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19/06/2024 | FRANCE | N°23/08285

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale a, 19 juin 2024, 23/08285


AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR



N° RG 23/08285 - N° Portalis DBVX-V-B7H-PI2Z



[O]

C/

Société AF



APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 24 Octobre 2023

RG : 22/00642







COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE A



ARRÊT DU 19 JUIN 2024







APPELANTE :



[C] [O]

née le 28 Novembre 1962 à [Localité 3]

[Adresse 1]

[Adresse 1]



re

présentée par Me Philippe NOUVELLET de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON

et ayant pour avocat plaidant Me Jérôme CHOMEL DE VARAGNES de la SELARL EQUIPAGE AVOCATS, avocat au barreau de LYON





INTIMÉE :



S...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 23/08285 - N° Portalis DBVX-V-B7H-PI2Z

[O]

C/

Société AF

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 24 Octobre 2023

RG : 22/00642

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 19 JUIN 2024

APPELANTE :

[C] [O]

née le 28 Novembre 1962 à [Localité 3]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Philippe NOUVELLET de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON

et ayant pour avocat plaidant Me Jérôme CHOMEL DE VARAGNES de la SELARL EQUIPAGE AVOCATS, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

Société AF

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Elodie CHRISTOPHE de la SELARL ELOCIAL, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 18 Mars 2024

Présidée par Catherine MAILHES, Présidente magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Catherine MAILHES, présidente

- Nathalie ROCCI, conseillère

- Anne BRUNNER, conseillère

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 19 Juin 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Catherine MAILHES, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Le 16 mars 2022, Mme [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon d'une demande de requalification de son contrat de travail non écrit la liant à la société AF evotion (la société) depuis le 1er octobre 2014 à temps partiel, en contrat à temps plein, et d'une demande de résiliation judiciaire.

Au dernier état de ses demandes, Mme [O] sollicitait le versement d'un rappel de salaire d'avril 2019 à février 2020 (61 719,58 euros), et congés payés afférents (6 172 96 euros), d'un rappel de salaire d'octobre à décembre 2021 (5 452,35 euros), et congés payés afférents (545,23 euros), d'un rappel de prime d'ancienneté d'avril 2019 à décembre 2021 (870,51 euros), d'un rappel de frais de septembre 2019 à février 2020 (1 182,43 euros), d'une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé (21 466,76 euros), d'une indemnité pour les congés payés dus d'avril 2019 à octobre 2021 (4 443,43 euros), d'une indemnité de licenciement (3 627,83 euros), d'une indemnité compensatrice de préavis (7 188,92 euros), et congés payés afférents (718,89 euros), de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (28 307,68 euros) et d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile (3 500 euros).

La société AF s'est opposée aux demandes de la salariée, contestant avoir la qualité d'employeur, a demandé à ce qu'il soit jugé que la relation s'analyse en une prestation de services, et a sollicité à titre reconventionnel la condamnation de celle-ci au versement de la somme de 3 500 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [O] a été placée en arrêt de travail, régulièrement renouvelé, à compter du 1er octobre 2021.

Après une visite de pré reprise organisée le 29 novembre 2022, le médecin du travail a reçu Mme [O] en visite de reprise le 13 décembre 2022, à l'issue de laquelle il a déclaré que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi et a émis l'avis suivant :

' compte tenu des éléments cliniques recueillis, de l'avis du praticien spécialiste du 01.07.2022, l'état actuel de la salariée fait obstacle à tout reclassement dans un emploi au sein de l'agence AF.

Echange avec l'employeur le 29.11.2022 pour une étude de poste et des conditions de travail.'.

Par courrier du 5 janvier 2023, la société AF a fait parvenir à Mme [O] un courrier dans lequel sans reconnaître [sa] qualité de salariée et par pure précaution juridique, elle l'a convoquée à un entretien préalable à son éventuel licenciement, en raison de la déclaration d'inaptitude du médecin du travail, pour le 16 janvier 2023.

Par deux courriers recommandés avec accusés de réception du 31 janvier 2023, la société a d'une part mis fin à leur collaboration, dans les termes suivants :

' Vous exercez une prestation de service de chargée d'état des lieux, depuis le 1er octobre 2014. Nous sommes contraints de mettre fin à cette collaboration.' et d'autre part licencié à titre conservatoire Mme [O] pour inaptitude médicalement constatée et impossibilité de reclassement.

Les juges du conseil de prud'hommes se sont déclarés en partage de voix.

Par jugement du 24 octobre 2023, le juge départiteur du conseil de prud'hommes :

s'est déclaré incompétent pour connaître des demandes de Mme [O] dirigées contre la SARL AF ;

débouté Mme [O] de toutes ses demandes, fins et prétentions ;

débouté la SARL AF de sa demande reconventionnelle présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné Mme [O] aux entiers dépens de la présente instance.

Selon déclaration électronique de son avocat remise au greffe de la cour le 3 novembre 2023, Mme [O] a interjeté appel dans les formes et délais prescrits de ce jugement en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour connaître des demandes de Mme [O] dirigées contre la SARL AF ; a débouté Mme [O] de toutes ses demandes, fins et prétentions ; a condamné Mme [O] aux entiers dépens.

Mme [O] a saisi le premier président de la cour d'appel de Lyon aux fins d'être autorisée d'assigner à jour fixe la société AF, ce à quoi elle a été autorisée par ordonnance du 8 novembre 2023.

