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26/04/2024 | FRANCE | N°21/04120

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale b, 26 avril 2024, 21/04120


AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR





N° RG 21/04120 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NTXD





[V]



C/

S.A.R.L. MENUISERIE [V]







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOURG-EN-BRESSE

du 20 Avril 2021

RG : F 20/00005











COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE B



ARRÊT DU 26 AVRIL 2024







APPELANT :



[G] [V]

né le 03 Octobre 19

62

[Adresse 4]

[Localité 2]



représenté par Me Delphine LE GOFF de la SELARL SOCIETE D'AVOCATS VICARI LE GOFF, avocat au barreau d'AIN







INTIMÉE :



Société MENUISERIE [V]

[Adresse 3]

[Localité 1]



représentée par Me Pierre Emmanuel THIVEND de la ...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 21/04120 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NTXD

[V]

C/

S.A.R.L. MENUISERIE [V]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOURG-EN-BRESSE

du 20 Avril 2021

RG : F 20/00005

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE B

ARRÊT DU 26 AVRIL 2024

APPELANT :

[G] [V]

né le 03 Octobre 1962

[Adresse 4]

[Localité 2]

représenté par Me Delphine LE GOFF de la SELARL SOCIETE D'AVOCATS VICARI LE GOFF, avocat au barreau d'AIN

INTIMÉE :

Société MENUISERIE [V]

[Adresse 3]

[Localité 1]

représentée par Me Pierre Emmanuel THIVEND de la SELARL SELARL D'AVOCAT PIERRE-EMMANUEL THIVEND, avocat au barreau d'AIN

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 01 Mars 2024

Présidée par Catherine CHANEZ, Conseillère magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Mihaela BOGHIU, Greffière.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Béatrice REGNIER, Présidente

- Catherine CHANEZ, Conseillère

- Régis DEVAUX, Conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 26 Avril 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Béatrice REGNIER, Présidente et par Mihaela BOGHIU, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

EXPOSE DU LITIGE

La société Menuiserie [V] (ci-après la société) effectue des travaux de construction spécialisés.

La convention collective applicable est celle des ouvriers du bâtiment. La société employait moins de 10 salariés au moment du licenciement.

Elle a embauché M. [G] [V] dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 10 juillet 1989, en qualité de menuisier.

A compter de juillet 2018, M. [V] a été placé en arrêt maladie pour des douleurs dorsales.

Le 13 septembre 2018, le médecin du travail l'a déclaré apte et a préconisé une adaptation de son poste de travail dans les termes suivants :

« Pas de travail sur échelle, pas de porte de charge de plus de 25 Kg, pas de travail seul, utiliser tout le matériel de levage à disposition, pas de pose de parquet, favoriser les travaux légers.

A revoir si besoin ».

A compter du 21 septembre 2018, M. [V] a été de nouveau placé en arrêt de travail.

Le 15 novembre 2018, lors de la visite de reprise, le médecin du travail a formulé les recommandations suivantes :

« Etat de santé à l'origine de restrictions.

Pas de port de charges lourdes, de mouvement de torsion du tronc et de postures contraignantes. »

Le 20 novembre 2018, la CPAM a notifié à M. [V] un refus de prise en charge de la maladie au titre de la législation relative aux risques professionnels.

Par courrier du 29 octobre 2019, la commission de recours amiable a rejeté la demande de M. [V] et confirmé la position de la CPAM.

Le 6 janvier 2020, Monsieur [V] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Bourg-En-Bresse afin de contester cette décision.

Le 10 décembre 2018, lors d'une nouvelle visite de reprise, le médecin du travail a conclu à une inaptitude avec une dispense d'obligation de reclassement au motif que l'état de santé du salarié faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Par courrier du 20 décembre 2018, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 7 janvier 2019.

Par courrier du 10 janvier 2019, il a été licencié dans les termes suivants :

« (') Vous avez été engagé au sein de l'entreprise depuis le 10/07/1989, en qualité de menuisier, sous contrat de travail à durée indéterminée à temps complet.

Suite à vos arrêts de travail pour maladie non professionnelle, vous avez eu une visite médicale de reprise le 10/12/2018. Le médecin a déclaré à cette date : « L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».

Le 03/12/2018, le médecin du travail, le docteur [L] ' [W] [B], a procédé, avec notre collaboration, à l'étude des possibilités de reclassement et/ou d'adaptation de votre poste de travail. Il a également réalisé une étude de votre poste et de vos conditions de travail. La fiche entreprise a été actualisée par le médecin du travail le 06/12/2018.

