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28/03/2024 | FRANCE | N°21/07131

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale c, 28 mars 2024, 21/07131


AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR





N° RG 21/07131 - N° Portalis DBVX-V-B7F-N3JH





[D]



C/



S.A. TRADIVAL







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de SAINT ETIENNE

du 07 Septembre 2021

RG : 19/00380



COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE C



ARRÊT DU 28 MARS 2024









APPELANT :



[M] [D]

né le 25 Novembre 1976 à [Localité 4] AL

GERIE

[Adresse 5]

[Localité 3]



représenté par Me Laëtitia VOCANSON, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE







INTIMÉE :



S.A. TRADIVAL venant aux droits de La société SICAREV, SA

[Adresse 1]

[Localité 2]



représentée par Me Marie-laurence BO...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 21/07131 - N° Portalis DBVX-V-B7F-N3JH

[D]

C/

S.A. TRADIVAL

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de SAINT ETIENNE

du 07 Septembre 2021

RG : 19/00380

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRÊT DU 28 MARS 2024

APPELANT :

[M] [D]

né le 25 Novembre 1976 à [Localité 4] ALGERIE

[Adresse 5]

[Localité 3]

représenté par Me Laëtitia VOCANSON, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE

INTIMÉE :

S.A. TRADIVAL venant aux droits de La société SICAREV, SA

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Marie-laurence BOULANGER de la SCP FROMONT BRIENS, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 01 Décembre 2023

Présidée par Nabila BOUCHENTOUF, magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Fernand CHAPPRON, Greffier.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Etienne RIGAL, président

- Françoise CARRIER, conseiller honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

- Nabila BOUCHENTOUF, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 28 Mars 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Nabila BOUCHENTOUF, Conseiller pour le Président empêché, et par Fernand CHAPPRON, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

M. [M] [D] a été embauché par la société Sicarev (aux droits de laquelle vient aujourd'hui la société Tradival par suite d'une fusion à effet au 29 octobre 2021) en qualité d'opérateur 1ère transformation des viandes, par contrat à durée indéterminée en date du 2 septembre 2013.

Le 1er août 2017, il a fait l'objet d'un arrêt de travail en raison d'une paresthésie des deux mains (syndrome du canal carpien bilatéral).

Par décision en date du 7 décembre 2017, la MSA a reconnu le caractère professionnel de cette maladie.

Après reprise avec restriction en février 2018, M. [D] a été arrêté en juillet 2018 pour un kyste palmaire du poignet droit.

Le 27 novembre 2018, il a été déclaré inapte à son poste, avec un reclassement possible à un poste sans mouvements répétés ou prolongés de préhension des deux mains, sans ports répétitifs de charges supérieures à 5 kg ; il est en outre accessible à une formation pour être reclassé sur des postes administratifs.

Il a été licencié pour inaptitude par lettre du 12 février 2019.

Soutenant que son employeur a manqué à son obligation de sécurité, qu'il n'a pas satisfait à son obligation de reclassement, que son inaptitude est directement causée par le comportement fautif de l'employeur, contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, outre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, M. [D] a, par requête du 8 octobre 2019, saisi le Conseil des prud'hommes de Saint-Etienne.

Par jugement de départage du 7 septembre 2021, le conseil de prud'hommes a débouté M. [D] de l'ensemble de ses demandes, débouté la société Sicarev de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et condamné M. [D] aux entiers dépens.

Le 23 septembre 2021, M. [D] a interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions n°2 notifiées électroniquement le 9 novembre 2023, M. [D] demande à la cour d'infirmer le jugement, et statuant de nouveau de :

- DÉCIDER que l'inaptitude constatée le 27 novembre 2018 est d'origine professionnelle,

- CONSTATER les manquements de la société Tradival à son obligation de sécurité à l'origine de son inaptitude,

- CONSTATER les manquements de la société Tradival à son obligation de reclassement,

- DÉCLARER son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- CONDAMNER la société Tradival à lui verser les sommes suivantes :

* indemnité compensatrice de préavis : 3 648.44 €

* congés payés sur préavis : 364.84 €

* 13ème mois sur préavis : 456.05 €

* solde 'd'indemnité spéciale de licenciement' : 2 527.47 €

outre intérêts légaux à compter de la saisine sur ces 4 premières condamnations,

* dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité : 10 000.00 €

* dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 15 000.00 €

- ORDONNER à la société Tradival de lui remettre une attestation destinée à Pôle Emploi conforme à l'arrêt,

- FIXER la moyenne des trois derniers mois de salaire s'élève à 1 824,22 €,

- CONDAMNER la société Tradival au paiement d'une somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,

- REJETER toute demande contraire et/ou reconventionnelle de Tradival.

