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25/04/2024 | FRANCE | N°21/07839

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale c, 25 avril 2024, 21/07839


AFFAIRE PRUD'HOMALE



DOUBLE RAPPORTEUR











N° RG 21/07839 - N° Portalis DBVX-V-B7F-N5CZ



[V]



C/



S.A.S. MVRA FRANCE









APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VILLEFRANCHE SUR SAONE

du 27 Septembre 2021

RG : F20/00097







COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE C



ARRET DU 25 Avril 2024







APPELANT :



[X] [V]



[Adresse 4]

[Localité 1]



représenté par Me Aurélie BONNET-VILLEMIN, avocat au barreau de LYON, Me Adeline LOUIS, avocat au barreau de LYON







INTIMEE :



S.A.S. MVRA FRANCE venant aux droits du GIE B2J3,

[Adresse 3]

[Localité 2]



représentée par Me Fré...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

DOUBLE RAPPORTEUR

N° RG 21/07839 - N° Portalis DBVX-V-B7F-N5CZ

[V]

C/

S.A.S. MVRA FRANCE

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VILLEFRANCHE SUR SAONE

du 27 Septembre 2021

RG : F20/00097

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRET DU 25 Avril 2024

APPELANT :

[X] [V]

[Adresse 4]

[Localité 1]

représenté par Me Aurélie BONNET-VILLEMIN, avocat au barreau de LYON, Me Adeline LOUIS, avocat au barreau de LYON

INTIMEE :

S.A.S. MVRA FRANCE venant aux droits du GIE B2J3,

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Me Frédéric RENAUD de la SELARL RENAUD AVOCATS, avocat plaidoyant au barreau de LYON, Me Romain LAFFLY de la SELARL LX LYON, avocat postulant au barreau de LYON

DEBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 25 Janvier 2024

Présidée par Nabila BOUCHENTOUF, conseiller et Françoise CARRIER, conseiller honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, magistrats rapporteurs (sans opposition des parties dûment avisées) qui en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistés pendant les débats de Fernand CHAPPRON, greffier

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Etienne RIGAL, président

- Nabila BOUCHENTOUF, conseiller

- Françoise CARRIER, conseiller honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

ARRET : CONTRADICTOIRE

rendu publiquement le 25 Avril 2024 par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Nabila BOUCHENTOUF, consieller pour Etienne RIGAL, président empêché, et par Fernand CHAPPRON, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [X] [V] a été embauché par le GIE B2J3, exploitant une activité de courtage d'assurance à [Localité 2], suivant un contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 1er décembre 2015, en qualité de chargé de clientèle et du développement, statut cadre, classe E en application de la convention collective du courtage d'assurances.

Il était soumis à une convention de forfait en jours dans la limite de 216 jours par an.

Il a été placé en arrêt de travail pour maladie d'origine non professionnelle du 7 au 18 janvier 2019 puis à nouveau à compter du 20 mars 2019, suite à une proposition de rupture conventionnelle en date du 5 mars, réitérée les 12 et 14 mars.

Par courrier recommandé du 22 mars 2019, la société B2J3 l'a convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé au 2 avril suivant.

Par courriel et par courrier du 1er avril 2019, M. [V] a informé la société que son état de santé ne lui permettait pas de se rendre à l'entretien préalable. Par un courrier recommandé du 2 avril 2019, la société B2J3 l'a convoqué à un nouvel entretien préalable, fixé au 5 avril suivant.

Par courrier recommandé du 4 avril 2019, le salarié a à nouveau sollicité le report de l'entretien préalable, toujours pour raison médicale.

Par courriel du 9 avril 2019, la société B2J3 lui a exposé les griefs qui devaient lui être présentés lors dudit entretien afin qu'il puisse y répondre.

Le salarié a répondu à ces griefs, par courriel du 15 avril 2019.

Par courrier recommandé du 19 avril 2019, la société a notifié à M. [V] son licenciement pour insuffisance professionnelle dans les termes suivants :

« Nous avons le regret de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour insuffisance professionnelle, pour les raisons qui vous ont été exposées par mail du 9 avril 2019 et que nous reprenons synthétiquement ci-après.

Vous exercez les fonctions de chargé de clientèle et du dévelppement depuis le 1er décembre 2015.

Nous sommes aujourd'hui au regret de juger de nombreuses insuffisances dans l'exercice de vos fonctions, auxquelles vous n'avez pu remédier malgré nos conseils et notre accompagnement constant depuis votre embauche.

Il apparait que, malgré le temps qui vous a été laissé pour mieux appréhender vos missions, vos résultats sont très inférieurs à ceux qu'il est légitime d'attendre de vous, ce qui est aujourd'hui fortement préjudiciable à l'activité de notre groupement.

En effet, après plus de trois années d'activité, et malgré un suivi et un soutien constant de la part de vos responsables, Monsieur [T] [J] et Monsieur [S] [R], notamment dans le cadre d'entretiens et de réunions commerciales, nous devons juger que vos résultats personnels sont très insuffisants. Il apparaît que ces résultats sont la conséquence de difficultés réelles d'organisation dans votre travail, ainsi que de difficultés à adopter une posture commerciale adaptée et proactive vis-à-vis de la clientèle actuelle ou potentielle de votre secteur.

Pourtant, lors de divers entretiens, il vous a non seulement été rappelé et réexpliqué les points clés et les actions à mener pour remplir vos fonctions, mais il vous a également été apporté des conseils relatifs à la mise en 'uvre de ces actions, notamment lors des 2 entretiens individuels de 2018 et 2019 et lors des réunions commerciales hebdomadaires.

