15 mai 2019, M. [W] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon aux fins de contester la légalité de la convention de mise à disposition et le bien-fondé de son licenciement.

Par jugement du 31 mai 2021, le conseil de prud'hommes de Lyon a  débouté M. [D] [W] de l'intégralité de ses demandes, l'a condamné aux entiers dépens de l'instance et a débouté la société Les Fromages des Halles de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles.

Par déclaration du 15 juin 2021, M. [D] [W] a interjeté appel de ce jugement, le critiquant en ce qu'il l'a débouté de l'intégralité de ses demandes, qu'il rappelait expressément.

EXPOSE DES MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 16 février 2022 , M. [D] [W] demande à la Cour de réformer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions et de :

- condamner la société Le Fromager des Halles à lui payer les sommes suivantes :

2 492,59 euros à titre de rappel de salaire, outre 249,26 euros au titre des congés payés afférents,

16 165 euros nets à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé,

25 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

1 340,59 euros à titre de solde d'indemnité légale de licenciement

3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner la société Le Fromager des Halles à lui remettre un bulletin de salaire établi conformément aux condamnations prononcées, sous astreinte de 100,00€ par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir, et se réserver le pouvoir de liquider ladite astreinte,

- débouter la société Le Fromager des Halles de ses demandes reconventionnelles,

- condamner la société Le Fromager des Halles aux entiers dépens.

M. [W] fait valoir que la convention tripartite conclue le 29 novembre 2017 est illicite, pour avoir prévu une opération de prêt de main d'oeuvre en réalité à but lucratif et qu'il était, dès le 1er décembre 2017, placé sous un lien de subordination à l'égard de la société Le Fromager des Halles. Il en déduit que cette dernière aurait donc dû l'embaucher dès cette date et lui verser le salaire correspondant à celui qui a été finalement fixé par le contrat de travail signé le 16 avril 2018, alors qu'elle n'a pas déclaré être son employeur et que le salaire versé par la société Prelodis pendant la période de mise à disposition était d'un montant inférieur. Par ailleurs, M. [W] considère que son employeur a justifié son licenciement par la commission de fautes, alors qu'en réalité, les griefs formulés dans la lettre de licenciement relevaient d'une insuffisance professionnelle. Subsidiairement, il soutient que la société Le Fromager des halles ne démontre pas la réalité des comportements fautifs qu'elle lui impute.

Dans ses uniques conclusions notifiées par voie électronique le 30 novembre 2021, la société Le Fromager des halles, intimée, demande pour sa part à la Cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et de :

- débouter M. [D] [W] de sa demande au titre du travail dissimulé

A titre principal,

- dire qu'est justifié le licenciement pour cause réelle et sérieuse de M. [D] [W],

- débouter M. [D] [W] de sa demande au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

A titre subsidiaire,

- dire que la somme allouée à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ne pourra être supérieure à 7 846,65 euros,

- à tout le moins, réduire dans de substantielles proportions la somme allouée, faute de la preuve du moindre préjudice

En tout état de cause,

- débouter M. [D] [W] de sa demande au titre d'un solde d'indemnité légale de licenciement.

Reconventionnellement,

- condamner M. [D] [W] à lui payer 3 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [D] [W] aux dépens d'instance.

La société Le Fromager des halles argue de l'absence de prêt de main d''uvre illicite, au regard du fait que M. [W] a signé la convention tripartite de mise à disposition, laquelle présentait un caractère non lucratif. Elle ajoute que le salarié ne démontre pas l'existence d'un lien de subordination à son égard. Elle affirme qu'en l'absence de prêt de main d''uvre illicite ou de délit de marchandage, elle n'a pas dissimulé l'emploi de M. [W], lorsque celui-ci a été mis à sa disposition. La société intimée affirme qu'elle démontre la matérialité des comportements fautifs qui ont justifié le licenciement de M. [W] par la production d'attestations. Elle soutient que le non-respect des consignes données ne caractérisait pas une prétendue insuffisance professionnelle.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, la Cour se réfère aux dernières conclusions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

La clôture de la procédure de mise en état a été prononcée le 12 mars 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

1. Sur les demandes relatives à l'exécution du contrat de travail

M. [W] fonde sa demande en rappel de salaires sur le fait que, en conséquence du caractère illicite de la convention tripartite conclue le 29 novembre 2017, il a été victime des délits de prêt de main d''uvre illicite et de marchandage. Il ajoute que l'opération de prêt de main d''uvre n'a pas respecté les conditions légales de forme. Il allègue qu'il a travaillé en qualité d'approvisionneur dès le 1er décembre 2017, sous l'autorité de la société Le Fromager des halles, si bien qu'il a droit à recevoir des salaires, pour la période allant de janvier à avril 2018, calculés sur la base du taux horaire pratiqué par Le Fromager des halles (16,747 euros ' pièce n° A3 de l'appelant).

