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25/04/2024 | FRANCE | N°21/08107

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale c, 25 avril 2024, 21/08107


AFFAIRE PRUD'HOMALE



DOUBLE RAPPORTEUR











N° RG 21/08107 - N° Portalis DBVX-V-B7F-N5YZ



[M]



C/



Association ACARS









APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT ETIENNE

du 11 Octobre 2021

RG : 19/00166







COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE C



ARRET DU 25 Avril 2024







APPELANTE :



[H] [M]

née

le 19 Janvier 1976 à [Localité 5]

[Adresse 2]

[Localité 3]



représentée par Me Laetitia PEYRARD, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE







INTIMEE :



Association ACARS

[Adresse 1]

[Localité 3]



représentée par Me Pascal GARCIA de la SELARL CAPSTAN RHONE-ALPES, av...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

DOUBLE RAPPORTEUR

N° RG 21/08107 - N° Portalis DBVX-V-B7F-N5YZ

[M]

C/

Association ACARS

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT ETIENNE

du 11 Octobre 2021

RG : 19/00166

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRET DU 25 Avril 2024

APPELANTE :

[H] [M]

née le 19 Janvier 1976 à [Localité 5]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Laetitia PEYRARD, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE

INTIMEE :

Association ACARS

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Pascal GARCIA de la SELARL CAPSTAN RHONE-ALPES, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE

DEBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 25 Janvier 2024

Présidée par Nabila BOUCHENTOUF, conseiller, et Françoise CARRIER, conseiller honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, magistrats rapporteurs (sans opposition des parties dûment avisées) qui en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistés pendant les débats de Fernand CHAPPRON, greffier

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Etienne RIGAL, président

- Nabila BOUCHENTOUF, conseiller

- Françoise CARRIER, conseiller honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

ARRET : CONTRADICTOIRE

rendu publiquement le 25 Avril 2024 par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Nabila BOUCHENTOUF, conseiller, pour Etienne RIGAL, président empêché, et par Fernand CHAPPRON, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Mme [H] [M] (ci-après, la salariée) était embauchée à compter du 22 août 2011 par l'association ACARS (ci-après, l'association) suivant un contrat de travail à durée indéterminée, en qualité d'assistante sociale et coordinatrice du service ACT (appartements de coordination thérapeutique).

Elle exerçait ses fonctions en temps partiel, initialement sur la base de 121,34 heures mensuelles, puis sur la base de 138,67 heures mensuelles.

La convention collective applicable à la relation contractuelle est celle des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966.

À compter de 2016, elle est devenue membre élue du CHSCT.

Le 18 mai 2017, une lettre d'observation lui était notifiée.

Le 20 décembre 2017, l'association lui notifiait une mise à pied d'une journée.

Après plusieurs arrêts de travail, le 16 mars 2018, elle rencontrait le médecin du travail dans le cadre d'une visite de reprise, au terme de laquelle l'avis suivant était rendu :

" Inapte au poste d'assistante sociale.

Tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé et l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi. "

Par courrier recommandé du 4 avril 2018, l'association informait la salariée des motifs s'opposant à son reclassement.

Par courrier du 17 avril 2018, la délégation unique du personnel en qualité de comité d'entreprise était convoquée en vue d'être consultée le 26 avril suivant, sur le projet de licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement de la salariée.

Par courrier recommandé du 27 avril 2018, l'association demandait l'autorisation de procéder au licenciement de la salariée à l'inspecteur du travail, lequel l'autorisait par décision du 5 juin 2018.

Le 15 juin 2018, l'association notifiait à la salariée son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Par requête reçue au greffe le 18 avril 2019, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Étienne afin notamment de contester le bien-fondé de son licenciement.

Parallèlement, la salariée demandait la reconnaissance d'un accident survenu le 6 novembre 2017 au titre de la législation sur les risques professionnels.

Par jugement du 4 mai 2021, faisant suite au refus de la CPAM et au recours exercé par la salariée, le pôle social du tribunal judiciaire de Saint-Etienne a jugé que cet accident devait être pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels.

Au dernier état de la procédure, elle demandait au conseil l'annulation de la lettre d'observation du 18 mai 2017 et de la mise à pied du 20 décembre 2017 ainsi que la reconnaissance du harcèlement et des manquements de l'association à l'exécution loyale du contrat à l'origine de son inaptitude. Elle sollicitait ainsi le paiement de l'indemnité compensatrice de préavis, outre congés payés afférents, des dommages et intérêts pour licenciement nul et sans cause réelle et sérieuse ainsi que pour harcèlement moral et manquement à l'obligation de sécurité, outre une somme au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

En réplique, l'association concluait au débouté de l'intégralité des demandes de la salariée et sollicitait, à titre reconventionnel, sa condamnation au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Le 11 octobre 2021, le conseil a rendu un jugement dont le dispositif était rédigé comme il suit:

" -Fixe la moyenne des trois derniers salaires de Mme [M] à 2 544,05 euros,

- Annule la lettre d'observation notifiée le 18 mai 2017 à Mme [M],

- Confirme la mise à pied notifiée à Mme [M] le 20 décembre 2017,

- Dit que l'association ACARS n'a pas manqué à son obligation de sécurité de résultat,

- Dit que l'association ACARS a exécuté loyalement le contrat de travail,

- Dit qu'aucun fait de harcèlement moral n'est avéré,

- Dit que l'inaptitude de Mme [M] est d'origine professionnelle,

- Condamne, par conséquent, l'association ACARS à verser les sommes suivantes à Mme [M] :

5 088,10 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

508,81 euros au titre des congés payés afférents,

- Dit que le licenciement pour inaptitude et impossibilité de procéder au reclassement notifié le 15 juin 2018 à Mme [M] repose sur une cause réelle et sérieuse et qu'il n'est pas nul,

- Déboute, par conséquent, Mme [M] de sa demande de requalification de son licenciement et de dommages et intérêts y afférents,

- Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

- Condamne l'association ACARS à verser à Mme [M] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Déboute l'association ACARS de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamne l'association ACARS aux entiers dépens de l'instance. "

La salariée relevait appel de ce jugement le 10 novembre 2021.

