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06/06/2024 | FRANCE | N°21/02728

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale c, 06 juin 2024, 21/02728


AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR





N° RG 21/02728 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NQWW





[N]



C/



S.A. LABORATOIRES EUROMEDIS







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MONTBRISON/FRANCE

du 25 Mars 2021

RG : F20/00025

COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE C



ARRÊT DU 06 JUIN 2024







APPELANT :



[F] [N]

né le 08 Décembre 1972 à [Localité 4]

[Adresse 3]

[Localité 1]



représenté par Me Géraldine VILLAND, substituée par Me Norbert POPIER, avocats au barreau de SAINT-ETIENNE







INTIMÉE :



S.A. LABORATOIRES EUROMEDIS

[Adresse 5]

[Localité 2]



représentée par Me Sandrine MOUSS...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 21/02728 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NQWW

[N]

C/

S.A. LABORATOIRES EUROMEDIS

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MONTBRISON/FRANCE

du 25 Mars 2021

RG : F20/00025

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRÊT DU 06 JUIN 2024

APPELANT :

[F] [N]

né le 08 Décembre 1972 à [Localité 4]

[Adresse 3]

[Localité 1]

représenté par Me Géraldine VILLAND, substituée par Me Norbert POPIER, avocats au barreau de SAINT-ETIENNE

INTIMÉE :

S.A. LABORATOIRES EUROMEDIS

[Adresse 5]

[Localité 2]

représentée par Me Sandrine MOUSSY de la SELARL A PRIM, substituée par Me Amaury CANTAIS, avocats au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 23 Mai 2024

Présidée par Françoise CARRIER, conseillère honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Fernand CHAPPRON, Greffier.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Delphine LAVERGNE-PILLOT, présidente

- Nabila BOUCHENTOUF, conseillère

- Françoise CARRIER, conseillère honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 06 Juin 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Delphine LAVERGNE-PILLOT, Présidente et par Fernand CHAPPRON, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

Suivant promesse d'embauche en date du 10 juin 2013, M. [N] a été engagé par la SA Laboratoires Euromedis à compter du 1er septembre 2013 en qualité de responsable régional des ventes sur la région Rhône Alpes Auvergne et occasionnellement en appui technique des commerciaux du sud de la France statut cadre niveau 9 de la collective de la fabrication et commerce des produits a usage pharmaceutique, parapharmaceutique et vétérinaire.

Il était convenu qu'à son salaire fixe de base de 3 500 € s'ajouteraient un treizième mois, une participation aux résultats de l'entreprise, des avantages en nature et différentes primes liées à son activité pouvant atteindre 20% du salaire brut.

Le contrat de travail régularisé le 2 septembre 2013 précisait, s'agissant de la rémunération variable, que M. [N] aurait un objectif annuel qui serait défini par un avenant pour l'année civile correspondante.

Suivant avenant du 3 décembre 2015, M. [N] a été promu chef de produit gants de chrirurgien et sa rémunération fixe mensuelle a été portée à 4000 € bruts mensuels sur 13 mois auxquels s'ajoutaient des primes sur objectifs définies par un courrier annexe.

Par un nouveau contrat de travail en date du 10 septembre 2018, M. [N] a été promu responsable commercial division bloc opératoire zone 2 à compter du 1er septembre 2018 moyennant le même salaire fixe mensuel de 4 400 € bruts sur 13 mois et une rémunération variable en fonction d'objectifs définis annuellement par le supérieur hiérarchique.

M. [N] a été placé en arrêt maladie du 21 novembre 2018 au 29 mars 2019.

Par lettre du 5 avril 2019, l'employeur a transmis au salarié ses objectifs 2019 et les paliers de déclenchement de primes.

Par courrier du 27 janvier 2020, l'employeur a transmis au salarié ses objectifs 2020.

Par courrier du 13 mars 2020, M. [N] a pris acte de la rupture de son contrat de travail dans les termes suivants :

' Je viens par la présente prendre acte de la rupture de mon contrat de travail à effet immédiat à vos torts exclusifs. [...]

