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13/06/2024 | FRANCE | N°24/04807

France | France, Cour d'appel de Lyon, Retentions, 13 juin 2024, 24/04807


N° RG 24/04807 - N° Portalis DBVX-V-B7I-PXAL



Nom du ressortissant :

[B] [N]







[N] C/ PREFETE DU RHONE



COUR D'APPEL DE LYON



JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT





ORDONNANCE DU 13 JUIN 2024

statuant en matière de Rétentions Administratives des Etrangers





Nous, Marianne LA MESTA, conseillère à la cour d'appel de Lyon, déléguée par ordonnance de madame la première présidente de ladite Cour en date du 4 janvier 2024 pour statuer sur les procédures ouvertes en

application des articles L.342-7, L. 342-12, L. 743-11 et L. 743-21 du code d'entrée et de séjour des étrangers en France et du droit d'asile,



Assistée de Manon CHIN...

N° RG 24/04807 - N° Portalis DBVX-V-B7I-PXAL

Nom du ressortissant :

[B] [N]

[N] C/ PREFETE DU RHONE

COUR D'APPEL DE LYON

JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT

ORDONNANCE DU 13 JUIN 2024

statuant en matière de Rétentions Administratives des Etrangers

Nous, Marianne LA MESTA, conseillère à la cour d'appel de Lyon, déléguée par ordonnance de madame la première présidente de ladite Cour en date du 4 janvier 2024 pour statuer sur les procédures ouvertes en application des articles L.342-7, L. 342-12, L. 743-11 et L. 743-21 du code d'entrée et de séjour des étrangers en France et du droit d'asile,

Assistée de Manon CHINCHOLE, greffière,

En l'absence du ministère public,

En audience publique du 13 Juin 2024 dans la procédure suivie entre :

APPELANT :

M. [B] [N]

né le 29 Mars 1998 à [Localité 2] (ALGÉRIE)

de nationalité Algérienne

Actuellement retenu au centre de rétention administrative de [3]

comparant assisté de Maître Arnaud BOUILLET, avocat au barreau de LYON, commis d'office

ET

INTIME :

MME PREFETE DU RHONE

[Adresse 4]

[Localité 1]

non comparant, régulièrement avisé, représenté par Maître Cherryne RENAUD AKNI, avocat au barreau de LYON substituant Maître Jean-Paul TOMASI, avocat au barreau de LYON,

Avons mis l'affaire en délibéré au 13 Juin 2024 à 16h00 et à cette date et heure prononcé l'ordonnance dont la teneur suit :

FAITS ET PROCÉDURE

Le 18 avril 2023, la préfète du Rhône a édicté à l'encontre de [B] [N] une décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai assortie d'une interdiction de retour pendant une durée de 24 mois, laquelle a été notifiée le jour-même à l'intéressé.

Par décision en date du 28 mars 2024, correspondant au jour de la levée d'écrou de [B] [N] du centre pénitentiaire de [Localité 5] à l'issue de l'exécution d'une peine de 6 mois d'emprisonnement prononcée le 24 novembre 2023 par le tribunal correctionnel de Lyon en répression de faits de tentative de vol en réunion en récidive et vol en réunion en récidive, la préfète du Rhône a ordonné son placement en rétention dans les locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire pour l'exécution de la mesure d'éloignement précitée.

Par ordonnances des 30 mars 2024, 27 avril 2024 et 27 mai 2024, respectivement confirmées en appel les 2 avril 2024, 30 avril 2024 et 29 mai 2024, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon a prolongé la rétention administrative de [B] [N] pour des durées successives de vingt-huit, trente et quinze jours.

Suivant requête du 10 juin 2024, enregistrée le jour-même à 14 heures 57, la préfète du Rhône a saisi le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon aux fins de voir ordonner une nouvelle prolongation exceptionnelle de la rétention pour une durée de quinze jours.

