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25/04/2024 | FRANCE | N°21/07746

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale c, 25 avril 2024, 21/07746


AFFAIRE PRUD'HOMALE



DOUBLE RAPPORTEUR











N° RG 21/07746 - N° Portalis DBVX-V-B7F-N422



[J]



C/



SASU GIBAUD









APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Saint Etienne

du 06 Octobre 2021

RG : 20/00014







COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE C



ARRET DU 25 Avril 2024







APPELANTE :



[C] [Z] [J]

née l

e 14 Juin 1967 à [Localité 4]

[Adresse 2]

[Localité 1]



représentée par Me Jean-Yves DIMIER de la SELARL JEAN-YVES DIMIER, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE



Autre(s) qualité(s) : Appelant dans 22/00745 (Fond)





INTIMEE :



SASU GIBAUD représentée par ses dirigea...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

DOUBLE RAPPORTEUR

N° RG 21/07746 - N° Portalis DBVX-V-B7F-N422

[J]

C/

SASU GIBAUD

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Saint Etienne

du 06 Octobre 2021

RG : 20/00014

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRET DU 25 Avril 2024

APPELANTE :

[C] [Z] [J]

née le 14 Juin 1967 à [Localité 4]

[Adresse 2]

[Localité 1]

représentée par Me Jean-Yves DIMIER de la SELARL JEAN-YVES DIMIER, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE

Autre(s) qualité(s) : Appelant dans 22/00745 (Fond)

INTIMEE :

SASU GIBAUD représentée par ses dirigeants légaux domiciliés en cette qualité au siège social sis

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat postulant au barreau de LYON, et Me Bastien BODET-VILLARD, avocat plaidant au barreau de LYON

DEBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 25 Janvier 2024

Présidée par Nabila BOUCHENTOUF, conseiller, et Françoise CARRIER, conseiller honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, magistrats rapporteurs (sans opposition des parties dûment avisées) qui en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistés pendant les débats de Fernand CHAPPRON, greffier

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Etienne RIGAL, président

- Nabila BOUCHENTOUF, conseiller

- Françoise CARRIER, conseiller honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

ARRET : CONTRADICTOIRE

rendu publiquement le 25 Avril 2024 par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Nabila BOUCHENTOUF, conseiller, pour Etienne RIGAL, président empêché, et par Fernand CHAPPRON, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Mme [C]-[Z] [J], épouse [B], (ci-après, la salariée) a été initialement embauchée à compter du 29 juin 1988 suivant un contrat de travail à durée déterminée par la société Gibaud, en qualité d'employée de bureau.

La relation contractuelle s'est poursuivie par contrat à durée indéterminée, en qualité de poste de chef de projet, puis, à compter du mois de juillet 2010, en qualité de responsable informatique.

Le 27 octobre 2017, un avenant à son contrat de travail a été régularisé, prévoyant qu'elle occuperait, à compter du 30 octobre suivant, le poste de Business Process Expert, statut cadre, position III.

A compter du 18 septembre 2018, elle a été placée en arrêt de travail pour maladie.

Le 7 octobre 2019, elle a rencontré le médecin du travail dans le cadre d'une visite de reprise, au terme de laquelle l'avis suivant a été rendu':

«'Inapte au poste. Inaptitude totale et définitive à son poste de travail dans l'entreprise en une seule visite. Tout maintien de la salariée dans un emploi dans l'entreprise serait préjudiciable à sa santé.'».

Par courrier recommandé du 9 octobre 2019, la salariée a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 21 octobre suivant et auquel la salariée ne s'est pas présentée.

Par courrier recommandé du 24 octobre 2019, elle a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Par requête du 20 janvier 2020, elle a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Étienne afin de contester de son licenciement.