Il expose en substance, que dans le cadre de son activité professionnelle, il avait la charge du désossage, de la mise en quartier à la scie et du déplacement des carcasses, l'exposant aux vibrations de la scie et aux mouvements de préhension et impliquant de nombreuses sollicitations répétées et forcées au niveau des mains qui ont rejailli sur son état de santé. Il a ainsi fait l'objet de plusieurs arrêts de travail successifs à compter d'août 2017.

Il soutient que son inaptitude est en lien avec son accident du travail du 1er août 2017, ainsi que le confirme d'ailleurs le médecin du travail, et ce, même si la MSA n'a pas retenu le caractère professionnel de la rechute.

Postérieurement à son licenciement et alors même qu'il n'a pas travaillé depuis la rupture de son contrat, il a été victime d'une rechute le 1er avril 2021 de la maladie professionnelle du 1er août 2017 en raison du symptôme de canal carpien bilatéral, laquelle a été prise en charge au titre de la législation des risques professionnels.

Il soutient aussi que les manquements de l'employeur sont caractérisés. Tout d'abord, il considère que l'employeur n'a pris aucune mesure pour adapter son poste et préserver ainsi sa santé, et que les contraintes physiques notamment de préhension des mains étaient omniprésentes dans son activité, malgré les restrictions imposées par le médecin du travail.

Ensuite, il affirme que l'employeur a manqué à son obligation de reclassement, constatant qu'il ne produit pas les registres ni l'organigramme du groupe, pas plus qu'il ne justifie du périmètre de la recherche de reclassement, le groupe comptant selon ses propres affirmations, 12 filiales, et qu'un poste d'opérateur de 3ème transformation disponible à [Localité 6], soumis au médecin du travail, était pourtant vacant.

Par conclusions n°2 notifiées électroniquement le 20 novembre 2023, la société Tradival demande à la cour de :

- CONSTATER qu'elle a pleinement respecté son obligation de recherche d'un reclassement à l'égard du salarié,

' CONSTATER que l'inaptitude de M. [D] n'a pas d'origine professionnelle,

' CONSTATER qu'elle a respecté son obligation de sécurité de résultat,

' CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [D] de l'ensemble de ses demandes,

' CONDAMNER Monsieur [D] à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

' CONDAMNER Monsieur [D] aux dépens.

A titre subsidiaire,

- RÉDUIRE le montant de la condamnation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 5.472,65 euros,

- CONDAMNER M. [D] à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

' CONDAMNER M. [D] aux dépens.

En réponse aux moyens adverses, et s'agissant de l'inaptitude, elle considère que Monsieur [D] sur lequel pèse la charge de la preuve, ne démontre ni le caractère direct, ni exclusif de son arrêt de travail du 25 juillet 2018 avec celui du 1er août 2017, constatant qu'il se limite à de vagues extrapolations des propos tenus par le médecin traitant ou fondés sur des éléments qui n'étaient pas en sa possession à la date de son licenciement, pour en tirer de vaines déductions.

Elle constate particulièrement que l'arrêt du 25 juillet 2018, mentionne un « kyste face palmaire du poignet droit » - sans aucun rapport avec les précisions portées sur l'arrêt de travail du 1er août 2017, puisque la maladie professionnelle du 1er août 2017 (canal carpien) et l'arrêt maladie du 25 juillet 2018 à l'origine de l'inaptitude définitive (kyste synovial) ont des origines médicales totalement différentes. Elle relève également que la MSA a refusé de prendre en charge au titre de la législation professionnelle ce nouvel arrêt de travail du 25 juillet 2018, cette décision n'ayant d'ailleurs, pas été contestée par le salarié.

Elle note encore que Monsieur [D] a été reconnu apte à son poste le 28 février 2018, aptitude avec une restriction, puis déclaré apte sans aucune réserve le 15 juin 2018, et en déduit que l'avis d'inaptitude ne permet pas de relier l'inaptitude à la maladie professionnelle du 1er août 2017.

