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04/04/2024 | FRANCE | N°21/05850

France | France, Cour d'appel de Lyon, 3ème chambre a, 04 avril 2024, 21/05850


N° RG 21/05850 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NX4I









Décision du Tribunal de Commerce de LYON du 06 juillet 2021



RG : 2019j1466





[X]



C/



S.A. BNP PARIBAS

S.A.S. MCS ET ASSOCIES





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



3ème chambre A



ARRET DU 04 Avril 2024







APPELANTE :



Mme [C] [X] épouse [U]

née le [Date naissance 1] 1959 à

[Localité 11]

[Adresse 4]

[Localité 6]



Représentée par Me Pierre BATAILLE, avocat au barreau de LYON, toque : 1507



INTIMEES :



S.A. BNP PARIBAS au capital de 2.492 925 268 €uros, inscrite au RCS sous le N° 662 042 449, dont le siège social est ...

N° RG 21/05850 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NX4I

Décision du Tribunal de Commerce de LYON du 06 juillet 2021

RG : 2019j1466

[X]

C/

S.A. BNP PARIBAS

S.A.S. MCS ET ASSOCIES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

3ème chambre A

ARRET DU 04 Avril 2024

APPELANTE :

Mme [C] [X] épouse [U]

née le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 11]

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentée par Me Pierre BATAILLE, avocat au barreau de LYON, toque : 1507

INTIMEES :

S.A. BNP PARIBAS au capital de 2.492 925 268 €uros, inscrite au RCS sous le N° 662 042 449, dont le siège social est [Adresse 2] [Localité 7] et les AFFAIRES SPECIALES ET RECOUVREMENT- ASR [Localité 10] ACI Z08477A [Adresse 9] [Localité 5], prise en la personne de son dirigeant social en exercice

[Adresse 2]

[Localité 7]

S.A.S. MCS ET ASSOCIES immatriculée au RCS de PARIS sous le n°334 537 206, prise en la personne de son dirigeant social en exercice

[Adresse 3]

[Localité 8]

Représentées par Me Florence CHARVOLIN de la SELARL ADK, avocat au barreau de LYON, toque : 1086

* * * * * *

Date de clôture de l'instruction : 02 Juin 2022

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 14 Février 2024

Date de mise à disposition : 04 Avril 2024

Audience tenue par Patricia GONZALEZ, présidente, et Viviane LE GALL, conseillère, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,

assistées pendant les débats de Clémence RUILLAT, greffière

A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.

Composition de la Cour lors du délibéré :

- Patricia GONZALEZ, présidente

- Aurore JULLIEN, conseillère

- Viviane LE GALL, conseillère

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Patricia GONZALEZ, présidente, et par Clémence RUILLAT, greffière, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 9 octobre 2009, la société Louise Della a ouvert un compte courant professionnel dans les livres de la BNP Paribas. Par acte sous seing privé du 19 octobre suivant, Mme [C] [X] épouse [U], gérante de la société Louise Della, s'est portée caution de cette dernière dans la limite de 120.000 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard, pour une durée de 10 ans.

Par lettre recommandée du 3 septembre 2013 et lettre simple du 1er octobre 2013, la BNP Paribas a mis en demeure Mme [U] de lui régler les sommes dues en sa qualité de caution solidaire.

Par jugement du 8 octobre 2013, le tribunal de commerce de Lyon a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société Louise Della. Par acte du 28 octobre 2013, la société BNP Paribas a déclaré sa créance au passif de la société Louise Della. Par jugement du 1er octobre 2014, le tribunal de commerce a arrêté le plan de redressement

Par courrier recommandé du 9 octobre 2014 la BNP Paribas a réitéré sa mise en demeure.

Par jugement du 15 juin 2017, le tribunal de commerce de Lyon a converti la procédure de redressement judiciaire de la société Louise Della en procédure de liquidation judiciaire. Par acte du 15 juin 2017, la société BNP Paribas a déclaré sa créance.

Par courriers recommandés des 15 juin 2017, 8 septembre 2017 et 12 mars 2018, la BNP Paribas a de nouveau mis en demeure Mme [U] de satisfaire à son engagement de caution.

Ces mises en demeure étant demeurées sans effet, la société BNP Paribas a assigné Mme [U], le 29 août 2019, devant le tribunal de commerce de Lyon.

