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16/05/2024 | FRANCE | N°20/06622

France | France, Cour d'appel de Lyon, 3ème chambre a, 16 mai 2024, 20/06622


N° RG 20/06622 - N° Portalis DBVX-V-B7E-NIGR









Décision du Tribunal de Commerce de SAINT-ETIENNE du 05 novembre 2020

RG : 2018j00681





Société Anonyme HELVETIA ASSURANCES



C/



S.A.R.L. A.B. PACKAGING

S.A. DELTA SECURITY SOLUTIONS





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



3ème chambre A



ARRET DU 16 Mai 2024







APPELANTE :



S.A. HELVETIA AS

SURANCES au capital social de 94.400.000 €, RCS LE HAVRE B 339 489 379, représentée par son Président en exercice

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représentée par Me Emmanuelle BAUFUME de la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON, toqu...

N° RG 20/06622 - N° Portalis DBVX-V-B7E-NIGR

Décision du Tribunal de Commerce de SAINT-ETIENNE du 05 novembre 2020

RG : 2018j00681

Société Anonyme HELVETIA ASSURANCES

C/

S.A.R.L. A.B. PACKAGING

S.A. DELTA SECURITY SOLUTIONS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

3ème chambre A

ARRET DU 16 Mai 2024

APPELANTE :

S.A. HELVETIA ASSURANCES au capital social de 94.400.000 €, RCS LE HAVRE B 339 489 379, représentée par son Président en exercice

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Emmanuelle BAUFUME de la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON, toque : 1547, postulant et par Me Xavier RODAMEL, avocat au barreau de LYON

Plaidant à l'audience par Me CATIN, avocat au barreau de LYON

INTIMEES :

S.A.R.L. A.B. PACKAGING au capital de 2 505 700 €, inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés de SAINT ETIENNE sous le numéro 400 311 072, représentée par son gérant en exercice

[Adresse 6]

[Localité 2]

Représentée par Me Nathalie ROSE, avocat au barreau de LYON, toque : 1106, postulant et ayant pour avocat plaidant Me POIRIEUX de la SELARL POIRIEUX MANTIONE, avocat u barreau de SAINT ETIENNE

S.A. DELTA SECURITY SOLUTIONS au capital social de 1 133 484,11 €, inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés de Lyon sous le numéro 973 510 019, agissant par son représentant légal domicilié es qualité audit siège

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentée par Me Achille VIANO, avocat au barreau de LYON, toque : 1949, postulant et par Me Denis DUBURCH, avocat au barreau de BORDEAUX

Plaidant à l'audience par Me VINCENT, avocat au barreau de BORDEAUX

* * * * * *

Date de clôture de l'instruction : 16 Novembre 2021

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 14 Mars 2024

Date de mise à disposition : 16 Mai 2024

Audience tenue par Patricia GONZALEZ, présidente, et Viviane LE GALL, conseillère, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,

assistées pendant les débats de Clémence RUILLAT, greffière

A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.

Composition de la Cour lors du délibéré :

- Patricia GONZALEZ, présidente

- Aurore JULLIEN, conseillère

- Viviane LE GALL, conseillère

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Patricia GONZALEZ, président, et par Clémence RUILLAT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 23 mai 2017, la société AB Packaging a reçu neuf palettes de marchandises appartenant à la société Audim, assurée auprès de la société Helvetia Assurances, afin de réaliser une opération de conditionnement.

Dans la nuit du 26 au 27 mai 2017, un vol a été commis dans les locaux de la société AB Packaging et des articles de la société Audim ont été dérobés.

La société Helvetia Assurances a indemnisé son assuré pour de la somme de 184.141.05 euros.

Le 23 avril 2018, la société Helvetia, subrogée dans les droits et actions de son assuré, a assigné la société AB Packaging devant le tribunal de commerce de Saint-''tienne.

Le 28 mars 2019, la société AB Packaging a assigné en intervention forcée la société Delta Security Solutions à qui elle avait confié la mise en sécurité et la surveillance de son site.