Au dernier état de la procédure, elle a demandé au conseil de dire et juger que son inaptitude avait une origine professionnelle, que la société n'avait pas exécuté loyalement le contrat de travail et avait manqué à son obligation de sécurité à son égard et que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Elle a sollicité, en conséquence, la condamnation de la société à lui verser la somme de 16 278,69 euros bruts au titre de l'indemnité de préavis, outre les congés payés afférents, ainsi que la somme de 54 262,30 euros nets au titre de l'indemnité spéciale de licenciement et celle de 108 524,60 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Elle a demandé également la remise d'un bulletin de salaire du mois d'octobre 2019 et de l'attestation Pôle emploi rectifiés, outre la condamnation de la société à lui verser la somme de 3 600 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

En réplique, la société avait conclu au débouté de l'ensemble des demandes de la salariée et sollicitait, à titre reconventionnel, sa condamnation à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Le 6 octobre 2021, le conseil a rendu un jugement de départage partiel en ces termes':

«'Déboute Mme [C]-[Z] [J] épouse [B] de sa demande tendant à voir déclarer que l'inaptitude ayant motivée son licenciement a une origine professionnelle,

Renvoie l'affaire à l'audience du mardi 18 janvier 2022 à 11h00 sous la présidence du juge départiteur afin qu'il statue sur les chefs suivants':

Juger le licenciement pour inaptitude de Mme [J] dépourvu de cause réelle et sérieuse,

condamner en conséquence la société Gibaud à payer à Mme [C]-[Z] [J] les sommes suivantes, outre intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes pour les créances salariales et à compter du jugement à intervenir pour les créances indemnitaires:

16 278,69 € bruts au titre de l'indemnité de préavis

1 627,87 € bruts au titre des congés payés sur préavis

54 262,30 € nets au titre de l'indemnité spéciale de licenciement

108 524.60 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

enjoindre à la société Gibaud à remettre à Mme [C]-[Z] [J] un bulletin de salaire du mois d'octobre 2019 et l'attestation destinée à Pôle emploi, conformes au jugement à intervenir.

ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

condamner la société Gibaud à verser à Mme [C]-[Z] [J] la somme de 3 600 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure prud'homale, incluant tous les frais d'exécution forcée susceptible d'intervenir.

Réserve les dépens.'»

La salariée a relevé appel de ce jugement le 22 octobre 2021.

Par ses dernières écritures, notifiées par voie électronique le 22 décembre 2021, la salariée demande à la cour de':

- INFIRMER le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Saint-Étienne le 06 octobre 2021 en ce qu'il :

l'a déboutée de sa demande tendant à voir déclarer que l'inaptitude ayant motivé son licenciement a une origine professionnelle au moins partielle,

l'a déboutée de sa demande tendant à voir juger que la société n'a pas exécuté loyalement le contrat de travail et a manqué à son obligation de sécurité et de résultat à son égard,

Et statuant à nouveau et y rajoutant :

- JUGER que son inaptitude ayant motivé son licenciement a une origine professionnelle au moins partielle,

- JUGER que la société Gibaud n'a pas exécuté loyalement le contrat de travail et a manqué à son obligation de sécurité et de résultat à son égard,

- CONDAMNER la société Gibaud à lui verser la somme de 3 600 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure prud'homale incluant tous les frais d'exécution forcée susceptible d'intervenir et les dépens d'appel,

- CONFIRMER le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Saint-Étienne le 06 octobre 2021 en ce qu'il a:

renvoyé l'affaire à l'audience du 18 janvier 2022 à 11h00 sous la présidence du juge départiteur afin qu'il statue sur les chefs suivants :

juger le licenciement pour inaptitude de Mme [C]-[Z] [J] dépourvu de cause réelle et sérieuse,

condamner en conséquence la société Gibaud à payer à Mme [C]-[Z] [J], les sommes suivantes, outre intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes pour les créances salariales et à compter du jugement à intervenir pour les créances indemnitaires :

16 278,69 € bruts au titre de l'indemnité de préavis

1627,87 € bruts au titre des congés payés sur préavis

54 262,30 € nets au titre de l'indemnité spéciale de licenciement

108 524.60 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

enjoindre à la société Gibaud à remettre à Mme [C]-[Z] [J] un bulletin de salaire du mois d'octobre 2019 et l'attestation destinée à Pôle emploi, conformes au jugement à intervenir.

ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

condamner la société Gibaud à verser à Mme [C]-[Z] [J] la somme de 3 600 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure prud'homale, incluant tous les frais d'exécution forcée susceptible d'intervenir.

réservé les dépens.