Aux termes des dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 13 mars 2024, Mme [O] demande à la cour de :

infirmer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Lyon le 24 octobre 2023 en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour connaître de ses demandes et l'en a déboutée ;

déclarer le conseil de prud'hommes de Lyon compétent pour connaître des demandes présentées par Mme [O] ;

statuant à nouveau et usant de son pouvoir d'évocation tiré de l'article 88 du code de procédure civile,

juger que ses demandes sont recevables et bien-fondées ;

requalifier son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein ;

prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail ;

juger que la résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

en conséquence,

condamner la société AF evotion à lui verser :

61 719,58 euros au titre de rappel de salaire, outre 6 172,96 euros de congés payés afférents, au titre de la période non couverte par la prescription entre le mois d'avril 2019 et le mois d'octobre 2021, date de son arrêt maladie,

5 452,35 euros à titre de rappel de salaire, outre 545,23 euros de congés payés afférents au titre du maintien de salaire pour la période d'octobre à décembre 2021,

870,51 euros à titre rappels de prime d'ancienneté, outre 87,05 euros de congés payés afférents titre de la période non couverte par la prescription entre le mois d'avril 2019 et le mois décembre 2021, date de fin du maintien de salaire,

1 182,43 euros à titre de rappel de frais sur la période septembre 2019 à février 2020

21 466,76 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

4 443,43 euros au titre de l'indemnité de congés payés due depuis le mois d'avril 2019 jusqu'au mois d'octobre 2021, date de son arrêt maladie,

6 556,53 euros au titre de l'indemnité de congés payés sur la période du 1er octobre 2014 au 31 mars 2019

5 661,53 euros au titre de l'indemnité de congés payés due sur la période de son arrêt de travail du 1er octobre 2023 au 31 janvier 2023 date de son licenciement

3 627,83 euros (après déduction de la somme de 3 155,43 euros d'ores et déjà versée au titre du solde de tout compte) au titre de l'indemnité légale de licenciement,

7 188,92 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 718,89 euros de congés payés afférents,

28 307,68 euros, soit 8 mois de salaire, en application du barème Macron au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

en tout état de cause,

condamner la société AF evotion à payer à Mme [O] la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner la même aux entiers dépens de l'instance et d'exécution, dont notamment les éventuels droits proportionnels de recouvrement.

Selon les dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 5 février 2024, la société AF demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et de :

à titre principal,

juger qu'il n'y avait pas de lien de subordination entre les parties et donc pas de contrat de travail et que la relation s'analyse en une prestation de services ;

juger que Mme [O] ne travaillait pas à temps plein ;

débouter Mme [O] de toutes ses demandes ;

à titre infiniment subsidiaire, en cas de requalification de la relation en contrat de travail à temps complet :

retenir un salaire annuel conventionnel de 20 252 euros soit 1 687,66 euros mensuels,

juger que les rappels de salaire s'élèvent au maximum à 9 333,67 euros à titre de rappel de salaires outre 933,36 euros de congés payés afférents,

par pure précaution juridique, en cas de résiliation judiciaire aux torts de l'employeur, juger que les indemnités s'élèvent au maximum à :

- indemnité de licenciement : 3 374 euros dont il convient de déduire la somme de 3 155,43 euros versés à titre conservatoire

- indemnité de préavis : 3 374 euros outre 337,40 euros de congés payés

- dommages et intérêt : 5 061 euros

débouter Mme [O] de sa demande de rappels de congés payés ;

débouter Mme [O] de sa demande au titre du travail dissimulé ;

en tout état de cause, la condamner à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

la condamner aux entiers éventuels dépens.

L'affaire a été évoquée à l'audience du 18 mars 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties il est fait expressément référence au jugement entrepris et aux conclusions des parties sus-visées.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'existence d'un contrat de travail

Pour contester le jugement entrepris en ce qu'il n'a pas reconnu l'existence d'un contrat de travail, Mme [O] soutient que :

- à titre liminaire, le conseil de prud'hommes a renversé la charge de la preuve et constaté qu'elle ne rapportait pas la preuve d'un lien de subordination, alors qu'il revenait à l'inverse à l'employeur de démontrer le caractère fictif de son contrat de travail ; pour écarter l'existence d'un contrat de travail, le conseil de prud'hommes a retenu qu'elle bénéficiait d'autonomie, alors que de nombreux salariés demeuraient en partie autonomes dans la gestion de leur travail, sans que ne leur soit déniée la qualité de salarié, et qu'il n'a pas répondu à ses arguments selon lesquels elle était placée dans un système organisé, sous la dépendance économique de la société, exclusifs de toute autonomie juridique ;

- les parties ont entendu dès le début de la relation s'inscrire dans le cadre d'une relation de travail salariée ; elle bénéficie d'un contrat de travail apparent puisque la société lui a délivré des bulletins de salaire mensuels depuis le mois d'octobre 2010 et qu'elle ne saurait prétendre à une erreur pendant huit années, en sorte que c'est à la société de justifier que le contrat était fictif ;

- la seule liberté d'organiser son travail n'est nullement exclusive de l'existence d'un contrat de travail, et la société lui précisait quoi qu'il en soit les conditions de réalisation des états des lieux ;

- concernant le fait qu'elle aurait été gérante d'une société, ce qu'elle ne conteste pas, celle-ci était en sommeil et sans aucune activité, et radiée depuis le 29 mars 2016 ; l'intimée et elle n'ont jamais entendu se placer dans le cadre d'une relation de prestations de services, aucune facturation n'ayant été établie ni sollicitée entre sa société et son employeur ;

- le lien de subordination et la situation de salariat dans laquelle elle se trouvait était notamment caractérisée par de régulières convocations auprès de la médecine du travail et par le fait qu'elle était intégrée à un service organisé au sein de la société, bénéficiant en outre d'outils numériques fournis par celle-ci et avec lesquels elle intervenait exclusivement ; par ailleurs, la société et ses dirigeants lui donnaient des instructions pour la réalisation des états des lieux, pour lesquelles elle récupérait les listes de locataires à l'agence, ses fiches de missions, ainsi que des consignes écrites ; la société lui remboursait les frais professionnels exposés à l'occasion de la réalisation des états des lieux.