Ce dernier a convenu de notre impossibilité à vous proposer des postes et/ou des aménagements de poste de travail.

Selon l'article L1226-2-1, le médecin a indiqué sur son avis d'inaptitude la mention expresse que « l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».

Vous avez reçu un courrier du 18/12/2018 vous expliquant les démarches que nous avons effectuées dans le cadre de notre obligation de reclassement.

Compte tenu de votre état de santé et des restrictions médicales indiquées lors de la visite médicale de reprise précitée, votre reclassement au sein de l'entreprise se révèle impossible et aucun aménagement de votre poste ne peut être prévu.

En conséquence et par la présente, nous vous notifions votre licenciement pour l'ensemble des motifs précités. Comme indiqué au cours de l'entretien, votre état de santé ne vous permet pas de travailler pendant une durée couvrant celle du préavis qui, en conséquence, ne sera pas rémunérée. (') »

Le 8 janvier 2020, M. [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Bourg-En-Bresse de plusieurs demandes à caractère indemnitaire et salarial.

Par jugement du 20 avril 2021, le conseil de prud'hommes a débouté les parties de leurs demandes et laissé à chacune la charge de ses propres dépens.

Par déclaration du 30 avril 2021, M. [V] a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses uniques conclusions déposées le 27 juillet 2021, il demande à la cour de :

Réformer le jugement entrepris et, statuant à nouveau,

Dre que son inaptitude a une origine professionnelle et en conséquence, condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

22 734.61 euros au titre du doublement de l'indemnité de licenciement ;

5 021,14 euros à titre d'indemnité compensatrice équivalente à l'indemnité de préavis ;

Dire que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse en raisin d'une cause créée par l'employeur et en conséquence, condamner la société à lui verser la somme de 50 211,40 euros, soit 20 mois de salaires bruts sur une base de 2 510.57 ;

En tout état de cause, condamner la société à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses uniques conclusions déposées le 30 août 2021, la société demande pour sa part à la cour de :

Confirmer le jugement entrepris et débouter M. [V] de ses demandes ;

Condamner M. [V] à lui verser une indemnité de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner M. [V] aux dépens.

La clôture de la procédure a été prononcée le 23 janvier 2024.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, la cour rappelle qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de « constatations » ou de « dire » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions dans la mesure où elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques ou qu'elles constituent en réalité des moyens.

1-Sur l'origine de l'inaptitude

Les dispositions des articles L.1226-10 et suivants du code du travail s'appliquent dès lors, d'une part, que l'inaptitude du salarié a pour origine, même partielle, un accident du travail ou une maladie professionnelle et d'autre part, que l'employeur avait connaissance de cette origine lors du licenciement.

Il appartient au juge prud'homal de rechercher lui-même l'existence d'un lien de causalité entre l'aptitude et l'accident du travail ou la maladie professionnelle. Compte tenu de l'autonomie du droit du travail par rapport au droit de la sécurité sociale, l'application des règles protectrices du code du travail applicables au salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle n'est pas subordonnée à la reconnaissance du caractère professionnel d'un accident ou d'une maladie par un organisme de sécurité sociale.

En l'espèce, M. [V] a fait l'objet d'un arrêt de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle le 15 juin 2018. Au moment du licenciement, le CPAM lui avait toutefois notifié son refus de prendre en charge sa pathologie au titre de la législation sur les risques professionnels et il ne démontre pas avoir informé son employeur de son recours devant la commission de recours amiable.

Par ailleurs, la seule mention relative à une maladie professionnelle dans les écrits du médecin du travail destinés à l'employeur date du 17 juillet 2012, et elle fait référence à une « déclaration MP 98 par son médecin traitant » dont les suites ne sont pas précisées.

Il en résulte qu'au moment du licenciement, le 10 janvier 2019, la société n'avait pas connaissance de l'origine potentiellement professionnelle de l'inaptitude de son salarié, si bien que ce dernier ne peut revendiquer l'application des règles protectrices applicables aux victimes d'une maladie professionnelle.

2-Sur le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité

L'article L.4121-1 du code du travail impose à l'employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

L'obligation générale de sécurité se traduit par un principe de prévention au titre duquel les équipements de travail doivent être équipés, installés, utilisés, réglés et maintenus de manière à préserver la santé et la sécurité des salariés.

