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03/04/2024 | FRANCE | N°20/06697

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale a, 03 avril 2024, 20/06697


AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE



N° RG 20/06697 - N° Portalis DBVX-V-B7E-NIME



Société GRAVOTECH MARKING

C/

[U]



APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 19 Novembre 2020

RG : 18/03910









COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE A



ARRÊT DU 03 AVRIL 2024







APPELANTE :



Société GRAVOTECH MARKING

[Adresse 1]

[Localité 3]



représentée par

Me Sébastien PONCET de la SELAFA CHASSANY WATRELOT ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON







INTIMÉ :



[S] [U]

né le 31 Janvier 1956 à [Localité 7] (MAURITANIE)

Urb. Quinta de Boavista Lt

[Adresse 2]

[Localité 4] (PORTUGAL)



...

AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE

N° RG 20/06697 - N° Portalis DBVX-V-B7E-NIME

Société GRAVOTECH MARKING

C/

[U]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 19 Novembre 2020

RG : 18/03910

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 03 AVRIL 2024

APPELANTE :

Société GRAVOTECH MARKING

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Sébastien PONCET de la SELAFA CHASSANY WATRELOT ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

INTIMÉ :

[S] [U]

né le 31 Janvier 1956 à [Localité 7] (MAURITANIE)

Urb. Quinta de Boavista Lt

[Adresse 2]

[Localité 4] (PORTUGAL)

représenté par Me Jacques VITAL-DURAND de la SELARL VITAL-DURAND ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Jérémie BLOND, avocat au barreau de PARIS

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 23 Janvier 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Catherine MAILHES, Présidente

Nathalie ROCCI, Conseillère

Anne BRUNNER, Conseillère

Assistés pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 03 Avril 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Catherine MAILHES, Présidente, et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [U] (le salarié) a été engagé le 1er mai 2016 par la société Gravotech Marking (la société) par contrat à durée indéterminée en qualité de directeur digital, position III A, indice 240, de statut cadre de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie, et plus précisément de statut cadre dirigeant en vertu de l'article 8 du contrat susvisé.

La société employait habituellement au moins 11 salariés au moment de la rupture anticipée de son contrat à durée déterminée.

Le 28 février 2018, le salarié a fait part à la société son souhait de liquider ses droits à la retraite et de sa volonté de poursuivre son activité au sein de la société dans le cadre d'un cumul emploi retraite.

Les parties ont conclu le 23 mars 2018 un contrat à durée déterminée, à compter du 1er avril 2018 et jusqu'au 31 mars 2019, dans le cadre du dispositif de cumul emploi retraite précité, et afin 'd'accompagner la mise en oeuvre du schéma directeur informatique de projet clef pour l'entreprise et plus précisément le projet 'ERP CRM '.

Le 26 septembre 2018, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à une éventuelle sanction pouvant aller jusqu'à la rupture anticipée pour faute grave de son contrat de travail à durée déterminée, le 4 octobre 2018.

Par lettre du 12 octobre 2018, la société lui a notifié la rupture anticipée du contrat à durée déterminée, pour faute grave dans les termes suivants :

' Au cours des derniers mois, vous avez adopté une attitude irrespectueuse inacceptable et tenu des propos parfaitement inadmissibles visant la Direction et des membres de l'entreprise.

Plusieurs collaborateurs se sont plaints auprès de la Direction que vous critiquiez la Direction

de manière répétée et injustifiée, ouvertement devant les salariés, causant un véritable malaise auprès des équipes.

Vous avez ainsi tenu les propos suivants envers Monsieur [W], Directeur Général : « [M] ne comprend pas les sujets, [M] s 'étonne de tout... ».

De plus, vous colportez auprès des salariés des messages négatifs erronés à propos de la situation financière de l'entreprise, tels que : « Le groupe est à l'agonie financière ».

Vous manifestez, de manière répétée, votre désaccord profond avec la stratégie et les décisions de l'entreprise, par des critiques systématiques de la Direction et de vos supérieurs auprès des équipes.

Une telle attitude témoigne d'un manque de respect flagrant à l'égard de votre hiérarchie et un manque de loyauté, ce que nous ne pouvons accepter.

Vos agissements nuisent incontestablement au climat social de l'entreprise et démontrent votre volonté de ne pas collaborer de manière constructive avec votre hiérarchie.

Nous ne saurions tolérer plus longtemps de tels agissements, tant ils sont préjudiciables à notre fonctionnement et au travail de nos équipes.

En tant que cadre dirigeant, vous devez adopter une attitude d'autant plus exemplaire, ce qui est loin d'être le cas, bien au contraire.

Vos propos et comportements constituent également une réelle provocation à l'égard de la Direction, ce que nous ne saurions tolérer.

Nous ne pouvons réagir avec clémence face à de tels agissements qui portent gravement atteinte à la bonne marche de notre entreprise.

De plus, vos propos et attitudes déplacés se sont également manifestés auprès de plusieurs collaborateurs qui nous ont fait part de leurs difficultés à échanger avec vous de manière constructive et professionnelle.

Nombre d'entre eux dénoncent des agressions verbales et des attaques personnelles dès lors qu'ils entrent dans un débat contradictoire avec vous.

Vous avez, envers plusieurs collaborateurs, tenu des propos blessants, en leur disant de manière méprisante qu'ils «ne comprennent rien ». Votre attitude à leur égard est telle qu'ils ont demandé à la Direction de ne plus avoir à interagir avec vous.

De tels agissements ne correspondent pas à nos attentes et encore moins à nos valeurs.

Nous exigeons de la part de nos salariés un comportement respectueux correct et courtois, et ce, en toute circonstance, ce qui n'est pas votre cas et qui nuit fortement à notre entreprise.

De plus, à titre d'exemples, vis-à-vis de l'équipe juridique et de la directrice financière, vous leur avez demandé de manière provocatrice, si elles « comprennent l'essence d'un projet informatique».

Envers d'autres collaborateurs, vous vous moquez ouvertement d'eux en leur expliquant « qu 'on n 'arrivera pas à faire d'eux des experts en organisation » et que « vous n'avez pas de temps à perdre ».

Vous cherchez également à déstabiliser vos interlocuteurs en leur demandant s'ils ont connaissance de ce que l'organisation pense d'eux, en ces termes : « sais-tu ce que pensent les gens de toi ' » et, à la réponse « non merci de me le dire », vous rétorquez de manière dédaigneuse : « on ne va pas rentrer dans ces considérations ».

Vous vous êtes également permis de dire à la directrice administrative et financière qui vient d'intégrer le groupe fin juin 2018 le 12 septembre 2018 « qu'as-tu fais depuis ton arrivée ' on pourrait avoir à redire sur ton management », montrant ainsi votre comportement provocateur et votre défiance vis-à-vis de la Direction et de l'équipe dirigeante.

Les représentants du personnel de l'entreprise avaient également déjà fait part de plaintes quant à votre attitude à leur égard.

Force est de constater que non seulement vous n'entendez pas vous remettre en question, mais vous persistez dans une attitude provocatrice.

En agissant de la sorte, vous avez gravement manqué à vos obligations professionnelles et contractuelles.

Vous avez également enfreint les dispositions de notre règlement intérieur, dont l'article 24 dispose : « Comportement Général :

ARTICLE 24 : Comportement général

24.1 Sont notamment interdits au sein de l'établissement :

toute forme de violence (comportements agressifs, menaces, injures, insultes, accusations, dénigrements, critiques) à l'égard de la hiérarchie, des subordonnés, des collègues, des clients, et des fournisseurs ;

toute forme de pression sur le personnel pour faire obstacle à ses libertés (syndicale, politique ou religieuse) ;

le fait de porter atteinte à l'image de marque de la société ;

l'entrave au bon fonctionnement du service.