Par jugement contradictoire du 5 novembre 2020, le tribunal de commerce de Saint-''tienne a :

- débouté la société Helvetia Assurances de toutes ses demandes,

- débouté la société AB Packaging de sa demande tendant à être relevée et garantie,

- débouté toutes les parties de leurs demandes d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les dépens, dont frais de greffe taxés et liquidés à 126,72 euros, sont à la charge de la société Helvetia Assurances,

- prononcé l'exécution provisoire du jugement nonobstant toutes voies de recours et sans caution.

La société Helvetia Assurances a interjeté appel par déclaration du 26 novembre 2020.

***

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 1er juin 2021, la société Helvetia Assurances demande à la cour, au visa des articles 1240, 1915,1927, 1932, 1231-1 et 1231-2 du code civil, de :

- réformer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté la société Helvetia assurances de l'intégralité de ses demandes.

Et statuant à nouveau,

à titre principal,

- juger que la société AB Packaging a manqué à ses obligations contractuelles en tant que dépositaire, ce qui a causé un préjudice au tiers Audim et son assureur subrogé, Helvetia Assurances,

- juger la société AB Packaging responsable des conséquences du vol intervenu dans ses locaux dans des conditions de sécurisation insuffisantes ;

Subsidiairement,

- juger que la société AB Packaging a manqué à ses obligations contractuelles à l'égard de la société Audim et son assureur subrogé, Helvetia assurances ;

En tous cas,

- condamner la société AB Packaging à lui payer les sommes de :

' 184.141,05 euros au titre du préjudice subi,

' 3.042,24 euros au titre des frais d'expertise HMS,

' allouer les intérêts de droit sur ces sommes à compter de l'assignation,

' ordonner la capitalisation des intérêts,

- condamner la société AB Packaging ou qui mieux le devra à lui payer la somme de 8.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la même aux entiers dépens.

***

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 15 mars 2021, la société AB Packaging demande à la cour, au visa des articles 1915 et suivants et 1217 du code civil, de :

- débouter la Société Helvétia de son appel comme infondé,

- confirmer le jugement rendu le 5 novembre 2020 par le tribunal de commerce de Saint-''tienne et en conséquence,

- rejeter les demandes de la Société Helvetia comme infondées,

' titre subsidiaire,

- déclarer bien fondé son appel provoqué à l'encontre de la Sa Delta Security Solutions,

- infirmer le jugement susvisé en ce qu'elle a été déboutée de sa demande tendant à être relevée et garantie,

Dès lors,

- condamner la société Delta Security Solutions à la relever et garantir de toutes condamnations éventuellement prononcées contre elle ;

Y ajoutant, en tout état de cause,

- condamner Helvetia ou qui mieux le devra à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens avec recouvrement direct au profit de Me Poirieux, avocat, sur son affirmation de droit.

***

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 13 septembre 2021, la société Delta Security Solutions demande à la cour, au visa des articles 1915 et suivants et 1217 du code civil, de :

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce en ce qu'il a débouté la société AB Packaging de l'ensemble de ses demandes formées contre elle ;

- condamner la société AB Packaging à lui verser la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux entiers dépens.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 16 novembre 2021, les débats étant fixés au 14 mars 2024.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'action de la société Helvetia Assurances contre la société AB Packaging

La société Helvetia fait valoir que son action est fondée à titre principal sur la responsabilité délictuelle de la société AB Packaging, dès lors qu'un tiers peut invoquer un manquement contractuel qui lui a causé un dommage. Elle indique que :

- la société AB Packaging s'est vue confier des marchandises par la société [G] [W] dont la société Audim était propriétaire, de sorte qu'elle était dépositaire et gardienne de ces marchandises,

- elle-même est subrogée dans les droits et actions de son assuré la société Audim, propriétaire des marchandises, tiers au contrat liant la société [G] [W] et l'intimée,

- le contrat d'entreposage était conclu à titre onéreux de sorte que l'obligation de l'intimée était une obligation de moyen renforcée,

