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10/05/2024 | FRANCE | N°21/07674

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale c, 10 mai 2024, 21/07674


AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR





N° RG 21/07674 - N° Portalis DBVX-V-B7F-N4VE





[P]



C/



S.A.S. C.C.M.







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'OYONNAX

du 21 Septembre 2021

RG : F20/00034



COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE C



ARRÊT DU 10 MAI 2024







APPELANT :



[M] [P]

né le 27 Avril 1982 à ALGERIE

[Adresse 3]

[Loc

alité 1]



représenté par Me Catherine GRELLIER de la SELEURL CABINET GRELLIER, avocat au barreau de LYON





INTIMÉE :



S.A.S. C.C.M.

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 2]



représentée par Me Hugues PELISSIER de la SCP FROMONT BRIENS, avocat plaida...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 21/07674 - N° Portalis DBVX-V-B7F-N4VE

[P]

C/

S.A.S. C.C.M.

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'OYONNAX

du 21 Septembre 2021

RG : F20/00034

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRÊT DU 10 MAI 2024

APPELANT :

[M] [P]

né le 27 Avril 1982 à ALGERIE

[Adresse 3]

[Localité 1]

représenté par Me Catherine GRELLIER de la SELEURL CABINET GRELLIER, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

S.A.S. C.C.M.

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Hugues PELISSIER de la SCP FROMONT BRIENS, avocat plaidant du barreau de LYON et Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat postulant du barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 01 Février 2024

Présidée par Etienne RIGAL, Président magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Fernand CHAPPRON, Greffier.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Etienne RIGAL, président

- Nabila BOUCHENTOUF, conseiller

- Françoise CARRIER, conseiller honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 10 Mai 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Nabila BOUCHENTOUF, conseiller pour Etienne RIGAL, Président empêché et par Fernand CHAPPRON, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

Suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 2 mai 2007, M. [M] [P] a été engagé par la société CCM, qui exploite une activité de conception et de fabrication de matériels d'emballage et de conditionnement, en qualité d'opérateur polyvalent coefficient 700 à temps plein en équipe du matin (5 heures -13 heures).

En janvier 2017, il a bénéficié d'une formation au CACES 3 et autorisé à conduire une certaine catégorie de chariots automoteurs de l'entreprise.

Suivant avenant du 25 août 2017, M. [P] a été promu au poste de vernisseur-régleur coefficient 720 à compter du 1er août 2017.

Par courrier du 15 janvier 2019, l'employeur a pris acte de ce que le salarié ne souhaitait plus occuper ce poste après avoir constaté que celui-ci ne réussissait pas à accomplir l'ensemble des tâches lui incombant. Ce courrier rappelait que contribuaient aux difficultés rencontrées par le salarié dans l'exécution de ses tâches ses 'absences régulières' à son poste de travail pour lesquelles il avait été rappelé à l'ordre à plusieurs reprises par son chef d'équipe et par le responsable de production.

Par un nouvel avenant à effet du 1er mars 2019, M. [P] a été affecté au poste de magasinier avec le même coefficient 720. Cet avenant prévoyait une période d'adaptation progressive du salarié à son poste et, compte-tenu des enjeux sécuritaires liés à la mission de magasinier au sein des entrepôts. Il était ainsi convenu que la société lui assurerait sa formation en deux temps : dans un premier temps, dans l'attente de sa formation CACES 5, le salarié serait affecté à 50% de son temps à la mission de magasinier et en complément assurerait une mission temporaire de soutien au service outillage (montage et démontage des outils sur les supports), dans un second temps, le salarié devrait passer et obtenir le CACES niveau 5.