Dans le cadre de l'ensemble de ces contrats depuis le premier contrat à durée indéterminée régularisé le 2 septembre 2013, il était indiqué au titre de la rémunération un salaire brut mensuel de base et il était prévu qu'à ce fixe s'ajouteront des primes variables pouvant atteindre 20% du salaire brut, primes mises en place après la période d'essai.

Il était indiqué dans mon contrat que j'aurai un objectif annuel qui serait défini par un avenant pour l'année civile correspondante.

Si des primes ont effectivement été mises en place pour les premières années 2014 et 2015 avec un avenant au contrat, il n' y a eu aucun objectif écrit de fixé par avenant pour la période du ler août 2016 au 31 juillet 2017 ni pour la période du 1er août 2017 au 31 juillet 2018 ni pour la période du ler août 2018 au 31 décembre 2018 , ce qui est pourtant obligatoire par rapport à la législation sur la part variable de rémunération.

Les primes pour ces années ont été attribués de façon tout à fait discrétionnaire sans aucun écrit, ni justifications.

Pour l'année 2019 il est à noter une augmentation de CA global réalisé sur mes gammes de 11,35% (1 686 145 million d'euros contre 1 514 306 euros par rapport à l'année N-1)

Tout cela :

- malgré de très nombreux problèmes qualités ayant entraînés la perte de plusieurs marchés pour les gants de chirurgie .

- malgré les retards de facturation de début de marché par abscence de produits à livrer.

- malgré ensuite les ruptures de stock incéssantes entraînant des achats pour compte de nos clients à la concurrence et donc pas de facturation sur mon CA.

Il était donc impossible de réaliser les objectifs 2019.

Mais vous avez refusé de répondre à mes sollicitations et demandes de négociations.

Les résultats 2019 sont pourtant en progression par rapport à N-1 et sont ainsi :

+13,98% réalisé sur la gamme protection Drapage

+2,62% réalisé sur la gamme gants de chirurgie

+36,03 % réalisé sur la gamme sets de soins

De façon extrêmement curieuse et alors que je me suis trouvé en arrêt maladie du 1er janvier 2019 au 31mars 2019, les objectifs pour 2019 ne m'ont été transmis par lettre recommandé avec AR qu'en date du 5 avril 2019 avec des objectifs parfaitement irréalistes et irréalisables sur une période de 9 mois de présence puisque les CA prévisionnels et les premiers paliers pour obtenir une prime prévoyaient déjà des augmentations conséquentes par rapport aux années précédentes.

Sachant de plus que les objectifs doivent être fixés obligatoirement au début de la période de référence, ce qui est donc fautif de votre part au regard de la législation sur la part variable de rémunération.

Pour vous rappeler les objectifs fixés en 2019 et afin d'obtenir le premier palier de chaque gamme et une prime sur objectif de 1000 euros, il y avait d'une part des CA prévisionnels dopés et non réalistes (gants, sets) par rapport au CA N-1 mais surtout des demandes d'augmentations démesurées de CA pour atteindre les paliers primants par rapport au CA N-1.

Rien que pour l'atteinte du premier palier, voici les augmentations demandées.

- de 29,43 % pour la gamme gants de chirurgie

- de 69,76 % pour le sets bloc

- de 10,15% pour la gamme protection/ drapage

Premier palier atteint puisque +13,98% réalisé donc 1000 euros de primes

Sans parler des pourcentages d'augmentation demandés pour atteindre les deuxièmes et troisièmes paliers

Par ce biais, le fait de fixer des objectifs très élévés et totalement irréalisables permet de vous exonérer du versement de la part variable de rémunération, ce qui est fautif de votre part au regard de la législation.

A partir du 1er Août 2016, j'ai vainement essayé oralement à plusieurs reprises et sans réponse, d'obtenir de votre part des objectifs écrits qui avaient été prévues dans mon contrat par envoi d'un avenant que je n'ai jamais eu.

J'ai renouvelé ces demandes notamment par mails à votre attention du vendredi 9 décembre 2016 et du 9 avril 2018.

Pour 2019, j'ai réclamé à plusieurs reprises auprès du directeur commercial, par trois mails à votre contrôleur de gestion en décembre, à vous-même par mail en février 2020, les justificatifs des achats pour compte sur mes gammes, afin de vérifier les bases de calcul pour les primes sur objectifs et d'intégrer les montants qui auraient du être facturés et intégrés au CA réalisé.