Sur ce point, vous mentionnez dans votre mail de réponse du 15 avril que les compte rendus de ces entretiens ne vous ont jamais été remis. Nous vous précisons qu'il n'y a pas d'obligation légale de formaliser de compte rendu à l'issue des entretiens et réunions commerciales organisés. Ces points périodiques n'ayant pas légalement à faite l'objet d'un support nécessairement écrit. S'agissant du dernier entretien annuel d'évaluation, nous avons effectivement omis de vous l'adresser, et vous prions de bien vouloir le trouver joint à la présente.

Les éléments caractérisant l'insuffisance qui vous est reprochée sont les suivants.

Résultats insuffisants

Sur ce point, nous vous rappelons qu'en qualité de Chargé de clientèle et du développement, il est attendu de vous de développer la clientèle de la structure en déployant des actions susceptibles de générer du chiffre d'affaires et de la marge.

Nous attendions naturellement à ce titre, des résultats raisonnables de votre part notamment au regard du potentiel du marché de votre secteur.

Or, nous constatons que vos résultats sont bien en-deçà de nos attentes.

En effet :

' Vous avez atteint 7001€ de commissions sur affaires nouvelles (anciens et nouveaux clients) en 2018 pour 31 clients et 45 contrats, 14 404€ en 2017 pour 37 clients et 60 contrats ;

' Le portefeuille qui vous a été confié représentant un montant global de commissions de 90 000 € en 2017 contre 78 000 € de commissions en 2018.

Par ailleurs, le volume global de commissions, particulièrement sur 2018, ne permet pas de dégager un niveau de marge minimale acceptable. Les charges de structure (salaires, charges sociales afférentes, matériel, locaux etc.) inhérentes à votre emploi étant à peine couvertes par le niveau de commissions.

Le différentiel entre le niveau de commissions géré (78 K) et celui (entre 120 et 150 K€) qui permet à la structure de dégager un niveau de marge « normal » est malheureusement considérable. Vos résultats ne sont pas en adéquation avec les chiffres que nous attendons, lesquels ne sont pas irréalisables en soi compte tenu de votre secteur qui présente un potentiel réel.

Ce faisant, force est donc de juger que les résultats récemment obtenus sont très insuffisants et éloignés de nos attentes légitimes pour votre secteur.

Dans votre courrier de réponse, vous nous faites part de votre étonnement quant aux chiffres susmentionnés.

Nous vous précisons que nos griefs portent sur votre activité qui n'est pas assez significative par rapport au potentiel à exploiter et ne portent en aucun cas sur la non

atteinte d'objectifs, auxquels, nous vous le confirmons, vous n'étiez pas astreints.

Par ailleurs, vous indiquez que votre contrat ne prévoit aucun objectif chiffré et que seul un commissionnement sur vos résultats est prévu contractuellement. Nous vous rappelons à ce titre que nous vous avions proposé un protocole mettant en place une rémunération variable en 2015 et que vous ne l'avez pas signé. Néanmoins, afin de vous motiver et malgré la faiblesse de vos performances, nous avions décidé même en l'absence de signature du protocole, de vous verser une prime de 2 349 € en 2016, et avions procédé à une augmentation de votre salaire de 6,3%. Pour autant, compte tenu du fait que vous n'avez pas signé le protocole qui vous a été soumis, il ne peut légitimement nous être reproché de ne pas vous avoir versé de commissions sur 2017 et 2018.

Organisation, proactivité et relationnel commercial

De plus, le poste que vous occupez en tant que chargé de clientèle et du développement, demande d'une part que vous soyez force de proposition et d'autre part, nécessite que soient déployées des actions de dynamisation des relations commerciales avec les clients et prospects. Ces actions passant nécessairement par la mise en 'uvre d'une organisation de votre activité : ciblage des clients et prospects, organisation d'un plan de visites, de relances, d'actions commerciales etc.

Or, il apparaît que le volume de visites/contacts client et projets à développer au profit de l'équipe commerciale, qu'ils soient téléphoniques et a fortiori physiques, est très inférieur à ce qu'il devrait être, voire inexistant.

A titre d'exemple, il vous appartenait notamment de veiller à être proactif et dynamique commercialement dans le cadre des projets et actions suivantes :

' Proposition d'actions commerciales ;

' Commercialisation d'un produit pour une association de médecins ;

' Partenariat avec les associations suivantes :

o FCVB

o MDA

o Azergue Entreprendre

' Développement du Cyber-Risque

Naturellement, de tels partenariats supposaient un niveau de présentiel réel, condition de base pour que du potentiel commercial soit transformé.

Nous avons été abasourdis de découvrir qu'en réalité, vous ne participiez plus aux réunions de ces réseaux et avons ainsi mieux compris les raisons pour lesquelles aucune retombée commerciale n'avait été générée.

Certes, il ne s'agit pas de prétendre que la participation active à ces réseaux aurait à elle seule permis de générer un niveau de commissions important, il est pour autant édifiant que vous n'ayez pas perçu dans lesdits réseaux une source de potentiel commercial, et un moyen d'élargir vos sources de contacts/prospects, et ainsi de maximiser les chances d'être recommandé/sollicité.

La base de la fonction commerciale étant de faire connaître la structure et ses produits.

Par ailleurs, nous constatons que vous rencontrez des difficultés à instaurer, entretenir, ou dynamiser la relation commerciale avec nos clients et identifier des prospects.

A titre d'illustration, afin d'affirmer notre présence sur le marché, deux campagnes de prospection téléphonique ont été lancées en 2017 et 2018, au cours desquelles il vous revenait de prendre en charge les rendez-vous qui avaient été pris à cette occasion et de transformer les prospects en clients. Force est de juger que la concrétisation s'est avérée insuffisante.

