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02/05/2024 | FRANCE | N°23/02638

France | France, Cour d'appel de Lyon, 3ème chambre a, 02 mai 2024, 23/02638


N° RG 23/02638 - N° Portalis DBVX-V-B7H-O4HO









Décision du Tribunal de Commerce de SAINT ETIENNE du 01 février 2022



RG : 2021f363







[V]

[V]



C/



S.E.L.A.R.L. MJ SYNERGIE





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



3ème chambre A



ARRET DU 02 Mai 2024







APPELANTS :



M. [K] [R] [V]

né le [Date naissance 3] 1987 à [Loca

lité 7]

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représenté par Me Abdel-Karim BOUSSETTA, avocat au barreau de LYON, toque : 2515



M. [J] [V]

né le [Date naissance 2] 1984 à [Localité 8]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Adresse 5]



Représenté par Me Thierry MONOD de la SE...

N° RG 23/02638 - N° Portalis DBVX-V-B7H-O4HO

Décision du Tribunal de Commerce de SAINT ETIENNE du 01 février 2022

RG : 2021f363

[V]

[V]

C/

S.E.L.A.R.L. MJ SYNERGIE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

3ème chambre A

ARRET DU 02 Mai 2024

APPELANTS :

M. [K] [R] [V]

né le [Date naissance 3] 1987 à [Localité 7]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me Abdel-Karim BOUSSETTA, avocat au barreau de LYON, toque : 2515

M. [J] [V]

né le [Date naissance 2] 1984 à [Localité 8]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

Représenté par Me Thierry MONOD de la SELARL ACTIVE AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 896, plaidant à l'audience par Me Vincent DURAND, avocat au barreau de LYON

INTIMEE :

SELARL MJ SYNERGIE ' MANDATAIRES JUDICIAIRES au capital de 120.000,00 euros, représentée par Maître [N] [E], immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de LYON sous le numéro 538 422 056

Agissant ès qualité de liquidateur judiciaire de la société S.J.A.D [V], SAS au capital de 5.000 euros, ayant son siège social [Adresse 4], immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de SAINT ETIENNE sous le numéro 824 824 304

Nommée à cette fonction suivant le jugement du Tribunal de commerce de SAINT ETIENNE en date du 19 septembre 2018

[Adresse 6]

[Adresse 6] / FRANCE

Représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, toque : 475, postulant et ayant pour avocat plaidant Me Prisca WUIBOUT de la SELARL UNITE DE DROIT DES AFFAIRES, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE

En présence du Ministère Public, en la personne d'Olivier NAGABBO, avocat général

* * * * * *

Date de clôture de l'instruction : 27 Février 2024

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 07 Mars 2024

Date de mise à disposition : 02 Mai 2024

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Patricia GONZALEZ, présidente

- Aurore JULLIEN, conseillère

- Viviane LE GALL, conseillère

assistées pendant les débats de Clémence RUILLAT, greffière

A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Patricia GONZALEZ, présidente, et par Clémence RUILLAT, greffière, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

EXPOSÉ DU LITIGE

La société S.J.A.D [V] immatriculée au RCS le 10 janvier 2017 exerçait une activité d'achat vente de véhicules, installation d'accessoires et produits automobiles, nettoyage d'automobiles et location de véhicules sans chauffeur. [K] [V] en était le président et [J] [V], son frère, le directeur général, les deux frères ayant racheté le fonds de commerce. [K] [V] a cessé ses fonctions en juin 2018 et [J] [V] est devenu le nouveau président de la société.

Sur assignation des services de l'Urssaf, créancier, le jugement du 19 septembre 2018 du tribunal de commerce de Saint-Étienne a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la Sas S.J.A.D [V].

La date de cessation des paiements a été fixée au 19 septembre 2018.

Par jugement du 24 octobre 2018, le tribunal de commerce de Saint-Étienne a converti cette procédure de redressement en liquidation judiciaire et désigné la Selarl MJ Synergie en qualité de liquidateur judiciaire de la société S.J.A.D [V].