A chaque fois je n'ai eu aucune réponse, et de votre part suite à ma demande de vous rencontrer, j'ai reçu une fin de non recevoir.

En conclusion, les objectifs 2019 sont donc parfaitement irréalistes et irréalisables et d'autre part pour les années précédentes (01/08/2016 jusqu'au 31/12/2018 ) il n'existe même pas d'objectifs écrits et les éléments de calcul ne sont pas fournis au salarié et donc non vérifiables par ce dernier, ce qui est pourtant obligatoire et donc fautif de votre part par rapport à la législation sur la part variable de rémunération. [...]. '

Par requête reçue au greffe le 15 Mai 2020, il a saisi le conseil de prud'hommes de Montbrison à l'effet de voir qualifier sa prise d'acte de licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'obtenir paiement des indemnités de rupture, des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'une indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement, de dommages et intérêts pour discrimination et de rappels de primes.

Par jugement du 25 mars 2021, le conseil de prud'hommes a requalifié la prise d'acte de la rupture en démission, débouté M. [N] de l'ensemble de ses demandes, débouté la société Euromedis de sa demande en paiement de l'indemnité compensatrice de préavis et laissé à chacune des parties la charge de ses dépens.

M. [F] [N] a interjeté appel le 16 avril 2021.

Aux termes de conclusions notifiées le 24 décembre 2021, il demande à la cour de :

- réformer le jugement,

- requalifier la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la société Euromedis à lui régler les sommes suivantes :

'' 5 766,67 € d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement,

'' 57 667 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

'' 11 245 € d'indemnité conventionnelle de licenciement,

'' 17 300 € d'indemnité compensatrice de préavis outre 1 730 € de congés payés afférents,

'' 7 500 € de dommages et intérêts pour discrimination,

'' 12 000 € de rappels de primes pour l'année 2019,

'' 26 000 € de dommages et intérêts pour rappels de primes pour la période comprise entre le 1er août 2016 et le 31décembre 2018,

'' 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes et la capitalisation des intérêts.

- condamner la société Euromedis aux dépens.

Aux termes de conclusions notifiées le 4 mai 2022, la société Euromedis demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- condamner M. [N] à lui payer la somme de 16 004,57 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- déclarer irrecevable comme nouvelle la demande de M. [N] d'une indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement,

- débouter M. [N] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner M. [N] à lui verser la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

subsidiairement,

- limiter les sommes dues à M. [N] aux montants suivants :

'' 10,451,47 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

'' 16,004,57 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 1 600,46 € au titre des congés payés afférents,

'' 16 004,57 € au titre de 'l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de préavis', subsidiairement à 37 342,20 € maximum, conformément à l'article L.1235-3 du code du travail,

- fixer à de plus justes proportions la demande de dommages et intérêts pour discrimination,

- débouter M. [N] de ses demandes de rappel de primes, de capitalisation des intérêts et au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, il est rappelé que les demandes tendant à voir "constater" ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et ne saisissent pas la cour ; qu'il en est de même des demandes tendant à voir 'dire et juger" lorsque celles-ci développent en réalité des moyens.

Sur la prise d'acte de la rupture

Le salarié peut prendre acte de la rupture de son contrat de travail lorsque les manquements commis par l'employeur empêchent la poursuite du contrat de travail.

La prise d'acte de rupture du contrat de travail entraîne la cessation immédiate de la relation contractuelle qui ne peut plus ensuite être rétractée.

Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison des faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits invoqués sont fondés, soit dans le cas contraire, d'une démission.

La charge de la preuve des faits allégués à l'encontre de l'employeur incombe exclusivement au salarié qui a pris acte de la rupture du contrat de travail. S'il n'est pas en mesure de le faire ou s'il subsiste un doute sur la réalité des faits invoqués à l'appui de sa prise d'acte, celle-ci doit produire les effets d'une démission.

Il appartient au juge du fond de vérifier si les manquements de l'employeur invoqués par le salarié sont ou non d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

En l'espèce, le salarié reproche à l'employeur

- une absence de fixation de ses objectifs du 1er août 2016 au 31 juillet 2017 et sur la période du 1er août 2017 au 31 juillet 2018 ainsi que sur la période du 1er août 2018 au 31 décembre 2018,

- la fixation d'objectifs irréalisables sur la période du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2019, - une absence d'information sur le calcul de ses primes sur objectifs.

