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06/06/2024 | FRANCE | N°21/04946

France | France, Cour d'appel de Lyon, 1ère chambre civile a, 06 juin 2024, 21/04946


N° RG 21/04946 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NVSZ















Décision du TJ de SAINT ETIENNE

Au fond du 18 mai 2021

( 1ère chambre civile)



RG : 18/01545













RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



1ère chambre civile A



ARRET DU 06 Juin 2024







APPELANTE :



CAISSE DE CREDIT MUTUEL SAINT ETIENNE FAURIEL

[Adresse 8]

[Local

ité 3]



Représentée par la SAS TW & ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON, avocat postulant, toque : 1813

Et ayant pour avocat plaidant Me Romain MAYMON, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE,









INTIMES :



M. [W] [U]

né le [Date naissance 2] 1972 à

[Adres...

N° RG 21/04946 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NVSZ

Décision du TJ de SAINT ETIENNE

Au fond du 18 mai 2021

( 1ère chambre civile)

RG : 18/01545

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

1ère chambre civile A

ARRET DU 06 Juin 2024

APPELANTE :

CAISSE DE CREDIT MUTUEL SAINT ETIENNE FAURIEL

[Adresse 8]

[Localité 3]

Représentée par la SAS TW & ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON, avocat postulant, toque : 1813

Et ayant pour avocat plaidant Me Romain MAYMON, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE,

INTIMES :

M. [W] [U]

né le [Date naissance 2] 1972 à

[Adresse 7]

[Adresse 9]

[Localité 4]

Représenté par Me Charles RICHARD, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE, toque : 71

Mme [B] [D] épouse [U]

née le [Date naissance 1] 1972 à

[Adresse 7]

[Adresse 9]

[Localité 4]

Représentée par Me Charles RICHARD, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE, toque : 71

MFPRECAUTION

[Adresse 5]

[Localité 6]

Représentée par la SELARL LIGIER & DE MAUROY, avocat au barreau de LYON, avocat postulant,toque : 1983

Et ayant pour avocat plaidant l'ASSOCIATION ROUSSEL-CABAYE & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE

* * * * * *

Date de clôture de l'instruction : 17 Mai 2022

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 24 Janvier 2024

Date de mise à disposition : 06 Juin 2024

Audience présidée par Thierry GAUTHIER, magistrat rapporteur, sans opposition des parties dûment avisées, qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Séverine POLANO, greffier.

Composition de la Cour lors du délibéré :

- Anne WYON, président

- Julien SEITZ, conseiller

- Thierry GAUTHIER, conseiller

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties présentes ou représentées en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Anne WYON, président, et par Séverine POLANO, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Par contrat du 28 juin 2003, la société Crédit mutuel de Saint-Etienne Fauriel (la banque) a consenti à Mme [B] [U], née [D], et M. [W] [U] (les emprunteurs) un crédit immobilier n° 0732813310802 d'un montant de 121 760 euros, au taux de 4,75 % l'an, amortissable en 240 mensualités, aux fins d'acquisition d'un terrain et de la construction d'une maison individuelle.

Ce prêt a été garanti par la Mutuelle générale des préfectures, devenue la Mutuelle intériale le 23 juin 2003 et aux droits de laquelle vient la société Mfprécaution.

Par offre préalable du 6 avril 2004, la banque a consenti en outre aux emprunteurs un prêt personnel, Modulimmo n° 0732813310804, d'un montant de 7 700 euros, au taux fixe de 4,2%, destiné à réaliser des travaux de clôture.

Par ordonnance du 6 janvier 2010, le juge des référés du tribunal d'instance de Saint-Etienne a suspendu le remboursement de ces prêts, pour une durée de 24 mois.

Le 12 juillet 2012, la demande de surendettement des emprunteurs a été déclarée recevable par la commission de surendettement de la Banque de France.

Par ordonnance du 17 juin 2013, le juge du surendettement du tribunal d'instance de Saint-Etienne a donné force exécutoire aux mesures recommandées par la commission de surendettement, soit un moratoire de 18 mois et la vente du bien immobilier.

Ce bien n'a pas été vendu.

Sur saisine de la commission de surendettement, par jugement du 31 juillet 2015, le tribunal d'instance de Saint-Etienne a fixé la créance de la banque au titre du crédit immobilier à la somme de 103 174,89 euros et à zéro, pour le crédit personnel.