- le rapport d'expertise démontre l'absence de protection adéquate de la part de la société AB Packaging des locaux et des marchandises ; sa faute est quasi-délictuelle,

- la faute de l'intimée est d'autant plus établie qu'elle a été victime des mêmes malfaiteurs peu de temps auparavant, et qu'elle n'a pas dans l'intervalle réalisé d'améliorations sur son système de surveillance ;

- la société AB Packaging avait connaissance de la nature sensible des marchandises puisqu'il s'agissait d'une prestation de conditionnement et non seulement d'entreposage ; elle aurait pu faire gardienner ses locaux ou placer les marchandises dans une cage sécurisée en hauteur ; l'intimée a encore été victime d'une tentative de cambriolage peu de temps avant le second cambriolage ;

- la société AB Packaging n'a pas informé la société Delta Security Solutions de l'utilisation par les cambrioleurs d'un brouilleur lors du premier cambriolage ;

- les mesures de sécurité mises en place par l'intimée après le second cambriolage auraient dû être mises en place dès le premier cambriolage ; par son inaction, elle a facilité le vol ;

- les conditions générales ont été régularisées par la société [G] [W] mais pas par la société Audim, elles ne sont donc pas opposables à cette dernière ; les marchandises étaient effectivement assurées auprès de la concluante ; ni la concluante ni la société Audim n'ont conclu de clause de renonciation à recours avec l'intimée ;

- même si elle avait été régularisée, la clause 'assurance' des conditions générales ne saurait être opposée puisqu'elle contredirait l'obligation essentielle de l'intimée de stocker et préserver la marchandise le temps du conditionnement ; la clause devrait être jugée nulle.

La société AB Packaging réplique que :

- elle a pris toutes les dispositions utiles au regard de la sécurité qu'elle devait assurer ;

- les auteurs des vols ont rendu la vidéosurveillance inaccessible en coupant la ligne téléphonique/internet et en brouillant les ondes GSM ; elle a été victime de ces même malfaiteurs en mars 2017 ;

- l'absence d'améliorations apportées au système de télésurveillance entre les deux cambriolages s'explique par la différence de mode opératoire des voleurs ; ni les forces de l'ordre ni la société Delta Security Solutions ne l'ont avertie que son système pouvait être rendu inopérationnel par l'usage simultané d'un brouilleur et d'une coupure de la ligne fixe ; suite à la visite des experts de la gendarmerie, elle a réalisé différentes actions pour prévenir les vols ; elle n'a pas manqué à son obligation de moyens ;

- ses conditions générales de vente sont opposables à Audim / [G] [W] qui les a signées ; Audim / [G] [W] se devait d'assurer ses téléphones contre le vol, de sorte que celle-ci doit être indemnisée par son assureur.

Sur ce,

Selon l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Et il est constant qu'un tiers au contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.

En l'espèce, la société AB Packaging s'est vue confier des articles de téléphonie mobile remis par la société [G] [W] et appartenant à la société Audim, cette dernière étant assurée par la société Helvetia Assurances.

Il résulte du texte précité que la société Helvetia, subrogée dans les droits de son assuré qu'elle a indemnisé du préjudice subi, dispose d'une action de nature délictuelle contre la société AB Packaging pour invoquer un manquement contractuel de cette dernière, dès lors que la société Audim n'a pas de lien contractuel avec elle.

Selon l'article 1927 du code civil, le dépositaire doit apporter, dans la garde de la chose déposée, les mêmes soins qu'il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent.

Selon l'article 1928 du même code, la disposition de l'article précédent doit être appliquée avec plus de rigueur :

1° si le dépositaire s'est offert lui-même pour recevoir le dépôt ;

2° s'il a stipulé un salaire pour la garde du dépôt ;

3° si le dépôt a été fait uniquement pour l'intérêt du dépositaire ;

4° s'il a été convenu expressément que le dépositaire répondrait de toute espèce de faute.

L'article 1929 prévoit que le dépositaire n'est tenu, en aucun cas, des accidents de force majeure, à moins qu'il n'ait été mis en demeure de restituer la chose déposée.