La Selarl MJ Synergie a saisi le tribunal de commerce de Saint Etienne par actes des 15 et 29 mars 2021 aux fins de prononcé de sanctions financières et personnelles à l'encontre de [K] et [J] [V].

Par jugement contradictoire du 1er février 2022, le tribunal de commerce de Saint-Étienne a :

- condamné solidairement [K] et [J] [V] à payer à la liquidation la somme de 48.520 euros au titre de l'insuffisance d'actif,

- prononcé une faillite personnelle à l'encontre de [K] [V], né le [Date naissance 3] 1987 à [Localité 7], ancien président de la société S.J.A.D [V], pour une durée de cinq ans,

- prononcé une faillite personnelle à l'encontre de [J] [V], né le [Date naissance 2] 1984 à [Localité 8], président de la société S.J.A.D [V], pour une durée de cinq ans,

- rappelé qu'en application des dispositions de l'article L.653-2 du code de commerce, la faillite personnelle emporte l'interdiction de gérer, diriger, administrer ou contrôler directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale,

- condamné solidairement [K] [V] et [J] [V] à verser au liquidateur judiciaire la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement et dit qu'il fera l'objet des mesures de publicité prévues par la loi,

- dit que cette sanction fera l'objet d'une inscription au Fichier national des interdits de gérer dont la tenue est assurée par le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce,

- employé les dépens en frais privilégiés de la liquidation judiciaire.

M. [K] [V] et M. [J] [V] ont interjeté appel par déclaration du 24 février 2022.

Par ordonnance du 29 juin 2022, le président de la chambre a jugé caduque la déclaration d'appel de MM [V].

Par arrêt du 23 mars 2023, la première chambre A de la cour d'appel a infirmé cette ordonnance et jugé que la caducité de la déclaration d'appel n'était pas encourue.

***

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 26 février 2024, M. [J] [V] demande à la cour au visa de l'article L.651-2 du code de commerce, rejetant toutes fins, moyens et conclusions contraires, de :

- infirmer le jugement du 1er février 2022 en ce qu'il l'a condamné à payer la somme de 48.520 euros au titre de l'insuffisance d'actif et à une mesure de faillite personnelle,

- statuer ce que de droit sur les dépens.

***

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 1er avril 2022 au visa des articles L.653-1 et L.651-2 du code de commerce, M. [K] [V] demande à la cour de :

- constater qu'il n'était plus dirigeant de la société S.JA.D [V] avant la date de cessation des paiements retenue par le tribunal de commerce,

- dire et juger qu'il ne peut pas être poursuivi pour faute de gestion ou pour le comblement du passif de la société dans la mesure ou sa démission était antérieure aux faits reprochés,

- constater que les fautes reprochées trouvent une explication excluant le caractère volontaire de la faute de gestion,

- infirmer le jugement de première instance en ce qu'il le condamne à une faillite personnelle d'une durée de 5 années,

- dire et juger que le lien de causalité entre les faits reprochés aux dirigeants de la société et l'existence d'un passif exigible n'est pas démontré,

- infirmer le jugement de première instance en ce qu'il l'a condamné solidairement avec [J] [V] à verser au liquidateur la somme de 48.520 euros au titre de l'insuffisance d'actif,

- condamner la Selarl MJ Synergie à payer la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

***

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 26 février 2024, la Selarl MJ Synergie en qualité de liquidateur judiciaire de la société S.J.A.D [V], demande à la cour, au visa des articles L.651-2, L.653-1, L.631-1 et R.631-1, L.653-7, et ensemble les articles L.653-3, L.653-4 et L.653-5 du code de commerce, dans l'hypothèse où Mme le Président de la 3 ème Chambre ne ferait pas droit à la demande de caducité de la déclaration d'appel, de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné solidairement [K] [V] et [J] [V] à régler la somme de 48.520 euros au titre de l'insuffisance d'actif et subsidiairement sur ce point de prononcer une condamnation in solidum entre les deux intimés,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé une mesure de faillite personnelle d'une durée de 5 années contre M. [K] [V] et M. [J] [V] et à titre subsidiaire sur ce point, prononcer une mesure d'interdiction de gérer pour la durée maximale,