Sur l'absence de fixation des objectifs pour la période du 2016 - 2018

M.[N] fait valoir que l'employeur n'a jamais fourni aucun décompte permettant de connaître les modalités de calcul des primes perçues entre janvier 2016 et septembre 2018 et qu'il est fondé à demander un rappel de primes pour la période litigieuse sur la base de 20% de son salaire annuel.

La société Euromedis fait valoir :

- que l'absence de fixation d'objectifs n'a pas empêché la poursuite du contrat de travail,

- que les faits sont antérieurs de plus de deux ans à la prise d'acte,

- que M. [N] ne lui a adressé que deux courriels évoquant le sujet de la fixation des objectifs mais n'a jamais fait état d'une difficulté particulière tenant à l'absence de fixation des objectifs,

- que la référence à un taux de primes pouvant atteindre 20% du salaire n'a pas été reprise dans l'avenant du 3 décembre 2015,

- que les objectifs fixés en 2015 ont été reconduits et que les primes versées au salarié ont été calculées conformément à l'annexe à l'avenant du 3 décembre 2015.

M. [N] ne peut, sous couvert de demande de dommages et intérêts, solliciter un rappel de primes, s'agissant d'une créance de nature salariale et non indemnitaire.

Lorsque la part variable de la rémunération contractuelle du salarié dépend de la réalisation d'objectifs fixés chaque année unilatéralement par l'employeur, il appartient à ce dernier de porter à la connaissance du salarié les objectifs à réaliser ainsi que les éléments retenus pour le calcul de sa part variable. Il faut que les objectifs fixés soient réalisables et qu'ils aient été portés à la connaissance du salarié en début d'exercice. A défaut, cette part variable doit être versée intégralement pour chaque exercice.

En l'espèce, il est acquis que l'employeur n'a pas porté à la connaissance du salarié les objectifs des années 2017 et 2018 de sorte que celui-ci est fondé à revendiquer la rémunération de l'intégralité de la part variable convenue.

En l'absence de définition des objectifs, il y a lieu de se référer aux accords expressément

conclus entre les parties.

L'avenant du 3 décembre 2015 a modifié les conditions de la rémunération prévue au contrat de travail du 2 septembre 2013 et ne fait plus référence au fait que la rémunération variable liée à l'activité du salarié pouvait atteindre 20% du salaire brut de sorte que cette disposition doit être considérée comme abandonnée et qu'elle ne fait plus la loi des parties.

Pour déterminer le droit à rémunération variable de M. [N], il convient de se référer aux objectifs fixés à l'annexe à l'avenant du 3 décembre 2015 qui revêt un caractère contractuel et qui constitue le seul élément pertinent au regard de l'activité exercée par M. [N] à compter du 1er janvier 2016.

Aux termes de cette annexe, la rémunération maximale à laquelle pouvait prétendre M. [N] au titre des exercices litigieux était de 7 000 € pour les ventes de paires Aegis et de 7 000 € pour les ventes de gants de chirurgien soit 14 000 € sur une année soit, pour pour la période 1er août 2016 - 31 décembre 2018, 14 000 € / 12 x 28 = 32 700 €.

Il résulte des bulletins de salaires des mois d'octobre 2017 et de janvier 2018 que M. [N] a perçu au titre de cette période des primes à hauteur de la somme de 6 750 € de sorte que sa créance de rappel de primes s'établit à 25 950 €.

Sur le caractère réalisable des objectifs fixés pour la période du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2019

Les objectifs fixés en annexe à l'avenant du 10 septembre 2018 affectant M. [N] au poste de responsable commercial division bloc opératoire zone 2 étaient différenciés selon le type de produit : drapage, sets blocs et gants avec des paliers de déclenchement des primes selon un chiffre d'affaires par type de produit.