Toutefois, M. [W] ne démontre pas qu'il a travaillé, lorsqu'il a été mis à disposition de la société Le Fromager des halles, en occupant un autre poste que celui défini à la convention tripartite, à l'exclusion notamment des fonctions d'approvisionneur, ni que cette société s'est comportée comme étant son employeur avant la signature du contrat de travail le 16 avril 2018. En effet, alors que la convention tripartite précisait que la société Prelodis demeurait le seul employeur du salarié mis à disposition et continuait d'exercer son autorité hiérarchique, tandis que la société Fromagers des halles exercerait une autorité fonctionnelle sur lui, nécessaire à la bonne exécution de sa mission, M. [W] ne produit aucun élément probatoire de nature à établir qu'il s'est trouvé placé dans un lien de subordination à l'égard de la seconde société, dans des conditions excédant l'exercice de cette autorité fonctionnelle.

De même, à supposer que la convention tripartite conclue le 29 novembre 2017 est illicite car présentant un but lucratif ou encore que la société Le Fromager des halles n'a pas remboursé à la société Prelodis les salaires reçus pendant la période mise à disposition, ni n'a consulté son comité social et économique au sujet de cette opération, la sanction de ces faits n'est pas l'obligation, mise à la charge de la société intimée, de payer la rémunération due à un salarié occupant l'emploi d'approvisionneur, ce qui fait que les moyens développés par l'appelant sont à cet égard inopérants.

La demande de M. [W] en rappel de salaires n'est donc pas fondée.

Dès lors, le jugement déféré sera confirmé, en ce qu'il a débouté M. [W] de cette demande.

M. [W] prétend que, en raison du fait qu'il a été victime des délits de prêt de main d'oeuvre illicite et de marchandage, il a droit à l'indemnité pour travail dissimulé, prévue à l'article L. 8223-1 du code du travail.

Toutefois, il n'est pas démontré que, dans le cadre de la mise en 'uvre de la convention tripartite, la société Le Fromager des halles ait intentionnellement dissimulé l'emploi de l'appelant, alors même que ce dernier avait été régulièrement déclaré par la société Prelodis, laquelle lui versait des salaires, s'acquittait des cotisations sociales et lui remettait des bulletins de salaire.

La demande de M. [W] en indemnité pour travail dissimulé n'est donc pas fondée.

Dès lors, le jugement déféré sera confirmé, en ce qu'il a débouté M. [W] de cette demande.

2. Sur la demande en rappel de l'indemnité de licenciement

M. [W] s'est vu payer une indemnité de licenciement, due en vertu de l'article L. 1234-9 du code du travail

Il résulte de l'application des articles R. 1234-1 et R. 1234-2 du code du travail, en l'absence de disposition conventionnelle plus favorable, que le montant de cette indemnité ne peut pas être inférieur à un quart de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années jusqu'à 10 ans (l'ancienneté étant calculée, en cas d'année incomplète, en nombre de mois complets). Le salaire à prendre en considération est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié, soit la moyenne mensuelle des douze derniers mois précédant le licenciement, soit le tiers des trois derniers mois.

En l'espèce, M. [W] avait une ancienneté, au jour de son licenciement et compte de la clause de reprise d'ancienneté incluse dans son contrat de travail et de la durée du préavis, de 9 années et 4 mois.

La moyenne mensuelle des douze derniers mois précédant le licenciement (soit les mois de mai 2018 à avril 2019 inclus) est de 2 606,58 euros. Le tiers des trois derniers mois (soit février, mars et avril 2019, compte tenu du préavis) est de 2 213,66 euros.

Le montant de l'indemnité de licenciement due à M. [W] s'élève donc à un minimum de : (2 606,58 / 4) x 9,33 = 6 079,84 euros.