Par ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 23 juin 2022, la salariée demande à la cour de :

- DÉBOUTER l'association de son appel incident,

- CONFIRMER le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a annulé la sanction du 18 mai 2017, dit que son inaptitude est d'origine professionnelle et condamné l'association ACARS à lui verser les sommes suivantes :

5 088,10 euros au titre de l'indemnité équivalente au préavis,

508,81 euros au titre des congés payés afférents,

1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- LE RÉFORMER pour le surplus et statuant à nouveau,

- DÉCLARER son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et nul,

- ANNULER la mise à pied notifiée le 20 décembre 2017,

- CONDAMNER l'association ACARS à lui verser les sommes suivantes :

30 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et dépourvu de cause réelle et sérieuse,

10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

- CONDAMNER l'association ACARS au paiement d'une somme complémentaire de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La salariée fait valoir que :

- que depuis 2015, ses conditions de travail se sont dégradées, qu'elle a subi subissant des pressions, notamment par l'attitude harcelante et agressive de Mme [A], sa cheffe de service, et de Mme [V], la directrice ; que celles-ci ont cherché à envenimer l'ambiance de travail au moyen d'une note de service interdisant aux salariés de discuter les règles prises, en créant des incidents sur les congés payés ou en lui demandant de restituer les clés de l'association pendant ses périodes de congés ; qu'également elle a subi une situation d'éviction, ayant été progressivement dépossédée de ses responsabilités, ainsi que des sanctions injustifiées,

- qu'elle n'est pas la seule salariée dans cette situation de souffrance, plusieurs de ses collègues ayant subi la même attitude de pressions et de sanctions et ayant été contraintes à des arrêts de travail renouvelés,

- qu'elle a lancé plusieurs alertes, seule ou avec des collègues, auprès de la direction, du médecin du travail, de l'inspection du travail, et a déposé une plainte pour harcèlement ; que concomitamment, les élus du personnel se sont également inquiétés du développement des risques psycho-sociaux au sein de l'association,

- que malgré ses alertes, la souffrance des salariés n'a pas été prise en compte par l'association qui n'a pris aucune mesure pour analyser les causes et y remédier ; que la prise en compte effective de ces risques a été particulièrement tardive, et postérieure à son licenciement.

- que cette situation a conduit à la dégradation de son état de santé et l'a contrainte à des arrêts de travail pour syndrome anxiodépressif ; que son dernier arrêt de travail a été pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels suivant un jugement du 4 mai 2021,

- qu'ainsi, l'ensemble de ces circonstances caractérise une situation de harcèlement moral ou, à tout le moins, un manquement de l'employeur à l'exécution loyale du contrat de travail et à son obligation de sécurité,

- que la lettre d'observation du 18 mai 2017 est une sanction disciplinaire dans la mesure où ce courrier exprime de nombreux griefs à son encontre ; que cette sanction disciplinaire n'a pas été précédée d'un entretien préalable, alors qu'au regard des dispositions de la convention collective, l'avertissement pouvait avoir une influence sur son maintien dans l'entreprise et devait ainsi être précédé d'un entretien ;

Par ailleurs, elle conteste la réalité des griefs, qui sont rédigés en des termes généraux et sont imprécis,

S'agissant de la lettre du 20 décembre 2017, elle conteste les griefs à son encontre, lesquels sont imprécis, exprimés dans des termes généraux, et ne permettent pas l'exercice de sa défense ; qu'en réalité, cette lettre tend à dédouaner la direction de toute responsabilité dans la situation de souffrance ressentie depuis plusieurs mois au sein de l'association.

Par ses dernières écritures, notifiées par voie électronique le 6 mai 2022, l'association demande à la cour de :

Sur la demande au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail :

- DIRE ET JUGER qu'elle n'a pas manqué à son obligation de sécurité,

- DIRE ET JUGER qu'elle a exécuté loyalement le contrat,

- DIRE ET JUGER qu'aucun fait de harcèlement moral n'est avéré,

En conséquence :

- CONFIRMER le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Étienne du 11 octobre 2021 en ce qu'il a débouté Mme [M] de ses demandes de dommages et intérêts de ce chef.

Sur le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement :

- CONSTATER que le licenciement de Mme [M] a été prononcé dans le respect des règles de droit régissant la matière et qu'il est dépourvu de tout caractère abusif,

En conséquence :

- CONFIRMER le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Étienne du 11 octobre 2021 en ce qu'il a dit que le licenciement pour inaptitude et impossibilité de procéder au reclassement repose bien sur une cause réelle et sérieuse, qu'il est parfaitement fondé et l'a débouté de ses demandes de ce chef ;

Statuant à nouveau :

- CONSTATER le caractère non professionnel de l'inaptitude de Mme [M],

- CONSTATER que Mme [M] ne rapporte pas la preuve d'un manquement de l'association à l'origine de l'inaptitude,

- JUGER que Mme [M] ne rapporte pas la preuve de la connaissance par l'association du recours qu'elle a exercé contre la décision de refus de prise en charge par la CPAM de l'accident au titre de la législation sur les risques professionnels,

En conséquence :

- INFIRMER le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Étienne du 11 octobre 2021 en ce qu'il a dit que le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement de Mme [M] était d'origine professionnelle et a condamné l'association à lui verser l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents.