Le 21 juin 2019, la société CCM a adressé à M. [P] un courrier intitulé 'dernier rappel comportemental' lui notifiant sa décision de reporter sa formation CACES 5 à fin juillet en raison de la progression insuffisante de ses performances au poste de magasinier d'une part et le rappelant d'autre part au respect de ses obligations en matière d'horaires et de temps de pause devant une certaine dérive constatée depuis plusieurs mois. Il était mentionné au titre 'd'erreurs constatées à ce jour', le fait que M. [P] ne portait pas régulièrement ses bouchons d'oreille et que la remarque lui en avait été faite à plusieurs reprises. La société concluait son courrier en indiquant qu'en l'absence d'évolution positive à son poste, elle serait amenée à prendre des sanctions lourdes à son égard.

Convoqué le 16 septembre 2019 à un entretien préalable qui s'est tenu le 27 septembre 2019, M. [P] s'est vu notifier son licenciement pour cause réelle et sérieuse par lettre du 9 octobre 2019 ainsi libellée :

'[...] Par la présente, nous vous rappelons les faits que nous vous avons exposés lors de l'entretien :

Retards

- le 26 juillet 2019, vous avez pointé à 5h35, et vous n'avez pas jugé utile de prévenir quiconque de votre retard de 35 minutes, alors que les mêmes faits ont déjà été constatés et vous ont été notifiés dans notre courrier du 21 juin 2019. Vous nous aviez alors certifié que cela ne se reproduirait plus à l'avenir.

- Il s'avère que le 9 septembre 2019, vous avez pointé à 5h18, et encore une fois vous ne nous avez pas informé, contrairement à vos engagements.

Pauses

- le 11 septembre 2019, vous avez été vu à l'espace fumeur à 7h16 alors que vous n'aviez pas pointé cette pause. Vous avez d'ailleurs pris ultérieurement deux pauses badgées de 8h02 à 8h17 et 11h47 à 12 heures. Et, vous n'êtes pas sans ignorer que vous bénéficiez seulement de deux pauses par poste de travail pour un total de 30 minutes, et qu 'il est indispensable de pointer chaque entrée ou sortie.

Port des EPI

- le 23 juillet 201 9, vous avez été surpris, sur les quais, au bord du chariot élévateur sans votre ceinture de sécurité, par Madame [I] [F], responsable logistique. Et vous n'êtes pas sans savoir que le port de la ceinture cle sécurité est obligatoire sur les chariots élévateurs. Vous êtes alors engagés à respecter les consignes sécurité internes.

- Force est de constater que le 12 septembre 2019, vous avez été vu une nouvelle fois sans ceinture de sécurité et sans bouchons d'oreilles sur le chariot élévateur, par la responsable logistique, alors que le port de bouchons d'oreilles et de la ceinture est obligatoire dans l'usine, comme vous le savez et comme il vous l 'a déja été rappelé à plusieurs reprises, et en dernier lieu le 23 juillet 2019.

Lors de l'entretien, vous n 'avez pas contesté ces faits. Toutefois, vous nous avez précisé que vous n'étiez pas avisé que tout retard nécessite une justification, et vous vous êtes engagé de nouveau à respecter les règles et consignes internes a CCM.

Nous vous rappelons cependant qu 'il relève de vos obligations professionnelles de respecter les règles internes et les consignes de votre hiérarchie, et ce conformément aux dispositions de l'article 17 du règlement intérieur de la société CCM, qui d'ailleurs vous a été remis en dernier lieu le 1er mars 2019 : « 1 'ensemble du personnel est soumis, de façon générale, aux directives et instructions émanant de la direction de l 'entreprise et devra en particulier se conformer aux ordres donnés par les responsables hiérarchiques directs ainsi qu 'aux prescriptions et consignes portés cl sa connaissance notamment par voie d'affichage ou note de service, ceci sans préjudice des droits propres aux représentants du personnel. ''

Et plus particulièrement, il vous incombe de respecter les règles relatives à la prévention des accidents, et ce conformément aux dispositions de l'article quatre du règlement intérieur susvisé : « les salariés sont tenus d'utiliser tous les moyens de protection individuelle ou collective mis à leur disposition et de respecter strictement les consignes particulières définies à cet effet (gants, vêtements de travail, charlottes, lunettes, chaussures de sécurité, etc. fourni par l'entreprise). [...]Les salariés ont l 'obligation de respecter toutes les consignes qui leur sont données par le personnel d'encadrement pour l'exécution de leur travail et notamment les instructions relatives à la sécurité. ''