Dans la perspective de l'audience, le conseil de [B] [N] a déposé des conclusions aux fins de rejet de la requête en 4ème prolongation de la préfète du Rhône.

Le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon, dans son ordonnance du 11 juin 2024 à 16 heures 25, a fait droit à cette requête.

Le conseil de [B] [N] a interjeté appel de cette ordonnance par déclaration reçue au greffe le 12 juin 2024 à 14 heures 27 en demandant au délégué du premier président de :

- dire et juger que les dispositions de l'article L. 742-5 du CESEDA issues de la loi n°2024-42 du 26 janvier 2024 ne sont pas compatibles avec l'article 15 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 en raison du principe de primauté du droit de l'Union garanti par l'article 288 TFUE et qu'elles doivent être écartées,

- dire et juger que les conditions posées par le dernier alinéa de l'article L.742-5 du CESEDA ne sont pas réalisées en l'espèce,

- rejeter la requête préfectorale tendant à une quatrième prolongation,

- mettre fin à la rétention de [B] [N].

Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience du 13 juin 2024 à 10 heures 30.

[B] [N] a comparu assisté de son avocat.

Le conseil de [B] [N], entendu en sa plaidoirie, a soutenu les termes de la requête d'appel.

La préfète du Rhône, représentée par son conseil, a demandé la confirmation de l'ordonnance déférée, en observant que le fait que l'article L. 741- 3 du CESEDA continue à régir tous les stades de la rétention administrative montre bien qu'il n'y a aucune violation de l'article 15 de la directive.

[B] [N], qui a eu la parole en dernier, explique qu'il est fatigué par son placement en rétention. Il ajoute qu'il a respecté la semi-liberté, qu'il s'agit de sa première rétention et qu'il souhaite donc qu'une chance lui soit laissée de quitter la France par ses propres moyens ce qu'il s'engage à faire dans un délai de 24 heures.

MOTIVATION

Sur la recevabilité de l'appel

L'appel du conseil de [B] [N], relevé dans les formes et délais légaux prévus par les dispositions des articles L. 743-21, R. 743-10 et R. 743-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), est déclaré recevable. 

Sur l'interprétation de l'article 15 de la directive 2008/115

Le conseil de [B] [N] soutient, au visa de l'article 15 de la Directive européenne 2008/115 du 16 décembre 2018, dite directive Retour, que le dernier alinéa de l'article L. 742-5 du CESEDA doit être écarté, car il est contraire aux principes de la rétention administrative et à ce texte européen, en ce qu'il conduit à ériger la menace pour l'ordre public en un critère général et déconnecté des objectifs assignés à une mesure de rétention par cette directive, à savoir garantir l'effectivité de l'exécution de la mesure d'éloignement.

Il convient de rappeler que l'article 15 de cette directive dispose :

«1. À moins que d'autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d'un pays tiers qui fait l'objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l'éloignement, en particulier lorsque :

a) il existe un risque de fuite, ou

b) le ressortissant concerné d'un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d'éloignement.

Toute rétention est aussi brève que possible et n'est maintenue qu'aussi longtemps que le dispositif d'éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise.

2. La rétention est ordonnée par les autorités administratives ou judiciaires. La rétention est ordonnée par écrit, en indiquant les motifs de fait et de droit.

Si la rétention a été ordonnée par des autorités administratives, les États membres :

a) soit prévoient qu'un contrôle juridictionnel accéléré de la légalité de la rétention doit avoir lieu le plus rapidement possible à compter du début de la rétention,

b) soit accordent au ressortissant concerné d'un pays tiers le droit d'engager une procédure par laquelle la légalité de la rétention fait l'objet d'un contrôle juridictionnel accéléré qui doit avoir lieu le plus rapidement possible à compter du lancement de la procédure en question. Dans ce cas, le concerné d'un pays tiers de la possibilité d'engager cette procédure.

Le ressortissant concerné d'un pays tiers est immédiatement remis en liberté si la rétention n'est pas légale.