- condamner in solidum M. [K] [V] et M. [J] [V] à payer à la Selarl MJ Synergie ès qualités la somme de 3.000 euros au titre de l'artilce 700 du code de procédure civile,

- condamner in solidum M. [K] [V] et M. [J] [V] aux entiers dépens de l'instance.

***

Le ministère public, par avis du 6 décembre 2023, communiqué contradictoirement aux parties le même jour, a requis la confirmation du jugement déféré tout en estimant de manière contradictoire que la gravité des fautes commandait le prononcé d'une mesure de faillite personnelle de 15 ans.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 27 févier 2024, les débats étant fixés au 7 mars 2024.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il est relevé de manière liminaire que chacun des deux appelants a acquitté le timbre fiscal en cours de délibéré de sorte que leurs prétentions sont recevables.

Sur l'insuffisance d'actif

La Selarl MJ Synergie ès qualités fait valoir que :

- le passif déclaré est de 127.040 euros ; le passif définitif est de 97.040 euros,

- aucun actif n'a pu être inventorié par le commissaire priseur,

- l'insuffisance d'actif est donc de 97.040 euros, sans prise en compte de la créance déclarée à titre provisionnel.

Les appelants et le Ministère public ne font pas valoir d'objection.

Il est en conséquence retenu une insuffisance d'actif de 97.040 euros au vu des pièces du mandataire.

Sur les dirigeants tenus à l'insuffisance d'actif

La Selarl MJ Synergie ès qualités fait valoir que [K] [V] peut être poursuivi pour les fautes antérieures à sa cessation de fonctions et condamné à combler le passif de la société, que [J] [V] disposait en tant que directeur général des mêmes droits que lui à l'égard des tiers.

[J] [V] fait valoir qu'il n'a jamais exercé de mandat de direction au sein de la société puisqu'il était salarié à temps plein au sein d'une autre société ni détenu la signature sociale ou signé le moindre chèque

[K] [V] fait valoir qu'il a cessé ses fonctions de président en juin 2018 et n'était donc plus dirigeant à la date fixée pour la cessation des paiements, également date du jugement d'ouverture de la procédure collective, qu'il n'est pas démontré de situation de cessation des paiements ou l'existence de l'insuffisance d'actif antérieurement à sa démission, de sorte qu'il ne peut pas en être responsable.

Sur ce,

Selon l'article L 651-2 du code de commerce, 'Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée'.

[J] [V] a occupé les fonctions de dirigeant de la société après en avoir été le directeur général. Il n'importe pas qu'il ait par ailleurs été salarié d'une autre société. Il a accepté les fonctions de dirigeant de droit et est tenu à ses obligations. Il peut en considération de ce qui précède être condamné à supporter tout ou partie de l'insuffisance d'actif.

[K] [V] est resté dirigeant jusqu'à une période très proche de la déclaration de cessation des paiements dont la date n'est nullement rédhibitoire pour que sa responsabilité soit engagée au titre d'une insuffisance d'actif. En effet, le dirigeant retiré peut être poursuivi pour des fautes antérieures à sa cessation de fonction et condamné à combler le passif, si l'insuffisance d'actif existe à la date de cessation de ses fonctions. Par ailleurs, l'insuffisance d'actif est distincte de la cessation des paiements.

En l'absence totale d'actifs à la date d'ouverture de la procédure et du lourd passif grevant la société malgré sa constitution récente, il est manifeste que l'insuffisance d'actif existait déjà lorsque [K] [V] en était le dirigeant de sorte que l'article susvisé lui est également applicable.