Par jugement contradictoire du 6 juillet 2021, le tribunal de commerce de Lyon a :

- jugé qu'il n'y avait pas disproportion dans l'engagement de la caution au regard de la déclaration patrimoniale,

- condamné Mme [U] à payer à la société BNP Paribas la somme de 120.000 euros outre intérêts au taux légal à compter du 3 septembre 2013 date de la mise en demeure, au titre du solde débiteur du compte courant professionnel, en sa qualité de caution solidaire,

- dit que Mme [U] pourrait s'acquitter de sa dette par vingt-quatre versements mensuels égaux de 5.000 euros, le premier versement devant intervenir le 10 du mois suivant la notification du présent jugement, et la première échéance comprenant le solde de la dette principale et le calcul des intérêts légaux à compter du 3 septembre 2013,

- dit que faute pour elle de ne pas payer à bonne date une seule des mensualités prévues, la totalité des sommes restant dues deviendra de plein droit immédiatement exigible,

- rejeté la demande de capitalisation des intérêts, dans les termes et conditions de l'article 1343-2 du code civil,

- dit les parties mal fondées quant au surplus de leurs demandes, fins et conclusions et les en a déboutés respectivement,

- dit qu'il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire de ce jugement,

- condamné Mme [U] à verser la somme de 500 euros à la banque BNP Paribas au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamné Mme [U] aux entiers dépens de l'instance ainsi qu'aux frais relatifs à toutes mesures conservatoires.

                       

Mme [U] a interjeté appel par acte du 12 juillet 2021.

***

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 8 avril 2022 fondées sur les articles 1353, 1343-5, 2288 et suivants du code civil, l'article L.313-22 du code monétaire et financier, l'article L. 332-1 du code de la consommation et les articles 696 et 700 du code de procédure civile, Mme [U] demande à la cour de :

à titre principal,

- réformer le jugement déféré,

et, statuant de nouveau :

- déclarer disproportionné et inopposable à son égard l'engagement de caution signé le 19 octobre 2009,

- débouter la BNP Paribas de l'ensemble de demandes formulées à son encontre,

à titre subsidiaire,

- réformer le jugement déféré,

et, statuant de nouveau :

- juger que la BNP Paribas est déchue de son droit aux intérêts conventionnels à compter de la convention d'ouverture du compte, et faute pour elle de produire un décompte expurgé des frais, intérêts et commissions,

- débouter la banque de l'intégralité de ses demandes,

- condamner la BNP Paribas à lui payer à la somme de 120.000 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice résultant du manquement de la banque à son devoir de mise en garde à l'égard de la caution et ordonner la compensation de cette somme avec les celles dues à la banque,

à titre infiniment subsidiaire,

- réformer le jugement déféré,

et, statuant de nouveau :

- lui accorder la possibilité de se libérer de la dette sur 24 mois,

en tout état de cause,

- condamner la BNP Paribas à lui payer la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la BNP Paribas aux entiers dépens de première instance et d'appel,

- débouter la BNP Paribas de l'intégralité de ses prétentions, fins et moyens plus amples et/ou contraires.

***

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 13 mai 2022 fondées sur l'ancien article 1134 du code civil, les articles 1217, 1231-1, 1343-2, 1343-5, 1353, 2288 et suivants du code civil, l'ancien article L 341-4 du code de la consommation, les articles L624-3, L 624-3-1 et L 650-1 du code de commerce et l'article L 313-22 du code monétaire et financier, les sociétés BNP Paribas et MCS et Associés demandent à la cour de :

- déclarer ses demandes recevables et fondées et, en conséquence, de :

- mettre hors de cause la société MCS et Associes en ce qu'elle n'exerce qu'un mandat de gestion,

- débouter Mme [U] de l'intégralité de ses demandes,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

jugé que l'engagement de caution de Mme [U] n'est pas disproportionné,

jugé que la demande de la BNP Paribas était justifiée dans son quantum,

jugé que la déchéance du droit aux intérêts n'aurait pas d'impact sur la créance de la BNP Paribas,

jugé que la BNP Paribas n'était pas tenue à un devoir de mise en garde,

condamné Mme [U] à payer à la BNP Paribas la somme de 120.000 euros outre intérêts au taux légal à compter du 3 septembre 2013, date de la mise en demeure, au titre du solde débiteur du compte courant professionnel, en sa qualité de caution solidaire,

condamné Mme [U] à payer à la BNP Paribas la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné Mme [U] aux entiers dépens de l'instance ainsi qu'aux frais relatifs à toutes mesures conservatoires,