La société soutient que :

- la salariée était gérante de la société Caroline Champion, immatriculée au registre des commerces et a fourni sa prestation de travail dans le cadre de cette société, qui n'a été radiée que le 29 mars 2016, en sorte que la présomption de non-salariat s'applique même si elle a fait le choix de ne pas poursuivre d'autres activités commerciales en parallèle ;

- aucun le lien de subordination n'est établi en l'espèce puisque l'appelante était libre d'organiser son temps de travail, et la prestation de travail qu'elle effectuait, comme elle le souhaitait ; elle ne faisait pas partie d'un service organisé : elle n'avait pas de bureau attribué dans ses locaux et elle indiquait chaque mois le nombre d'états des lieux d'entrée ou de sortie qu'elle réalisait, en toute autonomie, et sans objectif chiffré ;

- c'est bien par erreur que des bulletins de paie ont été établis et que Mme [O] a été traitée en paie comme une salariée, l'erreur n'étant cependant pas créatrice de droit et ne pouvant avoir pour conséquence de valider la relation de travail ; cette seule circonstance est quoi qu'il en soit insuffisante à démontrer l'existence d'un contrat de travail.

***

Il résulte des articles L.1221-1 et suivants du code du travail que le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d'autrui moyennant rémunération. L'existence de la relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs.

Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Peut constituer un indice de subordination, le travail au sein d'un service organisé lorsque l'employeur en détermine unilatéralement les conditions d'exécution.

En cas de litige, le juge ne s'attache pas à la dénomination du contrat mais à la situation de fait.

Selon les dispositions de l'article L.8221-6 du code du travail, sont présumées ne pas être liées avec le donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription :

1° les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocation familiales pour le recouvrement des cotisations d'allocation familiales ;

2° Les personnes physiques inscrites au registre des entreprises de transport routier de personnes qui exercent une activité de transport scolaire prévu par l'article L.213-11 du code de l'éducation ou de transport à la demande conformément à l'article 29 de la loi...

3° les dirigeants des personnes morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés et leurs salariés.

L'existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci.

Le contrat apparent résulte en principe d'un écrit mais peut aussi être constitué par la reconnaissance par l'employeur de ce l'intéressé est son salarié. Lorsque celui qui prétend avoir été salarié exerçait un mandat social au sein de la société, la production des bulletins de salaire est à elle seule insuffisante à créer l'apparence d'un contrat de travail.

En l'espèce, dès le début de la relation, à compter du mois d'octobre 2014 et de manière régulière, la société a délivré à Mme [O] des bulletins de salaire mensuels intégrant également une prime d'ancienneté forfaitaire. Elle l'a inscrite auprès du service de médecine du travail en qualité d'agent d'état des lieux et a été reçue par le médecin du travail, le 4 novembre 2015, dans le cadre d'une visite médicale d'embauche. Elle lui a également établi un justificatif de déplacement professionnel le 18 mars 2020 en application de l'article 1er du décret du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid-19 en apposant son cachet sous la mention 'nom et cachet de l'employeur'. Il s'ensuit que malgré les fonctions de dirigeante de la société Caroline Champion, immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 5 mai 2000, étant précisé que cette société avait cessé ses activités 30 septembre 2001 selon mention du 18 octobre 2001 figurant sur le Kbis et a fait l'objet d'une dissolution anticipée le 18 mai 2016, la société intimée ne saurait prétendre à une erreur dans la délivrance des bulletins de salaire.

Ce faisant la délivrance de ces bulletins de salaire outre l'inscription de l'appelante par la société intimée auprès des services de la médecine du travail, le suivi périodique effectué avant la saisine de la juridiction prud'homale et l'attestation de déplacement covid, manifestant la reconnaissance de sa qualité de salariée, ont créé une situation de contrat de travail apparent.

Il s'ensuit qu'il appartient à la société de rapporter la preuve d'un contrat fictif.

Si Mme [O] bénéficiait d'une certaine autonomie dans son organisation et ne bénéficiait pas d'un bureau au sein des locaux, elle figurait dans l'organigramme de la société en qualité de 'ELE/ELS' avec un numéro de portable et un mail interne '@evolution.com'. Elle disposait d'un téléphone portable et d'une tablette informatique mis à sa disposition par l'entreprise.

Il lui était donné des instructions, notamment dans la date de remise des états des lieux effectués. En effet, de façon générale, autour du 22 de chaque mois, le dirigeant il demandait de lui fournir ses états des lieux. Il a ainsi pu lui faire remarquer le 21 février 2018, que ce n'était pas à lui de lui 'courir après pour les avoir'. Egalement, par courriel du 11 octobre 2017, Mme [M] lui a demandé de lui fournir ses états des lieux d'octobre avant le vendredi 13 octobre 9h au motif que '[L]', partant en vacances, lui avait demandé de faire les payes d'octobre au plus tôt.

Les attestations versées aux débats par la société qui font état de l'autonomie de Mme [O] et pour celle de M. [K], co-gérant, de ce qu'elle décidait de ses congés unilatéralement, de ce qu'elle organisait son planning d'intervention directement avec les locataires, de ce qu'elle n'a jamais participé aux événements réalisés par la société sont, dans ces circonstances, insuffisantes pour démontrer l'existence d'un contrat de travail fictif.

La société sera en conséquence déboutée de sa demande tendant à déclarer qu'il n'y a pas de contrat de travail et que la relation s'analyse en une prestation de services.