Sur les fautes de gestion

La Selarl MJ Synergie soutient que :

- les appelants n'ont pas déclaré la cessation des paiements dans le délai de 45 jours ; ils n'ont par ailleurs pas demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation ; la procédure a été ouverte sur assignation d'un créancier,

- la trésorerie de la société était totalement obérée bien avant la cessation des fonctions de M. [K] [V] ; les appelants avaient parfaitement connaissance des difficultés de la société, rendues manifestes notamment par les relevés de comptes et ont commis une faute en poursuivant abusivement une activité déficitaire ayant conduit à la cessation des paiements,

- les appelants ont commis une faute par le paiement par la société de frais personnels, notamment de restauration et de grandes enseignes ; l'absence de comptabilité empêche de qualifier ces dépenses de professionnelles,

- les appelants ont commis une faute par leur désintérêt manifeste pour la société S.J.A.D. [V],

- la comptabilité n'a pas été tenue à jour et est manifestement incomplète et ce n'est pas une simple négligence ; le fait d'avoir confié la comptabilité de la société à un prestataire n'ayant pas la qualité d'expert comptable ne peut exonérer les appelants,

- l'absence de coopération de M. [G] [V] a fait obstacle à l'inventaire des actifs par le commissaire-priseur ; tout ou partie de l'actif, notamment des véhicules, a été détourné ou dissimulé ; aucun livre de police n'a été tenu par les appelants alors que ce document est obligatoire pour le commerce de véhicules.

[J] [V] soutient que :

- il est étranger à l'ensemble des fautes de gestion alléguées,

- l'intimée ne démontre pas que les dépenses personnelles reprochées auraient été engagées par lui ; il n'en a pas bénéficié,

- il ne peut lui être reproché la non production de comptes annuels puisque le jugement de liquidation judiciaire a fait obstacle à la clôture du premier exercice, l'absence de tenue de comptabilité est imputable au prestataire exerçant illégalement la profession d'expert-comptable ; les dirigeants n'ont pas cherché à dissimuler leur activité et ne pouvaient pas avoir la mesure de la situation de la société,

- il n'a pas commis de détournement ou dissimulation de l'actif ; deux véhicules litigieux lui appartenaient à titre personnel et les autres appartenaient à la société Lanss'Auto dans laquelle [K] [V] est associé ; enfin, il n'a pas instruit la vente du véhicule de 30.000 euros.

- son omission de déclarer l'état de cessation des paiements n'est pas intentionnelle mais la conséquence d'une erreur dans le choix de son conseil pour la tenue de la comptabilité de la société,

- les dépenses auprès de sites tels qu'Amazon, de restauration et auprès de grandes enseignes attestées par les relevés ne correspondent pas à des dépenses personnelles mais à des dépenses professionnelles, dans l'intérêt de la société,

- les véhicules n'ont pas été dissimulés ; il appartenaient aux associés à titre personnel et étaient mis à disposition de la société dans le cadre de son activité de location, permettant à cette dernière d'en tirer un bénéfice sans surcoût ; le véhicule de marque BMW a été détruit à la suite de sa mise en location ; le véhicule de marque Peugeot avait été vendu avant l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire ; aucune volonté des dirigeants de détourner ou dissimuler tout ou partie de l'actif.

Le ministère public fait valoir que les appelants n'ont remis aucune comptabilité au cours de la procédure ; les comptes annuels n'ayant jamais été déposés, qu'ils n'ont pas tenu de livre de police, pourtant obligation légale pour l'achat et vente de véhicules d'occasion et qu' aucune traçabilité des actifs et de l'activité n'est donc possible, que notamment, le mandataire liquidateur mentionne 8 véhicules devant faire partie de l'actif qui ont été dissipés, que les appelants n'ont fait preuve d'aucune coopération, se désintéressant de la société et du passif généré par eux.

Sur ce,

Il convient de reprendre successivement chacune des fautes reprochées aux deux dirigeants successifs.