Par ailleurs, chaque salarié doit respecter les règles élémentaires de politesse, de savoir-vivre et de savoir être en collectivité. Cela implique un comportement et un langage calmes, corrects, respectueux, courtois à l'égard de chacun des membres, des clients et fournisseurs, ou des intervenants extérieurs à l'entreprise.

Tout comportement jugé incorrect, de nature à troubler le bon ordre ou à provoquer des troubles mentaux et comportementaux à autrui pourra être soumis aux sanctions prévues dans ce règlement (Art. 27).

Nous ne saurions tolérer plus longtemps vos agissements, tant ils nuisent au climat social et à la bonne marche de notre entreprise.

Enfin, de nombreux manquements dans l'exécution de votre travail sont à déplorer.

En effet, vous ne suivez pas les projets clés comme le projet E-business lancé aux US et vous n'en maîtrisez pas le budget, ce qui relevait pourtant de votre mission en tant que Directeur Digital laissant l'équipe sur place sans aucun suivi/appui et avec une dérive budgétaire inacceptable et jamais communiquée à la Direction (budget alloué de 234 000 euros alors qu'à ce jour les dépenses s'élèvent à de plus de 658 000 euros).

Les équipes se plaignent de votre absence de direction dans leurs missions et ont le sentiment d'être « laissés à l'abandon ».

Ce sentiment est également partagé par d'autres salariés de l'entreprise avec lesquels vous devriez collaborer de manière soutenue, ce qui n'est pas le cas.

Nous vous rappelons que votre fonction et les responsabilités qu'elle implique exigent que vous adoptiez un comportement des plus rigoureux dans le respect des consignes de travail et notamment dans les suivis budgétaires.

Dans le cadre de votre mission, il vous appartient de veiller à communiquer et échanger avec

les membres de votre équipe et ce dans l'intérêt de l'avancée des projets en cours et de la mission qui vous est confiée.

Vos agissements répétés sont intolérables et votre absence de remise en question malgré les remarques qui vous ont déjà été faites ne permet pas d'espérer une quelconque amélioration.

Aussi, pour l'ensemble des motifs exposés ci-dessus, nous vous notifions par la présente la rupture anticipée de votre contrat de travail à durée déterminée pour faute grave /.../ '.

Par courrier du 23 octobre 2018, le salarié a contesté les termes du courrier de rupture anticipée de son contrat de travail.

Le 24 décembre 2018, contestant la rupture anticipée de son contrat de travail à durée déterminée, M. [U] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon aux fins de voir condamner la société à lui verser un rappel de salaire pour la période du 13 octobre 2018 au 13 octobre 2019 (6 171,18 euros mensuels ; subsidiairement, du 13 octobre 2018 jusqu'au terme initialement fixé au 31 mars 2019 - 45 937,42 euros et 4 593,74 euros de congés payés afférents), un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires accomplies au cours du CDI (83 150,52 euros), outre congés payés afférents (8 315,05 euros), et au cours du CDD (23 499 euros), outre congés payés afférents (2 349,91 euros), ainsi que des dommages et intérêts au titre des salaires qui auraient été perçus jusqu'au terme initialement fixé au CDD (66 772,86 euros), outre congés payés afférents (6 677, 29 euros), à lui verser sa prime de 13ème mois au prorata du 13 octobre 2019 au 31 mars 2019 (3 417,16 euros), outre congés payés afférents (341,71 euros), l'indemnité de précarité (16 692,42 euros, subsidiairement à hauteur de 12 301,72 euros), un rappel de salaire variable (28 450 euros), outre congés payés afférents (2 845 euros), la contrepartie financière de la clause de non-concurrence stipulée dans son CDI (100 083,89 euros, subsidiairement à hauteur de 75 265,78 euros) et voir la société condamnée à lui verser outre une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile (5 000 euros), assortir les condamnations pécuniaires des intérêts au taux légal.

Le salarié a modifié ses demandes initiales, sollicitant un rappel de salaires au titre de la mise à pied à titre conservatoire injustifiée (4 473,25 euros, et 447,32 euros au titre des congés payés afférents), portant à 3 772,92 euros le montant des dommages et intérêts au titre du 13ème mois qui aurait été perçu, au prorata du 13 octobre 2018 au 31 mars 2019, ramenant à 12 737,01 euros l'indemnité de précarité, sollicitant des dommages et intérêts au titre du temps anormal de déplacement, de l'exclusion de tout décompte du temps de travail et de contrôle du respect des repos quotidien et hebdomadaire (20 000 euros), ramenant à 74 054,16 euros la contrepartie financière à la clause de non-concurrence stipulée au contrat de travail.

Le salarié ne sollicitait plus en revanche le versement d'un rappel de salaire pour la période du 13 octobre 2018 au 13 octobre 2019, et des dommages et intérêts au titre de leur non versement, ni le paiement d'heures supplémentaires.

La société Gravotech marking a été convoquée devant le bureau de conciliation et d'orientation par courrier recommandé avec accusé de réception signé le 31 décembre 2018.

La société s'est opposée aux demandes du salarié et a sollicité à titre reconventionnel la condamnation de celui-ci au versement de la somme de 3.000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 19 novembre 2020, le conseil de prud'hommes de Lyon a :

dit que la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée de M. [U] repose sur une faute grave ;

dit que M. [U] était soumis à un statut de cadre dirigeant ;

dit que la société Gravotech marking n'a pas fixé à M. [U] des objectifs respectant le droit pour les années 2017 et 2018 ;

dit que la société Gravotech marking n'a pas levé la clause de non concurrence de M. [U] ;

en conséquence,

condamné la société Gravotech marking à verser à M. [U] les sommes suivantes :

19 374 euros au titre des rappels de salaire variable,

1 937,40 euros au titre des congés payés afférents,

28 284,57 euros au titre de la contrepartie financière à la clause de non concurrence,

1 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

rappelé que les intérêts courent de plein droit au taux légal à compter de la mise en demeure de la partie défenderesse devant le bureau de conciliation et d'orientation en ce qui concerne les créances de nature salariale et à compter du prononcé de la présente décision pour les autres sommes allouées ;

rappelé qu'aux termes des dispositions de l'article R.1454-28 du code du travail, sont exécutoires de droit à titre provisoire, les jugements ordonnant le paiement des sommes au titre des rémunérations et indemnités visées à l'article R.1454-14 du code du travail dans la limite de neuf mensualités, étant précisé que la moyenne brute des salaires des trois derniers mois est fixée à la somme de 9 153,22 euros ;

débouté M. [U] du surplus de ses demandes ;

débouté la société Gravotech marking de sa demande reconventionnelle au titre de l'article700 du code de procédure civile ;

condamné la société Gravotech marking aux entiers dépens.

