N° RG 23/05926 - N° Portalis DBVX-V-B7H-PDQX
Décision du
Tribunal de Grande Instance de LYON
ch 9 cab 09 G
du 07 septembre 2022
RG : 20/05964
ch n°
[T]
C/
LA PROCUREURE GENERALE
M. PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE LYON
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
2ème Chambre B
ARRET DU 30 Mai 2024
APPELANT :
M. [U] [T]
né le 31 Décembre 1975 à [Localité 7] (MAROC)
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représenté par Me Morgan BESCOU de la SELARL BS2A BESCOU ET SABATIER AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, toque : 579
Assisté par Me Michèle BLANC, avocat au barreau d'ANNECY
INTIMES :
Mme LA PROCUREURE GENERALE
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Mme Laurence CHRISTOPHLE, substitut général
M. PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE LYON
[Adresse 3]
[Localité 4] (RHONE)
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 19 Mars 2024
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 11 Avril 2024
Date de mise à disposition : 30 Mai 2024
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Sophie DUMURGIER, président
- Carole BATAILLARD, conseiller
- Françoise BARRIER, conseiller
assistés pendant les débats de Priscillia CANU, greffier
en présence de Philippine de MONTGOLFIER, greffière stagiaire
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Sophie DUMURGIER, président, et par Priscillia CANU, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [U] [T], né le 31 décembre 1975 à [Localité 8] (Maroc), de nationalité marocaine, s'est marié avec Mme [P] [C], née le 9 octobre 1982 à [Localité 9], de nationalité française, le 24 mai 2003 devant l'officier d'état civil de [Localité 10] ([Localité 11]).
Le 18 octobre 2005, M. [T] a souscrit une déclaration d'acquisition de la nationalité française sur le fondement de l'article 21-2 du code civil, qui a été enregistrée le 26 septembre 2006.
Le divorce des époux [T]-[C] a été prononcé le 29 mars 2012 par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains.
Par acte d'huissier du 19 août 2020, le procureur de la République a saisi le tribunal judiciaire de Lyon aux fins de voir annuler l'enregistrement de la déclaration de nationalité française souscrite par M. [T], estimant que c'est par fraude, portée à sa connaissance le 11 août 2020, que cette déclaration a été enregistrée, le mariage contracté le 14 janvier 1994 par M. [T] avec Mme [I] [D] n'étant pas dissous à la date de son mariage avec Mme [C] ni à la date de souscription de sa déclaration.
Par jugement contradictoire du 7 septembre 2022, auquel il est expressément renvoyé pour un plus ample exposé du litige, le tribunal judiciaire de Lyon, a :
- déclaré M. [U] [T] irrecevable en sa fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action,
- dit que la déclaration de nationalité française souscrite le 18 octobre 2005 par M. [U] [T], né le 31 décembre 1975 à [Localité 8] (Maroc), est irrégulière,
- annulé la décision du 26 septembre 2006 ayant enregistré la déclaration de nationalité française souscrite le 18 octobre 2005 par M. [U] [T], né le 31 décembre 1975 à [Localité 8] (Maroc ), en vertu de l'article 21-12 du code civil,
- constaté l'extranéité de M. [U] [T], né le 31 décembre 1975 à [Localité 8] (Maroc),
- ordonné la mention prévue par l'article 28 du code civil,
- condamné M. [T] aux dépens.
Ce jugement a été signifié le 5 juillet 2023 à M. [T] qui en a interjeté appel par déclaration reçue au greffe le 21 juillet 2023, limité aux chefs de jugement portant sur la prescription de l'action initiée par le ministère public et la communauté de vie entre les époux qui était incontestable à la date de la déclaration de nationalité nonobstant des difficultés rencontrées ultérieurement (sic).
