La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/05/2024 | FRANCE | N°23/03302

France | France, Cour d'appel de Lyon, 2ème chambre b, 30 mai 2024, 23/03302


N° RG 23/03302 - N° Portalis DBVX-V-B7H-O5WA









Décision du

TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de LYON

CH 1 CAB 01 A

du 22 mars 2023



RG : 17/10498

ch n°





LA PROCUREURE GENERALE

LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE LYON



C/



[D]

[S] [D]





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



2ème Chambre B



ARRET DU 30 Mai 2024







APPELANTS :



Mme LA PROCUREURE GENERALE

[Adresse 1]

[Localité 5]



représentée par Mme Laurence CHRISTOPHLE, substitut général





M. LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE LYON

TJ de Lyon [Adresse 3]

[Localité 4]





INTIMEES :



Mme [B] [W] [D]

née le 24...

N° RG 23/03302 - N° Portalis DBVX-V-B7H-O5WA

Décision du

TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de LYON

CH 1 CAB 01 A

du 22 mars 2023

RG : 17/10498

ch n°

LA PROCUREURE GENERALE

LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE LYON

C/

[D]

[S] [D]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

2ème Chambre B

ARRET DU 30 Mai 2024

APPELANTS :

Mme LA PROCUREURE GENERALE

[Adresse 1]

[Localité 5]

représentée par Mme Laurence CHRISTOPHLE, substitut général

M. LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE LYON

TJ de Lyon [Adresse 3]

[Localité 4]

INTIMEES :

Mme [B] [W] [D]

née le 24 Février 1988 à [Localité 8] (CAMEROUN)

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par Me Eloïse CADOUX de la SELARL LOZEN AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 1407

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2023/003996 du 06/07/2023 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de LYON)

Mme [R] [L] [S] [D]

née le 20 Mars 2003 à [Localité 8] (CAMEROUN)

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par Me Eloïse CADOUX de la SELARL LOZEN AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 1407

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2023/004078 du 06/07/2023 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de LYON)

* * * * * *

Date de clôture de l'instruction : 19 Mars 2024

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 11 Avril 2024

Date de mise à disposition : 30 Mai 2024

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Sophie DUMURGIER, président

- Carole BATAILLARD, conseiller

- Françoise BARRIER, conseiller

assistés pendant les débats de Priscillia CANU, greffier

en présence de [H] [E], greffière stagiaire

A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Sophie DUMURGIER, président, et par Priscillia CANU, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Mme [B] [W] [D], se disant née le 24 février 1988 à [Localité 8] (Cameroun), a obtenu la délivrance d'un certificat de nationalité française n°40/2006 par le tribunal d'instance de Saint-Julien-en-Genevois le 7 février 2006 sur le fondement de l'article 18 du code civil.

Le 11 décembre 2002, elle a fait l'objet d'une reconnaissance par M. [M] à la mairie d'[Localité 9].

Mme [R] [L] [S] [D], se disant née le 20 mars 2003 à [Localité 8] (Cameroun) de M. [J] [P] [X], né le 15 septembre 1987, et Mme [B] [D] se disant née le 24 février 1988 à [Localité 8] (Cameroun), s'est vue délivrer un certificat de nationalité française n°257/2010 le 14 juin 2010 par le greffier en chef du tribunal d'instance d'Annemasse sur le fondement de l'article 18 du code civil, en raison de son lien de filiation à l'égard d'une mère française.

Par acte d'huissier délivré le 24 octobre 2017, le procureur de la République de Lyon a fait assigner M. [P] [X] et Mme [B] [D] en leur qualité de représentants légaux de [R]-[L] [S] [D], devant le tribunal de grande instance de Lyon, devenu tribunal judiciaire, sur le fondement de l'article 29-3 du code civil aux fins de faire constater l'extranéité de la mineure.