Selon déclaration électronique de son avocat remise au greffe de la cour le 30 novembre 2020 (RG n°20/06697), la société Gravotech marking a interjeté appel dans les formes et délais prescrits de ce jugement, aux fins d'infirmation en ce qu'il a : dit qu'elle n'a pas fixé à M. [U] des objectifs respectant le droit pour les années 2017 et 2018, dit qu'elle n'a pas levé la clause de non concurrence de M. [U], en conséquence, l'a condamnée à verser à M. [U] les sommes suivantes : - 19 374,00 euros au titre des rappels de salaire variable, -1 937,40 euros au titre des congés payés afférents, - 28 284,57 euros au titre de la contrepartie financière à la clause de non concurrence, - 1 700,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, rappelé que les intérêts courent de plein droit aux taux légal à compter de la mise en demeure de la partie défenderesse devant le bureau de conciliation et d'orientation en ce qui concerne les créances de nature salariale et à compter du prononcé de la présente décision pour les autres sommes allouées, rappelé qu'aux termes des dispositions de l'article R.1454-28 du code du travail, sont exécutoires de droit à titre provisoire, les jugements ordonnant le paiement des sommes au titre des rémunérations et indemnités visées à l'article R.1454-14 du code du travail dans la limite de neuf mensualités, étant précisé que la moyenne brute des salaires des trois derniers mois est fixée à la somme de 9 153,22 euros, l'a déboutée de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamnée aux entiers dépens.

Selon déclaration électronique de son avocat remise au greffe de la cour le 2 décembre 2020 (RG n°20/6763), M. [U] a interjeté appel dans les formes et délais prescrits de ce jugement, aux fins d'infirmation en ce qu'il a : dit que la rupture anticipée de son contrat de travail à durée déterminée repose sur une faute grave, dit qu'il était soumis à un statut de cadre dirigeant, condamné la société Gravotech marking à lui verser les sommes suivantes : 19 374 euros au titre des rappels de salaire variable, 1 937,40 euros au titre des congés payés afférents, 28 284,57 euros au titre de la contrepartie financière à la clause de non-concurrence et en ce qu'il l'a débouté du surplus de ses demandes.

Par ordonnance en date du 24 juin 2021, le conseiller de la mise en état a ordonné la jonction des procédures n°20/06763 et n°20/06697 sous le numéro 20/06697.

Aux termes des dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 10 février 2021, la société Gravotech marking demande à la cour de :

ordonner la jonction des procédures enregistrées sous les numéros 20/06697 et 20/06763 ;

sur la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée :

à titre principal,

dire que la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée de M. [U] repose sur une faute grave ;

confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a rejeté la demande de M. [U] portant sur la rupture anticipée du contrat à durée déterminée ;

débouter M. [U] de l'ensemble de ses demandes afférentes à la rupture du contrat de travail ;

à titre subsidiaire, dans le cas où la Cour viendrait à estimer que la rupture du contrat ne repose pas sur une faute grave,

dire que le montant de l'indemnité de fin de contrat ne saurait excéder la somme de 10 737,01 euros,

sur le recours abusif au statut de cadre dirigeant :

constater que M. [U] était à bon droit soumis à un statut de cadre dirigeant,

constater en tout état de cause qu'il ne démontre l'existence d'aucun préjudice,

confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a rejeté la demande de M. [U] portant sur le recours abusif au statut de cadre dirigeant,

débouter M. [U] de sa demande indemnitaire à ce titre,

sur le rappel de prime variable :

débouter M. [U] de son rappel de salaire variable pour l'année 2017 ;

débouter M. [U] de son rappel de prime variable pour l'année 2018 ;

constater qu'il ne peut bénéficier d'aucune prime variable pour la période du 1er janvier au 31 mars 2018 ;

constater qu'il ne peut bénéficier d'aucune prime variable pour la période du 1er janvier au 31 mars 2019 ;

infirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a condamné la société à payer à M. [U] un rappel de prime variable ;

débouter M. [U] de sa demande de rappel de salaire variable ;

sur l'application de la clause de non concurrence :

infirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il l'a condamnée la société à payer à M. [U] une indemnité de non concurrence,

à titre principal,

débouter M. [U] de sa demande tendant au versement d'une indemnité de non concurrence,

à titre subsidiaire,

constater en tout état de cause que le quantum de l'indemnité demandée est erroné ;

condamner M. [U] au versement d'une indemnité de 3 000 euros au titre de

l'article 700 du code de procédure civile.

Selon les dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 16 novembre 2023, M. [U] demande à la cour de :

le recevoir en son appel, principal et incident ;

l'y déclarant bien-fondé, confirmer le jugement rendu le 19 novembre 2020 par le conseil de prud'hommes de Lyon, en ce qu'il a jugé que la société Gravotech marking n'avait pas fixé les objectifs 2017, 2018 sous CDI et 2018/ 2019 sous CDD, de sorte que le salaire variable lui était intégralement dû, et en ce qu'il a jugé que la société Gravotech marking n'a pas levé la clause de non-concurrence stipulée au CDI, de sorte que la contrepartie financière est due ;

l'infirmant pour le surplus, et statuant à nouveau, de :

dire que la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée, notifiée pour faute grave le 12 octobre 2018, est abusive en ce que le signataire de la lettre de rupture était dépourvu de pouvoir, faute d'avoir obtenu l'autorisation préalable du comité de surveillance dont dispose le pacte d'actionnaires du 28 mars 2018, la cause réelle de la rupture tient à la réorganisation en cours au sein de la société, et non pas à une quelconque faute, les prétextes dont la société Gravotech marking a excipé, antérieurs à la signature du CDD, anciens et non-imputables au salarié, ne sauraient recevoir la qualification de faute grave en l'absence du moindre avertissement ou de la moindre remarque antérieure ;

condamner, en conséquence, la société Gravotech marking à lui verser les sommes suivantes :

4 473,25 euros de rappels de salaires au titre de la mise à pied conservatoire injustifiée ;

447,23 euros au titre des congés payés afférents ;

45 937,42 euros de dommages-intérêts au titre des salaires qui auraient été perçus par lui, du 13 octobre 2018 au 31 mars 2019, soit jusqu'au terme convenu du contrat à durée déterminée ;

4 593,74 euros au titre des congés payés afférents ;

3 772,97 euros de dommages-intérêts au titre du 13ième mois qui aurait été perçu, au prorata du 13 octobre 2018 au 31 mars 2019 ;

341,72 euros au titre des congés payés afférents ;

12 737,01 euros au titre de l'indemnité de précarité ;

dire que le recours au statut de cadre dirigeant n'est ni justifié, ni conforme à sa classification, telle que fixée au contrat de travail et par la convention collective applicable ;

condamner, conséquemment, la société Gravotech marking à lui verser une somme de 20 000 euros de dommages-intérêts au titre du temps anormal de déplacement, de l'exclusion abusive de tout dispositif de décompte du temps de travail et de contrôle du respect des repos quotidien et hebdomadaire ;

dire, confirmant en cela le jugement du 19 novembre 2020, que la société Gravotech marking ne lui a pas fixé les objectifs nécessaires au versement du salaire variable contractuellement prévu, ou a fixé des objectifs qui lui sont inopposables ;

condamner, en conséquence, la société Gravotech marking à lui verser les sommes suivantes :

28 450,00 euros au titre des rappels de salaire variable ;

2 845,00 euros au titre des congés payés afférents ;

dire que la société Gravotech marking n'a pas levé la clause de non-concurrence stipulée au contrat de travail à durée indéterminée, et que ladite clause a pris effet, en stricte application des termes de la clause de non-concurrence, au jour de sa sortie des effectifs de l'entreprise, soit au 12 octobre 2018 ;

condamner, en conséquence, sur une base de 60 % du salaire mensuel brut moyen, la société Gravotech marking à lui verser la somme de 74 054,16 euros au titre de la contrepartie financière à la clause de non-concurrence stipulée au contrat de travail ;

en tout état de cause,

assortir les condamnations pécuniaires des intérêts au taux légal à compter de la réception, par la société Gravotech marking, de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation ;

condamner la société Gravotech marking à lui verser une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre le paiement des entiers dépens