Ni la société Le Fromager des halles, ni M. [W] ne détaillent dans leurs conclusions les calculs qui les ont conduits respectivement à verser au salarié la somme de 6 615,40 euros à titre d'indemnité de licenciement et à réclamer la somme de 1 340,59 euros à titre de rappel sur cette même indemnité.

En tout cas, M. [W] a déjà été rempli de ses droits et il convient de confirmer le jugement déféré, en ce qu'il l'a débouté de sa demande en rappel sur l'indemnité de licenciement.

3. Sur le bien-fondé du licenciement

En application de l'article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

La cause réelle du licenciement est celle qui présente un caractère d'objectivité. Elle doit être exacte. La cause sérieuse suppose une gravité suffisante pour rendre impossible la poursuite des relations contractuelles.

Aux termes de l'article L. 1232-6 alinéa 2 du code du travail, la lettre de licenciement comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur. Ces motifs doivent être suffisamment précis et matériellement vérifiables. La datation dans cette lettre des faits invoqués n'est pas nécessaire. L'employeur est en droit, en cas de contestation, d'invoquer toutes les circonstances de fait qui permettent de justifier des motifs. Si un doute subsiste, il profite au salarié, conformément aux dispositions de l'article L. 1235-1 du code du travail dans sa version applicable à l'espèce.

Si la lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les griefs articulés à l'encontre du salarié et les conséquences que l'employeur entend en tirer quant aux modalités de rupture, il appartient au juge de qualifier les faits invoqués.

En l'espèce, la lettre de licenciement adressée le 23 février 2016 à M. [W] est rédigée dans les termes suivants :

« Vous exerciez les fonctions d'approvisionneur crèmerie au sein de notre société, au regard des importantes responsabilités qui vous étaient confiées à ce titre vous deviez nécessairement faire preuve d'une exemplarité et d'un professionnalisme irréprochables dans l'exercice de vos fonctions. Or, force a malheureusement été de constater vos manquements au cours des dernières semaines, particulièrement préjudiciables pour notre entreprise.

Tout d'abord, vous aviez été personnellement avisé par mail du 11 janvier 2019 de notre décision d'arrêter la commercialisation au 1er mars 2019, des 3 références de jus de fruits suivantes : L765 (jus d'orange 1L), L766 (jus de pomme 1L) et L767 (jus multivitaminé).

Or, vous avez dès les jours suivants pris l'initiative, sans en informer quiconque, et en parfaite méconnaissance du mail qui vous avait été adressé, de ne plus commander auprès de notre fournisseur aucune de ces trois références. Ce n'est que le 8 février 2019 que nous avons finalement découvert cette situation, à l'issue d'un appel de notre fournisseur inquiet de l'arrêt brutal de toute commande.

Votre manquement a malheureusement été particulièrement préjudiciable pour notre entreprise, et ce à plusieurs titres.

Tout d'abord, en l'absence totale de commandes sur ces références, nos clients se sont donc rapidement trouvés en rupture totale sur les produits concernés, et ce pendant plusieurs jours générant ainsi une perte de chiffres d'affaires d'environ 18 000 €, le mécontentement de leur propre clientèle et leur insatisfaction légitime à l'égard de nos services.

Par ailleurs, compte tenu de nos engagements pris auprès de notre fournisseur, qui ne disposait d'ailleurs pas de la faculté de vendre ces trois références à d'autres clients que notre entreprise, nous avons donc, après avoir découvert la situation, été contraints d'acheter à notre fournisseur la marchandise produite. Afin d'en permettre autant que possible la vente, compte tenu de l'arrêt de la commercialisation au 1er mars 2019, nous avons été contraints de commercialiser les 3 références précitées au prix de 0,99 € TCC l'unité alors que ces produits auraient dû être vendus au prix de 1,99 € TCC. Cette baisse de prix contrainte a donc généré un manque d'environ 3 000 €.

Enfin, une quantité très importante des produits que nous n'avons pas pu commercialiser a donc été détruite chez notre fournisseur, générant ainsi une perte sèche financière d'environ 16 000 €.

Au total, votre manquement a occasionné un préjudicie financier à notre entreprise de plus de 35 000 €. 

Il ne s'agit en outre pas là d'un manquement isolé. Ainsi, vous aviez reçu le 28 décembre 2018 un mail de consigne claire pour la répartition des pâtes auprès de nos clients, que vous avez traitée le 11 janvier 2019 pour une livraison à nos clients le 15 janvier dernier.

