La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/06/2024 | FRANCE | N°21/01541

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale a, 12 juin 2024, 21/01541


AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR



N° RG 21/01541 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NN26



Société EXPERIS FRANCE

C/

[Z]



APPEL D'UNE DÉCISION DU :

SECTION de LYON

du 29 Janvier 2021

RG : F 19/00200







COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE A



ARRÊT DU 12 JUIN 2024







APPELANTE :



Société EXPERIS FRANCE anciennement dénommée société PROSERVIA

[Adresse 1]

[Localité 2]



représenté

e par Me Romain LAFFLY de la SELARL LX LYON, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Antoine RICARD de la SELARL RICARD RINGUIER, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Mathilde CENA, avocat au barreau de LYON







INTIMÉ ...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 21/01541 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NN26

Société EXPERIS FRANCE

C/

[Z]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

SECTION de LYON

du 29 Janvier 2021

RG : F 19/00200

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 12 JUIN 2024

APPELANTE :

Société EXPERIS FRANCE anciennement dénommée société PROSERVIA

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LX LYON, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Antoine RICARD de la SELARL RICARD RINGUIER, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Mathilde CENA, avocat au barreau de LYON

INTIMÉ :

[R] [Z]

né le 21 Janvier 1974 à [Localité 9]

[Adresse 3]

[Localité 4]

représenté par Me Karine THIEBAULT de la SELARL CABINET KARINE THIEBAULT, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 04 Mars 2024

Présidée par Nathalie ROCCI, Conseillère magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Catherine MAILHES, présidente

- Nathalie ROCCI, conseillère

- Anne BRUNNER, conseillère

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 12 Juin 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Catherine MAILHES, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

M. [R] [Z] ( le salarié) a été initialement embauché par la société Atos Origin selon contrat de travail à durée indéterminée à effet du 1er septembre 2009 reprenant son ancienneté à compter du 6 janvier 2009, date à laquelle il avait commencé à travailler dans le cadre de contrats de mission.

Il était employé en qualité de technicien support proximité et a toujours été affecté au client RTE sur le site de [Localité 8] d'abord, puis sur le site de [Localité 6], pour lequel il était chargé de superviser le suivi du réseau informatique sur 25 sites répartis en Dauphiné et en Savoie, soit environ 800 postes.

M.[Z] effectuait sa mission avec quatre autres techniciens support, Messieurs [F], [B], [C] et [N], et était supervisé par un Team Leader, M.[M].

Son contrat de travail a été transféré à effet du 1er octobre 2015 au sein de la société Proservia, société du groupe Manpower, devenue son employeur par application des dispositions de l'article L. 1224-1 du Code du travail à la suite d'une opération d'acquisition.

Sur les douze derniers mois travaillés, M.[Z] a perçu une rémunération mensuelle brute moyenne de 2 070,93 euros.

Par lettre du 25 mai 2018, la société Proservia a convoqué le salarié à un entretien préalable à une éventuelle « sanction pouvant aller jusqu'au licenciement », fixé au 5 juin 2018.

Par lettre recommandée datée du 22 juin 2018, la société Proservia a notifié à M. [Z] son licenciement, dans les termes suivants :

« Monsieur,

Nous vous avons convoqué par lettre recommandée avec accusé de réception n° 1A 155 083

2628 6 le 25 mai 2018 à un entretien préalable à sanction pouvant aller jusqu'au licenciement qui s'est déroulé le mardi 05 juin 2018 à 11h30 dans les locaux de l'agence de

Lyon.

Lors de cet entretien vous avez été reçu par Madame [S] [G], Chargée des Ressources Humaines et Monsieur [I] [A], Service Delivery Manager. Lors de cet entretien vous étiez accompagné de Madame [D] [U], Représentant du Personnel.

Vous intervenez actuellement sur le contrat Atos/RTE en tant que Technicien Support

Proximité.

Nous avons été alertés par votre management concernant votre comportement inadapté et non professionnel, notamment s'agissant de votre attitude et de vos propos envers vos collègues, votre manager et même envers notre client.