S'agissant de l'obligation de reclassement, l'employeur observe que M. [D] se limite à solliciter des pièces, alors même qu'en qualité de demandeur, la charge de la preuve lui incombe, et ne verse pour étayer son allégation, aucune pièce ni aucun commencement de preuve.

Il rappelle que l'avis du médecin du travail considérait d'emblée, que les recherches de reclassement menées seraient très compliquées, mais qu'il a néanmoins effectué des recherches de postes particulièrement sérieuses et approfondies sur une période particulièrement longue d'un mois, en étendant ses recherches à l'ensemble de ses établissements et à l'ensemble des sociétés composant le groupe auquel il appartient, en compilant de manière méthodique et précise des postes disponibles au sein du dit groupe, en vérifiant s'ils pouvaient être proposés au salarié et a donc tout mis en oeuvre pour s'assurer que toutes les sociétés du groupe interrogées répondaient à ses sollicitations de poste de reclassement.

Il rappelle aussi que le médecin du travail s'est prononcé sur les propositions de postes mais ne les a pas considérés conformes à ses préconisations, et que les délégués du personnel se sont également prononcés.

S'agissant de l'obligation de sécurité, la société Tradival rappelle qu'après l'avis d'aptitude avec restrictions, elle a adapté le poste du salarié en supprimant temporairement l'utilisation de tout objet vibrant puisque le poste sur lequel il a alors été affecté, ne comporte aucune machine vibrante, ni utilisation de couteau, relevant au surplus que l'absence de préconisation dans l'avis suivant du 15 juin 2018 illustre l'évolution positive de l'état de santé de M. [D], précisément en raison des aménagements auxquels elle a procédé.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

SUR L'INAPTITUDE

1- Sur l'origine professionnelle de l'inaptitude

Les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que d'une part, l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et d'autre part que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.

En l'espèce, M. [D] soutient que son licenciement aurait dû être prononcé en raison d'une inaptitude d'origine professionnelle puisqu'elle est consécutive à l'accident du travail du 1er août 2017, et que l'employeur en avait parfaite connaissance.

Il ressort du contrat de travail, que M. [D] était affecté au poste d'opérateur 1ère transformation de viandes, consistant à tracer les bêtes, peser et étiqueter les quartiers, ranger les frigos, charger les quartiers et effectuer des opérations de manutention diverses.

Le salarié a été placé en arrêt de travail à compter du 1er août 2017, renouvelé à plusieurs reprises jusqu'au 18 février 2018, les arrêts de travail de prolongation tout comme l'arrêt de travail initial mentionnant expressément un syndrome du canal carpien bilatéral.

Il est encore produit le courrier de la MSA en date du 7 décembre 2017 notifiant la prise en charge de la demande de M. [D] du 1er août 2017 au titre des maladies professionnelles.

L'employeur conteste l'origine professionnelle de l'inaptitude en soutenant que l'arrêt de travail en date du 25 juillet 2018 relativement au kyste au poignet présenté ensuite par le salarié n'a pas été reconnu par la MSA comme une rechute de l'accident de travail du 1er août 2018.

Mais, contrairement à ce qu'indique l'employeur, mais également le premier juge, il ne s'agit pas d'établir le lien entre la pathologie présentée le 25 juillet 2018 et la maladie professionnelle du 1er août 2018. En effet, la cour observe que le kyste du poignet a fait l'objet d'une exérèse en octobre 2018, et le chirurgien orthopédique indique que le 24 octobre 2018 'l'évolution est satisfaisante, mobilité normale du poignet' de sorte qu'à cette date, et antérieurement à la déclaration d'inaptitude, M. [D] ne présentait plus aucune séquelle de cette pathologie.

En réalité, il s'agit ici de déterminer s'il existe un lien entre l'inaptitude de M. [D] et son activité professionnelle, même partiellement, étant observé par ailleurs, que si la lésion de kyste n'a pas été reconnue de caractère professionnel, cela ne remet nullement en cause le caractère professionnel de l'accident du travail initial du 1er août 2017, dont il s'agit précisément de déterminer s'il a interféré dans l'inaptitude prononcée le 27 novembre 2018.