Par ses dernières écritures, notifiées par voie électronique le 4 février 2022, la société demande à la cour de':

- CONFIRMER en tout point la décision du conseil de prud'hommes de Saint-Étienne du 6 octobre 2021,

et en conséquence,

- JUGER que Mme [J] ne rapporte pas la preuve d'une mise à l'écart ni d'un lien entre ses conditions de travail et son inaptitude,

- JUGER qu'elle n'a commis aucun manquement à son obligation de sécurité ni à celle d'exécuter loyalement le contrat de travail,

- JUGER que l'inaptitude prononcée est une inaptitude d'origine non professionnelle,

- DÉBOUTER Mme [J] de l'intégralité de ses demandes

- CONDAMNER la salariée au paiement de la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 décembre 2023.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, la cour observe qu'elle n'est saisie que de demandes relatives à l'exécution déloyale du contrat et aux manquements à l'obligation de sécurité, et relatives à l'origine professionnelle de l'inaptitude, mais pas du caractère réel et sérieux du licenciement.

Mme [J] fait valoir que, contrairement à ce qu'a retenu le conseil des prud'hommes, l'inaptitude ayant conduit à son licenciement est consécutive au moins partiellement, à des manquements préalables de son employeur à son obligation de sécurité et à son obligation d'exécution loyale de son contrat de travail, en ce que :

- malgré une évolution constante et d'une carrière exemplaire dans la société où elle travaillait depuis plus de 30 ans, sans difficultés, et sans jamais recevoir de critiques sur la qualité de son travail, elle a subi une mise à l'écart et son état de santé s'est rapidement dégradé en juin 2019, au point de l'obliger à consulter le médecin du travail qui a noté son sentiment d'exclusion,

- cette dégradation est apparue à l'arrivée d'un nouveau directeur en avril 2016, en la personne de M. [T],

- cette mise à l'écart s'est traduite notamment par la modification de son poste, par laquelle la société l'a déchargée de l'essentiel de ses responsabilités, l'amenant à s'interroger sur la réalité et l'effectivité de cet emploi,

- cette mise à l'écart s'est également traduite par un changement de bureau contre son gré,

- comme elle, plusieurs départs, licenciements et ruptures de contrats de salariés et cadres historiques de la société ont été initiés à compter de l'arrivée du nouveau directeur, témoignant de la volonté de l'employeur de changer l'équipe,

- du fait de cette situation, et alors qu'elle n'avait pas d'antécédent psychiatrique, son état de santé s'est dégradé, et elle a été placée en arrêt de travail pour maladie, les pièces médiales et témoignages versés au dossier concordant pour retenir la réalité de ses souffrances au travail.

Elle fait grief aux premiers juges d'avoir systématiquement écarté ses pièces, pourtant recevables, et d'avoir retenu la version tronquée de l'employeur selon laquelle elle aurait fait preuve d'insuffisance professionnelle, ce qui au demeurant, n'est pas le motif du licenciement.

L'employeur réfute totalement cette version des faits, considérant que le conseil de prud'hommes a fait une exacte appréciation des faits de l'espèce.

Il souligne notamment que :

- la salariée ne rapporte pas la preuve de la mise à l'écart qu'elle invoque, soulignant que les témoignages qu'elle produit émanent de personnes tierces à l'entreprise et sont sans pertinence pour établir ses conditions de travail, qu'elle n'en a jamais fait état pendant la durée d'exécution du contrat, et que les éléments médicaux produits ne soulignent que son ressenti sans établir la preuve d'un lien entre son état de santé et ses conditions de travail ;

- il a au contraire, toujours cherché à l'accompagner au mieux et a fait preuve de bienveillance à son égard, notamment au travers de son évolution au sein de l'entreprise. Il ajoute avoir été alerté par les personnes relevant de son équipe courant mars 2015 de ses difficultés managériales, lesquelles ont été reconnues par la salariée elle-même, qui a ainsi accepté sa proposition de coaching ;

- son dernier poste de Business Process Expert, a été créé en concertation avec elle, le dit poste n'impliquant plus de fonctions managériales, et sollicitant plusieurs compétences que la salariée maîtrisait en raison de son expérience ;

- en outre, elle était intégrée dans la communauté de travail ; elle était reçue en entretien pour faire le point sur ses missions et sa situation, elle participait à tous les événements importants de la société et bénéficiait des mesures de développement personnel des salariés ;

- son changement de bureau a été accepté à sa demande ;

- à l'inverse, elle ne prouve pas s'être investie dans ses missions ni que son investissement dans le poste aurait été à sens unique ;

- il n'y a jamais eu de stratégie d'éviction des salariés de l'entreprise, les départs invoqués correspondant à la vie de toute entreprise, le nombre de sorties étant similaire sur les années 2016 à 2020;

En tout état de cause l'origine professionnelle de ses arrêts maladie n'a jamais été envisagée par son médecin.