Sur la demande d'annulation de l'observation du 18 mai 2017 et de la mise à pied du 20 décembre 2017:

- CONSTATER que les deux sanctions disciplinaires en date du 18 mai 2017 et du 20 décembre 2017 sont parfaitement justifiées,

En conséquence,

- CONFIRMER le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Étienne du 11 octobre 2021 en ce qu'il a confirmé la mise à pied disciplinaire de Mme [M] et l'a déboutée de sa demande de ce chef.

Statuant à nouveau :

- INFIRMER le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Étienne du 11 octobre 2021 en ce qu'il a annulé la lettre d'observation notifiée le 18 mai 2017 à Mme [M].

Y ajoutant :

- CONDAMNER Mme [M] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

L'association fait valoir que :

- qu'elle a exécuté de manière loyale le contrat de travail, la salariée n'a pas été victime de harcèlement moral mais en était l'auteur à l'encontre de Mme [A] notamment ; que ses conditions de travail ne se sont pas dégradées et celle-ci n'en rapporte pas la preuve, aucune mission ne lui a été ôtée, et elle était responsable du climat anxiogène au sein de son service lié à ses problèmes de comportement ; que la note de service était justifiée, rappelant des règles essentielles et elle a immédiatement régularisé la situation lorsqu'elle a été alertée par l'inspecteur du travail concernant la pratique de restitutions des clés ; que par ailleurs, les sanctions à l'encontre de la salariée sont justifiées et proportionnées,

- que la salariée et certaines de ses collègues de travail ont mené une campagne de déstabilisation à l'encontre de l'association, utilisant les dispositifs légaux à mauvais escient dans le but de porter préjudice à Mesdames [V] et [A] et, plus globalement, à l'association ; qu'aucun salarié au sein de l'association n'a été en souffrance du fait de manquements de l'association à ses obligations et les éléments que produits la salariée, sont peu probants, anciens et émanent de salariés en litige avec l'association,

- que la direction se rendait disponible pour les salariés et a pris les mesures qui s'imposaient lorsqu'elle a été alertée, notamment elle a réalisé une enquête interne, a mis en place des séances de médiation ainsi que l'intervention d'une psychologue extérieure ; qu'elle a proposé à plusieurs reprises à la salariée de la rencontrer mais cette dernière n'a pas donné suite, et la directrice a répondu favorablement aux demandes du médecin du travail ; qu'ainsi, elle a agi en matière de prévention des risques psychosociaux, et ce dès 2015, de sorte qu'elle n'a commis aucun manquement à son obligation de sécurité,

- ainsi, le licenciement de Madame [M] est justifié et dépourvu de tout abus,

- sur le courrier d'observation du 18 mai 2017, conformément au règlement intérieur, l'association pouvait notifier une observation sans entretien préalable ; que ce courrier est justifié par un manque de respect dont elle a fait preuve auprès de Mme [F], infirmière au sein de l'association, mais également auprès de la direction, remettant en cause les règles édictées en interne, les griefs sont ainsi suffisamment précis et étayés,

- sur la mise à pied du 20 décembre 2017, il lui est reproché le non-respect des règles de bienséances ainsi que de ses obligations professionnelles ; que la salariée était ainsi responsable d'un climat tendu au sein de son service, d'une implication des résidents dans le conflit interne et de la dégradation des conditions de travail ainsi que de la santé de sa responsable hiérarchique ; que ce comportement a été préjudiciable pour le bon fonctionnement de l'association, les griefs sont justifiés et légitiment une telle sanction.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 décembre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I - SUR LE BIEN FONDÉ DE LA LETTRE D'OBSERVATION DU 18 MAI 2017 ET DE LA MISE À PIED DU 20 DÉCEMBRE 2017

Il résulte des dispositions de l'article L.1331-1 du code du travail que constitue une sanction toute mesure autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.

Le contrôle de la matérialité des faits reprochés implique une appréciation de leur caractère objectivement fautif et de leur imputabilité au salarié.

Il résulte par ailleurs des dispositions de l'article L.1333-1 du code du travail que l'employeur doit fournir au juge les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

L'article L.1333-2 du code du travail dispose qu'une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise peut être annulée.

a - Sur la lettre d'observation du 18 mai 2017

Aux termes de cette lettre, l'employeur vise trois séries de faits constitutifs de 'manquements à ses obligations professionnelles', reprochant à la salariée :

- d'avoir adopté une attitude irrespectueuse à l'égard de Mme [F], infirmière au sein de la structure, en raison de brimade régulière 'de son groupe', cette situation lui ayant été rapportée par la médecine du travail,

- d'avoir 'à plusieurs reprises' rediscuté les règles édictées au sein du service ainsi que les consignes données par la cheffe de service ou la direction,

- d'avoir adopté un comportement de nature à troubler le bien-être des résidents 'qui ressentent les tensions au sein de la structure'.

Mme [M] excipe de l'irrégularité de cette sanction en l'absence de toute convocation à un entretien préalable pourtant obligatoire, se référant en ce sens à l'article 33 de la convention collective applicable qu'elle ne produit pas et qui en réalité rappelle que les sanctions sont prononcées conformément au règlement intérieur, lequel est produit par l'employeur. Or, ce règlement intérieur n'impose pas la tenue d'un entretien préalable à l'occasion d'une observation adressée à un salarié.