M. [N] fait valoir :

- que les objectifs ne lui ont pas été transmis en début d'exercice mais à son retour d'un arrêt-maladie, qu'ils ne prenaient pas en compte ses trois mois d'absence en début d'année,

- que les objectifs fixés supposaient une augmentation de chiffre d'affaires irréaliste et étaient par conséquent irréalisables,

- qu'il a réalisé en 2019 un chiffre d'affaires de 160 260 € en progression de 36% par rapport à 2018 et n'a perçu à ce titre aucune prime,

- que la prime de 1 000 € qui lui a été attribuée à titre exceptionnel n'est pas en lien avec l'atteinte d'un quelconque objectif,

- que ses demandes d'information sur les ventes réalisées et le calcul de ses primes sont restées sans réponse,

- que des volumes fantômes à savoir les volumes acquis auprès de clients démarchés par ses soins mais fournis par la concurrence en raison de ruptures de gammes chez Euromedis, auraient dû être intégrés dans son chiffre d'affaires.

L'employeur fait valoir :

- que les objectifs fixés pour l'année 2019 étaient réalisables, qu'ils ont été fixés par rapport au chiffre d'affaires de l'année antérieure majorés des gains prévisionnels procurés par les marchés obtenus grâce aux appels d'offre,

- que s'agissant du drapage, M. [N] a réalisé le premier palier d'objectifs et perçu une prime de 1 000 € ce qui démontre que les objectifs étaient réalisables,

- que M. [N] a perçu une prime exceptionnelle de 1 000 € pour compenser les difficultés d'approvisionnement et de livraison rencontrées,

- que le salarié a reconnu le caractère réalisable de ses objectifs lors de l'entretien annuel du 9 décembre 2019,

- que Mme [E], qui exerçait sur la zone 1 les mêmes fonctions que M. [N], a atteint l'un de ses objectifs,

- que la non atteinte de certains objectifs est sans lien avec des difficultés de livraison ou d'approvisionnement, qu'elle est imputable à la démotivation du salarié mais aussi à son comportement vis à vis de la clientèle,

- que M. [N] ne peut pas se comparer avec les commerciaux de la division hospitalière qui n'ont pas le même niveau de compétence ni la même classification et n'opèrent pas sur le même secteur ni sur les mêmes gammes de produits,

- qu'en arrêt de travail jusqu'au 29 mars 2019, M. [N] n'a repris le travail que le 1er avril et qu'il était légitime de lui notifier ses objectifs à son retour,

- que M. [N] avait eu plusieurs entretiens avec son supérieur hiérarchique, M. [X], au sujet des primes 2019 et qu'il avait reçu toutes explications sur le calcul des primes,

- que les achats pour compte ('volumes fantômes') de l'exercice 2019 ont porté sur la gamme drapage et ont été pris en compte dans le calcul de la réalisation des objectifs 2019.

Il ne saurait être reproché à l'employeur de n'avoir pas notifié ses objectifs pour 2019 à M. [N] en début d'année 2019 dès lors que le salarié était en arrêt maladie à cette période, la notification desdits objectifs à la date de la reprise du travail étant régulière.

Les tableaux établis par le salarié sur la base du chiffre d'affaires de l'année 2018 et du chiffre d'affaires prévisionnel de l'année 2019 démontrent que pour parvenir au premier palier de prime, soit 1 000 € pour chacun des produits, il lui incombait d'augmenter le chiffre d'affaires de 30% par rapport à l'exercice précédent s'agissant des gants, de 70% s'agissant des sets blocs et de 10% s'agissant du drapage.

Si, s'agissant du drapage, le salarié a atteint le premier palier de prime en réalisant un chiffre d'affaires de 919 525,145 €, l'atteinte du dernier palier lui imposait de parvenir à un chiffre d'affaire de 1 200 000 € correspondant à 43% de plus que celui de l'exercice précédent.

S'agissant des deux autres produits, l'employeur a tablé sur une progression très importante de chiffre d'affaires (19% pour les sets blocs et 23% pour les gants) en anticipant les gains prévisionnels procurés par les marchés obtenus grâce aux appels d'offre, imposant au salarié pour accéder à la première prime d'augmenter le chiffre d'affaires de 30% pour les gants et de 70% pour les sets blocs, l'accession à la prime maximale supposant une augmentation du chiffre d'affaires de l'exercice précédent de 55% pour les gants et de 297% pour les sets blocs.