En effet, début mai 2018, vous avez raconté de fausses informations à vos collègues, affirmant que le client vous avait dit qu'il ne voulait plus garder l'un de vos collègues sur le compte.

Votre Team Leader est donc allé s'entretenir avec le client sur le sujet car il n'avait jamais eu

cette information. Le client était atterré d'apprendre que vous lui prêtiez de tels propos qu'il

n'avait jamais tenus.

Lors de l'entretien, vous avez nié avoir tenu ce type de propos. Vous nous avez indiqué que le client vous fait part de son incompréhension par rapport à un produit en attente de réception qui n'avait toujours pas été retiré à l'accueil, mais qu'à aucun moment il n'avait indiqué qu'il souhaitait mettre fin à la prestation de votre collègue.

Vos affabulations ont perturbé l'équipe et mis en porte à faux notre Team Leader vis-à-vis du

client. Nous sommes d'autant plus scandalisés que votre mensonge intervenait après votre refus de réceptionner du matériel client, occasionnant ainsi 15 jours de retard (26 PC portables destinés au projet Surface).

En effet, le 06 avril 2018, notre client a reçu un courriel de la part de son fournisseur indiquant « Notre logistique essaye de prendre un RDV pour livrer cette commande /BL 300693. Mr [Z] refuse de nous donner un rdv car il n'est pas au courant de cette commande. Pouvez-vous nous aider '... »

Ce même jour, le client a alors adressé un courriel au Responsable Opérationnel, au Team Leader et à vous-même, vous informant qu'il était en attente de ce matériel et vous demandait d'accepter la demande de rendez-vous.

Or le 20 avril 2018, le matériel n'ayant toujours pas été réceptionné, vous avez reçu un nouveau courriel de la part du client, demandant si le rendez-vous avait été confirmé.

Ce même jour, en présence de votre Team Leader, vous avez reçu un appel du transporteur qui vous demandait de confirmer la date et l'heure du rendez-vous. Vous vous êtes alors exclamé « Ah j'en au marre de ces transporteurs qui m'appellent pour je ne sais quoi. Ne donnez plus mon nom' ». Vous avez alors raccroché sans confirmer de date pour la livraison du matériel.

Votre Team Leader, contraint de pallier vos errements, a donc rappelé le transporteur afin d'organiser le rendez-vous pour le mardi suivant et en a informé le client, qui pensait que le matériel avait été perdu compte tenu du délai de réception.

Lors de notre entretien, vous nous avez indiqué que le 20 mai 2018, lorsque le transporteur vous avait contacté, vous n'étiez pas au courant de cette livraison. Ces propos sont totalement faux, pour preuve vous aviez notamment reçu le 06 avril 2018 un courriel vous demandant de planifier le rendez-vous.

Mis face à vos contradictions, vous nous avez finalement indiqué que vous ne saviez pas si vous étiez en mesure de planifier un rendez-vous et que votre Team Leader ne vous avait pas donné d'informations dans ce sens.

Nous ne pouvons que déplorer votre mauvaise foi, dans la mesure où vous nous avez fait part à plusieurs reprises de votre grande autonomie sur ce poste, de votre capacité à prendre en charge plus d'interventions que vos collègues et de votre réactivité.

En l'état, vous avez, délibérément et au détriment du client, refusé de prendre le rendez-vous

de livraison et ce devant votre Team Leader et vos collègues.

Votre comportement est proprement inadmissible et dénote une volonté manifeste de ne pas honorer votre mission. De plus, votre persistance à refuser de planifier la livraison de ce matériel a occasionné un retard de livraison de 15 jours, impactant directement l'activité du client pour lequel vous intervenez.

De surcroit, nous avons eu des remontées de la part de vos collègues indiquant que vous aviez des discours tout à fait déplacés et que vous aviez des propos à caractère insultant vis-à-vis de vos collègues et de votre management.