- réformer le jugement en ce qu'il a :

accordé à Mme [U] des délais de paiement,

rejeté la demande de capitalisation des intérêts,

statuant à nouveau,

- débouter Mme [U] de sa demande de délais de paiement,

- accorder à la BNP Paribas le bénéfice de la capitalisation des intérêts,

y ajoutant,

- condamner Mme [U] à payer à la requérante la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [U] aux entiers dépens de l'instance ainsi qu'aux frais relatifs à toutes mesures conservatoires, dont ceux d'appel avec droit de recouvrement.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 2 juin 2022, les débats étant fixés au 14 février 2024.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il est précisé que le litige n'est pas soumis au nouveau droit des contrats issu de l'ordonnance du 10 février 2016 puisque le contrat litigieux est antérieur au 1er octobre 2016.

Il est également précisé que le litige n'est pas soumis au droit du cautionnement issu de l'ordonnance du 15 septembre 2021 puisque le contrat de cautionnement litigieux est antérieur au 1er janvier 2022.

Sur la mise en cause de la société MCS et Associés

Les sociétés BNP Paribas et MCS et Associés font valoir que cette dernière n'est investie que d'un mandat de gestion de la présente affaire pour le compte de la première, qu'aucune cession de créances n'est intervenue et que c'est par erreur que la société MCS et Associés a été constituée intimée.

Sur ce,

La société MCS et Associés n'est pas créancière de Mme [U] au titre du cautionnement en cause, de sorte qu'il convient d'accueillir sa demande de mise hors de cause.

Sur la disproportion de l'engagement de caution

Mme [U] fait valoir que :

- la fiche de renseignement dont se prévaut la banque n'a pas été signée par elle mais par son époux qui n'était ni emprunteur ni caution, de sorte qu'elle ne lui est pas opposable ; cette fiche ne peut justifier de sa situation financière au jour de l'engagement de caution ou que la banque s'est renseignée sur sa situation financière,

- la solidarité de son époux en raison de leur mariage est indifférente quant à la valeur de cette fiche de renseignement,

- elle justifie de ses revenus et charges au jour de l'engagement de caution qui laissent apparaître une disproportion de l'engagement ; ainsi, les revenus du foyer de 2008 étaient déjà insuffisants pour un engagement de caution de 120.000 euros eu égard aux charges de remboursement de prêt immobiliers, aux charges de la vie courante avec notamment deux enfants, et aux engagements de caution déjà souscrits ; de surcroît, les charges se sont maintenues en 2009 en dépit d'une baisse significative des revenus.

La société BNP Paribas réplique que :

- l'appelante doit rapporter la preuve d'une disproportion manifeste,

- la concluante et son époux sont mariés sous le régime de la communauté légale, de sorte que tous les biens mentionnés dans la fiche de renseignement sont communs,

- M. [U] a donné son consentement à l'engagement de caution souscrit par son épouse, étendant l'assiette de la garantie ; il n'est pas étranger à l'engagement de caution de l'appelante ; la fiche de renseignement mentionne 'caution de : Monsieur et Madame',

- il incombe à l'appelante de démontrer que les renseignements produits par la concluante sont erronés, ce qu'elle ne fait pas ; il y a lieu de tenir compte de cette fiche,

- il n'y a pas lieu de tenir compte des autres engagements de caution solidaire évoqués par l'appelante mais non présents dans la fiche ; l'appelante ne saurait se prévaloir de ses erreurs ou omissions,

- il n'y a pas lieu de tenir compte des engagements de la société civile immobilière de l'appelante qui ne l'engagent pas personnellement ; l'appelante se contente d'affirmer sans le démontrer qu'elle apportait à cette société les fonds nécessaires,

- selon les renseignements produits dans la fiche, ainsi que les pièces produites par l'appelante, les revenus et patrimoine de l'appelante lui permettaient au jour de la souscription de l'engagement de largement de lui faire face,

- en l'absence de disproportion au jour de la souscription, il est inopportun d'examiner la situation actuelle de l'appelante.