Il n'existe aucun lien entre ses conditions de travail et son inaptitude.

SUR L'EXÉCUTION DÉLOYALE DU CONTRAT DE TRAVAIL ET LES MANQUEMENTS DE L'EMPLOYEUR À SON OBLIGATION DE SÉCURITÉ

En application de l'article L4121-1 du code du travail, l'employeur est tenu d'une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise et doit prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de l'assurer.

Il doit le faire notamment par des actions de prévention des risques professionnels, par la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

Selon l'article L.1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

Sur ce,

Il ressort des pièces produites que Mme [J], depuis son entrée dans l'entreprise, a connu une évolution professionnelle remarquable, puisqu'embauchée en juin 1988 en qualité d'employée de bureau, elle a successivement occupé différentes fonctions à responsabilité, devenant notamment chef de projet en 2002, responsable informatique 'IT manager' en 2013, son dernier poste cadre en novembre 2017 étant celui de 'Business Process Expert'.

Les pièces produites par les parties démontrent d'ailleurs, que par son ancienneté, la salariée disposait d'une technicité et d'une expertise importantes, et qu'au travers d'un 'engagement sans faille' pour l'entreprise, elle y réalisait un 'travail irréprochable' (p.14 attestation de M. [M]) qui n'a jamais été remis en cause.

Mme [J] fait coïncider la dégradation de son état de santé, avec l'arrivée d'un nouveau directeur général, M. [T] en remplacement de M. [M].

Elle produit ainsi le certificat du docteur [U] du 16 octobre 2020 qui certifie qu'elle 'a consulté à plusieurs reprises en 2016 pour symptômes anxiodepressifs ayant nécessité un traitement et un suivi par un psychiatre. Elle a reconsulté en septembre 2017 et plusieurs fois en 2018 et 2019 avec les mêmes plaintes'. Le Docteur [A], psychiatre, confirme ce suivi, évoquant en novembre 2019, un état dépressif majeur, et en septembre 2020, une dépression chronique avec une évolution incertaine.

Elle a été placée en arrêt maladie ordinaire, sans motif médical énoncé, de manière continue à compter du 18 septembre 2018 jusqu'à la date de son licenciement.

La fiche de compte-rendu de la visite de pré-reprise du 5 septembre 2019, indique 'fin 2016, proposition d'un nouveau poste Business process expert ; finalement pas possible financièrement, donc jusqu'en 04/2017, reste à son poste. Puis nouveau responsable fin 11/2017 ; avenant sur son contrat 'Business process expert 30/11/2017. Transmission de poste à la nouvelle personne. Soucis d'ordre personnel (mère placée en EHPAD). Entretien avec le DAF pour mieux définir son poste. Sentiment d'exclusion, de 'mise au placard', exprime une très grande souffrance face à cette situation'.

La dégradation de cet état de santé, ainsi décrit médicalement, est également attestée par son entourage qui évoque 'une longue période de dépression et d'enfermement tant sa place au sein de la société a été dépréciée'.

La cour rappelle à cet égard, que les témoignages de proches comme des certificats médicaux, s'ils ne peuvent évidemment établir la réalité de l'origine professionnelle de cette dégradation, ni des conditions de travail de la salariée, n'en demeurent pas moins, recevables, pour attester de ce qu'ils ont observé dans leur relation et le comportement de la salariée, ou des symptômes présentés s'agissant des pièces médicales. Ici, les témoignages des proches ne font que décrire les doléances de la salariée, et ne peuvent pour cette raison, être probants dans la caractérisation des manquements de l'employeur.

Par ailleurs, Mme [J] ne peut sérieusement éluder les difficultés managériales qu'elle rencontrait alors qu'elle occupait le poste de 'Responsable informatique -IT manager', en dépit de ses compétences techniques unanimement reconnues.