La simple lecture des conclusions de Mme [O] permet de constater que la totalité de ses demandes porte sur l'existence de ce contrat de travail et sur son exécution, si bien que la juridiction prud'homale est donc bien matériellement seule compétente pour en connaître, par application des articles L.1411'1 et L.1411-4 du code du travail, précités.

Dès lors, c'est à tort que le conseil de prud'hommes a déduit de l'absence de contrat de travail qu'il considérait son incompétence pour connaître du litige.

Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour connaître des demandes de Mme [O] dirigées contre la société AF évotion.

Sur la requalification du contrat de travail à temps partiel en temps plein

Mme [O] soutient que :

- en l'absence de contrat de travail écrit, la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue, ainsi que la durée du travail entre les jours de la semaine et la semaine des mois, les cas dans lesquels une modification éventuelle de cette répartition peut intervenir ainsi que la nature de cette modification et les modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillée sont communiqués par écrit au salarié, n'ont jamais été porté à sa connaissance, en contravention avec les dispositions de l'article L. 3123-6 du code du travail ; ces omissions font présumer que son emploi est à temps complet ;

- pour renverser cette présomption, la société ne rapporte pas la preuve cumulative de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue, ni de fait qu'elle n'était pas placée dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme elle devait travailler;

- elle est bien fondée à solliciter un rappel de salaire depuis le mois d'avril 2019, période non couverte par la prescription, jusqu'à la date de son arrêt de travail, soit le 1er octobre 2020 ;

- au titre de sa période de maladie, elle aurait dû bénéficier des dispositions de la convention collective de l'immobilier applicable en l'espèce et du maintien de son salaire à 90%, pendant 90 jours ;

- elle aurait également dû bénéficier de la prime d'ancienneté prévue à l'article 36 de la convention collective, sans proratisation en fonction de son temps de travail, la convention collective ne prévoyant pas une telle condition, et de la majoration de son salaire au sixième anniversaire de son contrat de travail ;

- à défaut d'écrit précisant la durée du travail applicable, la société ne peut établir qu'elle occupait un emploi un temps partiel, caractérisant la dissimulation de son activité, ouvrant droit au versement de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, prévue par l'article L. 8223-1 du code du travail.

La société soutient que :

- l'appelante a été rémunérée de toutes les heures qu'elle a effectuées, en fonction des états des lieux déclarés, et ne démontre pas avoir travaillé plus que ce qu'elle déclarait ou être restée à sa disposition lorsqu'elle n'effectuait pas d'états des lieux ;

- subsidiairement, si Mme [O] avait bénéficié d'un contrat de travail à temps plein, son taux horaire aurait été réduit et elle aurait été rémunérée sur la base du salaire minimum conventionnel et il y aurait dans ce cas lieu de réduire les rappels de salaire pouvant être versés ;

- sur la demande de versement de l'indemnité pour travail dissimulé, non seulement elle versait à Mme [O] le salaire correspondant à la durée du travail déclarée par cette dernière, mais elle a cotisé et déclaré les salaires de celle-ci alors même que la prestation de travail ne s'analysait pas en un contrat de travail et qu'aucune cotisation n'aurait du être versée.

***

Aux termes de l'article L.3123-6 du code du travail, le contrat de travail du salarié à temps partiel est un contrat écrit. Il mentionne notamment les éléments de rémunération, la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue, et sauf pour les salariés des associations et entreprises d'aide à domicile et les salariés relevant d'un accord collectif conclu en application de l'article L.3121-44 la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois.

L'absence d'écrit ou de clause prévoyant la répartition des heures de travail entre les jours de la semaine et les semaines du mois fait présumer que l'emploi est à temps complet.

Il appartient alors à l'employeur de rapporter la preuve d'une part qu'il s'agit d'un emploi à temps partiel, d'autre part que le salarié n'est pas placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il doit travailler et qu'il n'était pas dans l'obligation de se tenir à la disposition de son employeur.

En l'occurrence, les bulletins de salaire mentionnent une base horaire extrêmement variable de 19,5 à 166,00 heures de travail par mois. Au regard de cette variabilité de la durée mensuelle de travail, la liberté d'organisation donnée à la salariée ne permet pas d'établir qu'elle n'était pas placée dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme de travail elle devait travailler ni qu'elle n'était pas dans l'obligation de se tenir à la disposition de son employeur. En conséquence, le contrat de travail sera requalifié à temps complet.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a débouté Mme [O] de sa demande à ce titre.

Sur l'exécution du contrat de travail

1- Sur la demande de rappel de salaire au titre de la requalification à temps complet

En conséquence de la requalification du contrat à temps partiel en contrat à temps complet, la salariée est en droit de prétendre à un rappel de salaire et d'indemnité de congés payés sur la base d'un temps plein.

Au regard des bulletins de salaire versés aux débats, le salaire fixé était de 23,33 euros/heure et ce montant sera retenu par la cour, sans que l'employeur puisse se prévaloir de la jurisprudence applicable en cas de reclassement au niveau hiérarchique supérieur ou de la requalification d'un contrat de sous-traitante en contrat de travail, faisant application du minimum salarial conventionnel.

En conséquence, au regard des bulletins de salaire versés aux débats, le rappel de salaire dû calculé sur la base du salaire mensuel que la salariée aurait dû percevoir à temps plein et déduction faite du salaire perçu, s'élève à la somme de 60 291,02 euros outre 6 029,10 euros au titre de l'indemnité de congés payés afférente, sur la période d'avril 2019 à août 2021. La société sera condamnée au paiement de ces sommes et le jugement entrepris infirmé en ce qu'il a débouté la salariée de cette demande.