Sur ce,

Selon l'article L. 341-4, devenu L. 332-1, du code de la consommation, 'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.'

La proportionnalité de l'engagement d'une caution s'apprécie soit au moment de sa conclusion, soit, en cas de disproportion initiale, lorsque la caution est appelée. La disproportion suppose que la caution soit, à la date où elle souscrit, dans l'impossibilité manifeste de faire face à un tel engagement avec ses biens et revenus. La capacité de la caution à faire face à son obligation au moment où elle est appelée s'apprécie en considération de son endettement global, y compris celui résultant d'autres engagements de caution et quand bien même le juge a déclaré ces cautionnements antérieurs disproportionnés.

Il est de jurisprudence constante que la disproportion manifeste de l'engagement de la caution s'apprécie par rapport aux biens et revenus de celle-ci, sans distinction, de sorte que, lorsque la caution est mariée sous le régime de la communauté légale, doivent être pris en considération tant les biens propres et les revenus de la caution que les biens communs, incluant les revenus de son conjoint.

Sur la charge de la preuve, il appartient à la caution qui l'invoque, de démontrer l'existence de la disproportion manifeste de son engagement au moment de la conclusion de celui-ci et réciproquement, il appartient au créancier d'établir qu'au moment où il appelle la caution, le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à son engagement.

Enfin, la caution qui a rempli, à la demande de la banque, une fiche de renseignements relative à ses revenus et charges annuels et à son patrimoine, dépourvue d'anomalies apparentes sur les informations déclarées, ne peut, ensuite, soutenir que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu'elle a déclarée au créancier.

En l'espèce, la banque produit une fiche de renseignement établie le 14 septembre 2009 au nom de M. [U] à titre principal et signée par ce dernier, mais comportant également les informations relatives à son épouse, ainsi que toutes les informations relatives au patrimoine, aux revenus et aux charges du couple marié sous le régime de la communauté légale, avec la mention 'caution de M. et Mme'. Il convient de précisé qu'aux termes de l'engagement de caution en date du 19 octobre 2009, M. [U] a expressément donné son consentement au cautionnement consenti par son épouse au bénéfice de la banque.

Cette fiche, même signée par M. [U] seul, permettait donc à la banque de vérifier si le cautionnement consenti par Mme [U] était ou non proportionné, dès lors que la banque était en possession de tous les éléments patrimoniaux du couple et qu'aucun indice ne lui permettait de douter de l'exactitude de ces informations.

Mme [U] ne peut donc, à présent, soutenir que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle déclarée au créancier, s'agissant des revenus comme des autres cautionnements consentis à d'autres créanciers et non mentionnés dans la fiche de renseignement.

Or, il résulte de ce document que le couple est marié sous le régime de la communauté légale, que Mme percevait un revenu annuel de 54.000 euros et que son époux percevait un revenu annuel net imposable de 42.576 euros ainsi que des revenus locatifs et fonciers de 21.900 euros et disposait d'une assurance-vie de 120.000 euros. Le couple avait encore deux enfants à charge et déclarait un emprunt immobilier dont le capital restant dû s'élevait à la somme de 250.000 euros pour une charge annuelle de 1.600 euros. S'agissant de leur patrimoine immobilier, le couple indiquait être propriétaire, via deux SCI, d'un bien immobilier évalué à la somme de 500.000 euros libre de charge et d'un bien évalué à 540.000 euros avec un capital restant dû de 235.000 euros. Il indiquait également être propriétaire directement d'un bien évalué à la somme de 258.000 euros avec un capital restant dû de 250.000 euros.

Au vu des éléments portés dans cette fiche, le cautionnement de Mme [U] pour la somme de 120.000 euros n'était pas manifestement disproportionné à ses revenus et son patrimoine déclarés. Il convient donc de confirmer le jugement de ce chef.

Sur la justification du montant de la demande principale

Mme [U] fait valoir que :

- il incombe à l'intimée de prouver le montant de sa créance,

- les relevés de compte du 31 janvier au 30 septembre 2013 produits par l'intimée ne permettent pas de justifier l'intégralité de la dette,

- la banque ne justifie pas que la concluante aurait été invitée à formuler ses observations sur le montant de la dette dans le cadre de la vérification des créances, de sorte que ses contestations sur le montant de la créance sont recevables,

- le jugement prononçant l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire n'entraîne pas la clôture du compte courant et ne rend pas exigible le solde débiteur du compte à cette date ; or, la banque ne produit pas les relevés de compte postérieurs à la déclaration de créance, de sorte qu'elle ne justifie pas des sommes qu'elle reçues dans le cadre des procédures de redressement et de liquidation judiciaire de la société Louise Della,

- la demande n'étant pas déterminée, l'intimée doit donc être déboutée de l'ensemble de ses demandes.