Par acte d'huissier délivré le 27 mai 2019, le procureur de la République a fait assigner Mme [B] [D] devant le tribunal de grande instance de Lyon devenu tribunal judiciaire aux fins de faire constater son extranéité sur le fondement de l'article 29-3 du code civil.

Par ordonnance du 28 octobre 2021, le juge de la mise en état a ordonné la jonction des deux procédures.

Par jugement contradictoire du 22 mars 2023, le tribunal judiciaire de Lyon a :

- constaté que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré,

- dit que le certificat de nationalité française n°257/2010 délivré à [R] [L] [S] [D] par le tribunal d'instance d'Annemasse le 14 juin 2010 l'a été à tort,

- dit que le certificat de nationalité française n°40/2006 délivré à Mme [B] [D] par le tribunal d'instance de Saint-Julien-en-Genevois le 7 février 2006 l'a été à tort,

- dit que Mme [B] [D], née le 24 février 1988 à [Localité 8] (Cameroun), est de nationalité française sur le fondement de l'article 18 du code civil,

- dit que [R] [L] [S] [D], née le 20 mars 2003 à [Localité 8] (Cameroun), est de nationalité française sur le fondement de l'article 18 du code civil,

- ordonné la mention prévue par l'article 28 du code civil,

- débouté Mme [B] [D], M. [J] [P] agissant en qualité de représentants légaux de [L] [S] [D] de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- laissé les dépens à la charge du Trésor public.

Par déclaration reçue au greffe le 20 avril 2023, le procureur de la République de Lyon a interjeté appel de cette décision, en ce qu'elle a :

- dit que Mme [B] [D], née le 24 février 1988 à [Localité 8] (Cameroun) est de nationalité française sur le fondement de l'article 18 du code civil,

- dit que Mme [R] [L] [S] [D], née le 20 mars 2003 à [Localité 8] (Cameroun) est de nationalité française sur le fondement de l'article 18 du code civil,

- ordonné la mention prévue par l'article 28 du code civil.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 20 juillet 2023, Mme la procureure générale demande à la cour de :

- constater que le récépissé prévu par l'article 1040 du code de procédure civile a été délivré,

- infirmer le jugement déféré,

- dire que Mme [B] [D] se disant née le 24 février 1988 à [Localité 8] (Cameroun) n'est pas française,

- dire que Mme [R] [L] [S] [D], née le 20 mars 2003 à [Localité 8] (Cameroun), n'est pas française,

- ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil.

Au soutien de son appel, Mme la procureure Générale fait valoir que :

S'agissant de Mme [B] [W] [D] :

- il est impossible que M. [F] [R] [T] [Z] [U], qui a été nommé officier de l'état du centre secondaire d'[Localité 7] par arrêté n°00273/A/VPM/MINAT du 16 décembre 1990 du vice-premier ministre chargé de l'administration territoriale, ait pu dresser l'acte de naissance de Mme [B] [W] [D] le 10 mars 1988 au centre d'[Localité 7] comme le mentionne la copie de son acte de naissance camerounais n°20/88 dressé sur les déclarations de la mère de l'intéressée le 10 mars 1988,

- cet acte de naissance est un faux et ne peut donc faire foi au sens de l'article 47 du code civil,

- la reconnaissance de paternité effectuée par M. [N] [M], ressortissant français, ne peut produire aucun effet sur la nationalité de Mme [B] [W] [D] dès lors que son acte d'état civil est entâché d'irrégularité,

- Mme [B] [D] a commis une fraude en trompant le tribunal de premier degré d'Akonolinga (Cameroun) par dissimulation et en détournant la loi en vue de se voir établir un nouvel acte de naissance se substituant à un acte de naissance dont il a été démontré qu'il s'agissait d'un faux, ayant obtenu de cette juridiction un jugement supplétif de naissance n°227/PD/015 du 16 septembre 2015 et une copie d'acte de naissance n°2015/pe1301/N/0565 dressé le 18 novembre 2015,

- ce jugement étant inopposable, l'acte de naissance qui en serait la transcription est donc dépourvu de toute valeur probante au sens de l'article 47 du code civil,