En effet, le 03 avril 2018 et plusieurs semaines après, vous avez traité à plusieurs reprises vos collègues de « Clochards ». Le 23 mai 2018, vous avez déclaré que vos collègues « faisaient de la merde ».

Vous avez également prêté des propos à l'encontre de votre Service Delivery Manager, selon

lesquels il avait fait une erreur de management en embauchant certaines personnes, alors que les personnes présentent ont attesté que c'était faux.

Vous avez partiellement admis les faits, en indiquant que vous aviez juste dit concernant le rangement du stock que « c'était du travail de clochard » mais que vous n'aviez pas traité vos

collègues ainsi.

Votre Team Leader et certaines de vos collègues ont remonté leur profond agacement face à vos propos désobligeant et rabaissant que vous proférez à leur encontre de façon répétée et 6 déplorent votre fâcheuse habitude de colporter de fausses informations, parfois même diffamantes.

Ce comportement impacte directement l'ambiance au sein de l'équipe et détériore fortement

la confiance que les collaborateurs peuvent avoir entre eux et vis-à-vis de leur manager. Ce

climat de défiance et de suspicions, que vous entretenez par vos comportements, a un impact

direct sur la qualité de service que nous rendons et sur la satisfaction de notre client.

De plus, le 09 mai 2018, votre Team Leader, a adressé un courriel à l'ensemble de l'équipe

afin d'affecter les prises de rendez-vous auprès des utilisateurs pour des renouvellements de

poste. Vous deviez donc intervenir le 15 mai 2018 à 9h30.

Le 11 mai 2018, vous avez adressé un courriel à votre Team Leader en indiquant que vous ne pouviez pas intervenir comme demandé car vous aviez d'autres interventions prévues.

Votre Team Leader vous a répondu le jour même en indiquant que l'affectation avait été faite

le 09 mai 2018 en se calquant sur les disponibilités de votre calendrier qui était vide à cette date.

Cependant, vous avez refusé de prendre en compte la demande de votre Team Leader. Le 18 mai 2018, le Responsable Opérationnel du compte vous a relancé par courriel pour savoir pourquoi vous n'étiez toujours pas intervenu conformément à la demande du Team Leadeur.

Lors de l'entretien vous nous avez indiqué que vous aviez des urgences qui étaient arrivées et que vous aviez priorisé au mépris des consignes explicites de votre hiérarchie. De plus, dans votre courriel du 11 mai 2018, vous indiquiez que vous ne pouviez pas la faire à la date prévue sans mentionner à quelle date vous alliez le faire.

Une fois de plus, nous ne pouvons que déplorer votre mauvaise foi et votre volonté sans équivoque de ne pas suivre les instructions de votre Team Leader, en persistant à refuser de faire ce qu'il vous demande.

Enfin, cet état d'esprit s'est une fois de plus illustré dans le cadre d'un énième manquement de votre part.

En effet, le 14 mai 2018, vous avez reçu un courriel du Team Leader vous attribuant la gestion de 3 zones (Patio, 3bis et VIP) du 16 au 18 mai 2018 avec l'un de vos collègues.

Malgré la demande expresse de vous charger des incidents de ces zones, vous ne vous en êtes pas occupé, occasionnant ainsi un dépassement des délais de traitement de ces incidents.

Lors de notre entretien, vous nous avez indiqué que les incidents étaient déjà hors délai. Pour

autant, vous n'avez unilatéralement pas jugé bon de les traiter pendant les 3 jours où vous

deviez prendre en charge ces demandes.

Les conséquences de ce comportement est (sic) fortement dommageable ; tout d'abord, le refus de vous conformer aux directives de votre Team Leader est inacceptable. En effet, compte tenu de vos fonctions, il est indispensable que vous respectiez les demandes qui vous sont faites.

En cas de problématique il est d'usage de prévenir votre manager, cependant cela n'a pas été le cas et vous avez décidé de ne pas traiter les incidents qu'il vous avait expressément attribués.

