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10/04/2024 | FRANCE | N°23/02838

France | France, Cour d'appel de Lyon, 2ème chambre a, 10 avril 2024, 23/02838


N° RG 23/02838 - N° Portalis DBVX-V-B7H-O4U3









Décision du

TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de LYON

Au fond

du 22 mars 2023





RG : 20/05571

ch 9 cabinet 9





LA PROCUREURE GENERALE

LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE [Localité 6]



C/



[F]





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



2ème chambre A



ARRET DU 10 Avril 2024




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APPELANTS :



Mme LA PROCUREURE GENERALE

[Adresse 1]

[Adresse 1]





M. LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE [Localité 6]

TJ de Lyon [Adresse 2]

[Adresse 2]





Représentés par Mme Laurence CHRISTOPHLE, substitute générale









INTIME :



M. [Z] [...

N° RG 23/02838 - N° Portalis DBVX-V-B7H-O4U3

Décision du

TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de LYON

Au fond

du 22 mars 2023

RG : 20/05571

ch 9 cabinet 9

LA PROCUREURE GENERALE

LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE [Localité 6]

C/

[F]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

2ème chambre A

ARRET DU 10 Avril 2024

APPELANTS :

Mme LA PROCUREURE GENERALE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

M. LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE [Localité 6]

TJ de Lyon [Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentés par Mme Laurence CHRISTOPHLE, substitute générale

INTIME :

M. [Z] [F]

né le 03 Avril 1972 à [Localité 8] (SENEGAL)

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

Représenté par Me François CORNUT, avocat au barreau de LYON, toque : 203

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2023/007430 du 21/09/2023 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de LYON)

* * * * * *

Date de clôture de l'instruction : 08 Février 2024

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 13 Mars 2024

Date de mise à disposition : 10 Avril 2024

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Isabelle BORDENAVE, présidente

- Georges PÉGEON, conseiller

- Françoise BARRIER, conseillère

assistés pendant les débats de Sophie PENEAUD, greffière,

en présence de Juline HOUGOUVIEUX, greffière stagiaire.

A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Isabelle BORDENAVE, présidente, et par Sophie PENEAUD, greffière, auquel la minute a été remise par la magistrate signataire.

* * * *

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [Z] [F] est né le 3 avril 1972 au Sénégal, à [Localité 8], et s'est marié le 31 mai 2007, avec [K] [C], de nationalité française.

Il a souscrit une déclaration de nationalité française le 8 juillet 2013, sur le fondement des dispositions de l'article 21-2 du code civil, déclaration enregistrée le 11 juin 2014.

Les époux ont divorcé le 25 juin 2015.

Par acte d' huissier du 25 août 2020, M. le procureur de la République a fait assigner M. [Z] [F], aux fins de voir annuler l'enregistrement de cette déclaration.

Par jugement du 22 mai 2023, auquel il est référé, le tribunal judiciaire de Lyon, après avoir constaté la délivrance du récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile, a débouté le ministère public de sa demande, ordonné la mention prévue par l'article 28 du code civil, débouté M. [Z] [F] de sa demande d'indemnisation au titre du préjudice moral, et de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et a laissé les dépens à la charge de l'Etat.

Par déclaration enregistrée le 3 avril 2023, M. le procureur de la République du tribunal judiciaire de Lyon a relevé appel de cette décision, l'appel étant enregistré le même jour au nom de Mme la procureure générale.

MOYENS ET PRETENTIONS

Aux termes de ses conclusions, notifiées le 17 mai 2023, le ministère public demande à la cour, après avoir constaté que le récépissé prévu par l'article 1040 du code de procédure civile a été délivré, d'infirmer le jugement de première instance et, statuant à nouveau, d'annuler l'enregistrement de la déclaration souscrite le 8 juillet 2023, et de constater l'extranéité de M. [Z] [F], né le 3 avril 1972 à [Localité 8] au Sénégal, de dire qu'il n'est pas de nationalité française, et d'ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil.