La clôture des débats a été ordonnée le 14 décembre 2023 et l'affaire a été évoquée à l'audience du 23 janvier 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties il est fait expressément référence au jugement entrepris et aux conclusions des parties sus-visées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'exécution du contrat de travail

1- Sur le statut du salarié et la demande de dommages et intérêts

Le salarié conteste le jugement entrepris en ce qu'il a dit qu'il était soumis au statut de cadre dirigeant, en faisant valoir que :

- sur la base de ses bulletins de salaire, la société se prévaut d'une classification III C le concernant, alors que l'article 1-6° convention collective exclut le statut de cadre dirigeant pour tous les cadres classés jusqu'au grade III C inclusivement ;

- abusivement présumé cadre dirigeant par son employeur, il n'a été soumis à aucun décompte de son temps de travail, ni aux obligations de repos quotidien et hebdomadaire, et n'est pas en mesure de fournir un décompte détaillé du temps de travail effectif travaillé ;

- dans le cadre de ses nombreux déplacements à [Localité 5], il a consacré au total 147 heures uniquement en heures de vol, et si ces temps ne constituent pas du temps de travail effectif au sens de l'article L. 3121-24 du temps de travail, le temps anormal de déplacement doit faire l'objet d'une contrepartie, soit sous forme de repos, soit sous forme financière ; par ailleurs, il a été abusivement exclu pendant près de deux ans et demi de tout dispositif de décompte du temps de travail, du régime des heures supplémentaires et/ou des jours de réduction du temps de travail, du respect des repos quotidien et hebdomadaire.

La société soutient que :

- à deux reprises, lors de la signature de son contrat à durée indéterminée puis de celui à durée déterminée, le salarié a accepté d'être soumis à un statut de cadre dirigeant tel que définit à l'article L. 3111-2 du code du travail, sans jamais remettre en cause ce statut ;

- ce statut était adapté à la situation du salarié, en ce qu'il bénéficiait du niveau de classification le plus élevé de la convention collective, d'un niveau de rémunération figurant parmi les plus hauts niveaux de salaire dans l'entreprise et la lecture de sa définition de fonction fait apparaître qu'il occupait un emploi stratégique, lui donnant la possibilité de prendre des décisions de façon autonome et de s'organiser librement ;

- le salarié ne produit aucun élément de nature à étayer l'existence d'un quelconque préjudice lié au caractère abusif du statut de cadre dirigeant appliqué ; il ne lui a jamais été demandé de travailler pendant son arrêt maladie du 20 avril au 3 juin 2018, et les nombreux déplacements dénoncés par le salarié ne constituent pas, d'une part, du temps de travail effectif au sens de l'article L. 3121-4 du code du travail, et d'autre part, sa fiche de fonction prévoit qu'il peut être amené à effectuer des déplacements ponctuels sur les sites du groupe à l'étranger.

***

Aux termes de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972 applicable au litige, prise dans son article 1er 6° définissant son champ d'application, il est prévu que :

6° Directeurs salariés et cadres supérieurs

La situation des directeurs salariés et cadres supérieurs à l'égard des clauses de la présente convention est ainsi déterminée :

Ne sont visés ni les directeurs salariés ni les cadres occupant des fonctions supérieures à la position III C définie à l'article 21 ci-dessous, titulaires d'un contrat individuel réglant leur situation d'ensemble et dont les clauses générales ne peuvent être globalement moins favorables que celles de la présente convention.

Lorsqu'un cadre relevant du champ d'application défini ci-dessus fait ou a fait l'objet d'une promotion à un poste supérieur relevant de l'alinéa précédent, il ne peut en résulter globalement une réduction des avantages dont il bénéficiait précédemment en sa qualité de cadre.

Lorsqu'un cadre est engagé dans une entreprise directement pour des fonctions supérieures à la position III C, les clauses générales de la présente convention lui sont applicables pour toutes les questions qui ne sont pas visées par son contrat individuel.

Il s'en infère que tout cadre de classification IIIC et inférieure est soumis à la convention collective nationale, laquelle prévoit en son article 9 que :

Les dispositions légales relatives à la durée du travail s'appliquent aux ingénieurs et cadres,

en son article 11 que :

Lorsque pour des raisons de service, l'employeur fixe un transport comportant un temps de voyage allongeant de plus de 4 heures l'amplitude de la journée de travail de l'ingénieur ou cadre, celui-ci a droit à un repos compensateur d'une demi-journée prise à une date fixée de gré à gré, si le transport utilisé n'a pas permis à l'intéressé de bénéficier d'un confort suffisant pour se reposer (voyage en avion dans une classe autre que la 1re ou une classe analogue à cette dernière ; voyage en train de nuit sans couchette de 1re classe ni wagon lit)

et en son article 12, notamment que :

En cas de déplacement de l'ingénieur ou cadre à l'étranger pour accomplir une mission temporaire de plus ou moins longue durée, sans entraîner pour autant une mutation ou affectation dans un autre établissement permanent de l'entreprise situé à l'étranger (voir l'annexe II à la présente convention collective), les dispositions suivantes seront observées, outre celles prévues par l'article 11 ci-dessus de la présente convention collective.

1° Délai de prévenance

L'employeur doit s'efforcer d'aviser dans le meilleur délai l'ingénieur ou cadre de son déplacement compte tenu des particularités de celui-ci (distance, durée, caractère habituel ou non), sans que ce délai soit inférieur à 3 jours ouvrables sauf exception due à des circonstances particulières ou à la nature de l'emploi.

2° Formalités avant le départ

Les démarches nécessaires à l'accomplissement des formalités administratives imposées par un déplacement à l'étranger seront accomplies avec l'assistance de l'employeur et pendant le temps de travail.

La vérification de l'aptitude médicale de l'ingénieur ou cadre ainsi que les vaccinations requises seront effectuées dans les mêmes conditions.

Les frais occasionnés par ces différentes formalités sont à la charge de l'employeur.

Avant le départ de l'ingénieur ou cadre en déplacement, l'employeur doit mettre à sa disposition les informations détaillées dont il dispose sur le pays de destination, ses lois ou ses coutumes dont l'intéressé devra tenir compte au cours de sa mission.

3° Garanties sociales

Les ingénieurs et cadres continuent pendant la durée de leur séjour à l'étranger à bénéficier de garanties relatives à la retraite et à la couverture des risques invalidité, décès, accident du travail, maladie, maternité et perte d'emploi, sans qu'il en résulte une augmentation du taux global de cotisation à la charge des intéressés.

Ces garanties doivent, si nécessaire, compléter les garanties de même nature dont l'ingénieur ou cadre bénéficie en vertu de dispositions obligatoires en vigueur dans le pays d'accueil.

4° Repos hebdomadaire et jours fériés

L'ingénieur ou cadre en déplacement à l'étranger bénéficie annuellement d'un nombre de jours de repos au moins égal au nombre de jours fériés et de repos hebdomadaire légaux dont il aurait bénéficié s'il avait continué à travailler en France.

Les dispositions conventionnelles plus favorables que les dispositions légales s'appliquent par priorité.

Par ailleurs, lorsqu'un employeur est lié par les clauses d'une convention ou d'un accord, ces clauses s'appliquent aux contrats de travail conclus avec lui, sauf stipulation plus favorable.

Aux termes de son contrat à durée indéterminée du 1er mai 2016, le salarié a été embauché à la position III A, indice 240 statut cadre de la convention collective et il était stipulé qu'il bénéficiait de la qualité de cadre dirigeant, soit en violation des clauses conventionnelles plus favorables que le contrat.