Et l'article 1932 dispose que le dépositaire doit rendre identiquement la chose même qu'il a reçue. Ainsi, le dépôt des sommes monnayées doit être rendu dans les mêmes espèces qu'il a été fait, soit dans le cas d'augmentation, soit dans le cas de diminution de leur valeur.

Enfin, l'article 1218 du même code énonce qu'il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur.

Il résulte de ces textes que le dépositaire, tenu d'une obligation de moyens, doit, en cas de perte ou de vol de la chose déposée, rapporter la preuve qu'il y est étranger en établissant qu'il lui a donné les mêmes soins que ceux qu'il aurait apportés à la garde des choses qui lui appartiennent ou en démontrant que cette perte ou détérioration est due à la force majeure.

S'agissant plus particulièrement de la perte de la chose en raison d'un vol, le dépositaire ne peut échapper à sa responsabilité que s'il démontre qu'il avait pris les précautions nécessaires pour l'éviter, rendant ainsi irrésistible un tel événement.

En l'espèce, il résulte du procès-verbal d'audition du directeur général de la société AB Packaging par les services de gendarmerie, en date du 27 mai 2017, que le vol des articles de téléphonie est survenu dans la nuit du vendredi 26 au samedi 27 mai 2017, aux environs de 2 heures 00. Le directeur général indiquait que la société avait déjà été victime d'un cambriolage le 17 mars précédent et qu'il supposait que, comme la première fois, les individus avaient utilisé un brouilleur GSM car dès qu'ils étaient partis, il y avait eu un flot d'informations vers la télésurveillance.

De plus, le rapport d'expertise établi à la demande de la société Helvetia Assurances et au contradictoire de la société AB Packaging, mentionne que 'les produits en cours de conditionnement ont été laissés sur les tables de travail et les colis contenant les matériels devant encore être conditionnés ou étant déjà conditionnés n'ont pas été rangés sur rack pour le week-end, alors qu'un premier vol est déjà survenu le 17.03.17'.

Ce rapport d'expertise précise, au vu des séquences filmées, qu'un premier individu a enjambé le portail d'entrée de la société AB Packaging, que cinq individus ont arraché un pilier du grillage, que deux véhicules sont entrés sur le parking de la société, et que les individus sont entrés dans les locaux 'après effraction de la porte de quai'. Il était précisé que 'le site AB Packaging est clos mais il n'y a pas de gardien à demeure durant les heures de fermeture'.

L'expert concluait ainsi : 'AB Packaging est victime de vols successifs. Il n'apparaît pas que le risque ait été appréhendé avec rigueur puisqu'après un premier vol survenu le 17.03.17, un nouveau vol est commis le 27.05.17. Dans les deux cas, les lignes GSM reliant le système de surveillance installé en extérieur et à l'intérieur des locaux à la société de surveillance ont été mis en défaut, interdisant la transmission des paquets d'information et d'images. (...) Les factures justificatives de travaux de protection décidés après la survenance du premier vol devaient nous être transmises, de manière à vérifier l'authenticité des mesures prises et la date de mise en place. Ces documents ne nous ont pas été transmis'.

La société AB Packaging admet, dans ses conclusions devant la cour, que, 'sur la période entre les 2 vols (mars et mai 2017), il n'a pas été réalisé d'améliorations sur le système de télésurveillance' et que 'ce n'est effectivement qu'après le vol du 27/05/2017 qu'il a été compris qu'il fallait faire évoluer le système d'alarme'. Il s'avère en effet, que ce n'est que le 15 juin 2017, que la société Delta Security Solutions a proposé de nouvelles mesures de mise en sécurité du site pour une activité d'emballage de matériels smartphones, étant observé que le précédent contrat signé des deux parties, en date du 20 novembre 2015, mentionnait une activité de fabrication d'emballages en matières plastiques (la proposition de contrat en date du 14 juin 2016 également produite aux débats n'est pas signée par la société AB Packaging).

Elle admet encore, que 'compte tenu de l'importance du stock des téléphones confiés, la société assurée aurait eu de la difficulté à entreposer l'intégralité des palettes sur rack en hauteur.'