La société BNP Paribas réplique que :

- elle produit aux débat l'avis d'admission de sa créance au titre du solde débiteur du compte courant professionnel du débiteur principal, qui est revêtu de l'autorité de la chose jugée sur son quantum,

- en l'absence de contestation de sa déclaration de créance ou de l'état des créances par le débiteur principal ou l'appelante, cette dernière n'est plus recevable à en contester le quantum,

- l'appelante pouvait contester l'admission des créances de la concluante sur le fondement de l'article L.624-3 du code de commerce ; de même, en tant que dirigeante qui n'a pas fait valoir ses contestations, l'appelante qui n'était pas un simple tiers n'est pas recevable à faire valoir ses contestations,

- elle produit également les relevés de compte du débiteur principal, et un décompte actualisé, de sorte qu'elle démontre le quantum de sa créance,

- si l'appelante estime que le quantum est erroné, notamment que d'autres sommes ont été perçues dans le cadre de la procédure collective, il lui appartient de le démontrer,

- le compte a été clôturé au jour de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, de sorte que la créance de la concluante a été valablement arrêtée à cette date ; la position du compte redressement judiciaire ouvert en suite du jugement d'ouverture, sous réserve qu'il ait été ouvert dans les livres de la concluante, n'a aucune incidence et ne peut faire l'objet d'une compensation, sauf à constituer un paiement privilégié frauduleux d'un créancier.

Sur ce,

La banque produit les relevés du compte bancaire du débiteur principal pour la période de février à septembre 2013, établissant qu'au 30 septembre 2013, le solde du compte présentait un débit de 149.428,09 euros. Elle produit également un extrait Kbis de la société Louise Della mentionnant le jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, avec une date de cessation des paiements fixée au 8 avril 2012.

A l'examen de ces pièces, la cour estime que la créance de la banque à l'égard de la société Louise Della est tout à fait justifiée, étant rappelé que Mme [U], qui soutient que ces documents ne permettraient pas de justifier l'intégralité de la dette, était gérante de la société débiteur principal.

Quant aux éventuelles sommes qu'aurait perçues la banque du fait de la liquidation judiciaire du débiteur principal, il ne s'agit que d'allégations de Mme [U], dépourvues d'offre de preuve.

La banque produit un décompte actualisé au 12 mars 2018 mentionnant un acompte de 13.390,40 euros et réduisant ainsi sa créance à l'égard du débiteur principal, à la somme de 135.391,84 euros. Or, l'engagement de caution ayant été souscrit dans la limite de 120.000 euros, la demande de la banque à l'égard de Mme [U] est fondée.

Sur l'obligation d'information annuelle de la caution

Mme [U] fait valoir à titre subsidiaire que :

- la banque ne produit aucun document permettant de justifier l'envoi de l'information annuelle aux cautions ; le droit aux intérêts conventionnels est donc déchu à compter de la convention d'ouverture du compte,

- la seule production par la banque des relevés de compte ne permettant pas de justifier de l'intégralité de la dette, il n'est pas possible de déduire les frais, intérêts et commissions qui ont été portés au passif du compte bancaire antérieurement à la date du 31 janvier 2013 ; or, par effet de la déchéance des intérêts, frais et commissions, la créance apparaît donc indéterminée ; l'ensemble des prétentions de l'intimée doit donc être rejeté,

- la déchéance du droit aux intérêts est une exception personnelle à la caution de sorte qu'elle peut l'opposer, nonobstant la chose jugée par l'admission définitive de la créance à la procédure collective du débiteur.

La société BNP Paribas réplique que sa créance a été admise pour un montant de 148.782,24 euros ; qu'elle sollicite au titre de l'engagement de caution la somme de 120.000 euros, de sorte que l'éventuelle déchéance du droit aux intérêts n'aurait aucune incidence sur le montant réclamé ; que ce moyen est donc inopérant.