Ce faisant, en regard du caractère d'ordre public du principe de faveur, c'est à bon droit que le salarié prétend qu'il a été abusivement soumis au statut de cadre dirigeant dans le cadre du contrat à durée indéterminée pendant une durée de l'ordre de deux ans et demi.

Compte tenu des nombreux déplacements que le salarié a effectués entre [Localité 6] et [Localité 5] aux USA pour un temps de vol entre 9h30 et 12h, supérieur au temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail. Néanmoins, le salarié qui ne justifie pas de voyages en avion dans une autre classe que la 1ère, n'établit pas que le transport utilisé ne lui a pas permis de bénéficier d'un confort suffisant pour se reposer. Il n'apporte pas plus d'éléments sur son temps de travail effectif et sur l'éventuel dépassement des seuils et plafonds en matière de durée du travail, en sorte qu'il ne justifie pas du préjudice allégué au titre de l'application abusive du statut de cadre dirigeant. Il sera en conséquence débouté de sa demande à ce titre.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.

2- Sur la rémunération variable

Au soutien de son appel, la société fait valoir que :

- il ressort du contrat de travail du salarié que le versement d'un bonus n'est pas automatique et se trouve conditionné par l'atteinte d'objectifs fixés, sur l'année civile, lors de l'entretien annuel d'appréciation, de sorte que la demande du salarié ne peut être examinée que sur chaque année civile et non pas entre deux années comme le fait ce dernier ;

- le salarié ne démontre pas en quoi elle devrait lui verser un reliquat au titre de l'année 2017 ;

- il n'y a pas lieu d'isoler le premier trimestre 2018 au titre de cette année-là, pour laquelle trois objectifs lui ont été fixés lors de son entretien annuel du 2 mars 2018, contrairement à ce qu'a retenu le conseil de prud'hommes ;

- le salarié ne produit aucun élément de nature à démontrer qu'il les auraient atteints, ni ne démontre l'existence d'un accord contractuel ou d'un usage prévoyant le versement d'un bonus au prorata du temps de présence en cas de départ en cours d'année.

Le salarié soutient quant à lui que :

- il ne lui revient pas de démontrer qu'il aurait effectivement atteint des objectifs non fixés, ou fixés après le début d'exercice, la preuve incombant à la société ;

- le salaire variable n'étant pas une prime, et ses contrats ne fixant pas le principe d'une prime discrétionnaire, en cas de départ en cours d'année il peut prétendre à un paiement au prorata de son salaire variable ;

- au titre de son CDI, la société n'a formalisé aucun objectif pour l'année 2017 avant la fin du mois de mars 2018 dans un document rédigé en anglais, de sorte qu'ils ne lui sont pas opposables et qu'il peut prétendre à un reliquat pour bénéficier de la part variable maximale ;

- au titre de son CDD, la société n'a pas fixé d'objectifs, et ceux dont se prévaut cette dernière ne concernent pas la mission qui lui a été expressément et limitativement confiée dans le cadre de ce second contrat ; de plus, en rompant abusivement son contrat elle ne l'a pas mis en mesure d'atteindre les objectifs litigieux.

***

Lorsque les objectifs sont définis unilatéralement par l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, ce dernier peut les modifier dès lors qu'ils sont réalisables et qu'ils ont été portés à la connaissance du salarié en début d'exercice.

Le versement des primes sur objectifs est dû intégralement par l'employeur dans le cas où ce dernier n'a ni précisé au salarié les objectifs à réaliser, ni fixé les conditions de calcul vérifiables de cette rémunération, en l'absence de période de référence dans le contrat de travail.

Selon l'article L.1321-6 du code du travail, tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l'exécution de son travail doit être rédigé en français. Cette règle n'est pas applicable aux documents reçus de l'étranger ou destinés à des étrangers.

Pour exclure la règle, il appartient au juge de constater que les documents écrits en langue étrangère ont été reçus de l'étranger, notamment de la société mère, étant précisé que l'usage courant de l'anglais au sein de l'entreprise ou la maîtrise de la langue utilisée par le salarié de nationalité française est inopérant.

(Soc.11 octobre 2023 n°22-13.770)

Le contrat de travail à durée indéterminée comme le contrat de travail à durée déterminée stipule une rémunération annuelle brute forfaitaire de 105.000 eurosuros versées en 13 mensualités selon les modalités suivantes :

1) un salaire mensuel brut de 8.076,93 euros,

2) un 13ème mois versé en deux fois sur le salaire de juin et sur le salaire de décembre.

Au surplus, il sera également éligible à un bonus sur objectif d'un montant maximum de 20.000 eurosuros. Le calcul de ce bonus sera défini dans le cadre de la politique de groupe et sera lié à l'atteinte de ses objectifs, fixés lors de l'entretien annuel d'appréciation.

Il ressort des courriers versés aux débats que le bonus de l'année 2017 n'avait pas été traité lors de l'évaluation annuelle et qu'aucun bonus n'avait alors été formalisé, que ce n'est que le 13 mars 2018 que M. [M] [W] a proposé au salarié de lui en construire un, a posteriori et le 28 mars 2018 qu' 'une proposition de bonus " lui a été notifiée en langue anglaise pour l'année 2018.

Ainsi aucun objectif n'avait été notifié au salarié pour l'année 2017 et seuls les objectifs de l'année 2018 avaient été définis et notifiés fin mars 2018.

Le reçu pour solde de tout compte ne mentionne pas le paiement d'une prime d'objectif et le salarié ne remet pas en cause la perception des sommes mentionnées dans le cadre de celui-ci. Le moyen tiré de la signature du solde de tout compte est donc inopérant, de même que celui de l'absence de réclamation de la rémunération variable 2017 au cours de la relation contractuelle.

Ce faisant, le salarié est en droit de bénéficier de l'intégralité du salaire variable de 20 000 euros au titre des objectifs 2017. Il a perçu une somme de 16 450 euros de prime d'objectifs en mai 2018, en sorte qu'il a droit au reliquat de 3 350 euros à titre de rappel de rémunération variable 2017.

Les objectifs 2018 définis en langue anglaise alors que le salarié est de nationalité française et que la société émettrice est une société de droit français et non la société mère de droit américain (US), ne sont pas opposables au salarié.

S'agissant d'une rémunération variable en contrepartie du travail effectué et non d'une gratification, il est de principe que le salarié qui ne peut être privé de la part de rémunération variable acquise en cours d'année et qui correspond à la contrepartie de son travail, a droit la part de rémunération acquise au prorata de son temps passé.

Ainsi le salarié est en droit de bénéficier de la rémunération variable au titre des objectifs 2018 à hauteur de 3/12ème de 20 000 euros soit de 5 000 euros au titre du contrat à durée indéterminée au titre de la rémunération variable 2018.

Pour la période du contrat de travail à durée déterminée,

Les objectifs ont été notifiés au salarié le 28 mars 2018, avant la prise d'effet du CDD mais postérieurement à sa conclusion le 23 mars 2018, en sorte qu'il y a lieu de considérer que ces objectifs couvrent l'intégralité de l'année civile 2018, quel que soit le contrat de travail considéré.

Dès lors que le contrat à durée déterminée a été rompu par une faute grave que la cour ne retient pas, comme développé par la suite, le salarié est en droit de bénéficier de la rémunération variable pour l'année 2018, soit du 1er avril au 31 décembre 2018, la somme de 15 000 euros.