Le 22 octobre 2015, un plan conventionnel de redressement définitif a été adopté, applicable à compter du 30 novembre 2015, prévoyant un moratoire supplémentaire de 6 mois, soit jusqu'au 30 mai 2016, pour permettre la vente du bien immobilier au prix du marché, ainsi que, dans les trois mois suivant la mise en place des mesures, l'établissement d'au moins deux mandats de vente dont ils devaient conserver les justificatifs.

Statuant sur le recours des emprunteurs et par jugement du 12 décembre 2016, le tribunal d'instance de Saint-Etienne a déclaré irrecevable la procédure de surendettement pour absence de bonne foi et a confirmé la décision de la commission de surendettement prévoyant un moratoire supplémentaire.

Par acte d'huissier du 30 avril 2018, la banque a fait assigner les emprunteurs devant le tribunal de grande instance de Saint-Etienne en remboursement du crédit immobilier.

La société Mfprécaution est intervenue volontairement à la cause en faisant valoir qu'elle avait honoré son engagement de caution et réglé à la banque la somme de 116 458,05 euros, suivant quittance du 17 avril 2019.

Par jugement réputé contradictoire du 18 mai 2021, le tribunal judiciaire de Saint-Etienne a :

- déclaré les demandes relatives au prêt n° 0732813310804 présentées par la société Crédit mutuel Saint-Etienne Fauriel irrecevables ;

- déclaré recevable l'action de la société Mfprecaution ;

- condamné solidairement les époux [U] à payer à la société Mfprécaution la somme de 116 458,05 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 29 mai 2019 ;

- condamné la société Crédit mutuel Saint-Etienne Fauriel à payer aux époux [U] la somme de 47 628,35 euros ;

- dit que les sommes dues par les époux [U] et la société Crédit mutuel peuvent faire l'objet d'une compensation ;

- en conséquence :

- dit que la société Mfprécaution est subrogée dans les droits « des époux [U] envers la société Caisse de Crédit mutuel de Saint-Etienne Fauriel » ;

- condamné la société Caisse de Crédit mutuel de Saint-Etienne Fauriel à verser à la société Mfprecaution la somme de 47 628,35 euros ;

- compensé les sommes restant dues ;

- condamné les époux [U] à payer à la société Mfprécaution la somme de 68 829,70 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 29 mai 2019 ;

- ordonné l'exécution provisoire du jugement ;

- débouté les parties du surplus de leurs demandes;

- condamné les époux [U] aux dépens, à l'exception des dépens d'exécution forcée entre la caisse de Crédit mutuel Saint-Etienne Fauriel et la société Mfprécaution.

Par déclaration transmise au greffe le 7 juin 2021, la caisse du Crédit mutuel de Saint-Etienne Fauriel a relevé appel de cette décision.

Dans ses conclusions n° 3 déposées le 9 mai 2022, la banque demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il :

- a déclaré ses demandes relatives au prêt n° 0732813310804 irrecevables ;

- l'a condamnée à payer aux époux [U] la somme de 47 628,35 euros ;

- a dit que les sommes dues par elle et les époux [U] peuvent faire l'objet d'une compensation ;

- en conséquence :

- dit que la société Mfprécaution est subrogée dans les droits « des époux [U] envers elle ;

- l'a condamnée à verser à la société Mfprécaution la somme de 47 628,35 euros ;

- a compensé les sommes restant dues ;

- a condamné les époux [U] à payer à la société MFPrecaution la somme de 68 829,70 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 29 mai 2019 ;

- le confirmer pour le surplus ;

- (statuant à nouveau, à titre principal :)

- déclarer les époux [U] irrecevables et mal fondés en toutes leurs demandes, et les en débouter ;

- juger que ses créances ne sont pas prescrites et que son action est recevable et bien fondée ;

- juger qu'elle a nullement manqué à son devoir de mise en garde puisque le crédit accordé était adapté et ne présentait pas de risque de surendettement justifiant une mise en garde et que les emprunteurs sont infondés à se prévaloir d'une obligation de mise en garde ;

- condamner solidairement les époux [U] à lui payer la somme de 5 477,46 euros, selon décompte arrêté au 26 avril 2018, outre intérêts conventionnels postérieurs et frais d'assurance, au titre du crédit immobilier (Modulimmo) n° 0732813310804 ;

- ordonner la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343'2 du code civil ;

Subsidiairement, juger que les époux [U] ne démontrent pas l'existence d'un préjudice de perte de chance indemnisable ;

