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26/04/2024 | FRANCE | N°21/02943

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale b, 26 avril 2024, 21/02943


AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR





N° RG 21/02943 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NRHY





[D]



C/

S.A.S. ONET SERVICES







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOURG-EN-BRESSE

du 16 Avril 2021

RG : 19/00237











COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE B



ARRÊT DU 26 AVRIL 2024







APPELANT :



[G] [D]

né le 03 Mars 1975 à [L

ocalité 6]

[Adresse 3]

[Localité 4]



représenté par Me Benjamin GAUTIER, avocat au barreau d'AIN substitué par Me Jean-christophe GIRAUD, avocat au barreau de LYON







INTIMÉE :



Société ONET SERVICES

[Adresse 2]

[Localité 1]



représentée par Me Jacq...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 21/02943 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NRHY

[D]

C/

S.A.S. ONET SERVICES

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOURG-EN-BRESSE

du 16 Avril 2021

RG : 19/00237

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE B

ARRÊT DU 26 AVRIL 2024

APPELANT :

[G] [D]

né le 03 Mars 1975 à [Localité 6]

[Adresse 3]

[Localité 4]

représenté par Me Benjamin GAUTIER, avocat au barreau d'AIN substitué par Me Jean-christophe GIRAUD, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

Société ONET SERVICES

[Adresse 2]

[Localité 1]

représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 21 Février 2024

Présidée par Catherine CHANEZ, Conseillère magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Mihaela BOGHIU, Greffière.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Béatrice REGNIER, Présidente

- Catherine CHANEZ, Conseillère

- Régis DEVAUX, Conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 26 Avril 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Béatrice REGNIER, Présidente et par Mihaela BOGHIU, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [G] [D] a été engagé par la société Onet Services (ci-après, la société) à compter du 16 septembre 2002 dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée en qualité d'ouvrier.

Par avenant du 1er janvier 2010, le contrat de travail a été transféré à la société Safen, en qualité de chef d'équipe à temps plein.

Par avenant du 1er juin 2011, un nouvel avenant a été signé entre M. [D] et la société Onet Services, toujours en qualité de chef d'équipe et à temps plein.

La convention collective applicable est celle des entreprises de propreté.

Divers avenants ont régularisé la situation de M. [D] au sein de la société selon les chantiers sur lesquels il devait intervenir et sa durée de travail.

Le 3 février 2012, M. [G] [D] est devenu président de la société Multi Nettoyage Discount.

Par courrier du 5 novembre 2018, le salarié a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement fixé au 15 novembre 2018.

Par courrier du 29 novembre 2018, il a été licencié pour faute grave dans les termes suivants :

« (') Nous étions titulaires du marché de nettoyage Boucherie André à [Localité 4] que nous avons perdu suite à un appel d'offre.

Notre client nous a informés que vous étiez, par le biais de votre société, le nouveau titulaire du marché.

Vous nous avez confirmé cela par le biais d'un mail adressé le 31 octobre 2018.

Or, nous vous rappelons que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi et dans ce cadre vous ne pouvez pas exercer une activité concurrente de celle de votre employeur.

Non seulement vous n'avez pas respecté cette obligation mais vous avez démarché un de nos clients.

Au cours de l'entretien, vous avez d'ailleurs reconnu les faits.

Nous ne pouvons laisser perdurer une telle situation qui nuit à l'entreprise.

L'ensemble de ces faits relève d'un manquement professionnel grave qui ne nous permet pas de vous maintenir dans nos effectifs, même pendant la période de préavis sans aller à l'encontre de la bonne marche de notre entreprise.

Dès lors nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave qui sera effectif dès l'envoi de ce présent courrier, sans préavis ni indemnités de rupture (') ».

Le 14 octobre 2019, M. [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Bourg-En-Bresse aux fins de contester le bien-fondé de son licenciement et de voir condamner la société Onet Services au paiement de diverses indemnités à ce titre.

Par jugement du 16 avril 2021, le conseil de prud'hommes de Bourg-En-Bresse a :

- condamné la société Onet Services à payer à Monsieur [D] les sommes suivantes :

3 039,57 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

4 559,35 euros à titre d'indemnité légale de licenciement ;

3 039,57 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 303,95 euros de congés payés afférents ;

- condamné la société Onet Services au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté la société Onet Services de ses demandes reconventionnelles ;

- laissé les dépens à la partie qui succombe.