En définitive, la société est redevable de la somme de 23 350 euros au titre de la rémunération variable outre 2 335 euros au titre de l'indemnité de congés payés afférente. Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a limité le montant dû au salarié à la somme de 19 374 euros outre les congés payés afférents.

Sur la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée

Le salarié fait grief au jugement de dire la rupture anticipée de son contrat de travail à durée déterminée justifiée par une faute grave, en faisant valoir que :

- en vertu de l'article 4.1 du pacte d'actionnaires conclu le 28 mars 2018, la rupture du contrat de travail de tout salarié du groupe, dont le salaire annuel excède 120 000 euros, exige l'accord préalable du comité de surveillance du groupe, et rien dans le texte ne permet d'exclure la rupture d'un CDD des actes exigeant l'accord préalable, ni ne comprend de distinction fonction de la nature du salaire versé ; son salaire annuel brut atteignant un total de 125 000 euros, fixe et part variable cumulées outre les avantages en nature, le pacte d'actionnaire était pleinement applicable, de sorte qu'en l'absence d'autorisation préalable du comité de surveillance, le signataire de la lettre de rupture était privé de tout pouvoir de rompre son contrat ;

- c'est au cours d'un entretien organisé le 7 septembre 2018 avec le directeur général et la directrice administrative et financière qu'il s'est vu signifier que son CDD en cours l'excluait de facto de la réorganisation en cours dans la société, réelle cause de la rupture de son contrat, et la société n'apporte aucun élément de nature à étayer sa version des faits selon laquelle il aurait eu un comportement agressif et désinvolte lors du dit entretien ;

- sur la prétendue manifestation d'un désaccord profond avec la stratégie de l'entreprise, il a fait montre d'un investissement sans faille, n'hésitant ainsi pas à travailler sur sollicitation du responsable des ressources humaines pendant un arrêt maladie et inscrivant la stratégie digitale dans la continuité de la stratégie d'entreprise arrêtée par la société ; les pièces produites par la société pour étayer ce grief ne permettent aucunement d'établir qu'il aurait ouvertement et publiquement critiqué la direction ou la stratégie de la société ;

- sur les prétendus propos irrespectueux et attaques personnelles tenus à l'encontre de ses collègues, les faits relatés tant par Mme [K], M. [C] ou Mme [F] sont anciens, ne peuvent justifier la rupture d'un CDD conclu bien après leur survenance et, bien que connus de la direction, n'ont donné lieu à aucun avertissement, rappel à l'ordre ou conseil 'amical' ; Mme [G], la directrice administrative et financière, qui se trouve être à la fois juge et partie, multiplie les contre-vérités dans son attestation, versée aux débats par la société ;

- sur sa prétendue incapacité à suivre le budget e-business aux Etats-unis, nonobstant un dépassement du budget connu de longue date, il s'est vu proposer un CDD, avec un objet précis et limité ne s'étendant pas au e-business et ne relevant donc pas des fonctions qui lui ont été confiées au titre de ce contrat ; par ailleurs, le dépassement litigieux ne lui est pas imputable, le projet étant placé sous la responsabilité du directeur 'Amérique et Australie' du groupe et la conduite opérationnelle sous la responsabilité du directeur marketing 'USA'.

Au soutien de la confirmation de la décision, la société fait valoir que :

- à titre liminaire, le pacte conclu entre les associés du groupe, prévoyant une autorisation préalable du conseil de surveillance pour rompre un contrat, invoqué par le salarié, ne concerne que les hypothèses de licenciements, terme excluant le cas des salariés en contrat à durée déterminée, et percevant un salaire stable, fixe, supérieur à 120 000 euros, ce qui n'est pas le cas du salarié ;

- sur le grief de dénigrement de la direction, elle a entamé une procédure disciplinaire immédiatement après avoir été informée du fait que le salarié critiquait et dénigrait la direction auprès d'autres collaborateurs en septembre 2018, dans des termes incompatibles avec son niveau de responsabilités, et ce dernier s'est montré agressif et dénigrant lors de la rencontre organisée à sa demande le 7 septembre 2018 avec le directeur général et la directrice administrative et financière, cette dernière ayant par ailleurs pu constater le comportement déplacé du salarié vis-à-vis de certain de ses collègues et le fait qu'il n'hésitait pas à tenir des propos critiques et dénigrants vis-à-vis de la société, plusieurs témoignages et déclarations concordants démontrant par ailleurs la matérialité de ce dénigrement ;

- sur les propos et l'attitude déplacée du salarié envers certains de ses collègues, elle verse aux débats des éléments de nature à démontrer qu'il adoptait une attitude inconvenante, tenait des propos déplacés envers certains d'entre eux, notamment Mmes [K] et [F], ou encore lors des quelques réunions avec le comité d'entreprise auxquelles il a participé ;

- sur l'absence de suivi du budget du projet e-business lancé aux Etats-unis, elle verse aux débats l'ensemble des éléments attestant du montant de l'investissement initialement envisagé et de la dérive budgétaire afférente, du fait de l'absence de pilotage du salarié, obligeant la société à demander chaque année au groupe des moyens supplémentaires pour financier ce projet.

***

L'article 4 du pacte d'actionnaire stipule que le président, les organes sociaux des filiales ne pourront prendre aucune des décisions suivantes concernant tant la société qu'une ou plusieurs filiales, ni aucune mesure conduisant en pratique aux mêmes conséquences que celles résultant de l'une des décisions suivantes sans avoir obtenu au préalable l'autorisation préalable du comité de surveillance, laquelle autorisation sera octroyée dans les conditions de majorité simple :

(j)le recrutement, la nomination, la révocation, le non-renouvellement ou le licenciement, l'augmentation de la rémunération ou des avantages, l'octroi d'avantages, de bons ou primes de tout salarié du Groupe Gravotech dont le salaire brut annuel excède 120 000 euros.

La clause limitant les droits du dirigeant est d'interprétation stricte, en sorte que la rupture anticipée d'un contrat à durée déterminée ne répond pas à la définition du licenciement et que la clause du pacte d'associé ne s'applique pas au présent litige. Le dirigeant était donc en droit de procéder à la rupture du contrat du salarié.

***

Selon les dispositions de l'article L. 1243-1 du code du travail, sauf accord des parties, le contrat à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de faute grave ou de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail.

La faute grave résulte d'un manquement du salarié à ses obligations découlant du contrat de travail d'une telle gravité qu'il en rend impossible la poursuite.

* Sur le comportement déloyal du salarié

Il ressort de l'attestation de Mme [G], directrice administrative et financière de la société, que le 7 septembre 2018, elle a été sollicitée avec M. [W] par M. [U] pour un entretien au cours duquel ce dernier a été 'particulièrement agressif et désinvolte (manque de respect) en nous expliquant que 'nous ne comprenions rien à la stratégie digitale, pas plus qu'au projet ERP et qu'il ne voyait pas bien dans ce contexte comment il pouvait continuer à travailler avec nous et nous a demandé comment nous envisagions la collaboration future dans la mesure où il ne se voyait plus travailler avec nous' (...) J'ai eu un second entretien le 12 septembre avec M. [U] pour lui exposer les difficultés qui m'ont été récemment remontées par les équipes et évoquer à nouveau l'entretien avec M. [M] [W]. Lorsque j'ai commencé à aborder les points, M. [U] a cherché à me déstabiliser alors que je suis son supérieur hiérarchique, et m'a tenu des propos blessants qui m'ont choqués :

- Il m'a demandé de manière provocatrice 'si je comprenais l'essence d'un projet informatique,'

- De manière sarcastique, il m'a interpellée : 'Qu'as-tu-fais depuis ton arrivée' On pourrait avoir à redire sur ton management' (alors que je venais de prendre mon poste depuis juillet 2018) et a complété : 'savez-vous ce que les gens disent de vous'. Toutes ces attaques personnelles m'ont heurté ce qui m'a amenée à me demander si j'étais la seule à faire l'objet de ce type d'agressions verbales. En posant des questions autour de moi, je me suis aperçue qu'il était coutumier de ces pratiques (...)'.