- la non déclaration de la cessation des paiements

La déclaration de cessation des paiements doit être déposée dans un délai maximum de 45 jours suivant la date de cessation des paiements au greffe du tribunal de commerce compétent par le représentant légal de l'entreprise.

En l'espèce, la procédure a été ouverte sur demande d'un créancier et non sur demande du dirigeant. Par ailleurs, la société ne comportait aucun actif à cette date, ce qu'à reconnu [J] [V] après un inventaire néant, alors que les responsables successifs ne pouvaient ignorer les dettes antérieures à 45 jours, étant rappelé que le passif définitif s'élève à 97.040 euros dont un passif social déjà important.

En conséquence, la cessation des paiements, obligation légale du dirigeant, lequel ne peut rejeter la faute sur son comptable, n'a pas été déclarée volontairement dans le délai légal, cette faute de gestion, qui n'est pas une simple négligence, étant imputable aux deux dirigeants successifs.

- la poursuite abusive d'une activité déficitaire ayant conduit à la cessation des paiements

Il est rappelé que cette faute de gestion n'est pas subordonnée à la constatation d'un état de cessation des paiements antérieur ou concomitant à cette poursuite.

En l'absence d'actifs, la société n'a pu que poursuivre une activité déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à un état de cessation des paiements.

En effet, en l'absence de tenue de comptabilité, les relevés des comptes bancaires révèlent cependant que les difficultés existaient dès le début de l'année 2018 (solde débiteur) et n'ont cessé de s'accroître par la suite, générant nombre de frais bancaires apparaissant dans les relevés de compte. Cette situation ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements.

Cette situation préexistait également avant la cessation des fonctions par [K] [V], lequel était un dirigeant aguerri puisqu'il avait été président de plusieurs sociétés et les deux dirigeants successifs connaissaient cette situation déficitaire mais ont continué néanmoins l'activité sciemment puisqu'ils connaissaient l'absence d'actif et les difficultés de trésorerie.

Les dirigeants ne pourraient non plus se prévaloir de l'absence de comptabilité révélant la situation exacte de la société, ne pouvant se prévaloir de leur propre turpitude.

Cette faute de gestion ne peut constituer une simple négligence et est retenue.

- l'absence de tenue à jour de la comptabilité, manifestement incomplète

En droit, toute personne physique ou morale ayant la qualité de commerçant est tenue d'établir une comptabilité régulière et de dresser les comptes annuels à la clôture de chaque exercice.

L'absence de tenue d'une comptabilité régulière constitue une faute de gestion. Le dirigeant ne peut se retrancher derrière l'attitude d'un comptable ou expert comptable pour y échapper.

En l'espèce, les résultats des exercices 2017 et 2018 sont restés inconnus, de même que la situation financière de la société selon le rapport du mandataire liquidateur. Il n'a ainsi été communiqué aucun bilan mais la non tenue de la comptabilité ne se limite pas à son établissement.

L'absence de tenue d'une comptabilité régulière est établie à l'encontre des deux appelants ; il ne s'agit pas d'une simple négligence mais de l'omission d'une obligation élémentaire et personnelle du dirigeant qui lui permet de disposer d'un outil permettant d'avoir une situation exacte de la situation économique et financière de la personne morale.

Le paiement par la société de frais personnels des dirigeants et leur désintérêt de la société

Il s'agit de fautes de gestion contribuant à l'insuffisance d'actif.

En l'espèce, les relevés bancaires révèlent de nombreux débits que l'activité de la société ne peut justifier (frais de restauration, commerce en ligne...). Les dirigeants ont affirmé qu'ils s'agissait de dépenses nécessaires à l'activité sociale sans en rapporter la moindre preuve alors que l'activité déclarée était une activité d'achat/vente de véhicules, étant rappelé que ces dépenses n'ont en tout état de cause pas été répertoriées en comptabilité de sorte qu'elles ne présentent aucun caractère professionnel.

Par ailleurs, il est manifeste que les deux dirigeants se sont totalement désintéressés du sort de la société.