Dans le même ordre d'idées, le projet de prospection dans les zones industrielles auprès des PME/PMI de la proche région, qui avait un réel intérêt, s'est avéré infructueux, faute de suivi des actions de prospection (relances téléphoniques, e-mailing, etc.).

De surcroit, dans le cadre du dossier Cyber Sécurité, il était convenu conjointement que vous preniez en charge le déploiement commercial des produits que nous proposons ainsi que la recherche de prestations/prestataires liée à ce type de garantie (audit, tests').

Ces produits s'inscrivant pleinement dans une tendance profonde d'un besoin croissant de tous les acteurs économiques de s'équiper de polices d'assurance les couvrant contre les risques de détournement, piratage, obligations légales d'information, ') de données informatiques.

Il y avait ainsi un réel potentiel à exploiter, qui supposait que soit préparé un plan commercial structuré : identification des cibles commerciales, travail sur le discours commercial/les supports documentaires à utiliser, planification des prises de contacts, des rendez-vous et des relances etc').

Or, force est de juger qu'aucune commission n'a à ce jour été générée, et que le plan commercial n'a été ni imaginé ni a fortiori déployé de façon structurée et efficace.

Sur ces points, vous nous indiquez dans votre email qu'à votre arrivée, les projets et réseaux précédemment évoqués étaient quasi inexistants. Or, nous vous rappelons que le partenariat avec Azergues Entreprendre existait déjà à votre arrivée et que vous en avez simplement pris le relais, de même que pour le partenariat avec le FCVB. Par ailleurs, s'il est vrai que vous avez été à l'initiative du partenariat avec MDA, il demeure qu'aucun client n'a été apporté par l'intermédiaire de ce partenaire, ni par les deux autres.

Par ailleurs, vous expliquez votre absence de participation active à ces réseaux par le fait que votre présence aux réunions les soirs et week-end est devenue compliquée avec la dégradation de votre état de santé. Or, dans la mesure notamment où vous êtes soumis à un forfait-jours, il vous appartenait de faire en sorte d'être présent aux réunions organisées par les partenaires, et cela notamment durant les périodes au cours desquelles vous n'étiez pas en arrêt maladie.

Manque de rigueur

De façon récurrente, nous avons constaté que vous ne collectez pas toutes les informations nécessaires au traitement des dossiers lors de votre prospection, ce qui contraint les gestionnaires à reprendre contact avec les prospects pour les interroger sur les informations manquantes.

De fait, les gestionnaires ne peuvent présenter un dossier aux compagnies sans passer par cette étape préalable visant à reprendre contact avec les prospects. Au-delà de constituer une perte de temps pour les gestionnaires, cette étape entraine un retard dans la transmission des dossiers aux compagnies et par suite, un retard dans la réalisation des affaires. Comme vous le savez, le fait de solliciter à nouveau le prospect/client pour lui demander des informations administratives et techniques qui auraient dû lui être demandées en amont met notre société en situation de porte-à-faux commercial.

Sur ce point, vous justifiez votre manque de rigueur par le fait qu'il est fréquent que « le client ne soit pas disponible pour répondre immédiatement à l'ensemble des questions ou encore qu'il ait du mal à fournir certaines pièces importantes à l'élaboration d'une étude ».

Pour autant, lorsque de telles situations se présentaient, il vous appartenait d'identifier les éléments manquants ainsi que les points et actions complémentaires à mettre en 'uvre pour compléter le dossier. Ceci dans un esprit collaboratif avec les personnes en charge de la saisie des données, et dans une logique d'efficience de la société.

Cela aurait ainsi permis aux gestionnaires d'identifier les dossiers concernés comme étant incomplets et de mieux cerner les actions complémentaires à entreprendre pour la complétude des dossiers.

Cette situation d'échec prolongée est gravement préjudiciable à la structure et à son activité commerciale, et ne s'explique malheureusement que par les insuffisances qui sont les vôtres dans l'exercice de vos fonctions commerciales, et ce, malgré l'accompagnement, le soutien et la disponibilité de votre supérieur hiérarchique et de l'ensemble de l'équipe.

Nous ne pouvons que faire le constat que, malgré les moyens déployés pour vous permettre de vous améliorer, et le potentiel réel du secteur sur lequel vous évoluez, il est malheureusement impossible de poursuivre nos relations contractuelles dans ces conditions, sans risquer une fragilisation très préjudiciable des positions de la structure et de son développement.

Les explications que vous nous avez fournies par mail du 15 avril, en réponse aux griefs qui vous ont été exposés, ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits reprochés.

En effet, vous indiquez dans votre mail, contester les griefs évoqués car vous considérez que la plupart d'entre eux sont liés directement à votre état de santé. Contrairement à ce que vous affirmez, il n'existe aucun lien de causalité entre votre état de santé et les griefs formulés. D'ailleurs, comme en fait état notre mail du 9 avril, certaines insuffisances de résultats remontent à 2017, soit avant même que vous nous signaliez vos problèmes de santé. En outre, concernant vos résultats de 2018, il ne vous était pas demandé d'atteindre 100% du potentiel de marché, mais d'obtenir des résultats corrects durant vos périodes de présence dans l'entreprise.

[...]

Dans ces conditions, et face à l'insuffisance professionnelle et de résultats constatée, nous sommes aujourd'hui contraints de procéder à votre licenciement.»

La société MVRA est venue aux droits du GIE B2J3 à compter du mois de juillet 2020.

Par requête reçue au greffe le 24 août 2020, M. [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Villefranche-sur-Saône afin de contester son licenciement qu'il estimait discriminatoire en raison de son état de santé et d'obtenir des dommages et intérêts pour licenciement nul, subsidiairement sans cause réelle et sérieuse, pour exécution déloyale du contrat de travail et pour licenciement vexatoire.