Cette attitude inacceptable est de nature à perturber gravement le fonctionnement du service

sur lequel vous intervenez et, par voie de conséquence, est de nature à nuire aux intérêts de

notre entreprise.

Votre comportement place ainsi notre entreprise dans l'impossibilité de répondre à un

engagement pris avec notre client et nous met en défaut vis-à-vis de de nos obligations envers celui-ci.

Cette situation nous est préjudiciable à plus d'un titre. Tout d'abord, cela a eu un impact sur

l'image de l'entreprise que vous représentez chez notre client. De plus, votre comportement visant à aller à l'encontre des demandes de votre Team Leader, vos mensonges et vos écarts de communication concourent à cristalliser les problèmes et créer des tensions au sein de l'équipe.

Enfin, nous vous rappelons que le service que nous assurons est basé sur la relation client.

De la qualité de la relation que nous entretenons avec nos clients dépend la confiance qu'ils peuvent avoir en notre entreprise et dans les services que leur apportons. Dans ce cadre, la réalisation des tâches qui vous sont confiées et le respect des règles d'entreprise qui vous sont communiquées sont indispensables pour atteindre l'objectif de qualité fixé à notre entreprise.

Les faits que nous vous reprochons constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement

nous empêchant de maintenir votre contrat de travail (...)

Enfin, nous vous informons que nous levons la clause de non-concurrence et la clause de respect de clientèle inscrites à votre contrat de travail.

Nous vous prions d'agréer, Monsieur, à l'expression de nos salutations distinguées ».

M.[Z] a contesté le principe et les motifs de son licenciement par lettre recommandée du 17 juillet 2018, au terme de laquelle il indiquait être disposé à envisager toute procédure de résolution amiable.

M. [Z] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon le 24 janvier 2019 afin de voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et l'employeur condamner à lui verser des dommages-intérêts à ce titre.

La société Proservia a été convoquée devant le bureau de conciliation et d'orientation par courrier recommandé avec accusé de réception signé le 30 janvier 2019.

Par jugement rendu en formation paritaire, le 29 janvier 2021 et successivement notifié le

29 janvier puis le 9 février 2021, le Conseil de prud'hommes de Lyon a :

- Dit que le licenciement du 22 juin 2018 notifié à M.[R] [Z] par la société Proservia est sans cause réelle et sérieuse ;

- Condamné la société Proservia à verser à M.[R] [Z] les sommes suivantes :

20 709,30 euros nets de CSG CRDS à titre de dommages et intérêts pour

licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

2 000 euros nets au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Dit que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter du prononcé du jugement et ce jusqu'au versement effectif de ces dernières au créancier selon les modalités prévues par l'article L313-2 du code monétaire et financier mais également en application de l'article L313-3 du même code, le taux de l'intérêt légal étant majoré de cinq points à l'expiration d'un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire, fût-ce par provision ;

- Dit qu'au visa des articles L.136-2 et L. 242-1 du code de la sécurité sociale, les

condamnations nettes doivent revenir personnellement au salarié et que l'employeur assumera le coût des éventuelles charges sociales dues ;

- Prononcé l'exécution provisoire du jugement en application des dispositions des articles 515 à 519 du code de procédure civile ;

- Ordonné à la société Proservia le remboursement aux organismes sociaux (Pôle Emploi) des indemnités de chômage payées à M. [R] [Z] dans la limite de 6 mois conformément à l'article L1235-4 du code du travail ;

- Débouté les parties de toutes les autres demandes plus amples ou contraires ;

- Dit qu'à défaut de règlement spontané des condamnations mentionnées dans le présent jugement et selon les modalités qui y sont définies, les éventuelles sommes retenues par l'huissier instrumentaire en application de l'article 10 du décret du 8 mars 2001, seront supportés par la société Proservia en sus de l'indemnité mise à sa charge sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la société Proservia aux entiers dépens de la présente instance, y compris les éventuels frais d'exécution forcée du présent jugement.