En revanche, la salariée objecte à juste titre que la lettre d'observation est rédigée en termes généraux et que les griefs manquent de précision. Pour les étayer, l'employeur se fonde sur un courrier de l'inspection du travail et un courrier établi par le médecin coordonnateur de l'association, qui sont toutefois postérieurs à ladite lettre (juillet 2017 et 15 février 2018). Il produit encore deux questionnaires relatifs à l'évaluation de la violence psychologique au travail, renseignés par deux salariées (dont l'infirmière citée par l'employeur) et datés des 10 et 13 mars 2017, soit antérieurement à la lettre d'observation, mais qui ne sont pas davantage de nature à étayer le fait fautif en l'absence de mention d'une part du moindre grief précisément caractérisé, et d'autre part, d'une quelconque référence à Mme [M], l'infirmière n'évoquant aucun fait précis étayant les allégations de l'employeur au terme de sa lettre.

Ainsi, eu égard à l'imprécision des faits reprochés, la cour confirme le jugement en ce qu'il a annulé cette sanction.

B - Sur la mise à pied du 20 décembre 2017

Mme [M] a été convoquée à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire, initialement fixée le 20 novembre 2017, et reportée au 4 décembre suivant.

A l'issue de cet entretien auquel la salariée n'a pas assisté, l'employeur lui a notifié une mise à pied d'un jour à effet le 9 janvier 2008.

Au terme de sa lettre, l'employeur reproche à la salariée d'avoir adopté une 'attitude intolérable' depuis son retour au sein du service (après arrêt de travail suivi de congés payés).

Sur le premier grief consistant à ne pas avoir respecté les règles élémentaires de la bienséance, il est plus précisément reproché à la salariée de ne pas saluer l'ensemble de ses collègues et notamment sa cheffe de service. A ce titre, l'employeur produit le mail de Mme [Z], médecin coordonnateur du service, adressé à la directrice de l'association après la tenue d'une réunion pluridisciplinaire le 21 septembre 2017 et qui affirme ne pas avoir été saluée en retour par Mme [M]. (Pièce employeur 43).

La salariée ne conteste pas formellement cet épisode, répliquant qu'elle-même a été victime de ce comportement discourtois de la part de la cheffe de service.

La cour observe néanmoins que s'agissant de ce grief, l'employeur vise un fait isolé qui s'inscrit comme il sera précisé dans les développements suivants, dans un contexte de dégradation des conditions de travail au sein de l'association, unanimement constatée, et notamment par Mme [Z] (pièce 63).

L'employeur évoque également une attitude d'abstention délibérée de communication orale avec l'ensemble de l'équipe, ou au contraire de formuler des 'réponses laconiques et non constructives', sans toutefois faire état de faits précis imputables à la salariée, ni des propos qu'elle aurait tenus ou postures particulières qu'elle aurait adoptées, et sans produire la moindre pièce de nature à étayer ce grief, le contexte tendu des réunions disciplinaires n'étant autre que le reflet du contexte dégradé des relations de travail.

La lettre évoque ensuite plus concrètement des défaillances dans l'exécution des missions incombant à la salariée.

Elle fait grief à Mme [M] de n'avoir pas réalisé des fiches d'entrée de trois résidents nominativement designés, cette tâche ayant dû être exécutée par ses collègues, de n'avoir pas remis les redevances à certains résidents également nommés, et de n'avoir pas organisé le retour à domicile d'un résident, ces omissions ayant eu des répercussions concrètes dans le quotidien et pour le bien-être de leurs usagers. L'employeur verse aux débats les fiches d'événement indésirable remplies les 12 et 16 octobre ensuite de ces défaillances.

Mme [M] ne conteste pas formellement ces manquements, sauf à les minimiser en invoquant le fait d'avoir été dépossédée de ses attributions par la cheffe de service à l'automne 2017, ainsi qu'un 'défaut de coordination entre les salariées mais qui ne se rencontrent que très peu'.

La lettre évoque encore un désinvestissement de la salariée, nuisant au bon fonctionnement collectif, en lui reprochant plus précisément de ne pas tenir compte des informations contenues et renseignées sur le logiciel interne 'Mediateam', et en ne renseignant pas à son tour, ce même logiciel.

L'employeur insiste sur les conséquences néfastes de ces omissions au regard de l'accompagnement particulièrement soutenu qu'exige la fragilité des résidents dont l'association a la charge, et précise que ce logiciel est un outil de communication mis à la disposition de l'ensemble de l'équipe médicale et sociale.

La salariée ne conteste pas davantage ce grief sur le fond. Elle se contente de remettre en cause le bien-fondé et l'utilité des informations consignées sur le logiciel, ou d'évoquer une charge de travail ne lui permettant pas d'y actualiser les informations.

Partant, et nonobstant l'absence de caractère fautif relatif au premier grief, la sanction de mise à pied disciplinaire d'un jour prononcée à l'encontre de la salariée n'était ni injustifiée, ni disproportionnée aux fautes commises.

Il convient donc de considérer, par confirmation du jugement déféré, que l'employeur justifie du bien fondé de la sanction ainsi délivrée.

II- SUR LE HARCÈLEMENT MORAL

Selon les dispositions de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L.1154-1 prévoit, qu'en cas de litige, si le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Une situation de harcèlement moral se déduit ainsi essentiellement de la constatation d'une dégradation préjudiciable au salarié de ses conditions de travail consécutive à des agissements répétés de l'employeur révélateurs d'un exercice anormal et abusif par celui-ci de ses pouvoirs d'autorité, de direction, de contrôle et de sanction.