Par jugement du 27 septembre 2021, le conseil de prud'hommes a débouté M. [V] de l'ensemble de ses demandes et lui a laissé la charge des dépens.

M. [V] a interjeté appel par déclaration du 27 octobre 2021.

Aux termes de conclusions notifiées le 19 mai 2022, il demande à la cour de :

- réformer le jugement en toutes ses dispositions,

- déclarer ses demandes recevables,

- condamner la société MVRA France venant aux droits du GIE B2J3 à lui verser les sommes suivantes, outre intérêts au taux légal à compter du jour de la demande :

'' 37 000 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, subsidiairement 12 180 € pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

'' 10 000 € nets à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct du fait ces circonstances brutales et vexatoires de son licenciement,

'' 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

- débouter la société MVRA France de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société MVRA France, venant aux droits du GIE B2J3, à lui verser la somme de 4 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

Aux termes de conclusions notifiées le 5 avril 2022, la société MVRA demande à la cour de :

- réformer le jugement en ce qu'il a dit non prescrite l'action entreprise,

- déclarer les demandes de M [V] irrecevables,

- subsidiairement, confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [V] de l'ensemble de ses demandes,

- plus subsidiairement, réduire à de plus justes proportions le montant des éventuels dommages-intérêts susceptibles d'être alloués par M. [V] au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail,

- en tout état de cause, condamner M. [V] à lui payer la somme de 3 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, il est rappelé que les demandes tendant à voir "constater" ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et ne saisissent pas la cour ; qu'il en est de même des demandes tendant à voir 'dire et juger" lorsque celles-ci développent en réalité des moyens.

Sur la recevabilité de la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

La société MVRA fait valoir qu'en l'absence de discrimination, l'action en justice introduite par le salarié est prescrite, celui-ci ayant saisi le conseil de prud'hommes le 24 août 2020, soit au delà du délai d'un an à compter de la notification de son licenciement prévu par la code du travail et au delà de la période juridiquement protégée issue de l'ordonnance du 25 mars 2020 qui prenait fin au 23 juin 2020 inclus, la prorogation du délai de prescription ne pouvant excéder deux mois à compter de son terme, soit jusqu'au 23 août 2020.

Le salarié répond :

- que son action n'est pas prescrite puisqu'il a agi dans le délai de 5 ans applicable en matière de discrimination,

- qu'en tout état de cause, la demande, adressée par voie postale au conseil de prud'hommes, est formée à la date de l'envoi de la lettre recommandée le saisissant, soit, selon le cachet de la Poste, le 20 août 2020 ; qu'ainsi il a agi dans le délai de prescription applicable hors les cas de discrimination, en tenant compte des aménagements de délais prévus par l'ordonnance du 25 mars 2020.

Selon l'article 668 du code de procédure civile, la date de la notification par voie postale est, à l'égard de celui qui y procède, celle de l'expédition.

En l'espèce, M. [V] justifie qu'il a expédié la lettre recommandée saisissant le conseil de prud'hommes de sa contestation du licenciement le 20 août 2020 soit antérieurement à l'expiration du délai de deux mois de la période de protection prévue à l'ordonnance du 25 mars 2020 de sorte que son action est recevable.

Sur l'exécution déloyale du contrat de travail

L'article L.1222-l du code du travail dispose que le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

L'article L.6321-l dispose que l'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail. Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations.

L'article L.3121-60 dispose, quant à lui, que l'employeur s'assure régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail.

M. [V] fait valoir :

- que les contours des missions qui lui ont été assignées sont particulièrement vagues,

- qu'il n'a bénéficié d'aucune formation professionnelle sérieuse notamment sur les sujets techniques tels que l'informatique et les cyber risques,

- que les entretiens d'évaluation annuels ont été tenus avec une grande légèreté,

- que la société MVRA a manqué à son obligation de s'assurer régulièrement que sa charge de travail soit raisonnable, alors que sa mission de développement de réseaux impliquait de participer à des réunions et événements tardifs ou en week end.

La société MVRA fait valoir :

- que la mission relative au cyber-risque entrait pleinement dans le cadre des fonctions de chargé de clientèle,

- que le salarié était formé comme ayant 8 années d'expérience dans la vente de produits d'assurance de sorte qu'il n'a pas pu souffrir de l'absence de formation, qu'en outre il a bénéficié de formations en lien avec ses missions et les produits vendus dans le cadre d'ateliers, de conférences et de formations,

- que le salarié a bénéficié d'entretien d'évaluation ou professionnels chaque année, qu'un entretien au début de l'année 2016 n'aurait pas eu d'intérêt,

- que M. [V] n'a jamais signalé de difficultés s'agissant de sa charge de travail alors que le formulaire d'entretien comporte une rubrique sur les difficultés rencontrées par le collaborateur,

qu'il n'a pas formulé de demande de rémunération complémentaire au titre d'une surcharge de travail.

Le non respect par l'employeur des dispositions légales et/ou des clauses de l'accord collectif destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés soumis au régime du forfait en jours prive d'effet la convention de forfait et ouvre le droit pour le salarié concerné à des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

Aux termes de la convention collective, la mission d'un chargé de clientèle est de fidéliser la clientèle existante et de générer de nouvelles affaires en entretenant et en développant le portefeuille de clientèle confié.

L'employeur ne saurait contester que le salarié s'était vu confier, en sus sa stricte mission de chargé de clientèle, des missions d'élaboration de nouveaux produits que le salarié qualifie de missions de 'développement interne'.

Or l'employeur ne justifie pas avoir établi un quelconque descriptif clair de ces missions. Il résulte des pièces versées aux débats qu'il a attribué au jour le jour des missions de prospective au salarié qui n'entraient pas strictement dans ses fonctions de chargé de clientèle.