Selon déclaration électronique de son avocat remise au greffe de la cour le 1er mars 2021, la société Experis France, anciennement Proservia, a interjeté appel dans les formes et délais prescrits de ce jugement qui lui a été notifié le 9 février 2021. L'appel tend à la réformation ou à l'annulation du jugement en toutes ses dispositions.

Aux termes des dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 31 mai 2021, la société Experis France, venant aux droits de la société Proservia, demande à la cour de :

- Infirmer le jugement rendu le 29 janvier 2021

Statuant à nouveau :

- Constater que le licenciement de M.[R] [Z] est justifié par une cause réelle et sérieuse ;

A titre principal :

- Débouter M. [R] [Z] de l'ensemble de ses demandes ;

A titre subsidiaire :

- Réduire la demande de M. [R] [Z] au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au minimum légal ;

Y ajoutant :

- Condamner M. [R] [Z] à payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ainsi qu'aux entiers dépens.

Selon les dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 25 août 2021, M. [Z] demande à la cour de :

- Dire et juger que le licenciement qui lui a été notifié par lettre du 22 juin 2018 est dépourvu de toute cause réelle et sérieuse,

- Dire et juger que doit être écarté le montant maximal d'indemnisation prévu par l'article L.1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité, ce plafonnement violant les dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention 158 de l'OIT et le droit au procès équitable,

- Condamner en conséquence la société la société Proservia à lui verser la somme nette de CSG et de CRDS de 24 850 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, correspondant à 12 mois de salaire, outre intérêts de droit à compter du jugement pour la fraction correspondant à la condamnation prononcée par les premiers juges (soit 20 709,30 euros nets) et à compter de l'arrêt à intervenir pour le surplus,

- Condamner la société la société Proservia à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en sus de la somme déjà allouée de ce chef par les premiers juges,

- Condamner la société la société Proservia aux entiers dépens de première instance et d'appel.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 janvier 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties il est fait expressément référence au jugement entrepris et aux conclusions des parties sus-visées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

- Sur la rupture du contrat de travail

La société fait valoir que le salarié a été licencié pour une série de motifs relevant de deux

catégories :

- Sa volonté manifeste de ne pas honorer ses missions, notamment son refus de réceptionner du matériel client ainsi que son refus d'assurer les rendez-vous utilisateurs et de traiter les incidents qui lui étaient affectés (II.A.1.) ;

- Son comportement inadapté et non professionnel, notamment s'agissant de son attitude et de ses propos envers ses collègues, son manager et envers le client.

Le salarié conteste les griefs qui lui sont reprochés et souligne que son comportement et ses compétences n'avaient jamais appelé de critique jusqu'à l'arrivée d'un nouveau manager en la personne de M.[T] [M], affecté courant mars 2018 à la supervision du travail des 4 techniciens support en charge du client RTE, étant précisé que la procédure de licenciement a été initiée en mai 2018, soit deux mois seulement après l'arrivée de ce nouveau manager.

Il expose que son licenciement est par ailleurs intervenu dans le contexte d'un alourdissement significatif de sa charge de travail, dés lors qu'il devait faire face à des problèmes de sous-effectif récurrents liés aux absences des 3 autres techniciens support affectés au client RTE pour maladie au cours de l'année 2018 et plus précisément de :

- M. [F] de début décembre 2017 à février 2018 (soit 2 mois),

- M. [B] de décembre 2017 à janvier 2018 (soit plus d'1 mois),

- M. [N] de décembre 2017 à février 2018 puis pendant les mois d'avril et mai 2018 (soit 2 mois d'arrêt avec une reprise de 2 mois et à nouveau 2 mois d'arrêt), ainsi qu'au déménagement de la société RTE à [Localité 6].