Or, il résulte du rapport d'expertise précédemment mentionné, que 'depuis le second vol, les fenêtres de l'entrepôt ont été protégées par des grilles internes en acier et les marchandises conditionnées sont désormais placées en troisième assise des racks de stockage', ce qui établit que des améliorations auraient pu être réalisées par la société AB Packaging dès le premier cambriolage.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société AB Packaging n'a pas pris toutes les précautions nécessaires pour éviter le vol, laissant pour tout un week-end une importante quantité de téléphones mobiles facilement accessibles à l'intérieur de ses locaux et n'assurant pas une meilleure sécurité des lieux après un premier cambriolage deux mois auparavant. La société AB Packaging ne justifie pas avoir pris des mesures après le vol de mars 2017, telles que du gardiennage ou un renforcement de la sécurisation du bâtiment pour empêcher la pénétration dans ses locaux, alors que deux mois plus tard, elle stockait une importante quantité de matériels de téléphonie mobile, marchandise dont elle connaissait la valeur dès lors qu'elle en assurait le conditionnement.

Ainsi, il n'est pas établi que le vol du 27 mai 2017 ait eu un caractère irrésistible, de sorte que la société AB Packaging ne peut valablement invoquer la force majeure pour s'exonérer de sa responsabilité de dépositaire.

La société AB Packaging oppose ses conditions générales de vente, aux termes desquelles l'article 11, intitulé 'Assurance', prévoit :

'AB Packaging / ECP Packaging n'étant pas propriétaire des marchandises confiées, il est du devoir du client s'assurer ses marchandises confiées durant toute la période de dépôt en nos entrepôts. Pendant toute cette période, le client a l'obligation de souscrire et de maintenir en vigueur auprès d'une compagnie d'assurance notoirement solvable une police d'assurance garantissant les biens entreposés contre tous risques dont notamment les risques d'incendie, d'explosion, de vol, de dégât des eaux et contre les risques inhérents à l'occupation des locaux mis à disposition. Sur simple demande le client devra communiquer, à la société AB Packaging / ECP Packaging une attestation de son assureur justifiant de la couverture des risques ci-dessus et mentionnant une clause de renonciation à tout recours contre AB Packaging / ECP Packaging de même que les assureurs et clients de la société AB Packaging / ECP Packaging. A tous moments, le client devra prouver le maintien de sa couverture d'assurance sur simple demande. La société s'engage à entretenir ses locaux, clôtures et systèmes de protection en état afin d'assurer une sécurité optimale de ses bâtiments.'

Or, le fait que les biens soient déjà assurés par le déposant est sans effet sur l'obligation essentielle de restitution qui pèse sur le dépositaire. Aucune clause ne saurait d'ailleurs exonérer le dépositaire de sa responsabilité résultant d'une violation de cette obligation, dès lors qu'une telle clause porterait atteinte à l'essence même du dépôt.

Il est donc inopérant de statuer sur la question, dont débattent les parties, de l'opposabilité des conditions générales de vente à la société Audim, propriétaire des biens dérobés et assurée de la société Helvetia Assurances, car la société AB Packaging n'en demeure pas moins tenue de son obligation à restitution des biens confiés et, à défaut, d'une obligation d'indemnisation, la force majeure étant par ailleurs écartée.

De surcroît, les biens étaient précisément assurés par la société Helvetia Assurances. Or, la prise en charge du sinistre par l'assureur n'exonère pas la société AB Packaging de son obligation d'indemniser ce dernier, alors subrogé dans les droits de son assuré pour réclamer au dépositaire l'indemnisation du défaut de restitution.

En conséquence, la société AB Packaging est tenue d'indemniser la société Helvetia Assurances pour l'absence de restitution des biens confiés.