2- Sur la demande de rappel de salaire au titre du maintien de salaire pour la période d'octobre à décembre 2021

La salariée soutient qu'ayant été en arrêt maladie du 1er octobre au 29 décembre 2021, elle est en droit de bénéficier du maintien de salaire à 90% sous déduction des indemnités journalières de la sécurité sociale issus du régime de prévoyance conventionnel, soit pendant 90 jours pour une ancienneté comprise entre 3 ans et 8 ans, précisant que son employeur avait maintenu le salaire sur la base du temps partiel.

La société considère qu'en considération de la somme de 3 896,03 euros qu'elle a perçu au titre du maintien de salaire et d'un salaire mensuel calculé en fonction du minimum conventionnel, le reliquat dû en cas de requalification à temps complet est limité à 660,67 euros.

Comme il a été indiqué précédemment, l'employeur ne saurait se prévaloir du salaire minimum conventionnel comme base de reconstitution du salaire pour un contrat à temps plein, en sorte qu'en conséquence de la requalification du contrat de travail à temps plein et déduction faite des

sommes versées à ce titre dont le montant indiqué par l'employeur n'est pas contesté, il sera fait droit à la demande de la salariée d'un montant de 5 452,35 euros pour la période d'octobre à décembre 2021.

La société sera condamnée au paiement de ces sommes et le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il en a débouté Mme [O].

La demande au titre de l'indemnité de congés payés qui ne peut pas faire double emploi avec celle sollicitée pour la période d'arrêt maladie du 1er octobre 2021 au 31 janvier 2023 sera examinée dans le cadre la demande spécifique d'indemnité de congés payés pour cette période.

3- Sur les rappels de prime d'ancienneté d'avril 2019 à décembre 2021

La convention collective nationale de l'immobilier, administrateurs immobiliers, sociétés immobilières, agents immobiliers du 9 septembre 1988 mise à jour, prévoit en son article 36

en vigueur à compter du 1er janvier 2016 que :

Pour tenir compte de l'expérience acquise dans l'entreprise, le salaire global brut mensuel contractuel défini à l'article 37.3.1 est majoré de 25 euros pour les 4 premiers niveaux de la grille et de 29 euros pour les niveaux suivants tous les 3 ans, au 1er janvier suivant la date d'anniversaire. Ces montants peuvent être revalorisés dans le cadre de la négociation annuelle.

En cas de promotion (classement au niveau supérieur), le salaire global brut mensuel contractuel est augmenté.

Le décompte de l'ancienneté pour déterminer le versement de la prime d'ancienneté se fait à compter de la dernière période de 3 ans calculée depuis la date de l'embauche. Le 1er versement interviendra le 1er janvier suivant le terme de cette période.

issu de l'avenant n°83 du 2 décembre 2019 ayant pris effet au 1er juin 2020 et étendu par arrêté du 22 juillet 2021, que :

Pour tenir compte de l'expérience acquise dans l'entreprise, le salaire global brut mensuel contractuel défini à l'article 37.3.1 est majoré de 25 euros pour les 4 premiers niveaux de la grille et de 29 euros pour les niveaux suivants tous les 3 ans, au 1er janvier suivant la date d'anniversaire. Ces montants peuvent être revalorisés dans le cadre de la négociation annuelle.

En cas de promotion (classement au niveau supérieur), le salaire global brut mensuel contractuel est augmenté.

Le décompte de l'ancienneté pour déterminer le versement de la prime d'ancienneté se fait à compter de la dernière période de 3 ans calculée depuis la date de l'embauche. Le 1er versement interviendra le 1er janvier suivant le terme de cette période.

issu de l'avenant n°84 du 18 février 2020 étendu par arrêté du 8 juillet 2021 que :

Pour tenir compte de l'expérience acquise dans l'entreprise, le salaire global brut mensuel contractuel défini à l'article 37.3.1 est majoré de 28 euros pour les 4 premiers niveaux de la grille et de 30 euros pour les niveaux suivants tous les 3 ans, au 1er janvier suivant la date d'anniversaire. Ces montants peuvent être revalorisés dans le cadre de la négociation sur les salaires.

En cas de promotion (classement au niveau supérieur), le salaire global brut mensuel contractuel est augmenté.

Le décompte de l'ancienneté pour déterminer le versement de la prime d'ancienneté se fait à compter de la dernière période de 3 ans calculée depuis la date de l'embauche. Le premier versement interviendra le 1er janvier suivant le terme de cette période. »

Il est rappelé que ces nouveaux montants s'appliquent également aux négociateurs salariés, qui bénéficient d'une prime d'ancienneté, conformément à l'article 5 de l'annexe IV du statut de négociateur immobilier dans sa version issue de l'avenant n°83 du 2 décembre 2019. Ainsi, les négociateurs immobiliers, hors classification du fait de leur statut, se voient appliquer un forfait de 28 euros. Toutefois, lorsqu'ils sont cadres, ils bénéficient d'un forfait de 30 euros.

En conséquence, les forfaits en cours doivent être actualisés en tenant compte des nouvelles valeurs au 1er janvier 2020.

En considération des dispositions conventionnelles, la prime d'ancienneté est forfaitaire, en sorte que l'employeur ne pouvait appliquer un prorata en fonction du nombre d'heures effectuées.

Il s'ensuit qu'en application de ces dispositions conventionnelles, la salariée avait droit pour l'ensemble de la période d'avril 2019 à décembre 2021 à la somme de 1 161 euros, de laquelle il y a lieu de déduire les sommes versées. Ainsi la société sera condamnée à lui verser la somme de 870,51 euros outre l'indemnité de congés payés afférente pour 87,05 euros au titre du reliquat de prime conventionnelle d'ancienneté.