- le tribunal d'Akonolinga n'ayant pas annulé l'acte de naissance dressé le 10 mars 1988 mais ordonné l'établissement d'un nouvel acte, Mme [B] [D] se trouve désormais en possession de deux actes de naissance, privés de toute valeur probante,

S'agissant de Mme [R] [L] [S] [D] :

- il est étonnant que l'acte de naissance n°65 de [R] [L] [S] [D], dressé le 23 avril 2003 au centre d'état civil d'[Localité 8] sur la déclaration de la mère, ne précise pas la date de naissance précise de la mère qui était connue et indiquée sur l'acte de naissance camerounais de cette dernière,

- [R] [L] [S] [D] étant née le 20 mars 2003, c'est l'ordonnance n°2 du 29 juin 1981 portant organisation de l'état civil et diverses dispositions relatives à l'état des personnes physiques qui est applicable et non la loi n°2011/011 du 6 mai 2011, laquelle précise en son article 30 que la naissance doit être déclarée à l'officier de l'état civil du lieu de naissance dans les 30 jours suivant l'accouchement,

- en l'espèce Mme [B] [D] a déclaré la naissance de [R] [L] [S] [D] plus d'un mois plus tard, le 23 avril 2003, ce qui impliquait qu'elle devait être enregistrée sur réquisition du procureur de la République dans les trois mois de la naissance,

- la mère étant âgée de 14 ans, il résulte des articles 41 et 44 de l'ordonnance que si la mère n'était pas dans l'obligation de faire une reconnaissance de maternité, il était nécessaire du fait de sa minorité que ses parents donnent leurs consentements, lesquels n'ont pas été sollicités,

- l'acte de naissance produit ne peut donc faire foi au sens de l'article 47 du code civil, n'ayant pas été dressé conformément au droit camerounais,

- l'acte de naissance dressé sur la déclaration de la mère de l'enfant est en contradiction avec ses allégations selon lesquelles son frère est allé avec le grand-père paternel déclarer la naissance de [L],

- il est paradoxal que l'intéressée se prévale également d'un jugement supplétif n°120/PD/016 daté du 20 juillet 2016, rendu par le tribunal de premier degré d'Akonolinga, qui comporte en outre deux dates de prononcé et deux numéros différents et a été rendu sur requête de M. [V] [K] [O] dont la qualité est ignorée, et au seul motif que l'acte de naissance de [R] [L] [S] [D] n'avait pas de souche, alors que les vérifications consulaires effectuées lors de la demande de transcription ont révélé qu'il était bien existant à la souche,

- cette décision n'est pas opposable en France, car contraire à l'ordre public international français, l'intéressée ayant passé sous silence le fait qu'elle avait déjà produit un acte de naissance qu'elle savait apocryphe et ayant surpris la religion du tribunal par sa fraude,

- [R] [L] [S] [D] ne rapporte pas la preuve d'un état civil fiable au sens de l'article 47 du code civil.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 5 octobre 2023, Mme [B] [D] et Mme [R] [L] [S] [D] demandent à la cour, au visa des articles 18, 20, 20-1, 31-2 et 47 du code civil, de :

- confirmer le jugement n° RG 17/10498 rendu par le tribunal judiciaire de Lyon le 22 mars 2023,

- débouter l'appelant de l'ensemble de ses demandes,

- dire que le certificat de nationalité française n°40/2006, délivré à Mme [D] par le greffier en chef du tribunal d'instance de Saint-Julien-en-Genevois, le 7 février 2006 l'a été à bon droit,

- dire que Mme [B] [D] est française en application de l'article 18 du code civil,

- dire que Mme [R] [L] [S] [D] est française en application de l'article 18 du code civil,

- ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil,

- condamner l'appelant aux dépens et à leur verser une indemnité de 1 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, sous réserve pour leur conseil de renoncer au bénéfice de l'aide juridictionnelle,