En l'espèce, la salariée, sans formuler de prétention indemnitaire à ce titre et sans rappeler le fondement juridique, fait valoir que son employeur a commis des actes de harcèlement moral à son encontre entraînant la nullité de son licenciement et soutient que :

- ses conditions de travail se sont dégradées depuis 2015, du fait notamment du comportement de sa cheffe de service,

- elle a ainsi été dépossédée de ses fonctions de coordonnatrice par le fait de Mme [A] ; elle a notamment relevé que cette attribution n'était plus mentionnée sur l'organigramme de l'association avant qu'elle n'en demande la rectification,

- elle a été contrainte de modifier ses périodes de congés à plusieurs reprises, pour satisfaire les desiderata d'une collègue infirmière,

- la direction a instauré une nouvelle note de service relative au déroulement des réunions de service et par laquelle interdit toute discussion des règles et des décisions prises,

- elle a fait l'objet d'une lettre d'observation en mai 2017,

- elle a fait l'objet d'une demande de restitution des clés pendant son arrêt maladie de mai à août 2017,

- son retour s'est déroulé dans un contexte particulièrement tendu, et elle a du faire face à l'attitude hostile de sa cheffe de service qui l'ignore et la met en cause dans l'exercice de ses fonctions, la contraignant d'être de nouveau en arrêt de travail à compter du 26 septembre 2017,

- elle a alerté son employeur sur sa souffrance au travail, mais à son retour le 6 novembre 2017, elle a reçu une convocation à un entretien préalable en vue d'une éventuelle sanction disciplinaire, aboutissant à une mise à pied d'un jour le 20 décembre 2017 ; elle a également alerté le médecin du travail et l'inspection du travail ;

- elle a déposé plainte pour harcèlement ;

- plusieurs salariés ont subi les mêmes agissements et ont aussi vécu une souffrance au travail, au point que les élus du personnel et le médecin du travail se sont inquiétés des risques psychosociaux au sein de l'association.

Elle ajoute que l'employeur n'a jamais pris en compte sa souffrance, ni celle de ses collègues, et que son attitude a eu des répercussions sur son état de santé, l'a contrainte à des arrêts de travail pour syndrome anxiodépressif et à la prise d'un traitement antidépressif.

Au titre des éléments qu'il lui appartient d'apporter, elle produit :

- l'attestation de Mme [S], collègue de travail de 2011 à 2018, qui indique avoir remarqué 'au fil du temps, une diminution du rôle de coordinatrice' de Mme [M], 'de manière insidieuse', cette diminution coïncidant avec l'arrivée de Mme [A], que sa collègue lui a fait part des tensions au sein des ACT, et 'des problèmes de congés jusqu'au conflit d'équipe avec une mise à l'écart de l'équipe socio-éducative et un fonctionnement clivé avec l'équipe médicale et un positionnement non objectif de la hiérarchie' (pièce 45),

- deux organigrammes de l'association, dont l'un ne la mentionne pas (pièces 7 et 8),

Toutefois, ces pièces ne permettent pas de faire présumer ainsi qu'elle le prétend, une situation de harcèlement, alors que le différend qui a pu naître sur des congés d'avril 2017 ressort des décisions qui avaient été validées par la délégation unique du personnel, et rappelées par la responsable des ressources humaines (mail du 23 décembre 2016, pièce employeur n°4) et qu'elle ne démontre en rien une dépossession de ses fonctions, ni a fortiori un comportement persécutif de la part de Mme [A].

De même, son absence sur un organigramme (au demeurant non daté) ne saurait corroborer son sentiment de dépossession, et a fortiori traduire dans les faits, une réduction de ses attributions, alors que la seule lecture comparée des organigrammes montre que plusieurs autres salariés ne figurait pas sur ledit document (par exemples, Mme [R], Mme [S], l'équipe de la crèche '[4]').

L'attestation de Mme [S] se contente de rapporter les propos de Mme [M], mais ne contient aucun fait précis de nature à établir la réalité d'une diminution de responsabilités au sein de l'association.

La note de service présentée en réunion le 4 mai 2017, et qui constituerait selon la salariée, une manière pour l'employeur d'interdire l'expression de points de vue divergents, énonce les règles à observer dans le cadre des réunions de fonctionnement, et les conduites à tenir lors des réunions de service précisées en ces termes 'respecter le cadre horaire, respecter la parole de l'autre, ne pas crier, la critique doit être constructive 'on a le droit de ne pas être d'accord' (...), pas d'aparté, (..), ne pas rediscuter les règles qui s'appliquent de 'fait' ou de 'droit', ne pas rediscuter les décisions prises (...)La réunion doit être efficace, et un outil de coordination et de cohérence pour l'équipe'.

Néanmoins, il n'est pas apporté d'éléments objectifs ni de fait précis concernant une prétendue obstruction de la parole, aucune récrimination n'ayant été adressée personnellement à la salariée à sa proposition de compléter le compte-rendu de réunion, la cheffe de service ayant seulement observé le silence observé par Mme [D] au cours d'une réunion de service le 5 octobre 2017, et l'absence de réponses de Mme [M].

Si l'employeur lui a réclamé le 13 juin 2017, la restitution des clés de l'association durant un arrêt maladie de la salariée, il a après 'renseignements fournis par l'inspection du travail' annulé cette demande par courrier du 13 juillet 2017, précisant à la salariée que cette démarche avait été initiée en raison d'un nombre limité de clés, et concluant qu'ayant 'conscience que pour exercer votre mandat, vous devez conserver vos clés et vous demandons de ne pas tenir compte de notre demande initiale'.

Mme [M] invoque également les sanctions dont elle a été l'objet et dont les développements précédents ont permis de retenir que si la lettre d'observation n'était pas fondée, la mise à pied disciplinaire, en revanche l'était. Le fait qu'un des deux avertissements notifiés à la salariée a été annulé ne permet pas à lui seul de supposer l'existence d'un harcèlement.