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 28 août 2023, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens au soutien de ses prétentions, l'appelant demande à la cour de :
- dire et juger recevable et bien fondé l'appel qu'il a interjeté à l'encontre du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Lyon le 7 septembre 2022,
En conséquence,
- réformer ladite décision,
- dire et juger mal fondée la demande d'annulation de la décision du 26 septembre 2006 ayant enregistré la déclaration de nationalité française qu'il a souscrite le 18 octobre 2005,
- débouter M. le procureur général de l'intégralité de ses demandes,
- le condamner aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 17 novembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens au soutien de ses prétentions, Mme la procureure générale près la présente cour demande à la cour de :
- dire que le récépissé prévu par l'article 1040 du code de procédure civile a été délivré,
- confirmer le jugement de première instance,
- ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil.
La clôture de la procédure a été prononcée le 19 mars 2024.
SUR CE
Sur l'étendue de la saisine de la cour
L'article 562 du code de procédure civile prévoit que l'appel ne défère à la cour que la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.
La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
L'article 954 alinéa 2 du code de procédure civile dispose que la cour n'est tenue de statuer que sur les demandes figurant dans le dispositif des conclusions des parties.
Par l'effet dévolutif de l'appel la cour connaît des faits survenus au cours de l'instance d'appel, postérieurement à la décision déférée, et statue au vu de tous les éléments justifiés même s 'ils n'ont été portés à la connaissance de l'adversaire qu'au cours de l'instance d'appel.
Selon les termes de la déclaration d'appel et du dispositif des dernières écritures des parties, l'appel ne porte que sur l'annulation de l'enregistrement de la déclaration de nationalité française de M. [T], l'appelant n'ayant pas conclu à l'irrecevabilité de l'action du ministère public pour cause de prescription dans le dispositif de ses dernières conclusions.
Sur le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile
Aux termes des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile, dans toutes les instances où s'élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l'assignation, ou le cas échéant une copie des conclusions soulevant la contestation, est déposée au ministère de la Justice qui en délivre récépissé.
En l'espèce, est versé aux débats le récépissé de la copie de l'acte d'appel daté du 5 septembre 2023, délivré par le ministère de la Justice, de sorte que les diligences de l'article 1043 du code de procédure civile ont été respectées.
Sur la contestation de l'enregistrement de la déclaration de nationalité française de M. [T]
Selon l'article 21-2 du code civil, l'étranger ou apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de quatre ans à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition, qu'à la date de cette déclaration, la communauté de vie tant affective que matérielle n'ait pas cessé entre les époux depuis le mariage et que le conjoint français ait conservé sa nationalité.
L'article 26-4 alinéa 3 du même code prévoit que l'enregistrement de la déclaration prévue à l'article 21-2 peut être contesté par le ministère public en cas de mensonge ou de fraude dans le délai de deux ans à compter de leur découverte. La cessation de la communauté de vie entre les époux dans les douze mois suivant l'enregistrement de la déclaration prévue à l'article 21-2 constitue une présomption de fraude.
Il n'est plus contesté que le procureur de la République a agi dans les deux ans suivant la découverte d'éléments laissant supposer la fraude ou le mensonge.
Pour annuler la déclaration de nationalité française souscrite par M. [T] le 18 octobre 2005 et enregistrée le 26 septembre 2006, le tribunal a rappelé que la situation de bigamie d'un des époux à la date de souscription de la déclaration, qui est exclusive de toute communauté de vie affective, fait obstacle à l'acquisition de la nationalité française par le conjoint étranger.
Il a considéré que le ministère public démontrait qu'une fraude avait présidé à la déclaration souscrite dès lors que M. [T] a épousé Mme [I] [D] le 14 janvier 1994, dont il a divorcé le 7 mars 2006, un peu moins de trois ans après avoir épousé Mme [P] [C] et plus de quatre mois après avoir souscrit une déclaration de nationalité francaise sur le fondement de l'article 21-2 du code civil.