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

Les intimées font valoir que :

S'agissant de Mme [B] [W] [D] :

- si M. [F]-[R] [T] [Z] [U] ne justifiait pas d'une compétence pour délivrer la copie d'acte de naissance de Mme [B] [D], aucun élément du dossier ne permet sérieusement de conclure que ce dernier se trouvait dans l'impossibilité matérielle de délivrer ce document qui n'est entâché que d'une simple irrégularité,

- la levée d'acte effectuée par les autorités camerounaises a permis de vérifier non seulement l'existence de l'acte à la souche du registre d'état civil mais également l'authenticité des renseignements et des signatures apposées, la délivrance de cet acte par un agent public en exercice, mais qui n'a pas encore été nommé officier de l'état civil du centre secondaire d'[Localité 7], affectant l'acte d'une simple irrégularité sans qu'une démarche frauduleuse puisse être retenue à son encontre,

- ce n'est qu'à la contestation du caractère probant de son acte de naissance par les autorités françaises que Mme [D] a saisi le tribunal de premier degré d'Akonolinga pour obtenir un jugement supplétif de naissance et elle n'a donc commis aucune fraude, ce d'autant moins que l'article 22 de l'ordonnance du 29 juin 1981 portant organisation de l'état civil au Cameroun ne prévoit aucune procédure spécifique pour la régularisation d'un acte de naissance entâché d'une telle irrégularité et que le jugement du 16 septembre 2015 est parfaitement motivé et rendu après avis du Parquet et enquête, ce qui le rend conforme à la régularité internationale et donc opposable en France,

- Mme [B] [D] a fait l'objet d'une reconnaissance paternelle par M. [M], de nationalité française, par acte du 12 décembre 2002 alors qu'elle était encore mineure, ce qui a produit effet sur la nationalité de cette dernière, dont la naissance a été régulièrement établie par jugement supplétif du 16 septembre 2015,

- Mme [B] [D] est elle-même française comme étant née d'un parent français en application de l'article 18 du code civil,

S'agissant de Mme [R] [L] [S] [D] :

- aux termes du jugement du 20 juillet 2016, le tribunal de premier degré d'Akonolinga a annulé l'acte de naissance n°65 dressé tardivement le 23 avril 2003 sur déclaration de la mère et reconstitué la naissance de l'intéressée qui est née le 20 mars 2003 à [Localité 8] de Mme [B] [D],

- l'accouchement vaut reconnaissance à l'égard de la mère, selon l'article 41 de l'ordonnance du 29 juin 1981,

- aucun consentement n'est nécessaire par les parents ou le tuteur de la mère mineure pour sa reconnaissance de maternité, les dispositions de l'article 44 de l'ordonnance du 29 juin 1981 ne concernant que les reconnaissances de paternité pour les enfants nés hors mariage,

- la déclaration tardive de la naissance de [R] [L] [S] [D] ne saurait constituer une démarche frauduleuse de la part de sa mère et il ne s'agit que d'une simple irrégularité entachant son acte de naissance, et c'est la raison pour laquelle M. [V] [K] [O] a été mandaté en vue de la reconstitution de l'acte de naissance de [R] [L] [S] [D], conformément à l'article 22 de l'ordonnance qui prévoit qu'il y a lieu à reconstitution lorsque la déclaration n'a pu être effectuée dans les délais prescrits, le tribunal camerounais ayant nécessairement eu connaissance de l'acte irrégulier à annuler,

- le jugement a été rendu le 20 juillet 2016 sous le numéro 120:PD016 et ne comporte pas deux dates de prononcé et deux numéros différents, le n°139/RG/016 et la date du 15 juillet 2016 correspondant à la requête introductive d'instance,

- le jugement supplétif de naissance de [R] [L] [S] [D] répond à toutes les exigences de l'ordre public international,

- [R] [L] [S] [D], fille d'[B] [W] [D], française par filiation paternelle, est elle-même française comme étant née d'un parent français, en application de l'article 18 du code civil.