Au surplus si elle évoque l'hostilité de Mme [A], elle a précisément fait l'objet d'une sanction notamment en raison de son attitude irrespectueuse envers ses collègues. La salariée qui fait état de conditions de travail 'très tendues' à son retour de congés en septembre 2017, ne détaille aucun fait précis.

Mme [M] évoque la situation de Mme [D] qui aurait subi les mêmes agissements qu'elle, ainsi que celle de M. [X], directeur des services pédagogiques, licenciés pour faute grave en décembre 2017 et en octobre 2014, et dont les licenciements ont été déclarés sans cause réelle et sérieuse, mais dont la cour observe que les contestations en justice ne reposaient pas sur des allégations de harcèlement moral, et qu'au demeurant, leurs situations personnelles ne sont pas de nature à faire présumer un harcèlement moral à l'endroit de l'appelante.

Elle verse également aux débats un courriel d'alerte adressé à son employeur le 26 septembre 2017 concernant sa souffrance au travail, sa crainte d'être exclue et brimée par d'autres salariés. Elle produit aussi les propositions de rencontre que lui a formulées l'employeur auxquelles elle n'a donné aucune suite.

Toutefois sur les faits qu'elle évoque, la cour observe qu'ils se rapportent en réalité à des difficultés relationnelles avec ses collègues dont il n'est pas démontré qu'elles étaient imputables à l'employeur.

La salariée produit également un certificat du docteur [C] qui précise l'avoir suivie du 23 mai 2017 au 15 juin 2018 'pour syndrome anxio-dépressif réactionnel à un stress d'origine professionnelle qui a nécessité un traitement anti-dépresseur', ainsi que des justificatifs de consultation auprès d'un psychologue à compter de mars 2018, ces pièces médicales qui ne comportent aucune description des symptômes présentés, pas plus que le dossier médical de la médecine du travail, ne se réfèrent à aucun fait précis relatif aux conditions de travail ni ne permettent de présumer que la dégradation de son état de santé est imputable à des faits de harcèlement moral.

En définitive, la cour relève que la salariée n'énonce dans ses écritures aucun fait déterminé susceptible de relever d'une qualification de harcèlement moral autre que l'allégation générique d'une déconsidération de son employeur et d'une dégradation de ses conditions de travail.

Le jugement sera confirmé.

III- SUR LE MANQUEMENT DE L'EMPLOYEUR A SON OBLIGATION DE SÉCURITÉ

Mme [M] soutient en substance que l'employeur, qui avait parfaite connaissance de la souffrance au travail des salariés en ce compris elle-même et sa cheffe de service, ne justifie pas avoir pris toutes les mesures pour l'en protéger avant d'y avoir été contraint par l'inspection du travail.

L'association conteste tout manquement à ce titre.

Conformément aux dispositions des articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail, dans leur rédaction applicable au présent litige, l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Il veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement de circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

En particulier, il lui appartient de planifier la prévention en y intégrant notamment, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants.

L'obligation de sécurité de l'employeur s'applique en cas de souffrance morale en lien avec le travail. Il faut toutefois rechercher si le syndrome dépressif d'un salarié, lié à la souffrance au travail et à l'origine de l'inaptitude, résulte de manquements de l'employeur aux obligations lui incombant.

Liminairement, la cour précise que la reconnaissance d'un manquement à l'obligation de sécurité de résultat n'est pas incompatible avec le rejet d'une demande au titre du harcèlement moral dès lors que les faits articulés au soutien de chacun de ces moyens sont distincts.

Il est justifié par l'employeur de la mise en place en mars 2015, d'une commission sur les risques psychosociaux ayant pour objectif d'évaluer ceux-ci au sein de l'association et de proposer des pistes d'amélioration. Les comptes-rendus de cette commission, composée notamment de Mme [M] sont également produits, et notamment le compte-rendu du 10 juin 2015 à l'issue duquel a été établie une synthèse des préconisations des salariés quant aux risques identifiés, et les engagements pris sur chacun de ces risques par la direction. Ce faisant, il n'est pas établi qu'un document évaluation des risques ait été alors adopté.

Or, il apparaît que dès le début de l'année 2017, une dégradation générale des conditions de travail a été constatée, de même que l'instauration d'une ambiance délétère se traduisant par une violence ressentie dans le cadre des réunions de service. Il est établi que la direction a d'ailleurs, dès le mois de mars 2017, procédé à des rencontres individuelles avec les salariés du service ACT à l'issue desquelles elle a constaté que 'le service n'est pas un groupe', qu'il règne un manque de communication au sein de cette équipe pluridisciplinaire et que 'la situation est relativement mais suffisamment grave pour que je prenne des décisions dans les semaines à venir'.

Si une note a été établie en mai 2017 pour un déroulement plus apaisé des réunions de service et de fonctionnement, l'employeur ne justifie pas de la mise en oeuvre d'autres mesures pour restaurer une meilleure cohésion au sein du service, et ce d'autant moins, qu'au cours d'une réunion du comité d'entreprise 21 juin 2017, les représentants du personnel ont alerté la direction et lui ont fait part de leurs inquiétudes sur la dégradation des conditions de travail rapportée par plusieurs salariés de différents services, et constaté une grande souffrance pour de nombreux salariés, le problème semblant être 'd'ordre institutionnel'.