Il en a déduit que non seulement le second mariage contracté avec Mme [C] était entaché de nullité absolue en application des articles 184 et 147 du code civil et ne pouvait produire aucun effet en France, y compris au titre de la nationalité, mais qu'il plaçait M. [T] en situation de bigamie à la date de souscription de sa déclaration de nationalité francaise, laquelle est exclusive de toute communauté de vie affective et fait obstacle à l'acquisition de la nationalité française par le conjoint étranger.
Au soutien de son appel, M. [T] fait valoir que la déclaration de nationalité a été soucrite plus de quatre ans avant sa séparation de Mme [C] et six ans avant le prononcé du divorce et, qu'à cette date, les époux vivaient harmonieusement ensemble, la seule situation purement administrative de bigamie à son encontre ne pouvant laisser présumer une absence de communauté de vie.
Il considère que, tant à la date de son mariage avec Mme [C] qu'à la date de souscription de la déclaration de nationalité, il ne se trouvait pas dans une situation de bigamie en expliquant que son union forcée avec Mme [D] a été organisée par leurs parents respectifs au cours de l'année 1991, alors qu'ils étaient tous deux mineurs et qu'aucun mariage officiel n'a pu être célébré en raison de cette minorité.
Il expose avoir quitté le domicile parental pour émigrer en France au cours de l'année 1992 alors que Mme [D] était enceinte, n'avoir pu obtenir un document provisoire de séjour qu'au cours de l'année 2000 qui ne l'autorisait pas à se rendre au Maroc, ce qui ne lui a pas permis de se défaire de cette union, et avoir donné procuration à M. [M] le 26 janvier 2001, bien antérieurement à son mariage, pour qu'il réalise toutes les démarches administratives le concernant dans sa séparation avec Mme [D], en précisant qu'un certificat de célibat lui a été délivré à deux reprises par les autorités marocaines les 9 novembre 1999 et 3 mars 2003.
Il ajoute que c'est lors de son séjour au Maroc en 2005 avec Mme [C] qu'il a été informé d'une demande de pension alimentaire émanant de Mme [D] et qu'il a alors été procédé au mariage et au divorce le même jour, devant notaire, et que, si l'acte de mariage porte la date du 14 janvier 1994 et celui du divorce celle du 7 mars 2006, c'est uniquement pour les besoins de la cause, n'ayant pu regagner le Maroc qu'au mois de janvier 2005.
Il estime que ces éléments, pourtant primordiaux dans l'appréciation de sa situation, ont été purement et simplement écartés par le tribunal, sans examen.
Il en déduit qu'aucun élément sérieux ne permet de mettre en doute ses intentions matrimoniales ni celles de Mme [C], pas plus que leur communauté de vie à la date de souscription de la déclaration de nationalité.
Il ajoute que sa reprise ultérieure de la vie commune avec Mme [D] n'est pas de nature à faire obstacle à ses prétentions puisque ce n'est qu'après sa séparation avec Mme [C], au cours de l'année 2009, qu'il a renoué des liens avec la mère de ses enfants.
Mme la procureure générale maintient que c'est par fraude, portée à la connaissance du ministère public le 11 août 2020, que la déclaration de nationalité souscrite par M. [T] a été enregistrée, dès lors que ce dernier se trouvait en situation de bigamie lorsqu'il a souscrit cette déclaration le 18 octobre 2005 et que le ministère chargé des naturalisations n'aurait jamais procédé à l'enregistrement de cette déclaration s'il avait eu connaissance de la situation.
Elle rappelle que, le 27 avril 2018, le service central d'état civil a reçu un courrier de M. [T] qui sollicitait la transcription des actes de naissance de trois des enfants nés au Maroc de son union avec Mme [I] [D], [L] [T], née le 24 novembre 2010, [N] [T], né le 22 juin 2014 et [Y] [T], né le 4 février 2016, et que l'acte de mariage produit au soutien de cette demande indiquait que le requérant a épousé Mme [I] [D] en premières noces au Maroc le 14 janvier 1994 et que leur divorce n'a été prononcé que le 7 mars 2006, trois ans après son mariage avec [P] [C], la situation de bigamie à la date de souscription de sa déclaration de nationalité étant ainsi révélée.