Sur le préjudice subi

La société Helvetia fait valoir que :

- la société Audim avait confié onze-mille téléphones Huawei à la société AB Packaging qui ne lui en a restitué que quatre-cent quarante-quatre ;

- elle a confié à un expert le soin d'organiser une expertise amiable à laquelle la société AB Packaging a participé ; sur la base de factures produites, l'expert a évalué le préjudice à la somme de 184.141,05 euros que n'a pas contestée la société AB Packaging ; elle-même a indemnisé son assuré à hauteur de ce montant.

La société AB packaging réplique que l'expert de l'assureur a chiffré le préjudice sans établir de procès-verbal contradictoire et sans produire les contrats liant la société Audim à ses clients afin de connaître les avantages versés par ces derniers.

Sur ce,

L'expert mandaté par la société Helvetia Assurances a déterminé le montant du préjudice sur la base des factures qui lui avaient été remises, en mentionnant de façon précise les prix qu'il retenait, ainsi que la nature et le nombre de pièces manquantes. Dans son évaluation du 16 octobre 2017 (pièce n° 14 d'Helvetia), il a ainsi fixé le montant du préjudice à la somme de 184.141,05 euros, somme que la société Helvetia Assurances justifie avoir payée à son assuré la société Audim.

La société AB Packaging ne produit aucun élément de nature à contester ce montant, étant souligné que l'expertise amiable a été effectuée contradictoirement avec elle.

Dès lors au vu de ces éléments, il convient de fixer le préjudice de la société Helvetia Assurances à la somme de 184.141,05 euros et de condamner la société AB Packaging à lui payer ce montant, outre intérêts au taux légal à compter de la présente décision et capitalisation de ceux-ci dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.

Les frais d'expertise amiable seront également mis à la charge de la société AB Packaging qui sera ainsi condamnée à payer à la société Helvetia Assurances la somme de 3.042,24 euros, conformément à la facture d'honoraires produite par cette dernière (sa pièce n° 15).

Sur l'appel en garantie formé par la société AB Packaging contre la société Delta Security Solutions

La société AB Packaging fait valoir que :

- dès l'instant où son obligation de moyen renforcée est mise en cause et qu'elle a confié la mise en sécurité de son site à la société Delta Security Solutions par contrat du 14 juin 2016, elle n'a d'autre solution que d'appeler cette dernière dans la présente instance en cause d'appel pour que cette dernière explique dans quelles conditions elle a été amenée à proposer une solution sur mesure pour éviter les vols ;

- la société Delta Security Solutions doit être condamnée à la relever et garantir des condamnation prononcées contre elle au titre de l'inexécution contractuelle sur le fondement de l'article 1217 du code civil.

La société Delta Security Solutions réplique que :

- il appartient à la société AB Packaging d'établir qu'elle a commis une faute dans l'exécution de ses obligations contractuelles pour engager sa responsabilité, ce qu'elle ne fait pas ;

- elle était soumise à une obligation de moyens selon ses conditions générales de vente, ce que reconnaît la société AB Packaging ;

- elle n'a commis aucun manquement contractuel ; l'absence de transmission des alarmes lors du vol est insuffisante pour engager sa responsabilité ; le système était fonctionnel et conforme aux règles techniques, ce que la société AB Packaging n'a jamais contesté, il était parfaitement opérationnel ; elle-même n'a pas été mise en cause dans le cadre du premier sinistre par la société AB Packaging qui ne l'a pas sollicitée pour un renforcement du système de détection d'intrusion ;

- le mode opératoire des voleurs était sophistiqué et novateur, empêchant la transmission des alarmes par une coupure des voies de télécommunication y compris de secours, de sorte que la responsabilité de la concluante n'est pas engagée ;

- les articles 5.5 et 7.1 de ses conditions générales contiennent une clause d'exclusion de responsabilité en cas de destruction de l'installation, ce qui a été le cas en l'espèce par la rupture des communications via la ligne fixe ; l'application de cette clause écarte sa responsabilité ;

- la société AB Packaging a omis de souscrire une police d'assurance contre le vol et cherche aujourd'hui à pallier cette imprévoyance de façon infondée, elle a commis des fautes de sorte qu'à titre subsidiaire, la concluante ne peut être condamnée à la relever indemne,

- la société AB Packaging ne justifie pas de son préjudice alors qu'elle s'est constituée partie civile contre les malfaiteurs et a pu obtenir leur condamnation à l'indemniser intégralement, en particulier alors qu'ils sont solvables par la revente des marchandises volées, et par leur parents pour les auteurs mineurs ; il appartient à l'intimée de communiquer le jugement correctionnel ; à titre infiniment subsidiaire, le préjudice de la société Avenir Télécom n'est pas établi.