Alors que l'activité de 'développement interne' à caractère très technique n'entrait pas dans l'expérience professionnelle du salarié, l'employeur ne justifie pas l'avoir accompagné dans cette activité, les échanges lors des réunions hebdomadaires de l'équipe commerciale dans son ensemble mises en place en 2018 ne pouvant apporter le soutien attendu d'un véritable accompagnement par ses supérieurs.

Cette organisation ne permettait pas un équillibre entre le travail strict de prospection de la clientèle nécessaire à l'apport de commissionnements et le temps de construction de projets, d'autant plus chronophage que le salarié ne bénéficiait pas de soutien.

En outre, il ne ressort pas des comptes-rendus des entretiens de 2017 et 2019 que la question de la charge de travail du salarié et de sa compatibilité avec sa vie personnelle et familiale aient été abordées alors qu'il ressort des documents produits que les réseaux dans lesquels il lui était demandé de s'investir impliquaient sa participation à des réunions tardives et/ou le week end.

S'agissant de la formation, M. [V] a fait part lors de l'entretien d'évaluation du 5 février 2017 de son besoin de formation sur le cyber risque et en informatique.

Pour preuve de l'exécution de son obligation de formation, l'employeur produit divers échanges faisant apparaître qu'il a proposé au salarié de participer ponctuellement à des conférences ou à des présentations commerciales proposées par les assureurs. Toutefois, il ne justifie pas s'être préoccupé de savoir si M. [V] serait disponible pour y assister. S'agissant en tout état de cause d'opérations à caractère commercial organisées par les assureurs, elles ne pouvaient suppléer une formation professionnelle répondant aux besoins exprimés.

Les manquements imputés à l'employeur dans l'exécution du contrat de travail sont en conséquence établis. Ils ont rendu pour le salarié l'exécution de ses missions plus difficiles. Le préjudice subi par M. [V] de ce chef est justement réparé par l'allocation d'une somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts.

Sur l'insuffisance professionnelle

Au terme de l'article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel ou professionnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

Le licenciement peut avoir une cause réelle et sérieuse même en l'absence de faute du salarié, en présence d'une situation compromettant la bonne marche de l'entreprise.

Le licenciement pour un motif personnel doit être fondé sur des éléments objectifs imputables au salarié.

Le juge, à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur au soutien d'un licenciement, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié, conformément aux dispositions de l'article L.1235-1 du code du travail.

Le grief d'insuffisance professionnelle, à savoir l'inadéquation du salarié à son emploi, constitue l'énoncé du motif précis et matériellement vérifiable exigé par la loi. Pour constituer une cause de licenciement l'insuffisance professionnelle doit être préjudiciable aux intérêts de l'entreprise.

L'appréciation des aptitudes professionnelles et de l'adaptation à l'emploi relève du pouvoir de direction de l'employeur.

L'insuffisance professionnelle doit reposer sur des éléments précis, objectifs et imputables au salarié mais son appréciation relève du seul pouvoir de direction de l'employeur. L'insuffisance de résultat n'est pas en soi une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Les griefs de l'employeur sont les suivants :

- une insuffisance de résultats

- un manque de dynamisme dans les prospections, des carences dans l'organisation, la proactivité et le relationnel commercial,

- un manque de rigueur dans la constitution des dossiers lors de ses prospections.

Le salarié fait valoir :

- qu'aucun objectif contractuel de résultat ne lui avait été assigné, qu'en tout état de cause, les éléments de comparaison invoqués par l'employeur ne sont ni pertinents ni probants,

- qu'il ne s'est jamais vu adresser de reproche pendant les deux premières années de la relation de travail, qu'il a bénéficié d'une augmentation de salaire et d'une prime en 2017,

- que son activité de 'développement interne' autour d'un projet HUB s'est faite au détriment de ses actions de gestion de portefeuille, raison pour laquelle aucun objectif chiffré ne lui avait été assigné,

- qu'il n'est pas justifié d'un amoindrissement du portefeuille commercial qui lui avait été confié,

- qu'il a mis en place diverses actions de dynamisation commerciale, celles-ci ayant été validées par la direction à l'occasion des réunions commerciales hebdomadaires, qu'il a fait aboutir le projet D.O. Syndic lequel a été mis en oeuvre par MVRA, qu'il a également conduit un projet d'assurance 'Cyber sécurité' sans avoir toutefois bénéficié d'une formation en la matière alors qu'il avait exprimé des besoins sur ce point lors de l'entretien annuel du 15 février 2017, qu'il a aussi mis à l'étude un projet relatif à la location saisonnière, et travaillé sur un produit 'indemnités de fin de carrière',

- que la campagne de prospection téléphonique de 2017 qu'il avait mise en place avait amené deux 'beaux' clients en 2017, [G] et Metis Levage, qu'il n'a pas participé à la mise en place de la compagne 2018 et qu'un seul rendez-vous lui a été affecté par le prestataire, que les autres chargés de clientèle n'ont pas obtenu de meilleurs résultats,

- qu'il a fait des démarches pour s'inscrire dans le réseau d'entreprises HUB Retail mais s'est vu opposer un refus par la direction, qu'il s'est inscrit à différentes rencontres d'entreprises,

- que le grief de manque de rigueur est vague et imprécis et n'est justifié par aucune pièce, l'attestation de Mme [F], chargée de gestion, n'étant pas pertinente dès lors qu'il n'était pas attendu de lui les qualités d'un technicien de l'assurance mais celles d'un commercial.