La faute de gestion, distincte d'une simple négligence, est retenue à l'encontre des deux dirigeants.

Le détournement ou dissimulation de tout ou partie de l'actif

La faute de détournement se caractérise par des actes de disposition volontaires accomplis sur des éléments de patrimoine du débiteur après la cessation des paiements en fraude des droits des créanciers, privés ainsi de leur gage. La dissimulation est une soustraction volontaire vise à cacher des biens du débiteur aux yeux des tiers pour empêcher la poursuite des créanciers sur ces biens.

En l'espèce, il est constant qu'aucun des véhicules de la société n'ont été restitué malgré les diverses relances du mandataire. Il n'y a pas eu non plus de déclaration de ces véhicules comme il en est fait obligation.

[J] [V] a ainsi attesté de l'absence de véhicules et d'actif suite à l'ouverture de la procédure collective alors qu'un virement de 30.000 euros pour l'acquisition d'un véhicule a été effectué le 25 avril 2017. Aucun justificatif sur le sort du véhicule n'a été donné.

Huit cartes vertes d'assurance couvrant huit véhicules ont été identifiées sans que le devenir desdits véhicules n'ait pu être déterminé. Deux véhicules rentaient par ailleurs indentifiés par la préfecture comme appartenant à la société.

Tardivement, [J] [V] a soutenu sans offre de preuve que deux des véhicules lui appartenaient à titre personnel. Force est cependant de constater qu'ils étaient assurés par la société, ce qui enlève toute crédibilité à cette affirmation.

Par ailleurs, aucun livre de police n'a été tenu par aucun des deux gérants successifs alors qu'un tel document est obligatoire pour cette activité de commerce de véhicule.

La volonté de dissimuler l'actif de la société et de le détourner est ainsi établie à l'encontre des deux dirigeants.

Sur la contribution des fautes de gestion à l'insuffisance d'actif

La Selarl MJ Synergie ès qualités fait valoir que les fautes de gestion des appelants ont augmenté le passif de la société et diminué l'actif, de sorte qu'elles sont indiscutablement la cause de l'insuffisance d'actif de la société S.J.A.D. [V] et les appelants doivent supporter l'insuffisance d'actif à hauteur de 50% de l'insuffisance totale, soit 48.520 euros.

[J] [V] fait valoir qu'aucune faute de gestion ne peut être retenue à son encontre, de sorte que le jugement doit être réformé en ce qu'il l'a condamné solidairement au titre de l'insuffisance d'actif.

[K] [V] fait valoir que le lien de causalité entre la prétendue faute de dépenses personnelles d'un faible montant et l'insuffisance d'actif n'est pas établi, qu'une appréciation globale est insuffisante pour établir l'insuffisance d'actif, d'autant que l'ensemble des sommes citées n'atteint pas la valeur totale de 97.040 euros, que ni le tribunal ni l'intimée ne démontrent le lien de causalité entre les fautes alléguées et le préjudice subi par les créanciers alors que les faits reprochés doivent être la cause exclusive du passif restant à combler, que le lien de causalité ne peut pas être présumé.

Le ministère public soutient qu'il existe un lien de causalité entre l'absence de gestion révélée et le préjudice causé aux créanciers, justifiant que le montant total du passif soit mis à la charge des gérants.

Sur ce,

En l'absence d'actif et d'un passif définitif proche de 100.000 euros, et au vu de ce qui précède, il est évident que les fautes de gestion retenues à l'encontre des dirigeants ont toutes contribué à l'insuffisance d'actif.

Au regard des importantes et diverses fautes commises, le tribunal de commerce a de manière proportionnée aux fautes commises, fixé le montant à la charge des deux dirigeants à hauteur de la moitié de l'insuffisance d'actif et prononcé une condamnation solidaire à leur encontre.

En effet, même si les appelants adoptent désormais en appel une défense séparée et si [K] [V] a opportunément mis fin à ses fonctions de dirigeant peu de temps avant la survenance de la procédure collective, ils ont manifestement agi de concert dans la conduite de la gestion fautive de la société, aucun d'entre eux n'ayant jamais manifesté la moindre intention d'adopter une gestion régulière et responsable.