3. Dans chaque cas, la rétention fait l'objet d'un réexamen à intervalles raisonnables soit à la demande du ressortissant concerné d'un pays tiers, soit d'office. En cas de périodes de rétention prolongées, les réexamens font l'objet d'un contrôle par une autorité judiciaire.

4. Lorsqu'il apparaît qu'il n'existe plus de perspective raisonnable d'éloignement pour des considérations d'ordre juridique ou autres ou que les conditions énoncées au paragraphe 1 ne sont plus réunies, la rétention ne se justifie plus et la personne concernée est immédiatement remise en liberté.

5. La rétention est maintenue aussi longtemps que les conditions énoncées au paragraphe 1 sont réunies et qu'il est nécessaire de garantir que l'éloignement puisse être mené à bien. Chaque État membre fixe une durée déterminée de rétention, qui ne peut pas dépasser six mois.

6. Les États membres ne peuvent pas prolonger la période visée au paragraphe 5, sauf pour une période déterminée n'excédant pas douze mois supplémentaires, conformément au droit national, lorsque, malgré tous leurs efforts raisonnables, il est probable que l'opération d'éloignement dure plus longtemps en raison :

a) du manque de coopération du ressortissant concerné d'un pays tiers, ou

b) des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires.».

Il sera observé que ce texte européen ne prévoit pas une liste limitative des motifs susceptibles de permettre le placement ou le maintien en rétention administrative, l'expression «en particulier» étant justement utilisée pour indiquer que cette mesure de contrainte n'est pas nécessairement uniquement fondée sur les deux critères du risque de fuite ou de l'obstruction expressément visés au paragraphe 1.

Il suffit d'ailleurs de se référer à la décision rendue le 6 octobre 2022 par la Cour de justice de l'Union européenne (C-241/21) pour constater que dans son considérant 36, il a été dit pour droit que «Dès lors, les Etats membres peuvent prévoir d'autres motifs de rétentions spécifiques, en complément des deux motifs explicitement prévus par [l'article 15, paragraphe 1 de la directive 2008/115]» , ce dont il s'infère la faculé pour le droit national d'ajouter un nouveau motif de maintien ou de placement en rétention administrative.

S'il est indéniable que le paragraphe 3 de l'article 15 précité impose l'examen régulier du maintien en rétention administrative, il ne le conditionne pas pour autant nécessairement aux mêmes critères que ceux du placement en rétention administrative.

Seul le paragraphe 5 de ce texte est en réalité susceptible d'être invoqué pour s'interroger sur la question de la compatibilité du dernier alinéa de l'article L. 742-5 du CESEDA qui conduit le juge des libertés et de la détention à statuer sur la demande de quatrième prolongation exceptionnelle de la rétention administrative fondée sur une menace pour l'ordre public.

Cette partie de la directive européenne a été transposée à l'article L. 741-3 du CESEDA qui est par ailleurs cité par le conseil de [B] [N].

Il est constant que la loi n°2024-42 du 26 janvier 2024 qui a modifié l'article L. 742-5 n'a en revanche pas abrogé cet article L. 741-3 ni apporté de changement au texte permettant la prolongation exceptionnelle de la rétention administrative en créant une exception à l'application de l'article L. 741-3, texte autonome et de portée générale, s'appliquant à tous les stades de la rétention administrative.

[B] [N] n'est ainsi pas fondé à invoquer une contrariété du dernier alinéa de l'article L. 742-5 aux principes contenus dans la directive Retour, dès lors que ce texte n'écarte pas la possibilité pour le juge national de mettre fin à la rétention administrative en l'absence de toute perspective raisonnable d'éloignement.

La lettre même du texte nouveau issu de la loi du 26 janvier 2024 ne conduit pas à l'examen de ce critère de la menace pour l'ordre public de manière dissociée de l'objet de la mesure de rétention administrative, constitué par l'éloignement.