Par courrier du 26 mars 2015, cinq salariés composant l'équipe de Mme [J] ont en effet écrit au directeur RH de l'entreprise pour évoquer notamment l'attitude de Mme [J] en ces termes :'nous subissons régulièrement des reproches, des discours agressifs et menaçants. Son positionnement hiérarchique ne justifie en aucun cas que l'on nous parle de la sorte. Cette attitude n'est d'ailleurs pas limitée à notre service ; Mme [J] parle de cette même façon à d'autres collaborateurs de la société ainsi qu'à ceux des sociétés extérieures. Cette façon de faire nous affecte moralement et ce, depuis beaucoup trop longtemps maintenant (...)Sa façon de nous reprocher des choses, de toujours essayer de trouver un coupable, de s'énerver lorsqu'on ne comprend pas rapidement, de nous demander des comptes devant qui que ce soit etc...nous déstabilise au point de perdre totalement confiance en nous-mêmes.

D'autre part, son manque de confiance envers son équipe fait que nous ne pouvons jamais prendre d'initiatives personnelles'.

L'entretien annuel 2015/2016 de Mme [J] qui s'en est suivi le 19 novembre 2015 rappelle cette 'action revendicative collective de l'équipe qui contribue à installer un mauvais climat'. Il ressort de cet entretien que si les compétences techniques de la salariée 'dépassent les attentes', le management, son esprit d'équipe au sein de son équipe et sa communication interne au service sont qualifiés sinon d'insatisfaisants, à tout le moins 'en demande d'amélioration'.

Dans ce contexte, M. [H], responsable RH et M. [M], directeur général de la société ont proposé à la salariée de s'adjoindre un coach, dans le cadre d'un contrat d'accompagnement -dont le caractère confidentiel allégué par la salariée n'est pas démontré-, cette initiative répondant aux 'tensions entre Mme [J] et son équipe [qui] freinent la performance de ce service'', la salariée 'ayant besoin de soutien pour reprendre en main cette équipe, pour la faire évoluer'. La salariée s'est montrée favorable à cette démarche dont la mise en oeuvre a d'après l'entretien d'évaluation 2016/2017, permis une meilleure entente et une meilleure collaboration dans l'équipe', même si la salariée a reconnu alors, que le management de certains salariés de l'équipe restait à améliorer.

Il en résulte que par cette initiative de l'employeur, loin de caractériser une défiance à l'égard de la salariée, il avait été au contraire tenu compte de ses difficultés avec la volonté de lui assurer un meilleur positionnement.

Mme [J] soutient que par cette création de poste, elle aurait été mise à l'écart, et fait l'objet d'une 'placardisation organisée et préalable'. Force est de relever néanmoins, que l'annonce de son remplacement au poste de responsable informatique et de la création du poste de Business process expert n'a pas donné lieu de sa part, à la moindre contestation, et qu'elle a signé l'avenant au contrat de travail en parfaite connaissance de cause, sans jamais émettre la moindre réserve.

D'ailleurs, le mail de M. [T] du 26 septembre 2017 dont elle se prévaut comme témoignage de la mise à l'écart, indique en réalité, que Mme [I] a été recrutée en qualité de nouvelle responsable informatique, comme annoncé 'au cours d'une précédente réunion trimestrielle', tandis que Mme [J] 'mettra à profit son expertise métier et sa maîtrise des applications Gibaud en se consacrant pleinement au déploiement de L'ERP Navision au sein de l'équipe projet dédiée. Sa connaissance de nos systèmes actuels sera un gage de réussite pour ce projet très important pour la France'. Il ne ressort de ce message, aucune mise à l'écart mais un simple changement d'affectation qu'elle a accepté.

La salariée produit également des échanges de mails internes entre salariés entre les 12 et 13 février 2018, également révélateur, selon elle, d'une mise à l'écart. Mais, outre le fait qu'il s'agit d'un échange isolé et ponctuel, la lecture de ces mails fait surtout apparaître, un premier mail destiné au service informatique pour l'application d'un taux d'escompte à un client, diffusé ensuite à d'autres salariés, tandis que d'autres destinataires étaient écartés des fils de message, Mme [J] ayant été incluse pour partie dans cet échange, dans le cadre de ses fonctions techniques transversales, le contenu des autres mails ne relevant pas de sa sphère de compétence, de sorte qu'il ne peut davantage témoigner d'une mise à l'écart par le fait de son employeur.

S'agissant du changement de bureau, Mme [J] ne démontre pas davantage, une mise en retrait physique au sein des locaux, alors que la seule pièce produite à cet égard consiste dans un mail échangé entre M. [E] et le responsable RH, qui indique que ce changement est à la demande de la salariée elle-même, et correspond à 'un endroit où il y a du passage, [où] elle pourra y avoir des discussions/entretiens sans déranger son entourage'. Elle n'a d'ailleurs jamais émis d'observation sur ce changement.