Sur ce,

Selon l'article L. 313-22 du code monétaire et financier, dans sa version applicable au litige :

'Les établissements de crédit ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement. Si l'engagement est à durée indéterminée, ils rappellent la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée.

Le défaut d'accomplissement de la formalité prévue à l'alinéa précédent emporte, dans les rapports entre la caution et l'établissement tenu à cette formalité, déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information. Les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l'établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette.'

Il résulte de ce texte qu'il appartient aux établissements de crédit et aux sociétés de financement ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, de justifier de l'accomplissement des formalités légalement prévues et que la seule production de la copie de lettres d'information ne suffit pas à justifier de leur envoi.

La société BNP Paribas ne justifie aucunement avoir procédé à cette information annuelle de la caution avant la mise en demeure du 3 septembre 2013, de sorte qu'elle est déchue des intérêts échus entre le 1er janvier 2010 et le 1er janvier 2013.

Toutefois, les relevés bancaires produits aux débats, qui ne font pas apparaître d'intérêts sur la période du 31 janvier au 30 septembre 2013, établissent que la créance de la banque s'élevait, à cette date du 30 septembre 2013, à la somme de 149.428,09 euros au titre du solde débiteur du compte courant, la banque ayant déclaré une créance de 148.782,24 euros lors du placement de la société Louise Della en redressement judiciaire.

Au vu de ces éléments, il est manifeste que l'absence de justification de l'information annuelle de la caution est sans effet sur la somme due au titre du cautionnement, dès lors que celui-ci est limité à la somme de 120.000 euros.

Sur le devoir de mise en garde de la caution par la banque

Mme [U] fait valoir que :

- ayant étudié les beaux-arts, elle n'a jamais eu de formation dans le domaine financier ou de la gestion d'entreprise ; elle se concentrait sur son activité créative depuis la création de son entreprise ; elle n'a pas la qualité de caution avertie ; ses qualités de dirigeante ou de professionnelle sont insuffisantes pour seules l'établir,

- le montage financier prévoyant un engagement de caution omnibus portant sur un compte courant servant de support à une convention d'escompte s'avérait complexe ; cette complexité fait obstacle à une qualité de caution avertie,

- la banque a manqué à son obligation de vérification de sa situation et donc de son risque de surendettement, ainsi qu'à son obligation de vérification de la situation, du risque de défaillance et de surendettement du débiteur principal ; en l'absence de ces deux vérifications, la banque a manqué à son obligation de mise en garde à son égard,

- elle peut formuler une demande en réparation de son préjudice sur le fondement du devoir de mise en garde à l'égard du débiteur principal car l'article L.650-1 du code de commerce n'est pas applicable et ne peut pas lui être opposé,

- la faute de la banque lui a causé un préjudice lié à la perte de chance de ne pas contracter ; s'agissant d'un manquement de la banque à l'égard d'une caution, la jurisprudence considère que le préjudice correspond aux sommes auxquelles elle se trouve tenue ; l'intimée doit être condamnée à lui payer la somme de 120.000 euros à titre de dommages-intérêts qui se compensera avec celles que la concluante lui doit.

La société BNP Paribas réplique que :

- l'appelante ne peut formuler aucune demande sur le devoir de mise en garde à l'égard de la société Louise Della, conformément à l'article L.650-1 du code de commerce, sauf à démontrer une fraude ou immixtion caractérisée de la concluante,

- lorsque Mme [U] a souscrit l'engagement de caution en 2013, elle était gérante de la société Louise Della depuis seize ans et était sa seule interlocutrice ; elle est entrepreneur individuelle depuis 1982 et associée de sa société civile immobilière immatriculée en 1991 ; Mme [U] a donc la qualité de caution avertie,

- l'engagement de caution litigieux n'a pas de complexité particulière ; la convention d'escompte évoquée par l'appelante est sans lien avec le présent litige,

- un solde débiteur de compte ne pouvait comporter un risque d'endettement excessif du débiteur principal et il n'existait aucun risque d'endettement excessif de l'appelante.

Sur ce,

Selon l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable au litige, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Il résulte de ce texte que la banque dispensatrice de crédit est tenue d'un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de cette dernière ou s'il existe un risque de l'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur.