Sur ce,

La société AB Packaging n'indique aucunement quelle inexécution contractuelle serait imputable à la société Delta Security Solutions pouvant justifier la condamnation de celle-ci à la relever et garantir. Elle n'allègue aucune faute de la société chargée de la sécurité du site.

Elle se borne à produire la proposition de contrat de mise en sécurité de juin 2016 qu'elle n'a pas signée, et à soutenir qu'elle n'a d'autre solution que d'appeler en la cause la société Delta Security Solutions afin que cette dernière 'explique dans quelles conditions elle a été amenée à proposer une solution sur mesure pour éviter les vols'.

A supposer que, par cette formulation, elle soutienne que la société Delta Security Solutions aurait manqué à son devoir de conseil en ne proposant pas une solution adéquate pour éviter les vols, elle ne démontre pas la réalité de ce grief.

De plus, le rapport d'expertise amiable ne fait pas état d'un dysfonctionnement du système d'alarme et de mise en sécurité installé par la société Delta Security Solutions. Il s'avère que l'absence de transmission de l'alarme à la société Delta Security Solutions était due à la coupure de la ligne GSM, vraisemblablement par l'usage d'un brouilleur, et à la rupture des communications par la ligne fixe, les cambrioleurs ayant coupé les câbles du boîtier France Telecom.

De surcroît, il convient de souligner que le système mis en place par la société Delta Security Solutions portait sur une alarme et une vidéosurveillance, et permettait donc seulement d'informer et d'alerter. Il n'est pas soutenu que cette société était également en charge des mesures de protection des bâtiments contre les effractions et les tentatives d'intrusion.

La demande de la société AB Packaging tendant à être relevée et garantie par la société Delta Security Solutions ne saurait donc prospérer.

Au surplus, il sera relevé qu'aux termes de l'article 7.1 des conditions générales du contrat de mise en sécurité daté du 20 novembre 2015, signé des deux parties, il est prévu que 'la responsabilité du prestataire ne pourra être engagée du fait des dommages pouvant résulter directement ou indirectement des événements suivants : (...) Destruction partielle ou totale de l'installation'. Or, les câbles ont été coupés par les cambrioleurs qui ont également utilisé un brouilleur GSM.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il déboute la société AB Packaging de sa demande de condamnation de la société Delta Security Solutions à la relever et garantir des condamnations prononcées à son encontre.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société AB Packaging succombant à l'instance, elle sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société AB Packaging est condamnée à payer à la société Helvetia Assurances la somme de 3.000 euros et les autres demandes formées à ce titre sont rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement,

Confirme le jugement déféré, mais seulement en ce qu'il déboute la société AB Packaging de sa demande de condamnation de la société Delta Security Solutions à la relever et garantir des condamnations prononcées à son encontre ;

L'infirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la société AB Packaging à payer à la société Helvetia Assurances la somme de cent quatre-vingt-quatre mille cent quarante-et-un euros et cinq centimes (184.141,05 euros) au titre de l'indemnisation du préjudice, et la somme de trois mille quarante-deux euros et vingt-quatre centimes (3.042,24 euros) au titre des frais d'expertise amiable, ces sommes portant intérêts au taux légal à compter de la présente décision, et capitalisation de ceux-ci conformément à l'article 1343-2 du code civil ;

Condamne la société AB Packaging aux dépens de première instance et d'appel ;

Condamne la société AB Packaging à payer à la société Helvetia Assurances la somme de trois mille euros (3.000 euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette les autres demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre a
Numéro d'arrêt : 20/06622
Date de la décision : 16/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-16;20.06622 ?
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