Dans ce même règlement aux articles 14 et 15, il est également stipulé que :

- «tout salarié travaillant en équipe, ainsi que toutsalarié non cadre est tenu aupointage. Chaque entrée ou sortie doit obligatoirement faire l'objet d 'un enregistrement par pointage'' ;

- « tout retard doit être justifié auprès du responsable hiérarchique direct. Les retards réitérés et injustifiés pourront entraîner l'une des sanctions prévues par le présent règlement. ''

Au regard de ce qui précède, votre non-respect des règles internes en matière de sécurité et d'horaire de travail ( poauses et retards) constitue un manquement à vos obligations contractuelles.

Ces manquements se cumulent à ce que nous avons pu déja constater par le passé, notamment dans le cadre de nos courriers du 15 janvier 2019 et 21 juin 2019.

Votre réticence à travailler dans des bonnes conditions de sécurité et l 'accumulation des rappels de l'encadrement, restés sans effet sur votre comportement, sont intolérables.

En conséquence, par la présente et au vu de l 'ensemble des éléments de votre dossier, nous sommes contraints de vous notifier votre licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Vous restez tenu d'effectuer votre préavis d 'une durée de deux mois, qui débutera à la date de première présentation de cette lettre.'

Par requête du 16 juin 2020, M. [P] a fait citer la société CCM devant le conseil de prud'hommes d'Oyonnax à l'effet de contester son licenciement et d'obtenir des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour préjudice moral.

Par jugement du 21 septembre 2021, le conseil de prud'hommes a débouté M. [P] de ses demandes, débouté la société CCM de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamné M. [P] aux dépens.

M. [M] [P] a interjeté appel le 19 octobre 2021.

Aux termes de conclusions notifiées le 18 janvier 2022, il demande à la cour de réformer le jugement et de condamner la société CCM à lui payer les sommes de 28 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de 10 000 € pour préjudice moral, de 10 000 pour exécution déloyale du contrat de travail ainsi que la somme de 3 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.

Aux termes de conclusions notifiées le 5 avril 2022, la société CCM demande à la cour de confirmer le jugemen, subsidiairement de limiter l'indemnisation de M. [P] à une somme comprise entre 5 721 € et 20 977 €.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le licenciement

En application de l'article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

L'article L.1232-6 alinéa 2 dispose que la lettre de licenciement comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur.

Selon l'article L.1235-1, en cas de litige, le juge à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La cause réelle du licenciement est celle qui présente un caractère d'objectivité. Elle doit être exacte et reposer sur des faits précis matériellement vérifiables.

La lettre de licenciement fixe les limites du litige de sorte que d'autres griefs ne peuvent être invoqués ultérieurement au soutien du licenciement.

En l'espèce, la lettre de licenciement reproché à M. [P] :

- deux retards les 26 juillet et 9 septembre, de 35 minutes pour le premier et de 18 minutes pour le second,

- la prise d'une pause anticipée et non badgée à 7h16 le 11 septembre,

- le non port de la ceinture de sécurité à bord du chariot élévateur les 23 juillet et 12 septembre, le non port de bouchons d'oreille le 12 septembre.