Mme [M] produit également le compte-rendu d'une réunion du CHSCT le 18 septembre 2017, soit quelques jours avant les alertes données par Mme [M] et par Mme [A] à la directrice de l'association quant à leur propre souffrance au travail. Dans le cadre de cette réunion, le médecin du travail indique avoir constaté 'une multiplication des demandes de rdv à l'initiative de salariés depuis son arrivée (environ 1 an) ... c'est notamment le cas des ACT. Plusieurs salariés l'ayant sollicitée pour des situations de souffrance au travail, [le médecin du travail] a interpelle [la directrice] afin d'échanger sur plusieurs pistes d'action.' Le compte rendu précise encore en rapportant les propos du médecin du travail 'je suis inquiète pour la santé de ces salariés, et demande une action corrective'.

De même, l'inspection du travail a également écrit à l'association pour lui signaler avoir été 'alertée par plusieurs salariés qui se plaignent de leurs conditions actuelles de travail. Celles-ci se dégradent et vos salariés sont en souffrance morale.'

Encore, par courrier du 23 janvier 2018, la délégation unique du personnel s'adressant aux membres du conseil d'administration de l'association, ont fait part de leur inquiétude quant 'aux répercussions qu'ont engendrées des prises de positions institutionnelles ou managériales sur la santé physique et psychologique de plusieurs salariés : des situations de souffrance au travail à répétition vécues dans différents services de l'ACARS. (...) Ce sentiment d'inquiétude est également présent chez une douzaine de salariés qui sont venus faire part de leurs vécus et de leurs ressentis auprès des représentants DUP durant ces derniers mois.'

Par courrier adressé le 14 novembre 2017, quatre salariées dont Mme [M] ont signalé à l'agence régionale de santé de 'dysfonctionnement grave dans la gestion et l'organisation [du service ACT de l'association] affectant la prise en charge des usagers, leur accompagnement et le respect de leur droit'.

A la suite d'une plainte initiée par des salariées en novembre 2017, l'inspection du travail a procédé à une enquête effectuée courant 2018, et transmise au procureur de la république de Saint-Etienne le 21 janvier 2019. Il ressort de cette enquête, 'l'absence de rapport et de programme annuel du CHSCT, l'absence de DUERP, l'absence de mise en place de la base de données économiques et sociales, qui a donné lieu à un courrier du 18 mai 2018 demandant à l'association de régulariser la situation (..)'. Suite à sa demande, l'inspection du travail note que la direction a finalement 'procédé à l'évaluation détaillée du risque psychosocial en fin d'année 2018 et a élaboré un plan d'action des risques psychosociaux pour l'année 2019.'

A l'instar des autres intervenants, l'inspection du travail dit sans relever de situation de harcèlement moral, avoir constaté 'la dégradation de l'ambiance au sein de l'ACARS', et ce, ensuite du licenciement pour faute grave du directeur des ressources humaines, ainsi qu'une 'réelle souffrance au travail' évoquée à plusieurs reprises par le médecin du travail, dans un contexte de turn-over important en 2017 (40%).

L'employeur lui-même produit des pièces médicales se rapportant à l'état de santé dégradé de Mme [A].

En outre, des éléments médicaux versés au dossier par la salariée et contemporains de ces difficultés, il s'évince que ce climat a défavorablement impacté sa santé, et celle d'autres salariés.

Force est de constater qu'il ne ressort pas des éléments de l'employeur que ce dernier, pourtant alerté de cette situation, a pris toutes les mesures propres à protéger ses salariés et notamment Mme [M], du risque de souffrance au travail.

Par infirmation du jugement, la cour considère que son inaction caractérise un manquement à son obligation de sécurité et le préjudice consécutif de la salariée au regard de la nature de ce manquement doit être réparé à hauteur de 5 000 euros.

IV- SUR LE BIENFONDÉ DU LICENCIEMENT

En l'espèce, Mme [M] soutient que son inaptitude est d'origine professionnelle et le résultat d'un harcèlement moral et à tout le moins, d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

Suivant les dispositions de l'article L. 2411-5 du code du travail applicable à l'espèce, le licenciement d'un délégué du personnel, titulaire ou suppléant, ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail.

Il est constant que l'inspecteur du travail a donné l'autorisation de licencier Mme [M] pour inaptitude par décision du 5 juin 2018.

Il est de principe que dans le cas où une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé est motivée par son inaptitude physique, il revient à l'administration du travail de vérifier que celle-ci est réelle et justifie son licenciement ; il ne lui appartient pas en revanche, dans l'exercice de ce contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude.

Dès lors, l'autorisation administrative de licenciement ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude.

A- Sur l'origine professionnelle de l'inaptitude

Le régime protecteur applicable au salarié inapte, victime d'accident du travail ou de maladie professionnelle, s'applique dans tous les cas où l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a au moins partiellement un lien avec l'exécution du contrat de travail.

Si le salarié a été déclaré inapte à son poste de travail et que l'employeur ne pouvait pas ignorer le lien potentiel entre les faits et l'inaptitude du salarié, les dispositions de l'article L.1226-14 du code du travail doivent être respectées.

Les juges du fond ont l'obligation de rechercher eux-mêmes l'existence de ce lien de causalité et la connaissance qu'avait l'employeur de l'origine professionnelle de l'accident ou de la maladie.

La salariée fonde ainsi sa demande de requalification professionnelle de son inaptitude sur les notes du médecin du travail au cours des dernières visites ainsi que sur la décision rendue par le pôle social du tribunal judiciaire de Saint-Etienne en date du 4 mai 2021, qui a reconnu le caractère professionnel d'un accident survenu le 6 novembre 2017 à l'occasion de la remise à la salariée de la convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement (la salariée produisant également l'arrêt confirmatif de la cour en date du 3 octobre 2023).