Pour preuve de l'insuffisance de commissions réalisées par le salarié, la société MVRA se prévaut du fait que le niveau attendu de commissionnement annuel d'un chargé de clientèle se situait entre 120 000 € et 150 000 € alors que M. [V] n'avait pas dépassé 90 000 € au cours des trois années d'emploi. Toutefois, elle ne produit aucun élément de comparaison permettant de donner crédit à ses allégations quant au niveau de commissionnement 'normal' au sein de l'entreprise.

S'agissant des affaires nouvelles sur la période d'emploi, elle justifie que le nombre de clients apportés par M. [V] est passé de 70 à 45 entre 2016 et 2018, le nombre de nouveaux clients étant quant à lui passé de 44 à 31 au cours de la même période et les commissionnements, après avoir atteint 14 404 € au cours de la deuxième année (2017), sont tombés à 7 000 € en 2018 alors qu'ils avaient atteint 7 716 € en 2016. Ainsi, une baisse de résultats est avérée par comparaison avec ceux des années précédentes. Il convient toutefois de relever qu'il ne ressort pas du compte-rendu de l'entretien d'évaluation du 5 février 2019 que la question ait été abordée ce qui aurait dû être le cas si il y avait matière à en faire grief au salarié.

En outre, le salarié justifie s'être investi dans les projets de 'développement interne' suivants : DO syndic, Cyber sécurité, 'location saisonnière' ainsi que dans un projet à destination d'armateurs n'ayant pas eu de suite faute de potentiel dans la région.

S'agissant du projet HUB, consistant à développer auprès des entreprises clientes une nouvelle offre dans le domaine de la gestion des risques, la société MVRA conteste que M. [V] ait porté le projet et en veut pour preuve une plaquette établie par les soins de son service de communication qu'elle prétend avoir diffusée à l'ensemble des chargés de clientèle au mois de mars 2018. Elle ne justifie pas toutefois de cette diffusion alors que M. [V] produit un ensemble de documents ainsi qu'un listing d'entreprises et de contacts qui démontrent sa forte implication dans ce projet.

Ainsi, l'accomplissement de ces missions s'est nécessairement fait au détriment du développement du portefeuille qui avait été confié au salarié.

L'employeur invoque à titre de comparaison les résultats obtenus par deux autres chargées de clientèle récemment embauchées ayant généré des commissions sur affaires nouvelles d'un niveau largement supérieur à celui obtenu par M. [V].

Or il ne justifie pas que les intéressées s'étaient vues attribuer en sus de leur stricte mission de chargées de clientèle, des missions de 'développement interne' comme M. [V]. Il en résulte que leur niveau de commissionnement sur affaires nouvelles ne constitue pas un élément de comparaison pertinent.

Il convient également de prendre en compte les arrêts maladie de M. [V] en 2018 qui ont nécessairement entravé son activité professionnelle.

Ainsi qu'il l'a été dit au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail, l'employeur n'a pas répondu aux besoins de formation exprimés par le salarié en particulier en matière de Cyber sécurité. Il ne justifie pas non plus avoir accompagné le salarié dans le développement du produit Cyber sécurité ni de son 'potentiel exploitable' de sorte que le fait que les offres de ce produit telles que mises en oeuvres par le salarié n'aient pas généré de commissions n'apparaît pas imputable à ce dernier.

L'employeur ne produit aucun élément permettant d'objectiver le fait que le volume de visites/contacts clients et projets à développer au profit de l'équipe commerciale de M. [V] aurait été inférieur à ce qu'il aurait dû être.

Il invoque l'absence de participation active du salarié aux réseaux de partenariat avec les associations FCVB, MDA et Azergues Entreprendre tout en reconnaissant de façon contradictoire que le sponsoring des clubs de football de [Localité 5] (partenariat MDA) et de [Localité 6] (partenariat FCVB) n'avaient abouti à aucune 'action commerciale concrète'. Il s'en déduit que M. [V] avait bien mis en oeuvre des actions de sponsoring auprès de ces deux partenaires. Les échanges de courriels et les flyers de manifestations produits par le salarié attestent de son implication dans ces réseaux. L'insuffisance qui lui est imputée sur ce point n'est pas établie.

S'agissant de l'absence de participation au réseau de l'association Azergues entreprendre, la société MVRA se fonde sur un courrier du président de l'association daté du 11 janvier 2021 qui indique l'avoir 'alertée de l'absence régulière de son représentant' aux réunion et formations délivrées par le club. Ce courrier n'est pas circonstancié dans le temps, ne comportant aucune précision de date. On peut toutefois en déduire que la société MVRA a été informée de l'absence de M. [V] alors qu'il était en fonctions mais qu'elle n'en a jamais fait grief à l'intéressé ni sollicité ses explications avant le licenciement, ce qui permet de considérer qu'il avait une marge d'appréciation sur l'opportunité de s'investir dans ce réseau. Sur ce point, M. [V] explique sans être démenti que la salariée démissionnaire qu'il avait remplacée au sein de ce réseau avait continué à y adhérer pour le compte de son nouvel employeur et avait déjà épuisé le potentiel de souscription. Là encore, la matérialité du grief n'est pas établie.

S'agissant des campagnes de prospection téléphonique lancées en 2016 et 2017 (et non pas en 2017 et 2018), l'employeur reproche au salarié une insuffisance de réalisations. Or le salarié s'est prévalu lors de son entretien d'évaluation du 15 février 2017 de deux importantes réalisations au titre de la première campagne menée avec le prestataire Procontact à savoir le client [G] et le client Metis Levage, sans que cette revendication soit discutée ni que cette appréciation soit critiquée. Il produit également un extrait du fichier de restitution Procontact duquel il ressort que, contrairement à ce que soutient la société MVRA, le client Metis Levage n'était plus client de MVRA lors de cette prospection.