Par déclaration du 23 avril 2021, M. [D] a interjeté appel de cette décision, sur les montants des condamnations et le débouté de la demande d'indemnité pour licenciement vexatoire.

Dans ses dernières conclusions déposées, notifiées le 11 mai 2023, M. [G] [D] demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que le licenciement ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse, de l'infirmer en ce qu'il a condamné la société à lui payer 3 039,57 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 4 559,35 euros à titre d'indemnité légale de licenciement et en ce qu'il l'a débouté de sa demande d'indemnité pour licenciement abusif et vexatoire, et, statuant à nouveau, de :

- condamner la société au paiement des sommes suivantes :

22 858,00 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

7 854,54 euros à titre d'indemnité légale de licenciement ;

3 000 euros pour licenciement abusif et vexatoire ;

- condamner la société au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 pour la procédure d'appel.

Dans ses uniques conclusions déposées, notifiées le 18 octobre 2021, la société Onet Services demande pour sa part à la cour d'infirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a débouté M. [D] de sa demande indemnitaire formulée au titre d'un licenciement abusif et vexatoire et, statuant à nouveau, de le débouter de ses demandes, de le condamner à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

La clôture de la procédure a été prononcée le 9 janvier 2024.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, la cour rappelle qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de « constatations » ou de « dire » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions dans la mesure où elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques ou qu'elles constituent en réalité des moyens.

1- Sur le bien-fondé du licenciement

Aux termes de l'article L.1235-1 du code du travail, le juge doit apprécier la régularité de la procédure de licenciement et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur.

En application de l'article L. 1232-6 alinéa 2 du même code, la lettre de licenciement, éventuellement complétée en application de l'article R.1232-13, comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur. Ces motifs doivent être suffisamment précis et matériellement vérifiables. L'employeur est en droit, en cas de contestation, d'invoquer toutes les circonstances de fait qui permettent de justifier des motifs. Si un doute subsiste, il profite au salarié, conformément aux dispositions de l'article L. 1235-1 du code du travail dans sa version applicable à l'espèce.

Si la lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les griefs articulés à l'encontre du salarié et les conséquences que l'employeur entend en tirer quant aux modalités de rupture, il appartient au juge de qualifier les faits invoqués.

La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et justifie la cessation immédiate du contrat de travail. Il incombe à l'employeur d'en rapporter la preuve.

En l'espèce, la société Onet Services a motivé le licenciement par l'exercice d'une activité concurrente et le démarchage de l'un de ses clients, Boucherie André, ce que le salarié conteste.

La société précise qu'elle ne reproche pas au salarié d'avoir exercé une activité professionnelle, ce dont elle avait connaissance, mais d'avoir manqué à son obligation de loyauté en présidant une société concurrente et en démarchant l'un de ses clients, avec lequel il a signé un marché.

Les termes du courriel que M. [D] a envoyé à l'employeur le 31 octobre 2018, soit antérieurement à la signature du marché litigieux, démontrent sans ambiguïté que celui-ci savait que la société Boucherie André était l'un de ses clients.

Mais la société ne rapporte pas la preuve que ce client a été démarché par son salarié. Il ressort d'ailleurs du courriel que le responsable qualité de la société Boucherie André a adressé le 16 octobre 2018 à M. [D], que c'est lui qui a pris contact avec le salarié, et non l'inverse, et ce après avoir notifié la résiliation du précédent contrat.

Sur l'exercice d'une activité concurrente, laquelle n'est pas contestée, M. [D] verse aux débats des factures datées des 19 septembre et 5 octobre 2010 établies par l'entité Multi-Nettoyage Discount (pièce n°15 et 20), dont l'authenticité n'est pas débattue, qui montrent que la société Onet Services lui a sous-traité des prestations.

Il produit également des devis et factures relatives à la prestation de travail qu'il a réalisée pour le compte de la société ICR durant les mois d'août et septembre 2017 (pièces n°17 et 18) ainsi qu'un courrier que lui a adressé Mme [K] [O], salariée de ladite société, dans lequel elle écrit : « c'est la société Onet Services que j'avais contacté en premier pour le nettoyage de fin de chantier de l'ensemble du bâtiment créé en 2017 : station-service Total [Localité 5]. M. [R] de la société Onet Services ayant à cette période une surcharge d'activité (') m'avait transmis vos coordonnées. C'est lui qui m'avait conseillé votre société et c'est lui qui vous avait contacté en amont pour savoir vos disponibilités et la possibilité de prendre ce dossier exceptionnellement à la place de son agence » (pièce n°16).