M. [P] ne conteste pas la matérialité des faits invoqués mais fait valoir :

- que son absence du 4 avril 2019 n'est pas visée à la lettre de licenciement,

- que ses retards étaient tolérés, aucun retard ne lui ayant jamais été reproché antérieurement à l'année 2019, que malgré ses retards, la société lui a confié un poste de vernisseur-régleur, que la lettre du 21 juin 2019 ne faisait pas état de retards,

- que les deux seuls retards du 26 juillet et du 9 septembre 2021 qui n'ont donné lieu ni à remarque ni à sanction ne sauraient justifier une mesure de licenciement,

- qu'en application de l'article 19 du règlement intérieur, ces retards auraient à tout le moins dû faire l'objet d'une sanction écrite,

- que la pause prise irrégulièrement le 11 septembre 2019 ne constitue pas un abus, s'agissant d'un incident unique en 12 ans d'ancienneté, que le témoignage de M. [E], directeur de la société, invoqué par l'employeur, ne constitue pas une preuve impartiale,

- qu'en application de l'article 19 du règlement intérieur, seule une sanction du premier degré aurait pu être prononcée pour non respect des conditions de pause,

- qu'il a toujours respecté les règles de sécurité, qu'il n'a fait l'objet d'aucun reproche à ce titre avant 2019,

- qu'il n'a pas reçu la formation du permis CACES 5, indispensable pour occuper le poste de magasinier, que la formation assurée en interne au quotidien ne remplaçait pas la formation officielle, obligatoire,

- qu'il n'a reçu aucune formation sur le port des EPI suite à son affectation au poste de magasinier,

- qu'il n'a été vu qu'une seule fois sans bouchons d'oreille, qu'il n'a jamais fait l'objet de rappels à l'ordre pour manquement à cette obligation, que l'entretien du 10 avril 2019 n'en fait pas état, que la commande de bouchons d'oreille n'a été effectuée qu'au mois d'avril 2019 ce qui démontre qu'antérieurement les protections auditives étaient peu utilisées,

- qu'il n'a pas reçu l'information et la formation nécessaires au port de bouchons d'oreille, qu'il n'a pas été informé sur le risque de ne pas porter de bouchons d'oreille,

- que s'agissant du non-port de la ceinture de sécurité, il n'est arrivé que deux fois en douze années d'ancienneté et n'a eu aucune conséquence, qu'en application de l'article 19 du règlement intérieur, l'employeur aurait dû appliquer une sanction du premier degré,

- que sa formation à la conduite d'engins aurait dû être réactualisée lors de son changement de poste, conformément à l'article R.4323-55 du code du travail,

- que son licenciement a été pris pour des considérations personnelles, les griefs invoqués étant de faux prétextes pour le licencier.

Sur les retards

Le salarié justifie avoir pris son poste en retard à de multiples reprises au cours des années antérieures à 2019. Ces manquements n'ont donné lieu qu'à une retenue sur salaire, l'employeur ne justifiant pas en avoir fait grief au salarié d'une quelconque façon. Il n'ont pas non plus empêché que lui soit proposé le poste de vernisseur-régleur en avancement en 2017.

La tolérance invoquée est ainsi établie. Si l'employeur entendait revenir sur cette tolérance, il lui appartenait d'en informer le salarié par des remarques ou des rappels à l'ordre écrits. Or aucun des courriers antérieurs à la lettre de licenciement ne contient de reproches sur ce point de sorte que les deux retards visés à la lettre de licenciement ne pouvaient constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Sur le non port des EPI

S'agissant du port des bouchons d'oreille, le courrier du 21 juin se contente de mentionner incidemment parmi les 'erreurs' commises par le salarié dans l'exercice de ses fonctions l'omission de porter les bouchons d'oreille. Il ne saurait être considéré comme un rappel à l'ordre faute de rappeler la nécessité de porter ce dispositif de protection dans un environnement bruyant et son caractère obligatoire sous peine de sanctions.

S'agissant du port de la ceinture, si le salarié, détenteur du CACES 3, ne pouvait ignorer la nécessité du port de la ceinture et ne saurait reprocher à l'employeur une absence de formation ou d'information sur ce point, son affectation au poste de magasinier n'impliquant pas une réactualisation des connaissances antérieurement acquises en matière de conduite d'engins, il ne s'était jamais vu reprocher antérieurement le non port de la ceinture de sécurité du chariot et n'avait donc jamais été rappelé à l'ordre sur ce point.

En l'absence de refus réitéré de se conformer aux directives de sécurité, la sanction de licenciement apparaît disproportionnée à la gravité des manquements reprochés.