L'assujettissement au devoir de mise en garde suppose, d'une part, un risque d'endettement excessif et, d'autre part, que le client soit non averti, ces deux conditions cumulatives s'appréciant successivement et dans cet ordre.

En l'espèce, comme il a été précédemment examiné, le cautionnement souscrit par Mme [U] n'était pas manifestement disproportionné à ses revenus et patrimoine déclarés. Il était ainsi adapté à ses capacités financières lors de sa souscription.

Quant à l'existence d'un risque d'endettement, le cautionnement garantissait le solde débiteur du compte courant de la société Louise Della, or il n'est pas démontré qu'au jour de la souscription du cautionnement, ce compte présentait un solde débiteur inadapté aux capacités financières de la société, qui aurait créé un risque d'endettement de la caution.

En conséquence, la banque n'était pas tenue d'un devoir de mise en garde.

Il convient d'ajouter, à titre surabondant, que Mme [U] était gérante de la société Louise Della depuis son immatriculation en 1997, soit depuis douze ans lors de la souscription du cautionnement en octobre 2009, de sorte qu'elle présentait une expérience certaine de la vie des affaires. De plus, la souscription d'un cautionnement destiné à garantir, dans la limite de 120.000 euros, l'ensemble des engagements du débiteur principal la société Louise Della, constitue manifestement une opération simple dont Mme [U] pouvait comprendre la portée sans besoin d'avoir des compétences particulières en matière financière. A l'évidence, Mme [U] ne saurait valablement prétendre être considérée comme une caution non avertie, de sorte que la banque n'était pas tenue d'un devoir de mise en garde à son égard.

Dès lors, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il condamne Mme [U] à payer à la société BNP Paribas la somme de 120.000 euros outre intérêts au taux légal à compter du 3 septembre 2013.

Sur la demande de délai de paiement

Mme [U] sollicite des délais de paiement par un remboursement en vingt-quatre mensualités et fait valoir que sa situation actuelle ne lui permet ni de payer la somme sollicitée en une fois, ni de respecter l'échéancier accordé en première instance ; que compte tenu des faibles revenus de son foyer, conséquence des difficultés de la société Louise Della, de leur dette fiscale, de leur dette auprès de l'Urssaf, des poursuites à son encontre pour le remboursement d'un prêt immobilier, elle se trouve dans la situation d'un débiteur malheureux et de bonne foi, qui peut prétendre obtenir des délais de paiement.

La société BNP Paribas s'oppose à tout délai de paiement et réplique que Mme [U] ne produit aucun justificatif de sa situation actuelle afin de fonder sa demande, l'avis d'imposition le plus récent concernant les revenus 2019, et que Mme [U] a été mise en demeure de payer en 2013 et 2014, de sorte qu'elle a déjà bénéficié de délais de paiement très importants.

Sur ce,

Compte tenu de l'ancienneté de la dette, il n'y a pas lieu d'accueillir la demande de délais de paiement formée par Mme [U]. Le jugement sera donc infirmé de ce chef.

Sur la demande de capitalisation des intérêts

La société BNP Paribas fait valoir que le juge ne dispose d'aucun pouvoir d'appréciation de la demande de capitalisation des intérêts qui est formée.

Sur ce,

Selon l'article 1343-2 du code civil, les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une décision de justice le précise.

La capitalisation des intérêts étant de droit, il convient d'accueillir la demande de la société BNP Paribas et, dès lors, de réformer le jugement de ce chef.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Mme [U] succombant à l'instance, elle sera condamnée aux dépens.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, sa demande formée à ce titre sera rejetée et elle sera condamnée à payer à la société BNP Paribas la somme de 1.200 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement,

Met hors de cause la société MCS et Associés ;

Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il dit que Mme [U] pourra s'acquitter de sa dette par vingt-quatre versements mensuels et en ce qu'il rejette la demande de capitalisation des intérêts formée par la société BNP Paribas ;

Statuant à nouveau de ces chefs et y ajoutant,

Rejette la demande de délais de paiement formée par Mme [U] ;

Ordonne la capitalisation des intérêts échus pour une année entière ;

Condamne Mme [U] aux dépens d'appel ;

Condamne Mme [U] à payer à la société BNP Paribas la somme de mille deux cents euros (1.200 euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre a
Numéro d'arrêt : 21/05850
Date de la décision : 04/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-04;21.05850 ?
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