Encore subsidiairement, limiter l'indemnisation éventuelle du préjudice des époux [U] à la somme symbolique de 1 euro, ou encore subsidiairement à 24 000 euros représentant 30 % des intérêts du prêt, et en tirer toutes conséquences en termes de compensation entre les différentes sommes dues entre les parties ;

Infiniment subsidiairement, si le recours subrogatoire de la société Mfprécaution ne devait pas être accueilli, la déclarer recevable et bien fondée, et en conséquence :

- condamner solidairement les emprunteurs à lui payer :

' la somme de 119 070,89 euros selon décompte arrêté au 7 mars 2018, outre intérêts contractuels postérieurs au taux de 4,75 % et frais d'assurance au titre du crédit immobilier n° 0732813310802 ;

' la somme de 5 477,46 euros au titre du prêt (Modulimmo), selon décompte arrêté au 26 avril 2018, outre intérêts conventionnels postérieurs et frais d'assurance, au titre du crédit immobilier n° 0732813310804 ;

- ordonner la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343'2 du code civil ;

- en tout état de cause, condamner solidairement les emprunteurs à lui payer la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en première instance comme en cause d'appel ;

- condamner solidairement les mêmes aux entiers dépens de première instance et d'appel distraits au profit de la SAS TUDELA WERQUIN et associes sur son affirmation de droit.

Dans leurs dernières conclusions, n° 2, déposées le 19 avril 2022, les emprunteurs demandent à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré les demandes relatives au prêt (Modulimmo) irrecevables et en ce qu'il a condamné la banque à leur payer une somme à titre de dommages-intérêts ;

- « le réformer sur ce dernier aspect en ce que l'octroi de la somme de 47 628,35 euros est nettement insuffisante » (sic)

A titre liminaire :

- (sur le prêt immobilier) constater que la banque a été désintéressée le 11 avril 2019 par la société Mfprécaution au titre du prêt immobilier ;

- déclarer sa créance au titre de ce prêt éteinte ;

- la débouter de l'ensemble de ses demandes à ce titre ;

- (sur le prêt Modulimmo) confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré les demandes de la banque irrecevable ;

A titre principal :

- constater que la société Mfprecaution ne justifie pas de sa qualité à agir en lieu et place de la société Mutuelle intériale et juger que son intervention volontaire et l'ensemble de ses demandes sont irrecevables ;

subsidiairement sur ce point :

- juger que la quittance subrogatoire, du 17 avril 2019, est postérieure au paiement du 11 avril 2019 et dépourvue de validité ;

- juger que la société Mfprécaution est privée de tout recours contre eux et la débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

A titre subsidiaire :

- la déchéance du prêt immobilier étant intervenue le 21 janvier 2016, juger que l'assignation de la banque, délivrée le 30 avril 2018, est tardive pour être intervenue après le 21 janvier 2018, que ses demandes sont dès lors prescrites et son action contre eux au titre de ce prêt est irrecevable, comme forclose ;

- juger que cette prescription et cette forclusion sont opposables à la caution subrogée dans les droits du créancier et que la société Mfprecaution est, dès lors, privée de son recours contre les consorts [U] ;

- débouter la société Mfprécaution de l'ensemble de ses demandes contre eux ;

A titre infiniment subsidiaire :

- juger que la banque était débitrice d'un devoir de mise en garde à l'égard de Mme [U] ;

- juger que la perte de chance de ne pas souscrire le prêt immobilier ne saurait être inférieure à 70 % et condamner la banque à leur payer la somme de 83 249,62 euros ;

En tout état de cause :

- condamner la banque à leur verser la somme de 35 000 euros à titre de dommages-intérêts en application de l'article 1217 du code civil ;

- condamner solidairement la banque et la société MFPrecaution à leur verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner les mêmes aux entiers dépens avec distraction au profit de leur conseil, Me Richard, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions n° 2 déposées le 25 octobre 2021, la société Mfprecaution demande à la cour de :

- confirmer le jugement sauf en ce qu'il n'a pas fait droit à sa demande de condamnation des époux [U] au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les condamner à ce titre à lui verser la somme de 5 000 euros pour la première instance et l'appel ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 17 mai 2022.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se reporter aux conclusions des parties ci-dessus visées, pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la portée de l'appel

Dans les dispositif de leurs dernières écritures formant appel incident, qui seul lie la cour quant aux prétentions sur lesquelles elle doit statuer en application de l'article 954 du code de procédure civile, les époux [U] ne présentent qu'une seule demande de réformation, explicitement limitée.