Sur la prise de pauses irrégulières

L'article 19 du règlement intérieur de l'entreprise dispose que 'tout manquement à la discipline ou à l'une quelconque des dispositions du règlement intérieur et plus généralement tout agissement d'un salarié considéré comme fautif pourra en fonction de la gravité des fautes et/ ou de leur répétition faire l'objet de l'une ou l'autre des sanctions classées ci-après par ordre d'importance 'observations verbales ou écrites (sanction de premier degré), avertissement-réprimande écrite, mise à pied ou rétrogradation (sanction du second degré), licenciement pour faute ou pour faute grave (sanction du troisième degré).

Ni la lettre du 15 janvier 2019 ni le compte-rendu de l'entretien d'évaluation du 10 avril 2019 ne comportaient de rappel à l'ordre concernant les temps de pause, se contentant de mentionner des 'absences régulières' du salarié à son poste de travail comme un élément de l'investissement au travail à améliorer sans rappel de la nécessité de respecter les règles sous peine de sanctions.

Par contre, la lettre du 21 juin 2019 liste de façon précise et circonstanciée les griefs faits au salarié en matière de respect des plages et temps de pause et rappelle que tout manquement en la matière amènerait une sanction. Il en résulte que celui-ci ne saurait prétendre que l'incident du 11 septembre serait un incident unique.

En outre, cette lettre, intitulée 'dernier rappel comportemental' et rappelant la possibilité de sanctionner les manquements relevés, constitue bien un rappel à l'ordre s'analysant en une observation écrite.

Toutefois, la mesure de licenciement prise à raison du seul incident du 11 septembre, dont il n'est pas établi qu'il ait été à l'origine d'une quelconque désorganisation ni d'une quelconque retard dans le service de l'intéressé, apparaît disproportionnée au regard de sa gravité.

Enfin, l'accumulation de manquements n'ayant pas fait l'objet de mises en garde écrites antérieures ne saurait pas plus justifier le licenciement.

Il convient en conséquence de réformer le jugement déféré et de déclarer le licenciement de M. [P] dépourvu de cause réelle et sérieuse.

L'article L.1235-3 du code du travail dispose que si le licenciement survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux.

M. [P] fait valoir que le barème fixé par ce texte doit être écarté comme violant l'article 24 de la Charte sociale européenne, la convention n°158 de lOIT et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et qu'il est fondé au regard de l'ampleur de son préjudice à se voir allouer des dommages et intérêts à hauteur de 15 mois de salaire brut.

Selon l'article 24, partie II, de la Charte sociale européenne révisée, relative au droit à la protection en cas de licenciement, en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement les parties s'engagent à reconnaître notamment b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.

Eu égard à l'importance de la marge d'appréciation laissée aux parties contractantes par les termes précités de la Charte sociale européenne révisée, rapprochés de ceux des parties I et III du même texte, les dispositions de l'article 24 de ladite Charte ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

Par ailleurs, selon l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT), d'application directe en droit interne, si les organismes mentionnés à l'article 8 de la présente Convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n'ont pas le pouvoir ou n'estiment pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement et/ou d'ordonner ou de proposer la réintégration du 11travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée.

En droit français, si le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise. Lorsque la réintégration est refusée par l'une ou l'autre des parties, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur dans les limites de montants minimaux et maximaux.

Le barème prévu par l'article L.1235-3 du code du travail est écarté en cas de nullité du licenciement, par application des dispositions de l'article L.1235-3-1 du même code.

En conséquence, les dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail qui prévoient notamment pour un salarié ayant douze années complètes d'ancienneté dans une entreprise employant au moins onze salariés, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre un montant minimal de trois mois de salaire brut et un montant maximal de onze mois de salaire brut, sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT dont le terme "adéquat" doit être compris comme réservant aux Etats parties une marge d'appréciation.