Or, M. [D] verse aux débats deux certificats médicaux des 25 juillet 2018 et 24 octobre 2018, de son médecin chirurgien orthopédique, qui confirment la persistance de séquelles liées au syndrome du canal carpien, le premier indiquant qu'il présente 'un doute sur une récidive du canal carpien avec des paresthésies intermittentes', et le second, qu'il 'commence à présenter une tendinite nodulaire du fléchisseur du 2e doigt de la main droite avec un nodule sur le trajet du tendon fléchisseur, douleurs et blocages intermittents à surveiller'.

Il ressort aussi du certificat de ce même chirurgien du 26 septembre 2018, que l'électromyogramme de contrôle montre 'une nette amélioration de la souffrance des deux nerfs médians au canal carpien mais il persiste une atteinte axonale sensitive légère et une souffrance myélinique correspondant à des séquelles en rapport avec la souffrance sévère préopératoire, la reprise du travail sera difficile du fait de son activité professionnelle physique ; il faudrait discuter une reconversion professionnelle ou un aménagement de poste'.

Par la suite, et dans le cadre de la visite de pré-reprise du 27 novembre 2018, le médecin du travail a pris un avis d'inaptitude avec possibilité de reclassement mais sans 'mouvements répétitifs ou prolongés de préhension des deux mains', sans 'ports répétitifs de charges supérieures à 5 kg'.

Il ressort également expressément du dossier médical de la médecine du travail que M. [D] est déclaré 'inapte définitif après AT/MP' ; à cette même occasion, le médecin du travail a complété une demande d'indemnité temporaire d'inaptitude, en certifiant que cet avis 'est susceptible d'être en lien avec l'accident du travail ou la maladie professionnelle du 1er août 2017".

Il apparaît ainsi des pièces médicales produites par l'appelant et des avis du médecin du travail que sa pathologie déclarée en accident du travail le 1er août 2017 est à l'origine de l'inaptitude de M. [D], laquelle doit par conséquent être jugée comme étant d'origine professionnelle.

Surabondamment, les préconisations de reclassement résultant de l'inaptitude, quant à la limitation de préhension des mains, mises en corrélation avec la description de la pathologie du salarié telle qu'elle ressort des certificats médicaux et des prolongations d'arrêt régulièrement adressés à l'employeur, viennent corroborer cette origine professionnelle de l'inaptitude.

L'employeur qui était destinataire des certificats médicaux et des motifs de prolongation d'arrêt de travail, mais aussi de l'avis du médecin du travail quant à l'inaptitude définitive du salarié 'AT/MP', et qui ne conteste pas davantage avoir reçu la demande d'indemnité temporaire d'inaptitude, avait donc connaissance de l'état de santé dégradé du salarié du fait de son emploi et partant, et était ainsi au jour du licenciement, informé que l'inaptitude en était la conséquence.

Il convient donc d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il n'a pas retenu le caractère professionnel de l'inaptitude et la connaissance par l'employeur de cette origine professionnelle, rejetant en conséquence les demandes indemnitaires.

2- Sur les conséquences indemnitaires de l'inaptitude professionnelle

Conformément à l'article L. 1226-14 du code du travail, M. [D] a droit à une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L. 1234-5 ainsi qu'à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue à l'article L. 1234-9.

Le salarié demande à la cour de lui octroyer la somme de 2 527.47 euros au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement, et celle de 3 648.44 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre congés payés afférents (364.84€) et 13ème mois afférent (456.05€).

A titre subsidiaire, l'employeur ne conteste pas spécifiquement le calcul ou le montant des indemnités réclamées par le salarié.

Eu égard à son ancienneté, M. [D] est fondé à solliciter une indemnité compensatrice équivalente à l'indemnité compensatrice de préavis (2 mois) soit, eu égard au salaire mensuel moyen non contesté (1 824,22 €), la somme de 3 648,44 euros.

Cette indemnité n'a cependant pas la nature d'une indemnité de préavis et ne peut par conséquent ouvrir droit à l'indemnité compensatrice de congés payés afférents ; le salarié est donc mal fondé en sa demande d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis, tout comme il est mal fondé en sa demande au titre du 13e mois pour préavis, et doit en être débouté.

Par ailleurs, compte tenu de son doublement et eu égard au montant versé par l'employeur, celui-ci sera condamné à lui payer la somme de 2 527.47 euros à titre de du solde de l'indemnité spécifique de licenciement.