Ces éléments font apparaître que le seuil de déclenchement de la prime initiale était très élevé et que la prime maximale était inaccessible.

Il résulte de l'entretien d'évaluation du 9 décembre 2019 que le salarié a rencontré des difficultés tenant à des décalages de démarrage des marchés et des ruptures d'approvisionnement.

Dans un communiqué du 22 avril 2020, le groupe Euromedis a indiqué que ses résultats annuels de 2019 n'avaient progressé que de 0,6% par rapport à 2018 et que le groupe avait dû faire face, tout au long de l'exercice, 'à de nombreuses difficultés d'approvisionnements et logistiques qui avaient fortement impacté la performance de laboratoires Euromedis'.

Au vu de ces éléments, les objectifs fixés n'apparaissent pas réalistes, étant rappelé que le salarié n'a pas à supporter les risques liés à l'activité de l'entreprise.

En outre, ces objectifs ne prenaient pas en compte l'absence de M. [N] au cours du premier trimestre 2019 comme se fondant sur une progression annuelle du chiffre d'affaires de chacun des produits.

M. [N] est en conséquence fondé à obtenir le paiement au titre de l'année 2019 de la prime maximale fixée à la lettre d'objectifs du 5 avril 2019 soit 12 000 €.

Les manquements de l'employeur en matière de rémunération variable ayant pour conséquence de priver le salarié depuis plusieurs années d'une partie non négligeable de sa rémunération sont d'une gravité telle qu'ils rendaient impossible la poursuite du contrat de travail de sorte que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et que le jugement doit être réformé sur ce

point.

Sur la discrimination

Selon l'article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération et de formation, en raison de son état de santé.

Selon l'article L. 1134-1 du code du travail, lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions relatives à la discrimination, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte [...].

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

La discrimination se traduit par une disparité de traitement au désavantage d'un salarié. En cas de discrimination se traduisant par par des écarts de rémunération, il appartient au demandeur de se comparer avec des salariés en situation comparable.

Une différence de traitement pourra être admise dès lors que l'employeur est en mesure de justifier d'une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l'objectif soit légitime et l'exigence proportionnée.

En tout état de cause, il appartient au salarié d'apporter la preuve de l'existence et de l'étendue de son préjudice indépendamment de tout manquement de l'employeur

En l'espèce, M. [N] fait valoir :

- qu'il a été discriminé par son supérieur hiérarchique lors de son entretien d'évaluation du 24 mai 2019, celui-ci lui ayant implicitement reproché son absence pour maladie en fin d'année 2019,

- qu'il y a eu une rupture d'égalité par rapport à ses collègues de la division hospitalière dont les objectifs étaient proratisés et atteignables grâce à des seuils d'augmentation de chiffre d'affaires peu importants.

La société Euromedis fait valoir justement valoir que M. [N] se compare avec Mme [U], une salariée relevant de la division hospitalière, et justifie que les salariés de cette division n'ont pas le même niveau de compétence ni de classification et n'opèrent pas sur le même secteur ni sur les mêmes gammes de produits de sorte qu'ils ne sont pas dans une situation comparable à celle de M. [N].

Elle justifie également que Mme [E], responsable commerciale division bloc opératoire zone 1 niveau 9 statut cadre comme lui, était soumise à un régime identique à celui de M. [N] s'agissant de sa rémunération variable.

L'entretien d'évaluation au cours duquel son supérieur hiérarchique a fait référence à son arrêt-maladie est postérieur à la définition des objectifs du salarié et celui-ci ne démontre pas en quoi elle lui a été préjudiciable.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [N] de ce chef de demande.

Sur les indemnités de rupture

Selon l'article L.1234-9 du code du travail, le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée alors qu'il compte 8 mois d'ancienneté ininterrompus au service du même employeur a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.

La prise d'acte de la rupture aux torts de l'employeur produisant les effets d'un licenciement

sans cause réelle et sérieuse, le salarié est fondé à demander le paiement de l'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents et de l'indemnité légale de licenciement.

En l'espèce, le salarié a justement inclus dans l'assiette de calcul de ces indemnités le montant de la rémunération variable qu'il aurait dû percevoir au titre de l'année écoulée.