La société Onet Services était ainsi parfaitement informée de l'exercice par M. [D] d'une activité concurrente, et même de sa capacité à traiter de gros chantiers et elle a même eu recours à ses services. Elle ne pouvait pas, huit ans après, lui reprocher un manquement à son obligation de loyauté.

Le changement de statut de M. [D], le 3 février 2012, passant de la qualité d'auto-entrepreneur à celle de président d'une société revêtant la même dénomination sociale, n'est pas de nature à modifier l'appréciation de la cour sur la violation par le salarié de ses obligations contractuelles, la société ne démontrant pas en quoi cette circonstance permettrait de rendre fautive une activité concurrente jusqu'alors non seulement tolérée, mais encouragée.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a déclaré le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

2-Sur les conséquences financières du caractère abusif du licenciement

Le licenciement pour faute grave étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, le salarié peut prétendre au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis, d'une indemnité de licenciement et de dommages et intérêts.

Aucune des parties ne vient contester, même à titre subsidiaire, les bases sur lesquelles le conseil de prud'hommes a liquidé les droits de M. [D] concernant l'indemnité compensatrice de préavis, qui sera confirmée en son quantum.

En application des articles L.1234-9, R.1234-1, R.1234-2 et R.1234-4 du code du travail, l'indemnité de licenciement ne peut être inférieure à un quart de mois de salaire par année d'ancienneté, auquel s'ajoute un tiers de mois par année au-delà de 10 ans d'ancienneté, le salaire à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité de licenciement étant, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié :

1° Soit la moyenne mensuelle des douze derniers mois précédant le licenciement, ou lorsque la durée de service du salarié est inférieure à douze mois, la moyenne mensuelle de la rémunération de l'ensemble des mois précédant le licenciement ;

2° Soit le tiers des trois derniers mois, sachant que dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n'est prise en compte que dans la limite d'un montant calculé à due proportion.

En conséquence, en retenant une rémunération moyenne de 1 448,81 euros, et sachant que l'ancienneté de M. [D] était de 16 années et 5 mois après expiration de son préavis, il sera fait droit à sa demande, en infirmation du jugement.

Quant aux dommages et intérêts, l'article L.1235-3 du code du travail dispose que, dans une entreprise employant habituellement au moins 11 salariés, « Si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux, soit, pour un salarié dont l'ancienneté au jour de la rupture était de 16 ans, une indemnité compris entre 3 mois et 13,5 mois de salaire brut. » 

Compte tenu des circonstances de la rupture, de l'ancienneté de seize années acquises par le salarié, de son âge (43 ans) et de sa situation au regard de l'emploi, la cour estime que le préjudice résultant pour lui de la rupture doit être indemnisé à hauteur de 15 000 euros. Le jugement sera réformé en ce sens.

3- Sur le remboursement des allocations chômage

Le licenciement étant sans cause réelle et sérieuse, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 1235-4 du même code qui l'imposent et sont donc dans le débat, d'ordonner d'office à l'employeur de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées au salarié, dans la limite de six mois d'indemnités.

4-Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire

Si M. [D] affirme que la rupture abusive de son contrat de travail pour faute grave a été particulièrement brutale, il ne démontre cependant pas l'existence d'un préjudice distinct de celui d'ores et déjà réparé par l'attribution de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sa demande sera donc rejetée, en confirmation du jugement.

5-Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Les dépens de première instance et d'appel, suivant le principal, seront supportés par la société, partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile.

L'équité commande de condamner la société à payer à M. [D] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel, l'indemnité fixée de ce chef par le conseil de prud'hommes étant par ailleurs confirmée.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné la société Onet Services à payer à M. [G] [D] les sommes suivantes :

3 039,57 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

4 559,35 euros à titre d'indemnité légale de licenciement ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la société Onet Services à payer à M. [G] [D] les sommes suivantes :

15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

7 854,54 euros à titre d'indemnité légale de licenciement ;

Ordonne à la société Onet Services de rembourser le cas échéant à France Travail les indemnités de chômage versées à M. [G] [D], dans la limite de six mois d'indemnités ;

Laisse les dépens d'appel à la charge de la société Onet Services ;

Condamne la société Onet Services à payer à M. [G] [D] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel .

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale b
Numéro d'arrêt : 21/02943
Date de la décision : 26/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-26;21.02943 ?
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