Le courrier de M. [P] du 24 septembre 2018 mentionnant que : il avait été surpris par le discours de ce dernier qui a fait des critiques vives sur l'équipe de direction : stratégie à court terme uniquement orientée retour cash flow, absence de décisions structurantes, manque de moyens et d'investissements, état du groupe à l'agonie, volonté de sa part de quitter l'entreprise a été transmis à la directrice administrative et financière sur la demande cette dernière et n'est pas corroboré par les autres pièces du dossier, en sorte que les critiques de la direction répétées et injustifiées devant les salariés ne sont pas établies, pas plus que les messages négatifs erronés sur la situation financière de la société et la manifestation de son désaccord profond avec la stratégie et les décisions de l'entreprise. Le grief tiré du comportement déloyal ne sera pas retenu.

* Sur les attitudes déplacées envers les collaborateurs de l'entreprise

Aux termes du règlement intérieur, il est prévu que :

Sont notamment interdits au sein de l'établissement : toute forme de violence (comportements agressifs, menaces, injures, insultes, accusation, dénigrements, critiques) à l'égard de la hiérarchie, des subordonnés, des collègues, des clients et des fournisseurs (...)

Par ailleurs, chaque salarié doit respecter les règles élémentaires de politesse, savoir-vivre et de savoir-être en collectivité. Cela implique un comportement et un langage calmes, corrects, respectueux, courtois à l'égard de chacun des membres, des clients et fournisseurs, ou des intervenants extérieurs à l'entreprise. Tout comportement jugé incorrect, de nature à troubler le bon ordre ou à provoque des troubles mentaux et comportementaux à autrui pourra être soumis aux sanctions prévues dans ce règlement.

Le courriel de Mme [K] du 5 octobre 2018 mentionne que 1er mars 2017 lors d'une réunion à laquelle elle avait accepté de se rendre à la demande de '[M]', elle a été très surprise par la remarque de M. [U], lorsqu'elle a dit à [M] 'très bien, je veux bien vous consacrer un peu de temps, mais comme vous le savez, je pars en congé ce soir, et j'ai encore bien des choses à avancer, M. [U], un sourire en coin, s'est permis de dire à [M] : 'Sinon, la solution serait de lui supprimer ses congés', ce à quoi [M] a immédiatement répondu 'non ce ne sont pas du tout mes façons de faire' et que quelques semaines plus tard, il lui a demandé les raisons pour lesquelles elle n'avait pas validé son projet d'organisation, elle lui a dit 'peut-être me suis-je mal exprimée' ; elle n'a pas eu le loisir de terminer sa phrase, qu'il lui a dit : 'Oui [E], vous ne savez pas vous exprimer, vous vous exprimez très mal, personne ne vous comprend, les membres de votre équipe sen plaignent... et je fais pas allusion à vos origines bien sûr' (...) ; il ne répond à son bonjour lorsqu'ils se croisent que s'il y a des témoins, sinon, il l'ignore purement et simplement.

L'attestation de Mme [F] fait état que le 26 août 2018,M. [U] lui a signifié qu'il ne souhaitait plus qu'elle intervienne pour le moment dans son projet en lui disant qu'il ne ferait pas de nous juristes, des spécialistes de l'organisation de projets et qu'il lui a ensuite dit avec dédain 'si tu savais ce que les gens pensent de toi chez Gravotech' et qu'elle a immédiatement coupé court et averti la direction.

Si les faits énoncés par Mme [K] sont antérieurs au contrat de travail dont la rupture est contestée et qu'ils sont en tout état de cause prescrits, le comportement que le salarié a pu démontrer précédemment corrobore les faits énoncés par Mme [F] et par Mme [G]. Ainsi la réalité du comportement discourtois qu'il a pu avoir à l'égard de ces deux dernières est établie. Il s'agit de trois séries de réflexions déplacées et humiliantes, caractérisant un comportement fautif qui lui est imputable.

Le salarié ne saurait prétendre que Mme [G] est juge et partie dès lors que ce n'est pas celle-ci qui l'a licencié mais M. [W].

* sur l'absence de suivi des projets clés comme le e-business en laissant filer le budget et en laissant les équipes à l'abandon

Il est avéré que le budget e-commerce USA a été largement dépassé : fixé à 180 Keuros en 2016, il a été porté à 255 Keuros en 2018 pour passer à 549 Keuros à la fin juin 2019. Néanmoins, le dépassement était connu de la société dès la fin 2017, avant la conclusion du contrat à durée déterminée et sans que la société lui en tienne alors rigueur. En outre, la nouvelle mission du salarié au sein du contrat à durée déterminée consistait à accompagner la mise en oeuvre du schéma directeur de projet clef pour l'entreprise et plus précisément le 'projet ERPCRM' et non le e-business, étant précisé que le 'projet E-Commerce USA' était piloté par le directeur marketing de la filiale M. [N] [B] (DFL) et non pas M. [U] (FSG). Ainsi, il n'est pas prouvé que l'explosion du budget fin juin 2019 soit imputable au salarié dont le contrat avait été au demeurant, rompu huit mois auparavant. Ce faisant le caractère fautif de ce dépassement budgétaire n'est pas établi et le fait ne sera pas retenu contre le salarié.

Par ailleurs, l'attestation de Mme [G] qui indique que :

absence de management : aucun point régulier n'est fait avec son principal collaborateur [V] [Z], chef de projet fonctionnel, sur le projet ERP. 14Meuros de budget-projet stratégique pour le groupe. [V] [Z] se plaint d'être livré à lui-même. Les rares fois où il le sollicite, c'est pour avoir de manière non officielle les informations sur l'avancement du déploiement ERP au UK et en Belgique. M. [U] n'a pas confiance dans l'autre chef de projet qu'il vient de nommer. Il mène un management désorganisé, inapproprié semant le désordre sur ses équipes. [V] [Z] se plaint dans son entretien annuel en 2018 de cet état de faits. [V] [Z] m'infirme qu'il peut compter sur les doigts de la main les messages que lui a adressés M. [U] en 2018 (...),

n'est pas corroborée par les pièces versées aux débats, en sorte que le fait d'avoir laissé les équipes à l'abandon n'est pas établi.

En définitive, il est établi que le salarié a proféré à trois reprises des réflexions déplacées et humiliantes envers Mme [G] et Mme [F] constitutives de manquements de sa part à ses obligations issues du contrat de travail, qui ne sont pas d'une gravité telle qu'elles rendent impossible la poursuite du contrat de travail.

Ce faisant en l'absence de faute grave, la rupture anticipée du contrat à durée déterminée est abusive.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a déclaré que la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée reposait sur une faute grave.

Sur les conséquences de la rupture du contrat à durée déterminée

1- Sur l'indemnité pour rupture anticipée abusive

La rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée intervenue en dehors des cas prévus à l'article L.1243-1 du code du travail donne droit au salarié de bénéficier, en application des dispositions de l'article L.1243-4 du code du travail, de dommages et intérêts d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat, sans préjudice de l'indemnité de fin de contrat prévu à l'article L.1243-8 du code du travail.