Le jugement entrepris sera infirmé.

4- Sur la demande de remboursement de frais

Mme [O] soutient qu'elle ne trouve pas trace du remboursement de ses frais professionnels pour la période de septembre 2019 à février 2020.

La société ne présente aucun moyen.

***

Il est de principe que les frais qu'un salarié expose pour les besoins de son activité professionnelle et dans l'intérêt de l'employeur doivent être supportés par ce dernier.

Ces frais professionnels qu'un salarié justifie avoir exposés pour les besoins de son activité professionnelle doivent lui être remboursés sans qu'ils puissent être imputés sur la rémunération qui lui est due, à moins qu'il n'ait été contractuellement prévu qu'il en conserverait la charge moyennant le versement d'une somme fixée à l'avance de manière forfaitaire et à la condition d'une part, que cette somme forfaitaire ne soit pas manifestement disproportionnée au regard du montant réel des frais engagés et, d'autre part que la rémunération proprement dite du travail reste chaque mois au mois égale au Smic.

En l'occurrence, la salariée justifie de frais de déplacements professionnels engagés pour les mois de septembre 2019 à février 2020 pour un montant de 1 182,43 euros que la société sera condamnée à lui verser en l'absence de toute preuve de remboursement.

Le jugement sera infirmé du chef de rejet de cette demande.

5- Sur la demande d'indemnité forfaitaire de travail dissimulé

Mme [O] soutient que dès lors que la société ne peut établir qu'elle occupait un emploi à temps partiel, la dissimulation d'emploi est établie.

Il résulte de l'article L. 8221-5 du code du travail que la dissimulation d'emploi salarié n'est caractérisée que si l'employeur, de manière intentionnelle, soit s'est soustrait à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10 relatif à la déclaration préalable à l'embauche, soit s'est soustrait à la formalité prévue à l'article L. 3243-2 relatif à la délivrance d'un bulletin de paie ou a mentionné sur le bulletin de paye un nombre d'heure de travail inférieur à celui réellement effectué.

En l'occurrence, l'argument invoqué par la salariée est insuffisant à établir la preuve d'une intention de dissimulation des heures effectuées par la salariée auprès des organismes sociaux, celle-ci ne pouvant résulter de la seule défaillance de l'employeur dans la preuve du contrat à temps partiel. La salariée sera en conséquence déboutée de sa demande d'indemnité de travail dissimulé.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ce chef.

6- Sur la demande d'indemnité de congés payés pour la période du 1er octobre 2014 au 31 mars 2019 et sur la période d'arrêt de travail du 1er octobre 2023 au 31 janvier 2023

Mme [O] soutient qu'elle n'a jamais bénéficié de congés payés au cours de son contrat de travail et peut bénéficier, outre de l'indemnité de congés payés dus depuis le mois d'avril 2019 jusqu'au 1er octobre 2021, mais également sur la période antérieure, compte tenu de la jurisprudence désormais appliquée par la cour de cassation, la société ne justifiant pas avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin de lui assurer la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé.

La société fait valoir que :

- l'appelante, ne peut bénéficier des dispositions du code du travail relatives au paiement des indemnités de congés payés, n'étant pas liée par un contrat de travail et organisant son temps de travail comme elle le souhaitait ;

- subsidiairement, elle a accompli les diligences nécessaires, induites par le fait que Mme [O] prenait des congés dont la rémunération était comprise dans la somme versée mensuellement.

***

Le droit au congé annuel payé est un principe du droit social de l'Union européenne revêtant une importance particulière, auquel il ne saurait être dérogé et dont la mise en oeuvre ne peut être effectuée que dans les limites expressément énoncées par la directive n°2003/88/CE du 4 novembre 2003. Il appartient à l'employeur de prendre des mesures propres à assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé et, en cas de contestation, de justifier qu'il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombent légalement.

Par ailleurs, les salariés dont le contrat de travail est suspendu en raison d'une maladie, que celle-ci soit d'origine professionnelle ou pas, continuent à acquérir des droits à congés payés durant cette période (Soc. 13 sept. 2023, n° 22-17.340).

S'agissant de l'indemnité de congés payés, le point de départ de la prescription est fixé à l'expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris. Néanmoins, la prescription de ce droit ne court qu'une fois que l'employeur a mis le salarié en mesure d'exercer ses droits à congés payés (soc 13 septembre 2023 n°22-11106).

En l'occurrence, aucune mention relative aux congés payés ne figure sur les bulletins de salaire. En outre, les attestations des deux cogérants dont l'une mentionne que l'appelante prenait 15 jours de congés en août ne présentent pas de valeur probante intrinsèque et ne sauraient être confortés par l'attestation d'un unique salarié. Aussi, le seul fait que la salariée organisait son temps d'intervention est insuffisant à justifier que l'employeur a pris les mesures propres à assurer à celle-ci la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé.

Compte tenu de l'existence d'un contrat de travail, alors même que la salariée qui occupait un poste d'agent d'état des lieux classée E2 ne bénéficiait pas du statut de négociateur immobilier et qu'aucun écrit ne stipulait l'intégration de l'indemnité de congés payés au sein de la rémunération horaire brute, c'est à bon droit que la salariée réclame une indemnité de congés payés :

- pour la période d'avril 2019 au 1er octobre 2021 (correspondant à son arrêt de travail), la somme de 4 443,46 euros en fonction des bulletins de salaire ;

- depuis son embauche en octobre 2014 jusqu'en mars 2019, la somme de 6 556,53 euros, dès lors qu'elle n'a pas été mise en mesure d'exercer ses droits à congés payés acquis.