Selon l'Avenant III-Cadresl'Avenant III ' Cadres - de la convention collective applicable (Fabrication, Commerce de produits à usage pharmaceutique), l'indemnité conventionnelle de licenciement (ICL) est calculée de la façon suivante : ICL = 3/10 x mois de salaire x années d'ancienneté.

En prenant en considération les douze derniers bulletins de salaire précédant la rupture de son contrat de travail, le salaire de base de M. [N] s'établit à 5 334,86 € (soit 64 018,29 € /12) auquel il convient d'ajouter la prime (soit 12 000 € ) laquelle, ramenée à son montant mensuel, s'établit à 1 000 €.

Il convient en conséquence de fixer l'indemnité de licenciement à la somme de 10 451,47 €.

L'indemnité compensatrice de préavis s'établit à 19 004,05 € correspondant à trois mois de salaire majoré de la prime mensualisée et les congés payés afférents à la somme de 1900,40 €. Toutefois, la cour n'étant saisie que par le dispositif des conclusions en application de l'article 954 du code de procédure civile, il convient de faire droit aux demandes formulées par le salarié aux termes de son dispositif.

Selon l'article L.1235-2, lorsqu'une irrégularité a été commise au cours de la procédure mais que le licenciement est intervenu pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.

M. [N] ne fait valoir aucun moyen au soutien de cette demande, déjà formulée en première instance de sorte qu'elle est recevable mais justement rejetée par le conseil de prud'hommes, étant relevé qu'il n'a pas fait l'objet d'une procédure de licenciement puisqu'il est à l'initiative de la rupture du contrat de travail.

Selon l'article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux, le maximum étant de 7 mois de salaire pour 6 ans d'ancienneté révolus.

Au regard de l'ancienneté et de l'âge du salarié à la date du licenciement à savoir 47 ans, des circonstances ayant entouré la rupture des relations contractuelles et des difficultés à retrouver un emploi de même niveau, le préjudice subi par M. [N] du fait de la perte de son emploi sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 44 000€ à titre de dommages et intérêts.

Sur la demande reconventionnelle

La société Laboratoires Euromedis, aux torts de laquelle est prononcée la rupture du contrat de travail, n'est pas fondée à prétendre à l'indemnisation au titre du préavis non effectué par le salarié et le jugement est confirmé sur ce point.

Sur les demandes accessoires

Les intérêts courent sur les sommes dues à titre de salaire et d'indemnité conventionnelle de licenciement à compter du 11 mai 2020, date de réception de la demande par la société Laboratoire Euromedis, et sur les dommages et intérêts à compter du 25 mars 2021, date du jugement.

La société Laboratoire Euromedis qui succombe supporte les dépens et une indemnité de procédure.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Déclare recevable la demande d'indemnité pour non respect de la procédure de licenciement.

Infirme le jugement déféré en ce qu'il a :

- dit que la prise d'acte produisait les effets d'une démission,

- débouté M. [F] [N] de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité conventionnelle de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis, outre de congés afférents, de rappels de primes,

- dit que chaque partie conserverait la charge de ses dépens,

Le confirme pour le surplus de ses dispositions ;

Statuant à nouveau des chefs susvisés,

Dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par M. [F] [N] produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société Laboratoires Euromedis à payer à M. [F] [N] les sommes suivantes :

- 25 950 € de rappel de primes pour la période du 1er août 2016 au 31 décembre 2018,

- 12 000 € de rappel de primes pour l'année 2019,

- 17 300 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 1 730 € au titre des congés payés afférents,

- 10 451,47 € à titre d'indemnité de licenciement,

- 44 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Dit que les intérêts courent sur les indemnités à caractère salarial à compter du 11 mai 2020 et sur les sommes allouées à titre de dommages et intérêts à compter du 25 mars 2021 ;

Dit que les sommes allouées supporteront, s'il y a lieu, le prélèvement des cotisations et contributions sociales ;

Condamne la société Laboratoires Euromedis à payer à M. [F] [N] la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et la rejette la demande de la société en application du même article ;

La condamne aux dépens de première instance et d'appel.

Le greffier La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale c
Numéro d'arrêt : 21/02728
Date de la décision : 06/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 12/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-06;21.02728 ?
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