Au soutien de son appel, le ministère public rappelle que l'intéressé s'est marié avec Mme [C] le 31 mai 2007, cette dernière étant de nationalité française, qu'il a souscrit une déclaration d'acquisition de nationalité française, qui a été enregistrée le 11 juin 2014, et que le couple a divorcé le 25 juin 2015, M. [Z] [F] s'étant ensuite remarié au Sénégal le 8 janvier 2018, avec Mme [S].

Mme la procureure générale rappelle les dispositions de l'article 21- 2 du code civil, dans sa rédaction applicable aux circonstances de l'espèce, lesquelles prévoient que l'étranger qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de quatre ans, acquérir la nationalité française par déclaration, à la condition qu'à la date de cette déclaration la communauté de vie tant affective que matérielle n'ait pas cessé entre les époux depuis le mariage.

Elle précise que la communauté de vie ne diffère pas de celle définie comme une obligation du mariage par l'article 215 du même code, devant dès lors être entendue dans sa double dimension, matérielle et affective.

Elle rappelle que l'enregistrement de la déclaration prévue à l'article 21-2 du code civil peut être contesté par le ministère public en cas de mensonge ou de fraude dans le délai de deux années à compter de la découverte, en application des dispositions de l'article 26-4 alinéa 3 du code civil, et soutient en l'espèce que la fraude n'a été portée à la connaissance du procureur de la République de [Localité 6], territorialement compétent que le 5 septembre 2019.

Elle précise en effet qu'un dossier constitué par le service d'état civil suite à la demande de certificat de capacité à mariage, déposé par M. [Z] [F], en vue d'épouser Mme [S], a permis de relever que le couple avait eu deux enfants, nés au Sénégal au cours de l'union contractée avec Mme [C] [B], née le 27 septembre 2012, soit 9 mois avant la souscription de la déclaration, et [J], née le 24 décembre 2013, soit 5 mois après la souscription de la déclaration.

Mme la procureure générale conclut que le comportement de M. [Z] [F], qui a construit un autre foyer au Sénégal au cours de son union avec Mme [C], et qui de fait se trouvait en situation de bigamie au jour de la souscription de la déclaration, est incompatible avec l'existence d'une communauté de vie au sens de l'article 21-2 du code civil, soutenant que l'intéressé a dissimulé sa situation réelle, et la naissance de ses deux enfants, trompant ainsi le ministère chargé des naturalisations, qui n'aurait pas procédé à l'enregistrement de la déclaration s'il avait eu connaissance de cette autre relation.

Elle soutient que la violation au devoir de fidélité apparaît incompatible avec l'existence d'une communauté de vie, et qu'il importe peu que Mme [C] ait été informée de cette relation, et qu'elle l'ait acceptée.

Par conclusions en réponse, notifiées le 19 juin 2023, M. [Z] [F], vu la loi du 11 juillet 1975 dépénalisant l'adultère, vu la loi du 3 décembre 2001 relative à l'égalité de traitement entre les enfants légitimes et ceux nés d'une 'entorse morale au droit du mariage', vu les articles 21-2,26-4,212 à 215 du code civil, demande qu'il soit jugé que le ministère public ne rapporte pas la preuve de l'absence de communauté de vie entre lui-même et Mme [C], qu'il soit jugé que, si la naissance de deux enfants hors mariage constitue une violation acceptée du devoir de fidélité, pour autant elle n'exclut pas ipso facto l'existence d'une communauté de vie affective avec Mme [C], qu'il soit jugé que le simple fait d'entretenir une relation adultérine et rester dans les liens du mariage plus huit ans avec son épouse n'est pas incompatible avec les dispositions de l'article 21-2 du code civil, qu'il soit jugé que la durée de huit années de mariage dissous par consentement mutuel est suffisante pour permettre de revendiquer qu'il était bien lié avec son épouse par une communauté de vie.

En conséquence, M. [Z] [F] demande de dire valable et licite l'enregistrement de la déclaration souscrite le 8 juillet 2013, et de la rendre opposable au parquet, de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, et de condamner l'État et l'agent judiciaire du Trésor, à lui verser la somme de 5000 euros au titre du préjudice moral et de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre condamnation aux entiers dépens.