S'agissant de la deuxième campagne menée en 2017 avec la société Satel, il ressort des pièces produites par MVRA que les 17 rendez-vous affectés à M. [V] et à sa collègue Mme [Y] n'ont généré aucun résultat. Il ressort d'un courriel du dirigeant, M. [J], en date du 12 juillet 2017 qu'il avait été demandé aux deux chargés de clientèle de faire un commentaire pour chaque rendez-vous mais l'employeur s'abstient de les produire. La lecture des retours de la société Satel fait apparaître que les cibles de la prospection étaient de petites entreprises. Le niveau de réalisation identique et inhabituel des deux chargés de clientèle donne crédit aux allégations de M. [V] selon lesquelles le ciblage mis en oeuvre par la société Satel était inadéquat de sorte que l'absence de réalisation n'apparaît pas imputable au salarié.

Il n'est ainsi pas établi une déficience du salarié dans l'exercice de son travail de prospection.

Sur le manque de rigueur imputé au salarié, la société MVRA ne produit aucun élément permettant d'en établir la matérialité.

Le licenciement de M. [V] est en conséquence dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur la discrimination

Selon l'article L.1132-1 du code du travail, dans sa rédaction modifiée par la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 : « Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat [...] en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap [...]».

Selon l'article L. 1134-1 du code du travail, dans sa rédaction modifiée par la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016, « Lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de laloi n° 2008-496du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ».

En application de l'article L.1132-4 du code du travail, le licenciement directement ou indirectement fondé sur l'état de santé du salarié est discriminatoire et nul de plein droit.

Aux termes de l'article L.1134-5, la prescription en matière de discrimination est de cinq ans à compter de la révélation de la discrimination de sorte que l'action de M. [V] fondée sur la discrimination est recevable.

M. [V] expose qu'alors qu'il donnait satisfaction à son employeur depuis le début de la relation contractuelle, son état de santé s'est progressivement dégradé à partir de la fin de l'année 2016 ; qu'une maladie chronique douloureuse et fatigante lui a été diagnostiquée en avril 2018.

Il fait valoir :

- que sa pathologie et la recherche d'un traitement adapté ont eu des conséquences sur son état physique, affectant ses performances au travail, ce dont il a informé rapidement son employeur,

- que si, dans un premier temps, la société a feint la compréhension, elle a souhaité se séparer de lui lorsque ses périodes d'arrêts maladie sont devenues plus longues et plus nombreuses ; qu'elle a alors fixé son entretien annuel d'évaluation le 5 février 2019, juste après sa reprise du travail, pour lui reprocher soudainement des insuffisances professionnelles alors qu'aucune critique sérieuse ne lui avait été formalisée auparavant s'agissant de son travail,

- que les reproches formulés à son encontre reposent en réalité directement ou indirectement sur l'amoindrissement temporaire de ses performances au travail du fait de sa maladie et de la recherche d'un traitement adapté,

- qu'il n'a bénéficié d'aucun accompagnement de son employeur dans sa mission pour remédier à ses prétendues insuffisances, qu'il a au contraire subi des pressions aux fins de lui faire accepter une rupture conventionnelle.

L'employeur répond que le salarié a été licencié sur le fondement de griefs objectifs et matériellement vérifiables, permettant d'exclure toute discrimination en raison de son état de santé ; qu'il n'existe aucune concomitance entre la survenance des problèmes de santé du salarié et l'engagement de la procédure de licenciement, laquelle a été initiée presque un an après l'annonce de sa maladie ; que la question de l'insuffisance de ses résultats a été abordée antérieurement à l'entretien annuel d'évaluation du 5 février 2019 et à l'annonce de sa maladie.

Il ressort du certificat médical du médecin traitant de M. [V] que la pathologie dont celui-ci est atteint est à l'origine de crises douloureuses et d'une asthénie.

Le salarié justifie avoir été en arrêt de travail du 2 au 6 février 2017, du 27 au 29 décembre 2017 puis du 22 mai au 5 juin 2018, ensuite du 11 au 30 septembre 2018 et enfin du 7 au 18 janvier 2019 ce qui fait apparaître que sa pathologie, dont l'employeur reconnaît avoir été informé au printemps 2018, était devenue plus prégnante.

Il a effectivement été convoqué à un entretien d'évaluation le 5 février 2019 à une date relativement proche de son retour d'arrêt maladie.

Il ressort du compte-rendu de cet entretien que M. [V] a indiqué dans son bilan de l'année qu'il n'avait pas réussi à faire aboutir le partenariat MDA, sa santé ne lui ayant pas permis d'être efficace. En fin d'entretien, il a remercié l'employeur pour sa compréhension par rapport à sa pathologie ce qui fait apparaître que le retentissement de celle-ci sur sa capacité de travail était notoire. Il a également demandé, s'agissant de ses attentes pour l'année à venir, que sa pathologie soit 'indiquée lors de l'entretien', ce qui se comprend comme une demande d'objectiver la répercussion de celle-ci sur son activité professionnelle.

Il a été demandé à M. [V] au terme de cet entretien l'établissement pour la fin du mois de février 2019 d'un plan d'action commerciale pour 2020/2021, le hiatus entre le très bref délai accordé pour l'établisssement d'un tel document nécessitant un minimum de réflexion et la période relativement éloignée qu'il devait couvrir ne pouvant se comprendre que comme dicté par la volonté de mettre le salarié en difficulté. Il convient de relever que la lettre de licenciement ne fait pas grief au salarié de n'avoir pas établi le plan demandé, ce qui confirme que cette exigence n'était qu'un prétexte pour le mettre en difficulté alors que l'employeur le savait malade avec une diminution de sa capacité de travail.