En définitive, il ressort de cette chronologie, qu'aucun fait particulier n'est survenu à l'arrivée du nouveau directeur général en avril 2016, seul étant alors relevé des difficultés d'ordre managérial de la salariée avec son équipe et qui ont pu se résorber grâce à la mise en place d'un coaching accepté par elle.

Il est également patent qu'à compter de 2016-2017, et comme le rappelle M. [M], l'entreprise après de nombreuses tergiversations, a mis en oeuvre un nouvel ERP du groupe Össur auquel la société Gibaud avait été intégrée, coïncidant avec la nouvelle réorganisation de la société, et que dans le cadre de l'entretien annuel 2016/2017, la société avait alors souligné que la salariée 'a toutes les connaissances techniques et métiers de Gibaud pour apporter une forte valeur ajoutée au projet ERP qui est un projet entreprise de grande ampleur', l'objectif ainsi affiché étant ainsi de valoriser les compétences de la salariée dans l'intérêt de l'entreprise.

Mme [J] fait état mais sans jamais établir la réalité de ses affirmations, d'une 'purge des salariés et cadres historiques de la société', dont elle faisait partie, du fait du nouveau dirigeant, alors que s'agissant des 7 personnes citées, l'employeur démontre qu'elles ont quitté les effectifs de l'entreprise sur une période s'étalant de décembre 2016 à août 2018, dans le cadre de licenciements ou de ruptures conventionnelles, et surtout produit un tableau des entrées et sorties du site de [Localité 4] qui fait apparaître des mouvements fluctuants au gré des années, sans spécifité particulière à dénoter à l'arrivée du nouveau directeur.

Ainsi, et en dehors de l'objectif qui lui a été assigné dans son nouveau poste et consistant à 'aller au contact des utilisateurs pour comprendre leurs besoins et difficultés', jusqu'à son arrêt maladie en septembre 2018, Mme [J] n'a jamais souligné les difficultés dans sa mise en oeuvre, ni émis la moindre plainte concernant son poste ou sa placardisation alléguée.

De ce qui vient d'être exposé, aucun des faits ci-dessus examinés ne traduit une volonté de mise au placard, ni a fortiori un comportement délibéré de l'employeur en ce sens, pas plus qu'il ne caractérise une exécution déloyale du contrat ou un manquement à son obligation de sécurité.

SUR L'ORIGINE DE L'INAPTITUDE

Il ne résulte d'aucune pièce médicale que l'avis d'inaptitude a été émis en raison de conditions de travail dégradées de Mme [J], la fiche de synthèse de la visite de pré-reprise, déjà évoquée ci-dessus, se bornant à retranscrire le ressenti de la salariée, sans pour autant conduire le médecin du travail à une action particulière.

De plus, si son médecin généraliste atteste des consultations ponctuelles en 2016, 2017 et 2018 pour des troubles anxiodepressifs, aucune pièce n'établit un lien entre ces difficultés psychologiques et les conditions de travail, alors qu'au contraire, il est évoqué des problèmes personnels (entrée de sa mère en Ehpad évoquée devant le médecin du travail, ou décès d'une collègue évoquée en entretien 2017).

En outre, aucune action n'a jamais été mise en oeuvre pour que la pathologie présentée par Mme [J] soit prise en charge au titre de la législation relative aux risques professionnels.

La salariée ne démontre pas davantage avoir alerté l'employeur sur ses conditions de travail ou même un mal-être au travail, les pièces produites faisant état simplement de crises ponctuelles de vertiges, mais totalement étrangères à la déclaration d'inaptitude.

En conséquence, l'origine professionnelle de l'inaptitude de Mme [J] n'est pas démontrée et la décision déférée sera par conséquent intégralement confirmée.

SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES

Mme [J], qui succombe, sera condamnée aux entiers dépens d'appel.

L'équité ne commande pas, en revanche, de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [J] aux entiers dépens d'appel,

Renvoie les parties devant le juge departiteur pour qu'il soit statué sur le surplus des demandes de Mme [J].

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale c
Numéro d'arrêt : 21/07746
Date de la décision : 25/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-25;21.07746 ?
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