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux conclusions récapitulatives visées ci-dessus pour un exposé plus précis des faits, prétentions, moyens et arguments des parties.

La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance 19 mars 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile

Aux termes des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile, dans toutes les instances où s'élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l'assignation, ou le cas échéant une copie des conclusions soulevant la contestation, est déposée au ministère de la Justice qui en délivre récépissé.

En l'espèce, il convient de constater que le récépissé justifiant de l'accomplissement de la formalité prévue par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré le 19 mai 2023.

Sur l'étendue de la saisine de la cour

L'article 562 du code de procédure civile prévoit que l'appel ne défère à la cour que la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.

La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

L'article 954 alinéa 2 du code de procédure civile dispose que la cour n'est tenue de statuer que sur les demandes figurant dans le dispositif des conclusions des parties.

Par l'effet dévolutif de l'appel, la cour connaît des faits survenus au cours de l'instance d'appel, postérieurement à la décision déférée, et statue au vu de tous les éléments justifiés même s 'ils n'ont été portés à la connaissance de l'adversaire qu'au cours de l'instance d'appel.

Selon les termes de la déclaration d'appel et du dispositif des dernières écritures des parties, l'appel porte sur l'extranéité de Mme [B] [D] et Mme [R] [L] [S] [D].

Sur le fond

Aux termes de l'article 18 du code civil, est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français.

L'article 20-1 dudit code précise que la filiation de l'enfant n'a d'effet sur la nationalité de celui-ci que si elle est établie durant sa minorité.

Selon l'article 30 dudit code, la charge de la preuve, en matière de nationalité française, incombe à celui dont la nationalité est en cause.

Toutefois, cette charge incombe à celui qui conteste la qualité de Français à un individu titulaire d'un certificat de nationalité française délivré conformément aux articles 31 et suivants.

Cette preuve doit être rapportée par la production d'actes d'état civil probants au sens de l'article 47 du code civil qui dispose que «tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française.»

Sur la nationalité française de Mme [B] [W] [D]

Pour considérer que Mme [B] [D] est de nationalité française sur le fondement de l'article 18 du code civil, le tribunal judiciaire de Lyon a retenu que, si l'acte de naissance mentionne [F]-[R] [T] [Z] [U] en qualité d'officier d'état civil alors que celui-ci n'a été nommé en cette qualité que deux ans après l'établissement de l'acte, il n'appartient pas au juge français, sous couvert de l'examen de l'ordre public international, de porter une appréciation sur le syllogisme adopté par la juridiction étrangère, aux termes d'un jugement motivé et après réquisitions conformes du ministère public à la suite d'une enquête menée par celui-ci, le juge ayant souverainement estimé, qu'au vu des pièces produites au dossier et auditions des témoins, les prétentions de la requérantes étaient pertinentes, et ce d'autant que les réquisitions du parquet permettaient de s'assurer qu'il n'y a pas intention de contourner la légalité.

Il est acquis que la copie de l'acte de naissance camerounais numéro 020/88 produit par Mme [B] [W] [D] à l'appui de sa demande de délivrance de certificat de nationalité française a été dressé le 10 mars 1988, sur les déclarations de sa mère, par M. [F] [R] [T] [Z] [U], officier de l'état civil du centre d'[Localité 7], subdivision d'[Localité 8], alors même qu'il résulte des vérifications entreprises auprès des autorités camerounaises au mois d'avril 2019 que ce dernier a été nommé officier d'état civil du centre secondaire d'[Localité 7] par arrêté n°00273/A/VPM/MINAT du 16 décembre 1990 du Vice-Premier Ministre chargé de l'administration territoriale, et qu'il n'était donc pas habilité à délivrer les actes d'état-civil à cette époque. Il s'en déduit que cet acte, dressé en 1988 par un agent qui n'en avait pas le pouvoir juridique, est dépourvu de force probante.