Une rupture conventionnelle a été proposée à M. [V] un mois plus tard. Cette proposition lui a été réitérée à deux reprises au cours de la semaine suivante et il a été convoqué une quinzaine de jours plus tard à un entretien préalable à licenciement et licencié dans la suite.

Son précédent entretien d'évaluation en date du 15 février 2017 faisant le bilan de l'année 2016 ne comportait pas de critique de la qualité de son travail et ne relevait pas de défaillance dans l'exécution de ses missions.

Les comptes-rendus des réunions commerciales hebodmadaires versés aux débats ne mentionnent pas plus de critiques de son travail.

Enfin, il a été retenu que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse étant relevé que la lettre de licenciement visait en premier lieu une insuffisance de résultats alors que M. [V] ne s'était jamais vu assigner un quelconque objectif.

L'ensemble de ces éléments fait présumer l'existence d'une discrimination à l'égard du salarié en raison de son état de santé.

L'employeur justifie que les entretiens d'évaluation se déroulaient au mois de février de sorte que la fixation de l'entretien d'évaluation de M. [V] au 5 février 2019 apparaît sans relation de causalité avec son arrêt de travail du mois de janvier 2019. Toutefois, ce seul point ne saurait, au regard du contenu de l'entretien tel que rapporté ci-dessus et de la répétition des arrêts-maladies, justifier que le licenciement du salarié est étranger à toute discrimination.

Pour établir que des reproches avaient déjà été exprimés au salarié antérieurement à l'entretien d'évaluation du 5 février 2019, l'employeur se prévaut des termes de l'entretien du 15 février 2017 dont il a déjà été dit qu'il n'exprimait pas de critique du travail du salarié.

S'il y était demandé à M. [V] 'la mise en place d'un plan de développement à court et moyen terme', l'employeur ne justifie pas avoir jamais formulé au salarié un quelconque rappel sur ce point.

Il convient de relever enfin qu'en 2017, M. [V] a bénéficié d'une augmentation significative de salaire et d'une prime qui constituent autant d'indices de ce qu'il donnait satisfaction.

L'employeur se prévaut également d'un courriel du 7 février 2018 dans lequel le supérieur de M. [V] rappelait à ce dernier que ce qui était attendu de lui était non seulement la prospection de clients mais également l'élaboration de 'nouvelles perspectives', ajoutant 'nous n'allons pas vous faciliter les choses. C'est pour ça que je vous rabâche sans relâche d'aller sur le terrain, dans les salons, dans les zones industrielles, les petits déj, les clubs, il faut que vous alliez, car en restant au bureau, vous ne trouverez rien : ni client, ni solution, ni usage ni avenir pour MVRA, ni pour vous de remerciements ou de considération etc...'.

Toutefois, il s'agit d'un courriel en réponse à la transmission par M. [V] d'un lien vers un article qui lui semblait intéressant de sorte qu'il ne peut s'analyser, hors du contexte de cet article, en un reproche adressé à M. [V] de ne pas aller suffisamment sur le terrain.

Enfin, l'employeur ne saurait se prévaloir de ce que le médecin du travail a reconnu M. [V] apte à son poste au terme d'une visite du 19 mars 2019 alors d'une part qu'il avait été à même de constater antérieurement l'amoindrissement des capacités du salarié en raison de sa pathologie et que d'autre part il ressort du dossier médical versé aux débats que le médecin du travail avait proposé, en considération des répercussions professionnelles de la maladie, une demande de reconnaissance du statut de travailleur handicapé.

Ainsi, l'employeur ne fournit aucun élément de nature à justifier la précipitation avec laquelle le rupture du contrat de travail a été recherchée à la suite de l'arrêt maladie de janvier 2019 et de l'entretien du 5 février 2019 au cours duquel le salarié avait demandé que sa maladie soit prise en compte. Il n'est donc pas établi que le licenciement de M. [V] est étranger à toute discrimination.

Selon l'article L.1132-4 du code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions de l'article L.1132-1 est nulle.

L'article 1235-3-1 du code du travail dispose que lorsque le licenciement d'un salarié est nul et que ce dernier ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité à la charge de l'employeur qui ne peut être inférieure au salaire des six derniers mois.

Au regard de l'âge du salarié à la date du licenciement à savoir 41 ans, des circonstances ayant entouré la rupture des relations contractuelles et des difficultés de réinsertion professionnelle prévisibles, le préjudice subi par M. [V] du fait de la perte de son emploi sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 37 000 € à titre de dommages et intérêts.

Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire

M. [V] fait valoir qu'eu égard aux pressions exercées contre lui, à la dissimulation du véritable motif de son licenciement et n'ayant pu préparer utilement sa défense en raison de son arrêt maladie, les circonstances de son licenciement ont été brutales et vexatoires.

En complément des dommages et intérêts réclamés pour absence de cause réelle et sérieuse du licenciement dont il a fait l'objet, le salarié peut réclamer la condamnation de son employeur à des dommages et intérêts complémentaires résultant des conditions vexatoires de la rupture de son contrat de travail et de l'atteinte portée à son honneur et à sa considération.

En l'espèce, M. [V] ne produit aucun élément faisant apparaître que la rupture du contrat de travail s'est faite dans des conditions de nature à porter atteinte à son honneur ou à sa considération.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de ce chef de demande.

Sur les demandes accessoires

La société MVRA qui succombe supporte les dépens et une indemnité de procédure.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Réforme le jugement déféré ;

Statuant à nouveau,

Condamne la société MVRA à payer à M. [X] [V] les sommes suivantes :

- 37 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

- 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;

Déboute M. [X] [V] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire.

Condamne la société MVRA à payer à M. [X] [V] la somme de 4 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

La condamne aux dépens.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale c
Numéro d'arrêt : 21/07839
Date de la décision : 25/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-25;21.07839 ?
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