SUR LE BIEN-FONDE DU LICENCIEMENT

M. [D] soutient au premier chef que les manquements de l'employeur sont à l'origine de son inaptitude de sorte que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse, et en second lieu qu'il a été licencié en méconnaissance de l'obligation de reclassement.

1 - Sur le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité

A cet égard, M. [D] reproche à son employeur de n'avoir pas mis en oeuvre les préconisations de la médecine du travail, dans le cadre de la visite de reprise du 19 février 2018, énoncées dans les termes suivants 'Pendant trois mois' :- Pas d'utilisation de machine vibrante (scie),- Varier les tâches afin de limiter le temps d'utilisation du couteau.'.

Il considère par voie de conséquence, que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et réclame en outre indemnité de 10 000 euros.

De son côté, l'employeur s'en défend et soutient avoir adapté son poste, pendant le temps prescrit par le médecin du travail.

L'article L.4121-1 du code du travail dispose que l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L.4161-1 ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

Pour justifier du respect des préconisations, l'employeur verse aux débats l'attestation de M. [I], agent de maîtrise, qui affirme qu'au retour de maladie de M. [D], durant 3 mois 'quand on a travaillé ensemble, (...) Il n'a en aucun cas utilisé de machine vibrante telle que la scie. Il a eu comme principales missions de traçage, le passage des quartiers de viandes, l'étiquetage, le rangement dans les frigos et ce, afin de varier ses taches et de limiter l'utilisation du couteau'.

Pour contredire cette attestation, M. [D] produit l'attestation de M. [W], laquelle est sans aucune pertinence dès lors que ce dernier était intérimaire au sein de l'entreprise à compter du 13 juin 2018, soit à une période où les restrictions de poste prenaient fin.

De même, M. [P] [F] atteste que M. [D] a 'travaillé comme les autres, chargé les camions, traçage, crocheté les quartiers, poussé les quartiers', mais ne précise pas la période à laquelle il se réfère, alors que lors de la visite du 15 juin 2018, le médecin du travail, a indiqué à l'employeur que M. [D] 'peut occuper le poste de pesée et utiliser le pistolet à agrafe et reprendre le poste à la scie de manière occasionnelle au début'.

Ainsi, tandis qu'il apparaît que l'employeur a respecté les recommandations du médecin du travail, il n'est pas démontré par M. [D] que son poste n'a connu aucune adaptation, étant observé au demeurant, qu'il ne s'en est d'ailleurs jamais plaint auprès du médecin du travail.

Aucun élément ne permet donc de retenir que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité dans la mise en oeuvre des restrictions recommandées par le médecin du travail, de sorte qu'il convient, par voie de confirmation, de débouter M. [D] de sa demande de dommages et intérêts et de sa demande tendant à voir déclarer son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse de ce chef.

2 - Sur l'obligation de reclassement

Aux termes de l'article L.1226-10 du code du travail :

« Lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Cette proposition prend en compte, après avis du comité économique et social, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.

L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.

Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.»

En l'espèce M. [D] a été déclaré inapte le 27 novembre 2018 dans ces termes : 'inapte à son poste, reclassement possible à un poste sans mouvements répétés ou prolongés de préhension des 2 mains, sans ports répétitifs de charges supérieures à 5 kg ; il est en outre accessible à une formation pour être reclassé sur des postes administratifs.'

Par courrier du 22 janvier 2018, l'employeur lui a indiqué qu'au regard des indications formulées par le médecin du travail, et 'après un examen et recherches approfondies de reclassement, il s'avère qu'aucun poste adapté n'est actuellement disponible au sein de la société et du groupe auquel elle appartient. Les recherches de reclassement étant restées infructueuses, et après consultation des délégués du personnel, nous sommes contraints d'envisager à votre encontre, une procédure de licenciement pour inaptitude.'

M. [D] soutient que l'employeur qui est une grosse structure appartenant à un groupe avec plusieurs filiales, n'a pas opéré une recherche loyale.

Par mail envoyé le 11 décembre 2018 à onze destinataires, Mme [J], employée au service RH, joignant l'avis d'inaptitude et précisant l'ancienneté de M. [D], son âge, son poste et son lieu d'affectation, a sollicité les sociétés du groupe afin qu'ils l'informent des postes disponibles au sein de leurs établissements respectifs et répondant aux caractéristiques de l'avis d'inaptitude. Par nouveau mail du 20 décembre 2018, elle a relancé certains destinataires.