En effet, après avoir demandé de confirmer le jugement en ce qu'il a « condamné la banque à payer une somme à titre de dommages-intérêts », ils demandent de « le réformer sur ce dernier aspect en ce que l'octroi de la somme de 47.628,35 € est nettement insuffisante ». Ils sollicitent en conséquence que la banque soit condamnée à leur payer la somme de 83 349,62 euros, au titre de la perte de chance de ne pas contracter le prêt immobilier n° 0732813310802.

Ainsi et indépendamment de ce que les appelants formulent d'autres demandes, qui sont sans rapport direct avec la demande de réformation qu'ils ont formulée, les autres chefs du dispositif du jugement, notamment celui ayant déclaré la société Mfprecaution recevable en son action, doivent être considérés comme indemnes de toute critique des époux [U] à hauteur d'appel.

En fonction des seules prétentions qui peuvent être retenues dans le dispositif des conclusions des époux [U], dont il y a lieu de relever au demeurant qu'il mélange moyens et prétentions, la cour ne peut ainsi statuer que sur leur demande d'élévation du montant de l'indemnité mise à la charge de la banque en première instance.

Sur la recevabilité de la demande en paiement de la banque

À titre infirmatif, la banque soutient qu'elle a présenté une demande additionnelle concernant le second prêt (personnel, MODULIMMO n° 0732813310804), qui concerne les mêmes parties et qui vise à financer les travaux dans le bien acquis grâce au premier prêt, dans l'intérêt des parties et dans un souci de bonne administration de la justice.

À titre confirmatif, les époux [U] soutiennent que ce prêt est un crédit à la consommation, qui relevait de la compétence exclusive de l'ancien tribunal d'instance, et que la demande en paiement de la banque ne se rattache pas à la demande principale, concernant le prêt immobilier, par un lien suffisant, les prêts n'étant pas de même nature et ayant été souscrits par actes, pour des périodes et des montants distincts.

Sur ce,

C'est par des motifs pertinents qui répondent aux moyens d'appel et que la cour adopte que les premiers juges ont retenu, au regard des dispositions de l'article 70 du code de procédure civile, qu'en dépit de l'identité des parties dans les actes litigieux, il n'était pas possible de caractériser un lien suffisant entre les deux demandes en paiement formées par la banque sur la base des deux prêts, souscrits effectivement pour des causes, des périodes et des montants distincts.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la responsabilité de la banque à l'égard des époux [U]

À titre infirmatif, la banque soutient avoir satisfait à son devoir de se renseigner pour s'être enquis des capacités financières des emprunteurs, en fonction de leurs revenus et de leurs charges qui ne présentaient aucune anomalie grossière ou d'information manifestement inexactes, de sorte qu'elle était en droit de se fier aux informations communiquées.

Elle considère que, même si l'endettement des emprunteurs était supérieur à 33 %, il n'était pas excessif, ce qui résulte de ce que le prêt a été normalement remboursé pendant sept ans, soit jusqu'à l'ordonnance de suspension des échéances du 6 janvier 2010. Elle soutient que les difficultés financières du couple résultent de la perte de son emploi par M. [U], en 2010.

Elle soutient que la demande d'indemnisation doit être écartée, dans la mesure où les emprunteurs se sont toujours refusés à vendre le bien immobilier, malgré les délais qui leur ont été impartis, et qu'ainsi, ils ont démontré que, quelles que soient les difficultés qu'ils ont pu rencontrer, rien n'était de nature à les faire renoncer à leur acquisition immobilière.

Subsidiairement, elle soutient que l'indemnité ne saurait excéder 30 % des intérêts dus, soit 24 000 euros.

À titre confirmatif, sur le principe, mais infirmatif sur le quantum, les époux [U] font état de ce qu'ils étaient profanes et que la banque devait exercer son devoir de mise en garde. Ils soutiennent que la banque leur avait accordé un prêt le 7 septembre 2002, leur imposant le versement d'échéances de 286,90 euros et que leur taux d'endettement est passé de 11,38 % à 39 % avec la souscription de leur prêt immobilier litigieux. Ils considèrent que leur impécuniosité est établie par le fait qu'ils ont pu obtenir la suspension des mensualités, par ordonnance de référé du juge d'instance, en 2010.

Ils considèrent que la perte de chance qui en résulte ne saurait être inférieure à 70 %.

Sur ce,

En application de l'article 1147, devenu 1235-1, du code civil, la banque qui consent un prêt à un emprunteur non averti doit apprécier sa situation au moment de la conclusion du contrat afin d'être en mesure de le mettre en garde, dès lors que le crédit consenti risque d'entraîner un endettement excessif au regard de ses capacités financières.