En ce qui concerne la demande d'indemnité de congés payés pour la période de maladie du 1er octobre 2021 au 31 janvier 2023 correspondant à son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement, la salariée sollicite la somme de 5 661,54 euros calculée sur la base du 10ème du salaire mensuel de 3 538,46 euros pendant 16 mois.

Compte tenu des développement précédents, la salariée a droit à indemnité compensatrice de congés payés en raison des droits acquis pendant la période d'arrêt maladie.

La cour observe que :

*selon l'article 37 de la loi n°2024-364 du 22 avril 2024 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière d'économie, de finance, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole entrée en vigueur le 24 avril 2024,

a été créé un article L.3141-5-1 du code du travail prévoyant que :

'Par dérogation au premier alinéa de l'article L. 3141-3, la durée du congé auquel le salarié a droit au titre des périodes mentionnées au 7° de l'article L. 3141-5 est de deux jours ouvrables par mois, dans la limite d'une attribution, à ce titre, de vingt-quatre jours ouvrables par période de référence mentionnée à l'article L. 3141-10.' ;

a modifié l'article L.3141-24 du congés payés en prévoyant que :

'I.-Le congé annuel prévu à l'article L. 3141-3 ouvre droit à une indemnité égale au dixième de la rémunération brute totale perçue par le salarié au cours de la période de référence.

Pour la détermination de la rémunération brute totale, il est tenu compte :

1° De l'indemnité de congé de l'année précédente ;

2° Des indemnités afférentes à la contrepartie obligatoire sous forme de repos prévues aux articles L. 3121-30, L. 3121-33 et L. 3121-38 ;

3° Des périodes assimilées à un temps de travail par l'article L. 3141-4 et par les 1° à 6° de l'article L. 3141-5 qui sont considérées comme ayant donné lieu à rémunération en fonction de l'horaire de travail de l'établissement ;

4° Des périodes assimilées à un temps de travail par le 7° du même article L. 3141-5 qui sont considérées comme ayant donné lieu à rémunération en fonction de l'horaire de travail de l'établissement, dans la limite d'une prise en compte à 80 % de la rémunération associée à ces périodes.

Lorsque la durée du congé est différente de celle prévue à l'article L. 3141-3, l'indemnité est calculée selon les règles fixées au présent I et proportionnellement à la durée du congé effectivement dû.

II. (...)' ;

*l'article 37 II de la dite loi a précisé que :

Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée ou de stipulations conventionnelles plus favorables en vigueur à la date d'acquisition des droits à congés, ces dispositions sont applicables pour la période courant du 1er décembre 2009 à la date d'entrée en vigueur de ladite loi.

Toutefois, pour la même période, les congés supplémentaires acquis en application des dispositions mentionnées au premier alinéa ne peuvent, pour chaque période de référence mentionnée à l'article L. 3141-10 du code du travail, excéder le nombre de jours permettant au salarié de bénéficier de vingt-quatre jours ouvrables de congé, après prise en compte des jours déjà acquis, pour la même période, en application des dispositions du même code dans leur rédaction antérieure à ladite loi.

Toute action en exécution du contrat de travail ayant pour objet l'octroi de jours de congé en application du dit II doit être introduite, à peine de forclusion, dans un délai de deux ans à compter de l'entrée en vigueur de ladite loi.

Aussi, la cour ordonne la réouverture des débats afin que les parties présentent leurs observations sur le moyen soulevé d'office de l'application de ces nouvelles dispositions et les conséquences de leur application sur le calcul de l'indemnité de congés payés sur la période d'arrêt maladie sollicitée du 1er octobre 2021 au 31 janvier 2023. Il sera donc réservé à statuer sur ce chef.

Sur la résiliation judiciaire

Mme [O] fait grief au jugement de la débouter de sa demande de résiliation judiciaire et fait valoir que le fait qu'elle n'ait pas été mise en mesure de connaître la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine, les modalités de modification de cette répartition et de communication des horaires de travail à défaut de contrat de travail, qu'elle n'ait jamais bénéficié de congés payés depuis son embauche, ni du paiement d'un salaire à temps plein, constituent des manquements graves de son employeur ayant perduré dans le temps et justifiant la résiliation judiciaire de son contrat de travail au tort de ce dernier.

La société soutient qu'elle était liée avec l'appelante par un contrat de prestation de service, et cette dernière ne peut donc bénéficier des règles protectrices du contrat de travail dont elle se prévaut ; subsidiairement, les salaires versés correspondaient à la durée du travail déclarée et réalisée réellement par Mme [O], de sorte qu'aucune faute ne peux lui être reprochée ; à titre infiniment subsidiaire, les demandes de l'appelante doivent être réduites.

***

Sur le fondement de l'article 1184 devenu 1217 du code civil et de l'article L.1231-1 du code du travail, le salarié peut saisi le conseil de prud'hommes d'une demande de résiliation judiciaire du contrat à raison des manquements de l'employeur aux obligations découlant du contrat de travail.

Les manquements doivent être suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

Il appartient aux juges du fond d'apprécier les manquements imputés à l'employeur au jour de leur décision. Dans le cas où le salarié est licencié postérieurement à sa demande de résiliation, pour apprécier si les manquements de l'employeur sont de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail, il peut tenir compte de la régularisation survenue jusqu'à la date du licenciement.

Si la résiliation judiciaire est prononcée, elle prend effet à la date de la décision judiciaire la prononçant, sauf si la rupture du contrat de travail est intervenue entre temps pour autre cause, auquel cas elle prend effet à la date de la rupture effective.