Au demeurant, si, comme le soutiennent les intimées, l'incompétence de M. [F] [R] [T] [Z] [U] pour dresser cet acte de naissance n'affectait celui-ci que d'une simple irrégularité, aucune explication n'est avancée à l'appui de la requête formée le 1er avril 2015 par Mme [B] [W] [D] auprès du tribunal de premier degré d'Akonolinga aux fins d'obtention d'un jugement supplétif d'acte de naissance, à laquelle il a été fait droit par décision n°227/PD/015 rendue le 16 septembre 2015 qui ne fait aucune mention des motifs ayant conduit à cette saisine ni du contenu des pièces et témoignages produits par la requérante, alors qu'il ressort des pièces versées aux débats que la saisine de la justice camerounaise a précédé de plusieurs années l'avis donné aux autorités françaises de l'incompétence de M. [F] [R] [T] [Z] [U].

Or, l'article 34 de l'accord de coopération judiciaire franco-camerounais du 21 février 1974 prévoit que les décisions rendues en matière civile sont reconnues de plein droit sur le territoire de l'autre Etat à la condition expresse de ne pas être contraires à l'ordre public de l'Etat où elles sont invoquées.

Le jugement supplétif d'acte de naissance ne comportant aucune référence à l'acte de naissance dressé le 10 mars 1988, il ne saurait remplir les conditions requises pour être déclaré exécutoire en France, ayant manifestement été obtenu frauduleusement pour contourner les résultats de la vérification consulaire et l'absence de validité d'un acte de naissance dressé par une personne qui n'avait pas le pouvoir de le faire.

Ce jugement supplétif qui a conféré à Mme [B] [W] [D] un second acte de naissance sans que l'annulation du premier ne soit démontrée, ni même alléguée, est donc inopposable en France, et l'acte de naissance qui en est la transcription s'avère dépourvu de toute valeur probante.

Il s'ensuit que Mme [B] [W] [D] ne justifie pas de l'état civil de son père présumé, et par voie de conséquence de sa filiation à son égard.

Il est de jurisprudence constante que, lorsque l'état civil de la personne dont la nationalité est en cause, entâché d'irrégularité, ne permet pas de l'identifier avec certitude, la reconnaissance souscrite par un ressortissant français ne peut produire aucun effet en matière de nationalité (Cass Civ 1ère, 20 avril 2017, n°16-17.279).

Dès lors la reconnaissance de paternité effectuée le 11 décembre 2002 par M. [N] [M] auprès de l'officier de l'état civil de la mairie d'[Localité 9] ne peut produire aucun effet sur la nationalité de Mme [B] [W] [D].

En conséquence, Mme [B] [W] [D] ne démontrant pas remplir les conditions de l'article 18 du code civil, et partant de la nationalité française réclamée, le jugement querellé, disant qu'elle est de nationalité française, doit être infirmé.

Sur la nationalité française de Mme [R] [L] [S] [D]

Estimant que Mme [R] [L] [S] [D] était également de nationalité française sur le fondement de l'article 18 du code civil, le tribunal judiciaire de Lyon a retenu que :

- il ne peut être sérieusement soutenu que le tribunal n'avait pas connaissance de l'existence d'un acte de naissance dès lors que celui-ci était expressément saisi d'une demande d'annulation et de reconstitution d'un acte de naissance et a constaté la nullité de l'acte litigieux,

- dès lors le tribunal a jugé que le demandeur se trouvait dans l'une des hypothèses de reconstitution de l'acte de naissance telles que prévues à l'article 22 de l'ordonnance n°81/002 du 29 juin 1981,

- le jugement supplétif ne comporte pas deux dates de prononcé ni deux numéros,

- le ministère public ne précise pas à quel titre l'absence de mention de la qualité de [V] [K] [O] conduirait à refuser que le jugement supplétif soit opposable en France.