Pour sa part, l'employeur indique qu'au moment de la rupture du contrat de travail, il avait seulement connaissance du refus de la caisse primaire d'assurance maladie de reconnaître le caractère professionnel du prétendu accident déclaré par la salariée.

Il n'est pas contestable que Mme [M] a été en arrêt de travail pour maladie ordinaire du 23 octobre au 5 octobre 2017. A son retour, elle s'est vu remettre une convocation à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire. Elle a été arrêtée le 7 novembre 2017, le certificat médical initial mentionnant un accident de travail survenu la veille.

L'avis d'inaptitude a été rendu dans le cadre d'une visite de reprise à la suite de ces arrêts de travail ininterrompus depuis le 7 novembre 2017.

Cet avis indique "inaptitude au poste. Tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé. L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi'. Cet avis ne contient aucune référence à l'accident de travail. Le dossier médical n'est pas davantage pertinent puisqu'il se contente de reprendre les événements médico-administratifs afférents à la salariée, et quelques notes du médecin du travail rédigées en ces termes en se rapportant aux propos de la salariée : 'va mieux, tjs en arrêt maladie, fait des projets, prospecte pour un autre poste ailleurs' (note ensuite d'une visite du 17 novembre 2017), 'moral au plus bas, baisse de la combativité, grosse rancoeur contre la direction (...) A sollicité un avocat...' (Visite du 22 décembre 2017), 'en colère, sommeil non réparateur, ne se voit pas reprendre son poste, bilan de compétence envisagé' (visite du 26 janvier 2018), 'beaucoup de rancoeur' (visite du 16 mars 2018) (pièce salariée 43).

Au regard du contexte de travail décrit dans les développements précédents, et des éléments médicaux versés aux débats, l'origine professionnelle de l'inaptitude apparaît suffisamment établi.

En outre, comme il a déjà été dit, l'employeur, alerté à plusieurs reprises par la salariée et par d'autres instances sur son mal être au travail, ne pouvait ignorer l'origine professionnelle de l'inaptitude.

Il en résulte que les conditions prévues à l'article L.1226-14 du code du travail relatives à l'origine professionnelle de l'inaptitude sont remplies.

B- Sur la nullité et/ou le caractère réel et sérieux du licenciement

Au terme du dispositif de ses écritures, Mme [M] demande à la cour 'de déclarer son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et nul'.

Dans la mesure où un licenciement est soit nul soit sans cause réelle et sérieuse, mais certainement pas les deux simultanément, la cour retient que les faits de harcèlement moral ayant été écartés, et la salariée n'invoquant d'autres moyens de nullité du licenciement, sa demande de nullité du licenciement doit être rejetée.

Cependant, il est jugé qu'est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude lorsqu'il est démontré que l'inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée (Cass. soc., 6 février 2019, n° 17-22.301).

Or, ici, dès lors que la salariée rapporte la preuve de sa souffrance au travail et établit que son inaptitude a pour origine le manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur, lequel ne justifie d'aucune mesure effective de prévention et de préservation de la santé physique et psychique de sa salariée, le licenciement pour inaptitude qui lui a été notifié est dépourvu de cause réelle et sérieuse et l'employeur est tenu aux conséquences de la rupture.

C- Sur les conséquences financières

Mme [M] ne réclame pas le paiement de l'indemnité spéciale de licenciement, rappelant qu'elle a perçu une indemnité conventionnelle de licenciement d'un montant équivalent.

En l'absence de contestation de l'employeur sur le quantum des sommes réclamées, le jugement sera confirmé en ce qu'il a alloué à la salariée la somme de 5 088,10 euros à titre d'indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L.1234-5, mais infirmé sur les congés payés afférents dès lors que cette indemnité n'a pas la nature d'une indemnité de préavis et n'est donc pas génératrice de droits à congés payés.

En application de l'article L.1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux.

Mme [M] sollicite une indemnisation équivalente à un an de salaire, soit 30 500 €, soit au-delà du barème qui prévoit au regard de son ancienneté une indemnisation comprise entre 3 et 8 mois de salaire, et sans établir de circonstances particulières justifiant l'inapplication des dispositions légales, alors qu'elle démontre avoir retrouvé un emploi public.

Il convient dès lors de condamner l'association à lui verser la somme de 15 500 € de dommages et intérêts (soit 6 mois de salaire) pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

V- SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES

L'association, qui succombe principalement, sera condamnée aux dépens d'appel et déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle sera en outre condamnée à payer à Mme [M] une somme supplémentaire de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a annulé la lettre d'observations du 18 mai 2017, en ce qu'il a confirmé la mise à pied disciplinaire du 20 décembre 2017, en ce qu'il a dit que le harcèlement moral n'était pas caractérisé, en ce qu'il a retenu l'origine professionnelle de l'inaptitude, et en ce qu'il a alloué à la salariée une indemnité compensatrice dont le montant est équivalent au montant de l'indemnité de préavis,

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que l'inaptitude de Mme [M] a pour origine les manquements de l'employeur à son obligation de sécurité,

Juge en conséquence le licenciement pour inaptitude dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamne l'association ACARS à payer à Mme [M] la somme de 15 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Condamne l'association ACARS à payer à Mme [M] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à son obligation de sécurité,

Dit que l'indemnité spéciale équivalente dans son montant à l'indemnité de préavis n'ouvre pas droit à congés payés,

Déboute l'association ACARS de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne l'association ACARS à payer à Mme [M] la somme de 2 500 euros, au titre des frais irrépétibles exposés en appel,

Condamne l'association ACARS aux dépens d'appel.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale c
Numéro d'arrêt : 21/08107
Date de la décision : 25/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-25;21.08107 ?
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