Or, nous avons découvert dans les jours suivants cette livraison vos nombreux manquements dans la répartition des produits auprès de nos clients.

A titre d'exemple, plusieurs de nos clients se sont vu livrer l'ensemble de la gamme de pâtes alors qu'ils en disposaient déjà d'une partie. En outre, vous avez fait livrer à l'un de nos clients, Le Fromager de Bègles, les produits destinés à un autre client, Le Fromager de Beauvais. Vous avez même fait livrer des pâtes à l'un de nos clients, la Société LS 500 MEUNG, alors qu'il n'était pas concerné par cette gamme de produits.

Une telle situation a sérieusement perturbé la bonne organisation de nos clients, puisque certains n'ont pas reçu la marchandise attendue, occasionnant ainsi des ruptures en rayon et le mécontentement de leur clientèle, et d'autres en ont reçu qui ne leur était pas destinées, générant ainsi des surstocks.

Il nous a donc été facturé des coûts supplémentaires de transport pour le réacheminement des marchandises. En outre, compte tenu des délais de réacheminement de cette marchandise, les produits livrés avaient donc perdu des « jours de vente » compte tenu de leur Date Limite de Consommation. Enfin, l'image de notre entreprise auprès de notre clientèle a été sérieusement dégradée en raison de vos manquements et de la désorganisation générée.

Pour terminer, nous déplorons depuis la reprise de votre activité professionnelle le 11 mars dernier vos nombreux manquements dans le passage des commandes de lait, telle que la commande d'un camion complet de lait Lactel en livraison le 22 mars dernier, alors même qu'une livraison d'un camion complet de ce même produit avait été réalisé une semaine auparavant, générant des stocks parfaitement excessifs de marchandises, lesquels entraînent des surcoûts de stocks, outre des sérieuses difficultés de stockage pour notre prestataire logistique qui nous a alerté de la situation.

Il était pourtant de votre responsabilité, conformément aux termes de votre contrat de travail de « gérer et garantir les flux de livraisons des commandes fournisseurs et producteurs dans les délais convenus ». Force est malheureusement de constater que vos agissements décrits ci-dessus s'inscrivent donc en totale violation de vos obligations contractuelles.

Dans ces conditions, nous avons été contraints d'engager à votre encontre une procédure disciplinaire, pouvant aboutir à votre licenciement. Les explications recueillies lors de votre entretien préalable ne nous ont en aucun cas permis de modifier notre appréciation sur la situation.

Votre attitude décrites ci-dessus est fortement préjudiciable à la bonne marche de l'entreprise. Au regard de vos fonctions et des responsabilités qui vous étaient confiées, vous deviez nécessairement faire preuve d'une exemplarité sans faille, ce qui n'aura malheureusement pas été le cas. Vos agissements ne sont donc incontestablement plus compatibles avec la poursuite de votre contrat de travail.

Par conséquent, au regard des éléments exposés ci-dessus, nous nous voyons donc contraints de vous notifier votre licenciement pour faute constitutive d'une cause réelle et sérieuse qui prendre effet dès ma date d'envoi de cette présente lettre. Votre préavis d'une durée de deux mois débutera à la date d'envoi de cette présente lettre. Nous vous informons néanmoins que nous avons décidé de vous dispenser de l'exécution de votre période de préavis, qui vous sera rémunéré à échéance normale de paie. »

Ainsi, la société Le Fromager des halles reproche à M. [W] trois comportements distincts, constitutifs selon les termes de la lettre de licenciement d'une faute :

- d'avoir cessé, fin janvier 2019, de commander auprès des fournisseurs de l'entreprise trois références de jus de fruit, à une date antérieure à celle qui avait été prescrite par l'employeur

- d'avoir commis des erreurs qui ont eu pour effet que divers clients ont été livrés, le 15 janvier 2019, en produits qu'ils n'avaient pas commandés

- d'avoir commis, depuis le 11 mars 2019, des manquements dans le passage des commandes de lait.

' S'agissant du premier grief, la société Le Fromager des halles établit qu'elle a informé M. [W], par mail du 11 janvier 2019, de sa décision d' « arrêter les tétras LSDH » dont les références suivaient, au 1er mars 2019 (pièce n° 11 de l'intimée).

M. [W] réplique qu'il s'est conformé à cette consigne, en ne passant plus commande auprès du fournisseur des produits désignés par ce mail.