Il appartient à l'emprunteur qui invoque le manquement d'une banque à son obligation de mise en garde d'apporter la preuve de l'inadaptation de son engagement par rapport à ses capacités financières ou d'un risque d'endettement qui serait né de l'octroi du crédit.

Pour apprécier les capacités financières et le risque d'endettement d'un emprunteur non averti, doivent être pris en considération ses biens et revenus.

Si cette preuve est rapportée, la banque est tenue à un devoir de mise en garde. Il lui incombe de prouver qu'elle a respecté cette obligation. A défaut, elle engage sa responsabilité civile à l'égard de l'emprunteur.

En l'espèce, étant relevé qu'il est admis que les emprunteurs étaient non avertis, c'est par des motifs pertinents et que la cour adopte, que les premiers juges ont analysé les documents contractuels et les pièces justificatives produites lors de la souscription du prêt immobilier et ont relevé particulièrement le niveau du taux d'endettement qui en est résulté, supérieur à 40 %, ce qui établit que le prêt n'était pas proportionné aux capacités financières des emprunteurs.

En outre, en considération de ce taux d'endettement et eu égard à la relative faiblesse des revenus des emprunteurs (qui ont alors déclaré des rémunérations mensuelles de 1 524 et 1 257 euros lors de la souscription du prêt), le fait qu'ils aient pu honorer leurs emprunts durant sept années avant de demander l'ouverture d'une procédure de surendettement, ou encore que cette procédure ait pu également résulter du licenciement de l'emprunteur et de la réduction de leurs revenus en raison du congé maternité de l'emprunteuse, ne fait que traduire que leurs capacités financières étaient dépassées lors de la souscription du prêt, les empêchant de faire face à leurs encours de prêts en cas de survenance d'une situation qui était imprévue mais qui n'était pas insurmontable par nature et, ce, même si les effets de cet endettement excessif ne se sont matérialisés, par le biais de la procédure de surendettement, que des années plus tard.

Les premiers juges seront ainsi approuvés en ce qu'ils ont retenu que la banque était tenue à l'égard des emprunteurs à un devoir de mise en garde, dont elle ne justifie pas.

Le manquement d'une banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d'endettement excessif né de l'octroi d'un prêt prive cet emprunteur d'une chance de ne pas contracter et, ainsi, d'éviter le risque qui s'est réalisé, la réalisation de ce risque supposant que l'emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt.

En l'espèce, le risque s'est matérialisé par la procédure de surendettement engagée par les emprunteurs, et pour laquelle ils ont été déclarés recevables.

Il convient de relever particulièrement qu'il est constant que, alors que le prêt immobilier litigieux a permis aux emprunteurs d'acquérir le bien, ils ne s'en sont pas départis alors que plusieurs décisions rendues en matière de surendettement les ont fait bénéficier, notamment, de moratoires devant leur permettre de vendre leur bien, ce qui n'est pas intervenu.

Au vu de ce qui précède, la perte de chance qui résulte du manquement du banquier à son devoir de mise en garde sera ainsi ramenée à 15 % du montant des sommes que les emprunteurs restent devoir (soit 119 070,89 X 0,15 = ) 17 860,33 euros.

Le jugement sera ainsi réformé sur le montant du droit à indemnisation des emprunteurs.

Leur demande visant à ce que le montant de l'indemnité retenue par le tribunal soit rehaussée ne peut qu'être rejetée.

En conséquence, le jugement sera également réformé :

- quant à la condamnation à payer mise à la charge de la banque au profit de la société Mfprécaution, dont le montant sera ramené à 17 860,33 euros ;

- quant au solde des sommes restant dues par les emprunteurs à cette société (soit 116 458,05 - 17 860,33 =) 98 597,72 euros.

Sur les autres demandes

A hauteur d'appel, les emprunteurs demandent également la condamnation de la banque à leur verser la somme de 35 000 euros sur le fondement de l'article 1217 du code civil, soutenant que la banque a fait preuve d'une « impéritie incommensurable au niveau de son obligation d'avoir à prélever les sommes dues sur le compte [U] ».

Le texte visé ne constitue le fondement de la responsabilité contractuelle en cas d'inexécution, à laquelle paraissent se reporter les appelants dans leurs conclusions (p. 27 et 28 et 36), que depuis le 1er octobre 2016 tandis que les écritures se réfèrent à des faits antérieurs.