L'article L.4121-2 du code du travail dispose que l'employeur met en 'uvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l'article L.1142-2-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.

L'article R.4121-1 du même code impose à l'employeur de transcrire et mettre à jour dans un document unique les résultats de l'évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs à laquelle il procède en application de l'article L. 4121-3 .

Cette évaluation comporte un inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail de l'entreprise ou de l'établissement.

En application de l'article R.4121-2 applicable au moment du licenciement, le document unique d'évaluation des risques devait être mis à jour chaque année au moins. Il devait être porté à la connaissance des salariés et un avis indiquant les modalités d'accès des travailleurs devait être affiché à une place convenable et aisément accessible dans les lieux de travail. 

En l'espèce, l'employeur verse aux débats un document unique d'évaluation des risques daté du 14 juin 2012 et ne justifie ni qu'il a fait l'objet de mises à jour régulières, ni qu'il a été porté à la connaissance des salariés, et en particulier de M. [V].

Par ailleurs, alors que le document unique d'évaluation des risques pointait le risque de troubles musculo squelettiques lors de la manutention des matériels et matériaux, l'employeur n'a équipé que tardivement ses salariés d'outils et matériels de nature à préserver leur santé lors de l'accomplissement de telles tâches, la seule pièce relative à l'achat d'un élévateur manuel et d'un diable pour le transport du verre étant la facture du 17 janvier 2018.

Il a donc failli à son obligation de sécurité.

M. [V] justifie présenter une pathologie lombaire chronique depuis les années 2000 et il n'est pas contesté qu'il devait manipuler des éléments parfois très lourds de façon très régulière au cours de son activité professionnelle (plateaux d'escaliers, faux-plafonds, fenêtres en bois, planches'), les charger et décharger du véhicule, les transporter jusqu'au lieu de pose, procéder fréquemment au démontage de l'existant'Le médecin du travail a d'ailleurs recommandé en septembre2018 d'éviter le port de charges de plus de 25kg.

Dans un courrier au médecin traitant du 29 mai 2018, le docteur [R], chirurgien orthopédique, a suggéré de faire une demande de reconnaissance de la pathologie de M. [V] en maladie professionnelle et lui a prescrit de remettre un corset pour travailler. Il a confirmé ce diagnostic de maladie professionnelle dans un certificat du 28 novembre suivant, évoquant « des discopathies lombaires avec des protrusions discales sans conflit disco-radiculaire, mais qui sont directement liées à son activité professionnelle ».

Le docteur [P], médecin traitant du salarié, a fait sien ce diagnostic dans un certificat du 4 novembre 2019.

Il résulte de ces divers éléments que le non-respect par l'employeur de son obligation de sécurité a été la cause de l'inaptitude de M. [V], étant observé que sa participation à un vol en parapente encadré par un professionnel qui atteste que même les personnes âgées et les personnes à mobilité réduite font partie de ses clients, et à une simulation de chute libre en intérieur ne saurait permettre d'apporter une contradiction efficace aux constats médicaux ci-dessus rappelés.

Le licenciement est donc sans cause réelle et sérieuse et M. [V] peut prétendre à des dommages et intérêts, sachant qu'il ne demande pas d'indemnité compensatrice de préavis.

L'article L.1235-3 dispose que, dans une entreprise employant habituellement moins de 11 salariés, le salarié licencié abusivement dont l'ancienneté est supérieure à 10 ans a droit à une indemnité au moins égale à 2,5 mois de salaire.

En l'espèce, en considération des circonstances de la rupture, de l'ancienneté de 29 ans de M. [V], de son âge au moment de la rupture (56 ans), de son état de santé, le montant des dommages et intérêts doit être fixé à la somme de 20 000 euros.

2-Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Les dépens de première instance et d'appel seront laissés à la charge de la société.

L'équité commande de la condamner à payer à M. [V] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour l'instance d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Infirme le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la société Menuiserie [V] à payer à M. [G] [V] la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Déboute M. [G] [V] de sa demande tendant au doublement de l'indemnité de licenciement et de sa demande d'indemnité équivalente à l'indemnité compensatrice de préavis ;

Laisse les dépens de première instance et d'appel à la charge de la société Menuiserie [V] ;

Condamne la société Menuiserie [V] à payer à M. [G] [V] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel .

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale b
Numéro d'arrêt : 21/04120
Date de la décision : 26/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-26;21.04120 ?
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