Il soutient que son mariage a duré plus de huit années, ce qui traduit une réelle volonté d'investissement avec son épouse dans une union matrimoniale, que le procureur est bien en peine de rapporter la preuve d'une union frauduleuse, contractée dans l'unique dessein d'obtenir la nationalité française, et indique communiquer aux débats une attestation de son épouse, qui témoigne de la sincérité des sentiments à son égard avec lequel il n'a divorcé que deux années après l'obtention de la nationalité française.

Tout en admettant une relation adultérine, il conclut que cette situation ne le rend pas coupable de bigamie de fait, contestant avoir concomitamment contracté deux mariages, et précise que l'action n'a d'autre intention que de le déposséder, ainsi que ses enfants, de leurs droits inaliénables.

Il soutient que cette notion de bigamie de fait est une notion dangereuse et pernicieuse car les enfants ne sont pour rien dans les transgressions, rappelle que l'adultère n'est plus considéré comme un délit pénal depuis le 11 juillet 1975, et n'est plus constitutif d'une faute civile, au vu de la baisse sensible du divorce pour faute, se référant à diverses célébrités, au soutien de ses observations.

Il conclut que le ministère public ne rapporte pas la preuve de l'absence de communauté de vie affective entre lui-même et Mme [C], et que la naissance de deux enfants avec une autre femme, pendant ce mariage, n'exclut pas l'existence de cette communauté de vie affective, précisant d'ailleurs que son épouse était informée de sa relation extraconjugale, et qu'elle lui avait donné son accord, espérant qu'il pourrait ainsi avoir des enfants.

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux conclusions récapitulatives visées ci-dessus pour un exposé plus précis des faits, prétentions, moyens et arguments des parties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 février 2024, l'affaire a été plaidée le 13 mars 2024, et mise en délibéré ce jour.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En application des dispositions de l'article 21-2 du code civil 'l'étranger ou l'apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de quatre ans à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration, à condition qu'à la date de cette déclaration la communauté de vie tant affective que matérielle n'ait pas cessé entre les époux depuis le mariage et que le conjoint français ait conservé sa nationalité. Le délai de communauté de vie est porté à cinq ans lorsque l'étranger, au moment de la déclaration, soit ne justifie pas avoir résidé de manière ininterrompue et régulière pendant au moins trois ans en France à compter du mariage, soit n'est pas en mesure d'apporter la preuve que son conjoint français a été inscrit pendant la durée de leur communauté de vie à l'étranger au registre des Français établis hors de France. En outre le mariage célébré à l'étranger doit avoir fait l'objet d'une transcription préalable sur le registre de l'état civil français. Le conjoint étranger doit également justifier d'une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue française, dont le niveau et les modalités d'évaluation sont fixés par décret en conseil d'État.'

L'article 26 du même code, dans sa version applicable aux faits de l'espèce, précise par ailleurs que les déclarations de nationalité souscrites en raison du mariage avec un conjoint français sont reçues par l'autorité administrative.

Il ressort en l'espèce des éléments du dossier que M. [Z] [F] a contracté mariage avec Mme [C] le 31 mai 2007, à [Localité 3], et qu'il a souscrit une déclaration d'acquisition de la nationalité française le 8 juillet 2013, laquelle a été enregistrée le 11 juin 2014.

Il est établi que le couple, qui n'a pas eu d'enfant, a déposé une requête en divorce, visant les dispositions de l'article 230 du code civil, le 2 avril 2015, soit moins d'un an après l'enregistrement de la déclaration, et que le divorce a été prononcé par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Gap, le 25 juin 2015.

En application des dispositions de l'article 26-4 du code civil, c'est au ministère public, qui sollicite l'annulation de l'enregistrement de la déclaration de nationalité française, de rapporter la preuve d'éléments de nature à justifier sa demande, laquelle est en l'espèce fondée sur l'absence de communauté de vie.

Les dispositions des articles 212 à 215 du code civil définissent la communauté de vie à laquelle s'obligent les deux époux, lesquels se doivent ainsi mutuellement respect, fidélité, secours et assistance.