La Cour retient que le salarié a pu, de bonne foi, comprendre que, son employeur l'ayant informé de sa décision de ne plus commercialiser les produits en question à compter du 1er mars 2019, il devait cesser d'en commander et se limiter à écouler le stock avant cette date. La société intimée ne démontre pas qu'il a alors fait preuve d'insubordination, ainsi qu'elle le conclut, ni qu'il alors commis une quelconque faute dans l'exécution de sa prestation de travail.

' S'agissant du deuxième grief, la société Le Fromager des halles reproche à M. [W] de ne pas avoir, concernant les commandes mises en livraison le 15 janvier 2019, respecté la répartition des pâtes alimentaires entre les clients, qui avait été fixée et portée à la connaissance du salarié le 28 décembre 2018.

Toutefois, l'employeur ne démontre pas que certains clients n'aient pas reçu des produits conformément à leur commande, ni, à supposer qu'il y ait eu une telle erreur, qu'elle était imputable à M. [W], alors que ce dernier soutient, en produisant des mails à l'appui (pièces n° D2 de l'appelant), qu'ils étaient deux à s'être occupés du traitement des commandes en question. En effet, s'il produit des attestations rédigées par M. [P] et M. [E], respectivement directeur général et directeur des achats de la société Le Fromager des halles (pièce n° 13 et 16 de l'intimée), ainsi qu'une attestation rédigée par une cliente, Mme [R] (pièce n° 14 de l'intimée), il ne verse aux débats aucune pièce permettant de démontrer que M. [W] a personnellement commis des erreurs dans la répartition des produits mis en livraison le 15 janvier 2019.

' S'agissant du troisième grief, la société Le Fromager des halles se réfère uniquement aux attestations de MM. [P] et [E] pour en démontrer la matérialité, ce qui n'est pas suffisant. En outre, à supposer qu'il y ait eu une erreur dans la passation des commandes de lait le 11 mars 2019, la société intimée n'établit pas qu'elle est imputable à M. [W].

En conséquence, faute d'établir la matérialité des fautes visées dans la lettre de licenciement, la société Le Fromager des halles échoue à justifier que le licenciement de M. Motilina Quiroz a une cause réelle et sérieuse.

Ce dernier a donc droit à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En application de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, M. [W], qui avait une ancienneté de neuf années au moment de son licenciement par la société Le Fromager des halles, laquelle employait alors plus de dix salariés, a donc droit à une indemnité dont le montant est compris entre 3 et 9 salaires bruts mensuels (qui était de 2 600 euros, au dernier état de la relation contractuelle).

En tenant compte de l'ancienneté de M. [W] et de son âge (44 ans) au moment de la rupture du contrat de travail, des circonstances de cette dernière, de sa capacité à retrouver un emploi compte tenu de sa formation, la Cour dispose des éléments nécessaires pour fixer l'indemnisation du préjudice résultant pour lui de la rupture abusive de la relation de travail à la somme de 20 000 euros.

Le jugement déféré sera réformé sur ce point.

En outre, le licenciement étant sans cause réelle et sérieuse, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail, qui l'imposent et sont donc dans le débat, d'ordonner d'office à l'employeur de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées au salarié, dans la limite de six mois d'indemnités.

4. Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

La société Le Fromager des halles, partie perdante, sera condamnée aux dépens de l'instance d'appel, en application de l'article 696 du code de procédure civile. Sa demande en application de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.

Pour un motif tiré de l'équité, la société Le Fromager des halles sera condamnée à payer à M. [W] 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile

PAR CES MOTIFS

LA COUR ,

Confirme le jugement rendu le 31 mai 2021 par le conseil de prud'hommes de Lyon, en ses dispositions déférées, sauf en ce qu'il a débouté M. [D] [W] de sa demande en dommages et intérêts pour licenciement abusif ;

Statuant sur la disposition infirmée et ajoutant,

Dit que le licenciement de M. [D] [W] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société Le Fromager des halles à payer à M. [D] [W] la somme de 20 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Ordonne à la société Le Fromager des halles de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées à M. [D] [W], dans la limite de six mois d'indemnités ;

Condamne la société Le Fromager des halles aux dépens de l'instance d'appel ;

Rejette la demande de la société Le Fromager des halles en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Le Fromager des halles à payer à M. [D] [W] 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale b
Numéro d'arrêt : 21/05196
Date de la décision : 21/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-21;21.05196 ?
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