L'employeur verse également aux débats, les réponses négatives apportées par la société Vitagro (le 17 décembre 2018, par la société Tradival site de La Talaudière (le 12 décembre 2018), par le directeur du Groupe Sicarev pour les sites du Puy de Dôme et de la Loire (le 17 décembre 2018), par la société Covido (le 17 décembre 2018), par la société Convivial (le 12 décembre 2012), par la société Charolais Horizon (le 17 décembre 2018), par la société Cebm (le 17 décembre 2018), par la société Actis Bovins (le 17 décembre 2018), par la SCEA Coiffard (le 17 décembre 2018). Les autres sociétés ont indiqué les postes disponibles.

Il ressort de ces dernières réponses que les postes disponibles portaient sur des postes de chauffeurs pour lesquels M. [D] ne prétend pas disposer des qualifications nécessaires pour les exercer.

Les deux autres postes disponibles consistaient en un poste de préparateur de commande et un poste de 3e transformation de viandes. Le médecin du travail a apprécié la pertinence de ces postes, et considéré par deux mails du 14 janvier 2019 qu'au regard de la manipulation répétée de pièces de viande, et donc de mouvements de préhension, et du port de charges de plus de 5 kilos, ils n'étaient pas adaptés.

L'employeur déduit de l'ensemble de ces démarches qu'il a bien satisfait à son obligation de reclassement sans qu'il puisse être tiré argument de l'absence de production des registres d'entrée et de sortie du personnel des sociétés du groupe.

Toutefois, et alors que la charge de la preuve de l'exécution loyale et sérieuse de cette obligation de reclassement lui incombe, l'employeur ne produit aucun organigramme qui aurait permis à la cour d'apprécier le périmètre du groupe, et partant l'exhaustivité de ses recherches auprès des autres sociétés du dit groupe, pas plus qu'il ne produit son registre du personnel permettant de déterminer les différents types de postes existants dans l'entreprise, ni si certains d'entre eux se seraient alors trouvés vacants à cette période.

Par conséquent, il ne démontre pas avoir rempli loyalement et sérieusement son obligation.

Dès lors, infirmant le jugement, le licenciement de M. [D] sera jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse.

3 - Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse

Par suite de l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement, M. [D], âgé de 42 ans au moment de son licenciement, fait observer qu'il éprouve des difficultés à retrouver un emploi, qu'il perçoit des indemnités chômage, situation qui lui est particulièrement préjudiciable au regard notamment de ses charges de famille.

En application de l'article L. 1226-15 du code, lorsque l'inaptitude du salarié est d'origine professionnelle et que l'employeur a manqué à son obligation de reclassement, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Compte tenu du préjudice de M. [D] tenant à ses difficultés de retour à l'emploi et à sa perte de revenus, la somme de 15 000 euros lui sera allouée de ce chef.

Sur les demandes accessoires

L'appelant prospérant principalement en ses demandes, l'employeur sera condamné aux dépens de première instance et en appel, la décision des premiers juges étant infirmée sur les dépens.

Il sera également condamné à payer à M. [D] la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre des procédures de première instance et d'appel, la décision des premiers juges étant infirmée en ce qu'elle déboute le salarié de sa demande au titre des frais irrépétibles.

Enfin, la société Tradival sera déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme la décision entreprise en ce qu'elle a débouté M. [D] de sa demande indemnitaire au titre du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,

Infirme le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés, et y ajoutant,

Dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamne la société Tradival à payer à M. [D] :

- la somme de 15 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- la somme de 2 527.47 euros à titre de solde sur indemnité spécifique de licenciement,

- la somme 3 648.44 euros à titre d'indemnité compensatrice de l'article L. 1226-14 du code du travail,

Ordonne la remise de documents sociaux conformes à la présente décision,

Dit que les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la lettre de convocation devant le bureau de conciliation, soit le 10 octobre 2019 et les sommes allouées de nature indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Condamne la société Tradival à verser à M. [D] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette le surplus des demandes,

Condamne la société Tradival aux dépens de première instance et de la procédure d'appel.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale c
Numéro d'arrêt : 21/07131
Date de la décision : 28/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 04/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-28;21.07131 ?
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