Sur la propagation de fausses informations et les insultes, le salarié fustige l'absence d'une enquête sérieuse et fait observer que la société verse aux débats :

- le mail adressé par M. [M] à M. [A] (N+3 affecté à [Adresse 7] et responsable du client RTE), dans lequel il dénonce avec une grande malveillance des propos et un comportement qui lui sont imputés ;

- l'unique courriel émanant d'un autre collaborateur que M.[M], en l'occurrence M. [V] [N] (technicien), qui a adressé à la DRH, le 29 mai 2018, soit 4 jours après sa convocation à entretien préalable à éventuel licenciement, un inventaire des propos qui lui sont attribués, prétendument proférés lors de pauses cigarette ou devant la machine à café par lequel il lui fait dire que : « la mission de [T], c'est de faire virer [V] et [H] », qu'il « allait démonter [T] », que « [T] avait présenté [H] comme le sauveur » et qu'il n'y avait « pas plus facho que [E] ».

Sur le refus de réceptionner une commande, le salarié soutient qu'il n'a jamais refusé de réceptionner la commande mais que la présentation des faits par la société Proservia est parfaitement orientée et faussée. Il expose qu'il a, en réalité, été informé, le 6 avril 2018, par le transporteur, qu'une livraison devait être effectuée alors qu'il se trouvait en déplacement sur le site d'un client à [Localité 5] et qu'il était en congés le soir même.

Sur les rendez-vous pour des renouvellements de postes et les incidents, le salarié expose un contexte particulier de surcharge de travail: il explique que :

- entre fin mars et début mai, pas moins de 7 courriels ont été adressés pour répartir et modifier les secteurs d'intervention de chacun des techniciens, et qu'à compter du 30 avril jusqu'au 18 mai 2018, du fait de l'absence de M. [F], il devait gérer, outre les interventions de son secteur, celles du secteur de M.[F], représentant au total 2 800 biens et 560 utilisateurs ;

- il a ainsi été dans l'obligation de repousser un rendez-vous pour un renouvellement de poste fixé au mardi 15 mai 2018, dont il n'a été informé que le mercredi 9 mai précédent, en indiquant qu'il avait d'ores et déjà des interventions prévues le 15 mai en raison de pannes sur le GMR (groupe maintenance réseau) Dauphiné ;

- s'agissant du défaut de gestion des incidents survenus dans 3 zones (Patio, 3 bis et VIP), ce qui auraient engendré un dépassement des délais de traitement de ces mêmes incidents, il n'était pas le seul technicien affecté à ces 3 zones pour la période du 16 au 18 mai 2018 puisque M. [F] s'en était également vu confier la gestion ;

- la société Proservia n'apporte pas la moindre précision quant aux prétendus incidents qui n'auraient pas été gérés.

****

Il résulte des articles L.1232-1 et L.1232-6 du code du travail que le licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse et résulte d'une lettre de licenciement qui en énonce les motifs.

En vertu de l'article L.1235-1 du code du travail, le juge à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure de licenciement suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

La lettre de licenciement fixe les limites du litige.

La société reproche d'une part au salarié sa volonté manifeste de ne pas honorer ses missions, ce qui se serait traduit par le refus de réceptionner du matériel client courant avril et mai 2018 ou encore le refus d'assurer les rendez-vous utilisateurs et de traiter les incidents affectés au salarié.

Il est d'autre part reproché au salarié, un comportement inadapté et non professionnel, en l'espèce :

-une attitude non professionnelle à l'égard du client, illustrée par sa tentative de déstabilisation de l'équipe d'Experis France en mission au sein de la société RTE en faisant courir la rumeur selon laquelle la société RTE voulait de débarrasser d'un des collaborateurs, M. [N], ce qui a généré une inquiétude inutile et injustifiée auprès des autres salariés Proservia rattachés à cette mission ;

- des propos à caractère insultant vis-à-vis de ses collègues et de son manager, auxquels il impute ' du travail de clochards' ou 'de merde';

- l'entretien d'un climat de défiance et de suspicion.

Au soutien de la mesure de licenciement, la société produit :

-un courriel de [T] [M] du 23 mai 2018 intitulé 'problèmes de comportement ' ( pièce n°6) libellé comme suit :

' Je voudrais alerter sur le fait qu'il devient de plus en plus difficile( voire même impossible dans pas longtemps du tout) pour moi de pouvoir travailler sereinement sur le compte RTE. En effet l'atmosphère y est viciée depuis longtemps en grande partie du fait de l'attitude et du comportement de [R] [Z], mais il faut avouer qu'il a passé un cap supplémentaire ces derniers jours qui devient insupportable.