Il ressort des éléments communiqués aux débats qu'après son divorce avec Mme [C], M. s'est remarié au Sénégal, à [Localité 7], le 8 janvier 2018, avec Mme [X] [S].

Ce mariage étant intervenu postérieurement au prononcé du divorce, la situation de bigamie n'est pas effective.

Il apparaît cependant, à l'examen des pièces remises, que M. [Z] [F] a eu, avec Mme [S], au cours de son mariage avec Mme [C], deux enfants, [B], née à [Localité 7] le 24 septembre 2012, soit neuf mois avant la souscription de la déclaration de nationalité française, puis [J], née à [Localité 7] le 24 décembre 2013, soit cinq mois après la souscription de la déclaration de nationalité française.

Il est à noter que dans l'acte de naissance d'[B], M. [Z] [F] se domiciliait à [Localité 7].

L'audition de Mme [S], au consulat de Dakar, le 31 mai 2017, permet de retenir que cette dernière indique avoir rencontré M. [Z] [F] en 2012, 'étant tombé amoureux', que le couple a eu deux filles, nées en 2012 et 2013, sans mariage religieux ni coutumier, Mme précisant que M. a été marié mais 'qu'il est divorcé depuis longtemps, depuis avant 2012".

Également entendu par le service d'état civil de la commune de [Localité 4], M. [Z] [F] a confirmé qu'il avait rencontré sa future épouse, Mme [S], en 2012, au Sénégal, où il allait régulièrement deux à trois fois par an, confirmant avoir deux enfants avec elle.

Il ressort de ces divers éléments que, nonobstant son mariage avec Mme [C], M. a entretenu une relation durable avec une autre compagne, avec laquelle il a eu deux enfants, dans une proximité de temps avec la déclaration de nationalité souscrite, soit pour la première neuf mois avant cette souscription, et pour la seconde cinq mois après cette souscription.

Il n'a nullement fait état de cette situation lors de la déclaration de nationalité française.

Il importe peu que son épouse, Mme [C], ainsi que cela ressort de l'attestation remise, seule pièce communiquée d'ailleurs par M pour établir la communauté de vie, ait alors accepté cette relation, qui n'était pas un simple adultère, mais une réelle liaison extra conjugale, entamée depuis 2012, et dont sont issues deux enfants.

Il est à noter que cette liaison s'est d'ailleurs poursuivie au-delà du divorce, pour se conclure par un mariage, situation qui vient conforter l'absence de communauté de vie affective avec son épouse, contrairement à ce qu'il soutient.

Les développements de M. [Z] [F] sur la dépénalisation de l'adultère ou sur les effets de la décision relativement à ses enfants ne sauraient avoir quelconque incidence, et éluder le fait qu'il a trompé les services, lors de la déclaration de nationalité, en dissimulant sa situation familiale effective, et en soutenant une communauté affective avec son épouse.

C'est à tort en conséquence que les premiers juges ont refusé d'annuler l'enregistrement de la nationalité française souscrite le 8 juillet 2013 par M. [Z] [F].

La décision étant infirmée, M. [Z] [F] sera débouté de l'intégralité de ses demandes, et sera condamné aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant par arrêt contradictoire, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

Déclare l'appel recevable,

Infirme le jugement déféré,

Statuant à nouveau,

Annule l'enregistrement de la déclaration de nationalité souscrite par M. [Z] [F] le 8 juillet 2013,

Constate l'extranéité de M. [Z] [F], né le 3 avril 1972 à [Localité 8], au Sénégal,

Dit que M. [Z] [F] n'est pas de nationalité française,

Ordonne la mention prévue par l'article 28 du code civil,

Rejette les demandes de M. [Z] [F],

Condamne M. [Z] [F] aux dépens.

Signé par Isabelle Bordenave, présidente de chambre, et par Sophie Peneaud, greffière auquel la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 2ème chambre a
Numéro d'arrêt : 23/02838
Date de la décision : 10/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 16/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-10;23.02838 ?
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