En outre, cette demande repose sur des moyens qui sont essentiellement abordés dans des développements explicitement dédiés à la prescription de l'action de la banque (p. 19 à 31).

Aux termes de leurs écritures (p. 36), les appelants font également état d'une « perte de chance de pouvoir actionner valablement l'assurance du fait de la mise en invalidité » de M. [U]. Ils rattachent le préjudice qu'ils invoquent à un défaut de prélèvement des échéances par la banque à la fin de l'exécution du plan de la Banque de France. Ils ne forment aucune demande indemnitaire précise à ce titre. Ils font alors état d'une de l'indemnisation d'un « préjudice complémentaire » qui sera réparé par « l'octroi susmentionné », ce qui semble se rattacher à la demande de versement de 35 000 euros.

Ainsi, il sera relevé le manque patent de clarté des écritures, qui mélangent des moyens de recevabilité (tirés de la prescription et la forclusion) et des demandes indemnitaires et qui segmentent les moyens de fait et de droit concernant leur demande indemnitaire dans différents emplacements du développement, ce qui impose une interprétation de celles-ci.

A reprendre les différents éléments présentés par les conclusions sur ce point, il en ressort que l'existence du manquement contractuel invoqué repose - à défaut de toute qualification juridique autre que la mention de l'article 1217 du code civil - sur la seule invocation de faits (« ne pas avoir prélevé les échéances » à compter de juin 2016 alors que le compte était suffisamment approvisionné). Les appelants invoquent la pièce n° 12 du bordereau (p. 26), qui est intitulée imprécisément « relevés bancaires ». Cependant, celle-ci est en réalité une liste des mouvements du compte joint des appelants qui ne mentionne pas le solde du compte à la date de ces mouvements. Il est ainsi nullement justifié de ce que la banque aurait omis de prélever des échéances de prêt alors qu'elle y aurait été tenue et que le compte était suffisamment abondé.

Le manquement contractuel invoqué ne peut être considéré comme établi, notamment pour défaut d'offre de preuve suffisante.

L'indemnisation demandée repose en outre sur un préjudice dont la nature n'est en premier lieu (p. 27) pas précisée. Les appelants se prévalent in fine (p. 36) d'une « perte de chance de pouvoir actionner l'assurance du fait de la mise en invalidité » mais ne font aucune démonstration sérieuse de l'existence d'un tel préjudice (se référant uniquement à leurs pièces n° 21 et 22, qui ne sont que les documents justifiant de la souscription de l'assurance prêt), ni même d'un lien de causalité.

La réalité du préjudice au titre duquel les appelants demandent le versement de la somme de 35 000 euros n'est pas établie.

A défaut pour les appelants d'établir la faute contractuelle et la réalité de leur préjudice, de même que le lien de causalité, cette demande ne pourra qu'être rejetée.

La banque, qui perd partiellement en son recours, en supportera les dépens.

Par ailleurs, l'équité commande de rejeter les demandes des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement, sauf en ce qu'il a :

- condamné la société Crédit mutuel Saint-Etienne Fauriel à payer à M. [W] [U] et Mme [B] [U], née [D] (les époux [U]) la somme de 47 628,35 euros ;

- condamné la société Caisse de Crédit mutuel de Saint-Etienne Fauriel à verser à la société Mfprécaution la somme de 47 628,35 euros ;

- condamné les époux [U] à payer à la société Mfprecaution la somme de 68 829,70 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 29 mai 2019 ;

L'infirmant de ces chefs et statuant à nouveau :

- fixe le montant des dommages-intérêts dus par la société Crédit mutuel Saint-Etienne Fauriel aux époux [U] à la somme de 17 860,33 euros et condamne la société Caisse de Crédit mutuel de Saint-Etienne Fauriel à payer cette somme à la société Mfprécaution ;

- condamne les époux [U] à payer à la société Mfprécaution la somme de 98 597,72 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 29 mai 2019 ;

Y AJOUTANT,

Rejette la demande visant au paiement aux époux [U], à titre d'indemnité, de la somme de 35 000 euros par la société Crédit mutuel Saint-Etienne Fauriel ;

Condamne la société Caisse de crédit mutuel de Saint-Etienne Fauriel à supporter les dépens d'appel avec distraction au profit de Me [K], en application de l'article 699 du code de procédure civile ;

REJETTE les demandes des parties fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre civile a
Numéro d'arrêt : 21/04946
Date de la décision : 06/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-06;21.04946 ?
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