Outre le fait qu'il râle et casse du sucre sur le dos de ses collègues à longueur de journée ( ce qui nous casse la tête), celui-ci se montre pervers et manipulateur et essaye de monter les collègues envers les autres.

Pour cela, il est même prêt à raconter des histoires inventées de toutes pièces. Manque de pot, je vérifie tout ce qu'il me dit connaissant son penchant développé pour la mythomanie. Ces histoires ont même des répercussions très négatives chez le client pour l'image de professionnalisme de Proservia (...)'.

Le propos est illustré par cinq exemples.

- un courriel de [V] [N] daté du 29 mai 2018 ( pièce n°7) indiquant :

' Je suis revenu de congés le jeudi 17 mai. [R] [Z] n'était pas à Villarte quand j'étais sur place, je ne l'ai vu que le vendredi 18 au matin.

Ce 18 mai, j'ai croisé [R] lors de ma pause cigarette matinale puis nous nous sommes retrouvés à la machine à café du 2nd étage.

Nous sommes ensuite allés dans notre bureau où était déjà présent [X] ( [C]) et [P]([F]). (...)' suivi d'un résumé des propos tenus par le salarié, notamment: 'il n'y a pas plus facho que [E]', '[T] ne fait rien', ' Je vais sauter : j'ai fait chié [A] car j'ai fait du bruit sur son compte' etc.

- un courriel de Mme [Y], responsable du support aux ventes de la société CFI, sollicitant de l'aide au motif que leur logistique essayait de prendre un rendez-vous pour livrer une commande et que M. [Z] refusait de donner un rendez-vous car il n'était pas au courant de cette commande ( pièce n°9) ;

- un courriel de [T] [M] daté du lundi 14 mai 2018 relatif à l'organisation de la semaine et procédant à la répartition des régions entre le salarié et ses collègues, [H] et [P] ( [F]) ( pièce n°15) ;

- un courriel daté du 18 mai 2018 adressé par M. [W], responsable des opérations client de la société RTE, au salarié demandant à ce dernier de justifier le fait qu'il n'avait pas traité la tâche qui lui avait été affectée par [T] ( [M]) ( pièce n°14).

En constatant que les allégations de M. [M] et de M. [N] relatives à la propagation de fausses informations ou à des insultes, n'étaient corroborés par aucun élément objectif et que les propos insultants prêtés au salarié n'étaient pas confirmés par les témoins pourtant cités dans les courriels sus-visés, le conseil de prud'hommes a fait une juste appréciation des éléments de la cause en considérant qu'il n'était pas en mesure de vérifier la réalité et l'imputabilité des griefs invoqués par la société.

S'agissant de la commande passée par M. [L] et de la demande de rendez-vous pour livraison formulée le vendredi 6 avril 2018 par M. [K] de la société RTE, il résulte de la réponse faite par M. [M] en réponse, que la personne destinée à réceptionner ladite commande n'était manifestement pas déterminée, M. [M] ayant interrogé MM. [W] et [Z] dans les termes suivants :

' C'est nous qui devons réceptionner et stocker les commandes de [J] [L] concernant des PC industriels''

Et il est constant que le salarié a été en congés du 9 avril 2018 au 13 avril 2018.

Dans ces conditions, le refus de réceptionner la commande de PC de M. [L] n'est pas caractérisée.

Enfin, le refus de prendre en charge les incidents des trois zones (Patio, 3bis et VIP) qui avaient été affectées au salarié ainsi qu'à l'un de ses collègues, pour la période du 16 au 18 mai 2018, n'est objectivé par aucun élément . En effet, le salarié souligne à juste titre que l'employeur n'a pas jugé utile de produire la liste détaillée des dossiers d'incidents ouverts au cours de la période, de sorte que la cour n'est en mesure d'apprécier ni le nombre d'incidents enregistrés, ni le délai de traitement ou son dépassement.