Mme [R] [L] [S] [D] verse aux débats un acte de naissance n°0065 dressé le 23 avril 2003 par M. [A] [Y] [G], sur déclaration de sa mère Mme [B] [W] [D], qui était alors âgée de 14 ans, faisant état de sa naissance le 20 mars 2003 à [Localité 8].

Il ressort cependant de l'article 30 de l'ordonnance camerounaise n°2 du 29 juin 1981 portant organisation de l'état civil et diverses dispositions relatives à l'état des personnes physiques que la naissance doit être déclarée à l'officier d'état civil du lieu de naissance dans les trente jours suivant l'accouchement.

Mme [B] [W] [D] ayant déclaré la naissance de [R] [L] [S] [D] le 23 avril 2003, soit plus d'un mois après sa naissance, celle-ci devait en application de l'article 32 de l'ordonnance précitée être enregistrée sur réquisition du procureur de la République saisi dans les trois mois de la naissance, l'article 33 précisant qu'elle ne pourrait être enregistrée, au-delà de ce délai de trois mois, par l'officier de l'état civil qu'en vertu d'un jugement.

Le caractère tardif de cette déclaration de naissance a d'ailleurs été reconnu par jugement n°120/PD/016 rendu le 20 juillet 2016 par le tribunal de premier degré d'Akonolinga, sur requête du 15 juin 2016 de M. [V] [K] [O], qui a constaté la nullité de l'acte de naissance litigieux et ordonné la reconstitution par l'officier de l'état civil d'[Localité 8] de l'acte de naissance de Mme [R] [L] [S] [D], née le 23 mars 2003 à [Localité 8] de sa mère Mme [B] [W] [D].

Plusieurs irrégularités viennent toutefois affecter la régularité de ce jugement, lequel fait mention d'une naissance en date du 23 mars 2003 et non du 20 mars 2003 comme indiqué sur l'acte de naissance litigieux et d'un numéro N°139/RG/016 du 15 juillet 2016 qui, s'il ne peut être celui du jugement, ne peut davantage correspondre à la requête de M. [V] [K] [O] formée le 15 juin 2016.

En considération de ce qui précède, le jugement supplétif produit ne pourra qu'être écarté du bénéfice de la présomption légale d'authenticité prévue par l'article 47 du code civil.

Mme [R] [L] [S] [D] ne rapportant pas la preuve d'un état civil certain et ne justifiant pas qu'elle serait française en application de l'article 18 du code civil comme née d'une mère française, c'est également à tort que les premiers juges ont considéré qu'elle était de nationalité française sur le fondement de l'article 18 du code civil, le jugement déféré étant également infirmé sur ce point.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Mme [B] [W] [D] et Mme [R] [L] [S] [D] qui succombent seront condamnées aux dépens d'appel, qui seront recouvrés comme il est prescrit en matière d'aide juridictionnelle, et il ne sera pas fait application à leur profit des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire du présent arrêt, exécutoire de plein droit du fait de l'absence de caractère suspensif du pourvoi.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Dans la limite de sa saisine,

Constate que le récépissé prévu à l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 22 mars 2023 par le tribunal judiciaire de Lyon,

Statuant à nouveau,

Dit que Mme [B] [W] [D], se disant née le 24 février 1988 à [Localité 8] (Cameroun), n'est pas française,

Dit que Mme [R] [L] [S] [D], se disant née le 20 mars 2003 à [Localité 8] (Cameroun), n'est pas française,

Y ajoutant,

Ordonne mention du présent arrêt en marge de l'acte de naissance des intimées, conformément aux dispositions de l'article 28 du code civil,

Condamne Mme [B] [W] [D] et Mme [R] [L] [S] [D] aux dépens de la procédure d'appel, qui seront recouvrés comme il est prescrit en matière d'aide juridictionnelle, et les déboute de leur demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire du présent arrêt.

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Sophie DUMURGIER, président, et par Priscillia CANU, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 2ème chambre b
Numéro d'arrêt : 23/03302
Date de la décision : 30/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-30;23.03302 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award