Au regard de l'âge du salarié à la date du licenciement à savoir 37 ans, de son ancienneté à savoir 12 ans révolus, des circonstances ayant entouré la rupture des relations contractuelles et des difficultés de réinsertion professionnelle prévisibles, le préjudice subi par M. [P] du fait de son licenciement injustifié sera réparé par l'allocation d'une somme de 20 977 € bruts à titre de dommages et intérêts.

Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral

M. [P] fait valoir :

- qu'il s'est retrouvé à faire les poubelles de la société et à se faire reprocher des faits qui durant ses 12 années d'ancienneté ont toujours été tolérés,

- qu'au lieu de le former au poste de magasinier, la société lui a fait faire les poubelles pour ensuite le licencier,

- que la société CCM l'estimait corvéable à merci, qu'elle avait décidé de se débarrasser de lui.

Il résulte de ces allégations que le préjudice dont le salarié demande réparation est celui qui résulte des conditions déloyales dans lesquelles l'employeur l'a fait travailler suite à son changement de poste de mars 2019.

La demande formée au titre de l'exécution déloyale est donc la même que celle tendant à la réparation d'un préjudice moral de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer sur cette demande par une disposition spéciale.

Selon l'article L.1222-1 du code du travail le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. L'exécution loyale du contrat implique, pour l'employeur, notamment le respect de ses engagements et la mise à disposition des moyens permettant l'exécution de la prestation de travail.

M. [P] veut pour preuve de ses allégations sur les conditions d'exécution de ses nouvelles missions un unique SMS de son collègue [Z] comportant la photo d'une palette supportant un bac de déchets d'atelier (plastiques d'emballages et bidons métalliques) et lui demandant de 'nettoyer complètement la zone' qui est insuffisant à établir qu'il ait été exclusivement chargé de 'faire les poubelles' de la société, étant relevé que ses fonctions de magasinier cariste impliquaient nécessairement le débarrassage des palettes supportant des bacs de déchets.

Il a d'autre part reconnu lors de son entretien d'évaluation du 10 avril 2019, 'apprendre tous les jours avec son nouveau chef'. Il n'a pas contesté dans le cadre de la présente instance avoir bénéficié d'une formation au quotidien par son supérieur hiérarchique, les évaluations de performance versées aux débats par l'employeur démontrant que son travail était effectivement et régulièrement suivi.

Il ne saurait reprocher à l'employeur de ne pas l'avoir fait bénéficier de la formation CACES 5 dès lors qu'en vertu de son pouvoir de direction, l'employeur pouvait subordonner le bénéfice de cette formation à certaines exigences, en particulier à la qualité de l'implication du salarié dans ses nouvelles fonctions. Les divers incidents reconnus révèlent de sa part une attitude plutôt négative en matière de motivation et d'assiduité/ponctualité et M. [P] n'a émis aucune critique sur les appréciations contenues dans le courrier du 21 juin 2019 que confirment les fiches de suivi et ne les discute pas dans le cadre de la présente instance.

L'attestation de Mme [T] [B] est dépourvue de valeur probante des allégations du salarié, ce témoin ayant quitté l'entreprise depuis plusieurs années à l'époque de l'affectation de M. [P] au poste de magasinier.

Le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de ce chef de demande.

Sur les demandes accessoires

La société CCM qui succombe supporte les dépens et une indemnité de procédure.

Selon l'article L.1235-4 du code du travail, dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.

Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Réforme le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [M] [P] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Statuant à nouveau,

Condamne la société CCM SAS à payer à M. [M] [P] la somme de 20 977 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions ;

Y ajoutant,

Ordonne le remboursement par la société Lavorel des indemnités de chômage payées à M. [M] [P] dans la limite de trois mois en application de l'article L 1235-4 du code du travail ;

Condamne la société CCM SAS à payer à M. [M] [P] la somme de 3 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

La condamne aux dépens de première instance et d'appel.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale c
Numéro d'arrêt : 21/07674
Date de la décision : 10/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-10;21.07674 ?
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