Le jugement est donc confirmé en ce qu'il a jugé que le licenciement notifié à M. [Z] le 22 juin 2018 par la société Proservia est sans cause réelle et sérieuse.

- Sur les dommages-intérêts

Le salarié demande que soit écarté le montant maximal d'indemnisation prévu par l'article L.1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité, ce plafonnement violant les dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention 158 de l'OIT et le droit au procès équitable.

****

Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, qui permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi et assurent le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur, sont de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation Internationale du Travail (OIT).

Il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention précitée.

Sous réserve des cas où est en cause un traité international pour lequel la Cour de justice de l'Union européenne dispose d'une compétence exclusive pour déterminer s'il est d'effet direct, les stipulations d'un traité international, régulièrement introduit dans l'ordre juridique interne conformément à l'article 55 de la Constitution, sont d'effet direct dès lors qu'elles créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir et que, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale du traité invoqué, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, elles n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers.

S'agissant des dispositions de la Charte sociale européenne selon lesquelles les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en oeuvre nécessite qu'ils prennent des actes complémentaires d'application et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique visé par la partie IV, elles ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

L'invocation de son article 24 ne peut dès lors pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.

Enfin, l'existence d'un barème limitant les pouvoirs d'appréciation du juge ne constitue pas une violation des articles 6 et 13 de la convention européenne des droits de l'Hommes, dés lors que le salarié a accès à un tribunal indépendant et impartial et dispose d'un droit à un recours effectif devant une instance nationale, ni une violation des principes de non discrimination et d'égalité de traitements au regard des critères multiples que le juge est en mesure de prendre en compte pour décider du montant de l'indemnisation allouée.

Il en résulte que la demande de M. [Z] tendant à ce que le barème de l'article L. 1235-3 du code du travail soit écarté, n'est pas fondée.

M. [Z] qui a fait l'objet d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse par un employeur dont il n'est pas contesté qu'il employait plus de onze salariés, peut par conséquent prétendre, compte tenu de son ancienneté de neuf années complètes, à une indemnité comprise entre 3 et 9 mois de salaire brut.

Compte tenu de l'effectif de l'entreprise, dont il n'est pas contesté qu'il est habituellement de plus de 11 salariés, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié âgé de 44 ans lors de la rupture, de son ancienneté, de sa capacité à retrouver un emploi similaire et de l'absence de tout justificatif sur l'évolution de sa situation de revenus, la cour estime que le préjudice résultant pour ce dernier de la rupture doit être indemnisé par la somme de 15 000 euros ( un peu plus de 7 mois), sur la base d'un salaire mensuel de 2 070,93 euros.

En conséquence, le jugement qui lui a alloué la somme de 20 709,30 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice consécutif au caractère abusif du licenciement est infirmé en ce sens.

- Sur la demande d'intérêts au taux légal

Les intérêts au taux légal portant sur la créance indemnitaire courent à compter du jugement.

- Sur les demandes accessoires

Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a mis à la charge de la société les dépens de première instance et en ce qu'il a alloué au salarié une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Experis France, succombant en ses demandes, sera condamnée aux dépens d'appel.

L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d'appel dans la mesure énoncée au dispositif.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Statuant contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;

Dans la limite de la dévolution,

CONFIRME le jugement déféré sauf sur le montant de dommages-intérêts alloués au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Statuant à nouveau sur ce chef et y ajoutant,

CONDAMNE la société Experis France à payer à M. [Z] la somme de 15 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement ;

DIT que les intérêts au taux légal sur les créances de nature indemnitaires courent à compter du jugement déféré ;

CONDAMNE la société Experis France à verser à M. [Z] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Experis France aux dépens de l'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale a
Numéro d'arrêt : 21/01541
Date de la décision : 12/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 18/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-12;21.01541 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award