Elle en déduit que le comportement de M. [T], qui se trouvait en situation de bigamie au jour de la souscription de la déclaration, est incompatible avec l'existence d'une communauté de vie au sens de l'article 21-2 du code civil.
Elle ajoute que le divorce des époux [T]/[D] était purement administratif puisque le couple a perduré au fil des années, comme en témoignent les naissances de leurs trois enfants après leur divorce en 2006, et relève qu'ils se sont d'ailleurs remariés le 4 avril 2013.
Elle estime que la naissance de [L] [T], en 2010, issue de la liaison qui a persisté entre le déclarant et Mme [I] [D], après leur divorce en 2006, alors même que celui-ci était toujours marié à Mme [C], exclut, de fait, toute communaute de vie affective entre M. [T] et son épouse francaise, le comportement de l'intéressé constituant un manquement grave au devoir de fidélité incompatible avec l'existence d'une communauté de vie au sens de l'article 21-2 du code civil.
La déclaration de nationalité française, souscrite par M. [U] [T] le 18 octobre 2005, a été enregistrée le 26 septembre 2006, alors qu'il était marié depuis le 24 mai 2003 avec Mme [P] [C].
Cependant, le ministère public produit une copie d'acte de mariage qui révèle que M. [U] [T] s'est marié le 14 janvier 1994 à Alnif (Maroc) avec Mme [I] [D], née le 27 décembre 1978, et que cette union n'a été dissoute que le 7 mars 2006, soit postérieurement à son mariage avec Mme [C] et à la date de souscription de sa déclaration de nationalité française.
Or, la Cour de cassation considère que la situation de bigamie d'un des époux à la date de la souscription de la déclaration, qui est exclusive de toute communauté de vie affective, fait obstacle à l'acquisition de la nationalité française par le conjoint étranger [Civ. 1ère, 12 janvier 2022, n° 20-50.036].
La communauté de vie doit s'entendre, au sens de l'article 215 du code civil, comme un élément de la conception monogamique française du mariage et l'étranger qui souhaite acquérir la nationalité française n'est pas libre de la définition de la communauté de vie, qui n'est pas personnelle mais objective et doit correspondre à cette conception.
C'est à juste titre que le tribunal a considéré que M. [T] n'était pas fondé à soutenir que son mariage et son divorce d'avec Mme [I] [D] étaient intervenus le même jour en 2005, pour des raisons tenant à la nécessité d'avoir été marié pour régler une pension alimentaire, ce que contredisent la copie de l'acte de mariage et les propres affirmations de M. [T], qui a indiqué que son union ' a été organisée par les parents respectifs au cours de l'année 1991".
En outre, l'appelant est d'autant moins fondé à se prévaloir de la persistance d'une communauté de vie affective et matérielle avec Mme [C] que, durant son mariage avec celle-ci, il a donné naissance à une enfant issue de son union avec Mme [D], née en 2010 au Maroc, les époux [T]/[C] n'ayant divorcé que le 29 mars 2012.
M. [T] échouant à rapporter la preuve de l'absence d'union maritale avec Mme [I] [D], contre l'acte de mariage qui est un acte de l'état civil, c'est à bon droit que le tribunal a annulé la décision du 26 septembre 2006 ayant enregistré sa déclaration de nationalité française souscrite le 18 octobre 2005 et constaté son extranéité et le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
M. [T] qui succombe en ses prétentions sera condamné aux dépens de la procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Dans la limite de sa saisine,
Constate que le récépissé prévu à l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré,
Confirme en toutes ses dispositions soumises à la cour le jugement rendu le 7 septembre 2022 par le tribunal judiciaire de Lyon,
Ordonne la mention prévue par l'article 28 du code civil,
Y ajoutant,
Condamne M. [T] aux dépens de la procédure d'appel.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Sophie DUMURGIER, président, et par Priscillia CANU, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président