En l'occurrence, le manquement de l'employeur qui n'a pas formalisé de contrat écrit à temps partiel n'est pas suffisamment grave pour justifier la résiliation du contrat de travail dès lors d'une part, que ce n'est que par courrier de son avocat le 9 mars 2022, que la salariée s'est plainte auprès de son employeur que le défaut d'écrit laissait présumer d'un contrat à temps plein et d'autre part qu'il existait une difficulté tenant à la nature de la relation contractuelle entre les parties au regard de l'immatriculation de Mme [O] au registre des sociétés.

Dans ces conditions, il en est de même en ce qui concerne l'absence d'attribution de congés payés au cours de la relation contractuelle.

En conséquence, la salariée sera déboutée de sa demande de résiliation judiciaire, étant précisé que le contrat a été rompu par un licenciement conservatoire le 31 janvier 2023 pour inaptitude non médicalement constatée et impossibilité de reclassement, dont la cause réelle et sérieuse n'est pas remise en cause.

Mme [O] sera en conséquence déboutée de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de sa demande d'indemnité compensatoire de préavis et de congés payés afférente.

Elle est en revanche en droit de prétendre à un reliquat d'indemnité légale de licenciement sur la base du salaire mensuel d'un contrat à temps complet soit de 3 538,46 euros et en fonction des dispositions réglementaires applicables, soit la somme sollicitée de 3 627,83 euros après déduction de la somme 3 155,43 euros versée au titre de l'indemnité de licenciement dans le cadre du solde de tout compte.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande à ce titre.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Au regard de la réouverture des débats, il sera réservé à statuer sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Statuant par arrêt mixte, contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;

Dans la limite de la dévolution,

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [O] de ses demandes de résiliation du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de condamnation de la société AF évotion à lui verser 7 188,92 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 718,89 euros de congés payés afférents, 28 307,68 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 21 466,76 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;

INFIRME le jugement entrepris en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour connaître des demandes de Mme [O] dirigées contre la société AF évotion et débouté Mme [O] de ses demandes de requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein, de condamnation de la société AF évotion à lui verser 61 719,58 euros au titre de rappel de salaire, outre 6 172,96 euros de congés payés afférents, au titre de la période d'avril 2019 à octobre 2021, 5 452,35 euros à titre de rappel de salaire, outre 545,23 euros de congés payés afférents au titre du maintien de salaire pour la période d'octobre à décembre 2021, 870,51 euros à titre rappels de prime d'ancienneté, outre 87,05 euros de congés payés afférents pour la période d'avril 2019 à décembre 2021, date de fin du maintien de salaire, 1 182,43 euros à titre de rappel de frais sur la période septembre 2019 à février 2020, 4 443,43 euros au titre de l'indemnité de congés payés due depuis le mois d'avril 2019 jusqu'au mois d'octobre 2021, date de son arrêt maladie, 6 556,53 euros au titre de l'indemnité de congés payés sur la période du 1er octobre 2014 au 31 mars 2019, 3 627,83 euros au titre du reliquat de l'indemnité légale de licenciement;

Statuant à nouveau dans cette limite,

DÉCLARE que Mme [O] et la société AF évotion étaient liées par un contrat de travail depuis le 1er octobre 2014 ;

REQUALIFIE le contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein ;

CONDAMNE la société AF évotion à verser à Mme [O] les sommes suivantes :

60 291,02 euros outre 6 029,10 euros au titre de l'indemnité de congés payés afférente, sur la période d'avril 2019 à août 2021,

5 452,35 euros à titre de maintien de salaire pour la période d'octobre à décembre 2021,

870,51 euros outre l'indemnité de congés payés afférente pour 87,05 euros au titre du reliquat de prime conventionnelle d'ancienneté,

1 182,43 euros au titre des frais de déplacements professionnels engagés pour les mois de septembre 2019 à février 2020,

6 556,53 euros à titre d'indemnité de congés payés au titre des droits acquis d'octobre 2014 en mars 2019 ;

4 443,46 euros à titre d'indemnité de congés payés pour la période d'avril 2019 au 1er octobre 2021 ;

3 627,83 euros à titre de reliquat d'indemnité légale de licenciement ;

RAPPELLE que les sommes allouées par la cour sont exprimées en brut ;

RAPPELLE que les intérêts au taux légal sur les créances de nature salariale courent à compter de la demande, soit à compter de la notification à la société AF évotion de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes ;

ORDONNE la remise par la société AF évotion à Mme [O] des documents de fin de contrat et d'un bulletin de salaire rectifié dans un délai de deux mois à compter de ce jour ;

RÉSERVE à statuer sur la demande de 5 661,53 euros au titre de l'indemnité de congés payés sur la période de l'arrêt de travail du 1er octobre 2023 au 31 janvier 2023 date de son licenciement outre sur les demandes d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens ;

Avant dire droit,

ORDONNE la réouverture des débats,

RÉVOQUE l'ordonnance de clôture,

INVITE les parties à faire valoir leurs observations sur l'application au litige des dispositions de l'article 37 de la loi n°2024-364 du 22 avril 2024 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière d'économie, de finance, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole entrée en vigueur le 24 avril 2024,

sur les conséquences de l'application de ces nouvelles dispositions sur le calcul de l'indemnité compensatrice de congés payés sur la période d'arrêt maladie du 1er octobre 2021 au 31 janvier 2023 ;

DIT que les parties déposeront leurs conclusions dans un délai de deux mois à compter de ce jour pour l'appelant et de quatre mois à compter de ce jour pour l'intimée ;

DIT que l'affaire sera à nouveau clôturée le 14 novembre 2024 et renvoyée à l'audience rapporteur du 26 novembre 2024 à 9h, le présent arrêt valant convocation à l'audience.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale a
Numéro d'arrêt : 23/08285
Date de la décision : 19/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-19;23.08285 ?
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