Il sera enfin observé que la menace pour l'ordre public visée dans ce texte national ne peut être présumée comme ne satisfaisant pas aux exigences de clarté, de prévisibilité et surtout de protection contre l'arbitraire alors que ce critère est nécessairement soumis à l'appréciation du juge judiciaire, gardien des libertés. Cette notion de menace pour l'ordre public, prévue par la directive Retour, a d'ailleurs été examinée par la Cour de justice de l'Union européenne qui n'a pas relevé une telle absence de clarté ou de prévisibilité.

Aucune contrariété aux principes édictés par le texte européen susvisé n'est donc caractérisée.

Le moyen sera par conséquent rejeté.

Sur le bien-fondé de la requête

L'article L. 741-3 du CESEDA énonce qu'un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que le temps strictement nécessaire à son départ et que l'administration doit exercer toute diligence à cet effet.

L'article L. 742-5 du même code dispose que : « A titre exceptionnel, le juge des libertés et de la détention peut à nouveau être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de la durée maximale de rétention prévue à l'article L. 742-4, lorsqu'une des situations suivantes apparaît dans les quinze derniers jours :

1° L'étranger a fait obstruction à l'exécution d'office de la décision d'éloignement ;

2° L'étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d'éloignement :

a) une demande de protection contre l'éloignement au titre du 5° de l'article L. 631-3 ;

b) ou une demande d'asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3 ;

3° La décision d'éloignement n'a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l'intéressé et qu'il est établi par l'autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.

Le juge peut également être saisi en cas d'urgence absolue ou de menace pour l'ordre public.

(...)

Si l'une des circonstances mentionnées aux 1°, 2° ou 3° ou au septième alinéa du présent article survient au cours de la prolongation exceptionnelle ordonnée en application de l'avant-dernier alinéa, elle peut être renouvelée une fois, dans les mêmes conditions. La durée maximale de la rétention n'excède alors pas quatre-vingt-dix jours.» ;

Le conseil de [B] [N] soutient dans sa requête écrite d'appel que les conditions du texte précité ne sont pas réunies, dès lors que [B] [N] n'a pas fait obstruction à son éloignement et qu'il n'est pas démontré par la préfecture en quoi la prolongation exceptionnelle de la rétention permettrait la délivrance d'un laissez-passer consulaire par les autorité algériennes qui n'ont jamais répondu au cours des 75 jours précédents.

En l'espèce, il y a lieu d'adopter les motifs clairs et pertinents du premier juge qui a considéré que la seule absence de réponse de la part des autorités algériennes, ne suffit pas à caractériser l'absence de perspective raisonnable d'éloignement de [B] [N] dans le cadre de la dernière prolongation exceptionnelle au vu des diligences entreprises par l'autorité administrative et non contestées par [B] [N].

Le premier juge doit également être approuvé, en ce qu'il a rappelé que dans l'ordonnance du 27 mai 2024, confirmée en appel le 29 mai 2024, il avait déjà été retenu que le comportement de [B] [N] était constitutif d'une menace pour l'ordre public, compte tenu de sa condamnation récente du 24 novembre 2023 à 6 mois d'emprisonnement pour des faits commis en récidive, ce qui révèle une répétition des actes délictueux dans le temps.

Aucun élément nouveau n'étant invoqué par [B] [N] depuis le prononcé de cette ordonnance, dont la survenance serait de nature à remettre en cause l'appréciation faite il y a tout juste 15 jours relativement au critère de la menace pour l'ordre public, il convient dès lors de considérer que cette menace est toujours d'actualité

Dans ces circonstances, l'ordonnance entreprise est confirmée.

PAR CES MOTIFS

Déclarons recevable l'appel formé par [B] [N],

Confirmons l'ordonnance déférée.

Le greffier, Le conseiller délégué,

Manon CHINCHOLE Marianne LA MESTA


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Retentions
Numéro d'arrêt : 24/04807
Date de la décision : 13/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-13;24.04807 ?
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