En considération des sommes que le salarié aurait dû percevoir jusqu'au terme du contrat, il sera fait droit à la demande de ce dernier dans la limite des dommages et intérêts sollicités, soit la somme de 49 710,39 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a rejeté toute demande à ce titre.

2- Sur l'indemnité de précarité

Selon les dispositions de l'article L.1243-8 du code du travail, l'indemnité de précarité correspond à 10% de la rémunération totale brute versée au salarié.

L'assiette de l'indemnité de précarité comprend donc le salaire fixe outre la rémunération variable et l'avantage en nature, versés au salarié, soit au regard des bulletins de salaire et des sommes restant dues, la somme de 118 684,90 euros bruts. En conséquence, la société sera condamnée à lui verser la somme de 11 868,90 euros bruts au titre de l'indemnité de précarité.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a rejeté toute demande du salarié au titre de l'indemnité de précarité.

Sur la clause de non-concurrence issue du contrat à durée indéterminée

La société conteste le jugement qui l'a condamnée au versement d'une indemnité de non-concurrence, en faisant valoir que par la signature du contrat à durée déterminée à effet du 1er avril 2018 concomitamment au départ à la retraite du salarié, ils ont d'un commun accord renoncé à l'application de la clause de non-concurrence prévue par l'article 19 du contrat de travail à durée indéterminée, et la demande est à la fois infondée dans son principe et erronée dans son quantum.

Le salarié fait valoir que :

- la société n'a pas levé la clause de non-concurrence prévue à l'article 19 de son CDI ;

- à défaut de mention expresse contraire, la conclusion d'un CDD ne saurait valoir renonciation implicite à la clause de non-concurrence, à plus forte raison que tant le contrat de travail que l'article 28 alinéa 6 de la convention collective exigent que le salarié en soit libéré par écrit, dans les 8 jours de la notification de la rupture du contrat de travail ;

- la jurisprudence invoquée par la société pour affirmer que la clause de non-concurrence est neutralisée lorsqu'un salarié lié à une société par une clause de non-concurrence est embauché, pendant la durée de l'obligation de non-concurrence, par une société appartenant au même groupe, est inapplicable en l'espèce ; la date du 12 octobre 2018, fin de son premier contrat, ne marque pas la fin de la neutralisation de la clause, étant demeuré dans les effectifs de la même société, et marque le point de départ de l'obligation de non-concurrence et de l'obligation subséquente pour la société de lui en verser la contrepartie financière ;

- dans la mesure où il n'a pas occupé de nouvel emploi pendant la durée de l'obligation de non-concurrence, il peut prétendre au taux de 60% de la moyenne mensuelle de ses appointements et avantages et gratifications contractuels dont il a bénéficié durant les 12 derniers mois de présence dans l'établissement, tel que prévu à l'article 19 de son contrat de travail ; la contrepartie financière ne saurait être minorée au regard du motif de la rupture du contrat de travail, et le contrat de travail stipulant la clause de non-concurrence n'a pas été rompu pour faute grave, seul l'a été son CDD, de manière abusive.

***

L'interdiction de concurrence a été limitée à une période d'un an renouvelable une fois, courant à compter du jour de la cessation effective du contrat de travail. La contrepartie financière mensuelle a été fixée à 5/10 de la moyenne mensuelle des appointements ainsi que des avantages et gratifications contractuels dont le salarié a bénéficié au cours de ses 12 derniers mois de présence dans l'établissement et à 6/10éme en cas de licenciement non provoqué par une faute grave et tant que le cadre n'a pas retrouvé un emploi.

En l'occurrence, la conclusion du contrat de travail à durée déterminée concomitamment à la rupture du contrat à durée indéterminée, ne vaut pas accord pour renonciation à l'application de la clause de non-concurrence. A défaut de renonciation, celle'ci avait vocation à entrer en application dès la fin du contrat à durée indéterminée et pendant une durée de 12 mois à compter de cette rupture.

Néanmoins, il est de principe que la clause interdisant avant l'expiration d'un certain délai, au salarié quittant une entreprise d'entrer dans une autre entreprise exerçant une activité similaire ne s'appliquer pas dès lors que les deux entreprises ne sont pas en situation réelle de concurrence mais appartiennent au même groupe économique (cass soc 12 sept 2018 n°17-10.853).

Ainsi dès lors que le salarié a été engagé en contrat à durée déterminée au sein de la même société en suite immédiate de la rupture de son contrat de travail à durée indéterminée, la clause de non-concurrence n'est pas rentrée en application pendant la durée de ce second contrat et n'a repris application qu'à compter de la rupture anticipée du contrat le 12 octobre 2018 pour le délai restant à courir, soit jusqu'au 31 mars 2019.

Ce faisant le salarié est en droit de bénéficier de la contrepartie financière de la clause de non concurrence du 13 octobre 2018 au 31 mars 2019, sans minoration de celle-ci. Le taux de 6/10ème s'applique.

Il n'est pas contesté que le montant du salaire mensuel moyen des douze derniers mois de présence dans l'établissement était de 10 285,30 euros, en sorte que la société reste devoir au salarié la somme de 33 941,49 euros.

Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu'il a condamné la société à verser au salarié la somme de 28 284,57 euros.

Sur les demandes accessoires

En application des articles 1153 et 1153-1 du code civil, recodifiés sous les articles 1231-6 et 1231-7 du même code par l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter à compter du présent arrêt.

Les autres sommes octroyées qui constituent des créances salariales, seront assorties des intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la société Gravotech marking de la convocation devant le bureau de conciliation, soit le 31 décembre 2018.

Il convient de rappeler que les sommes allouées par la cour sont exprimées en brut.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

La société succombant sera condamnée aux entiers dépens de l'appel. Elle sera en conséquence déboutée de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande de faire bénéficier M. [U] de ces mêmes dispositions et de condamner la société à lui verser une indemnité complémentaire de 1 700 euros à ce titre pour l'ensemble des deux instances. Il sera ajouté au jugement à ce titre.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Statuant contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;

Dans la limite de la dévolution,

INFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Gravotech marking à verser à M. [U] 19 374 euros au titre des rappels de salaire variable,1 937,40 euros au titre des congés payés afférents, 28 284,57 euros au titre de la contrepartie financière à la clause de non concurrence, en ce qu'il a dit que la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée de M. [U] repose sur une faute grave, en ce qu'il a débouté M. [U] de toute demande au titre des dommages et intérêts pour rupture anticipée abusive et au titre de l'indemnité de précarité ;

Statuant à nouveau dans cette limite,

DÉCLARE que la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée est abusive ;

CONDAMNE la société Gravotech marking à verser à M. [U] les sommes suivantes :

23 350 euros au titre de la rémunération variable outre 2 335 euros au titre de l'indemnité de congés payés afférente,

49 710,39 euros sollicitée à titre de dommages et intérêts pour rupture anticipée abusive,

11 868,90 euros bruts au titre de l'indemnité de précarité,

33 941,49 euros à titre de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence

RAPPELLE que les sommes allouées par la cour sont exprimées en brut ;

DIT que les intérêts au taux légal sur les créances de nature salariale courent à compter de la demande, soit à compter de la notification à la société Gravotech marking de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes ;

DIT que les intérêts au taux légal sur les créances de nature indemnitaires courent à compter de ce jour ;

CONFIRME le jugement entrepris sur le surplus ;

Y ajoutant,

CONDAMNE la société Gravotech marking à verser à M. [U] la somme de 1 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Gravotech marking aux dépens de l'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale a
Numéro d'arrêt : 20/06697
Date de la décision : 03/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-03;20.06697 ?
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