Le jugement est donc confirmé sur la condamnation au titre de l'insuffisance d'actif.

Sur la faillite personnelle et subsidiairement sur l'interdiction de gérer

La Selarl MJ Synergie ès qualités fait valoir que :

- les appelants ont poursuivi abusivement une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements, en contrariété avec l'intérêt social et dans leur intérêt personnel,

- les appelants ont détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif de la société,

- les appelants se sont abstenus volontairement de coopérer avec les organes de la procédure et ont fait obstacle à son bon déroulement, en particulier pour l'appréhension des véhicules,

- les appelants ont tenu une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière, les empêchant d'avoir une vision juste de la situation de la société, au préjudice de cette dernière,

- la mesure de faillite personnelle des appelants doit être confirmée.

- la procédure collective a été ouverte sur assignation de l'Urssaf ; l'omission de déclaration de la cessation des paiements dans le délai de 45 jours et de demande d'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, sans avoir par ailleurs demandé l'ouverture d'une procédure de liquidation, justifie une mesure d'interdiction de gérer à l'encontre des appelants.

M. [J] [V] ne fait pas valoir de moyens sur ce point.

M. [K] [V] ne fait pas valoir de moyens sur ce point.

Le ministère public fait valoir que la gravité des fautes commande le prononcé d'une mesure de faillite personnelle pour 15 ans.

Sur ce,

Aux termes de l'article L 653-3 du code de commerce, 'I.-Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée au 1° du I de l'article L. 653-1 , sous réserve des exceptions prévues au dernier alinéa du I du même article, contre laquelle a été relevé l'un des faits ci-après :

1° Avoir poursuivi abusivement une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements ;(...)

3° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de son actif ou frauduleusement augmenté son passif (...)'.

Selon l'article L 653-4, 'Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après :

1° Avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres ;

2° Sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un intérêt personnel ;

3° Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ;

4° Avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale ;

5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale'.

Enfin, selon l'article L 653-5, 'Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 contre laquelle a été relevé l'un des faits ci-après : (...)

6° Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables (...).'

Il a été retenu supra contre chacun des deux dirigeants des fautes susvisées susceptibles du prononcé d'une peine de faillite.

Cest fautes sont particulièrement graves puisqu'elles démontrent l'absence totale de respect des règles élémentaires de gestion d'une entreprise et plus particulièrement l'établissement d'une comptabilité régulière, le respect des règles de police et la préservation des actifs sociaux. Elles révèlent en outre deux dirigeants qui se sont totalement désintéressés du sort de la société créée par eux tout en profitant de sa trésorerie.

Elles démontrent ainsi l'incapacité des deux appelants à gérer une entreprise et justifient leur mise à l'écart du monde des affaires sur une période de 5 ans.

Il résulte donc de ce qui précède que le tribunal de commerce a fait une appréciation proportionnée en condamnant chacun des deux dirigeants à une telle sanction et le jugement est confirmé de ce chef.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

[K] [V] et [J] [V] font l'objet de sanctions personnelles de sorte que le tribunal de commerce n'a pu mettre la charge des dépens à la procédure collective de la société.

Le jugement est infirmé de ce chef et les appelants qui succombent sur leurs prétentions supporteront in solidum la charge des dépens de première instance et d'appel et verseront également in solidum la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au mandataire ès-qualités.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant dans les limites de l'appel,

Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a dit que les dépens sont employé en frais privilégiés de la liquidation judiciaire.

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne in solidum [K] [V] et [J] [V] à payer à la Selarl MJ Synergie Mandataires judiciaires ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société SJAD [V] du code de procédure civile la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Condamne in solidum [K] et [J] [V] aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre a
Numéro d'arrêt : 23/02638
Date de la décision : 02/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 09/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-02;23.02638 ?
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