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28/03/2024 | FRANCE | N°21/04810

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale c, 28 mars 2024, 21/04810


AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE







N° RG 21/04810 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NVIM





[R]



C/



S.A.R.L. EMC2-42







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT ETIENNE

du 05 Mai 2021

RG : 19/101





COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE C



ARRÊT DU 28 MARS 2024









APPELANT :



[L] [R]

né le 13 Novembre 1981 à [Localité 5]

[Adresse 4]

[Localité 2]



représenté par Me Stéphane CHAUTARD de la SELARL CDF, avocat plaidant au barreau de SAINT-ETIENNE et Me Laurent LIGIER de la SELARL LIGIER & DE MAUROY, avocat postulant au barreau de LYON







INTIMÉE :



S.A.R.L. EMC2-42

[Adr...

AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE

N° RG 21/04810 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NVIM

[R]

C/

S.A.R.L. EMC2-42

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT ETIENNE

du 05 Mai 2021

RG : 19/101

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRÊT DU 28 MARS 2024

APPELANT :

[L] [R]

né le 13 Novembre 1981 à [Localité 5]

[Adresse 4]

[Localité 2]

représenté par Me Stéphane CHAUTARD de la SELARL CDF, avocat plaidant au barreau de SAINT-ETIENNE et Me Laurent LIGIER de la SELARL LIGIER & DE MAUROY, avocat postulant au barreau de LYON

INTIMÉE :

S.A.R.L. EMC2-42

[Adresse 3]

[Localité 1]

représentée par Me Patrick PUSO de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND substituée par Me Emmanuel GUENOT, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 23 Novembre 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

- Etienne RIGAL, président

- Françoise CARRIER, conseillère honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

- Nabila BOUCHENTOUF, conseillère

Assistés pendant les débats de Fernand CHAPPRON, Greffier.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 28 Mars 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Etienne RIGAL, Président, et par Fernand CHAPPRON, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

[L] [R] (le salarié) a été embauché par contrat à durée indéterminée le 3 décembre 2007 par la SARL EMC2-42 (l'employeur, la société).

Le capital social de la société EMC2-42 est majoritairement détenu par une Holding, la société civile EMC2-FR, détenue par 4 associés dont Monsieur [R].

En dernier lieu, M. [R] exerçait les fonctions de responsable d'agence, catégorie cadre, position II, en application de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie.

Il percevait une rémunération de 4 520 euros bruts pour 151,67 heures mensuelles.

Par courrier du 9 avril 2016, le salarié s'est plaint auprès de son employeur du défaut de paiement de ses heures supplémentaires, de l'imputation abusive de congés payés non pris sur ses bulletins de salaire, de la dégradation de ses conditions de travail du fait de propos dévalorisants tenus à son encontre et d'une surveillance abusive dont il soutenait faire l'objet.

Par l'intermédiaire de son avocat, par courrier du 11 février 2019, le salarié a demandé à son employeur la régularisation de sa situation, compte tenu de :

- La persistance du non-paiement de ses heures supplémentaires,

- La cessation du remboursement de ses frais professionnels,

- Le retrait abusif de 20 jours de congés payés en novembre 2018,

- des reproches infondés et de la dégradation de ses conditions de travail.

A compter du 4 mars 2019, le salarié a été placé en arrêt de travail pour maladie.

Par courrier recommandé du 6 mars 2019, la société a convoqué le salarié à un entretien préalable à une mesure de licenciement, fixé au 15 mars suivant.

Par requête reçue au greffe le 11 mars 2019, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Étienne, sollicitant notamment la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur.

Par sommation du 12 mars 2019, la société a fait délivrer par voie d'huissier de justice, une sommation au salarié de restituer dans le délai de 8 jours, le véhicule Peugeot de l'entreprise mis à sa disposition, ou de lui communiquer les raisons pour lesquelles il s'oppose à cette remise.

Le salarié ne s'étant pas présenté à l'entretien préalable, la société a, par courrier recommandé du 27 mars 2019, convoqué une nouvelle fois le salarié à un entretien préalable, fixé au 10 avril suivant.

Le même jour, la société a signifié oralement au salarié une mesure de mise à pied à effet immédiat et lui a remis à sa demande et contre décharge, la confirmation écrite de cette mesure de mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier recommandé du 23 avril 2019, la société a notifié au salarié son licenciement pour faute grave.

Par courrier recommandé du 13 mai 2019, le salarié a mis en demeure la société de lui fournir ses documents de fin de contrat.

Au dernier état de la procédure, le salarié demandait au conseil de':

- prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la société avec effet à la date du 23 avril 2019,

- à titre subsidiaire, prononcer la nullité de son licenciement,

- à titre subsidiaire, dire et juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- en conséquence fixer la moyenne des salarie des douze derniers mois à 5.327,12 euros bruts,

- condamner la société au paiement des sommes suivantes':

25.142,75 euros a titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires

2.514,38 euros a titre de congés payés sur rappel de salaire pour heures supplémentaires,

31.962,72 euros au titre du travail dissimulé,

5.327,12 euros a titre de rappel de salaire pour la période de mise a pied a titre conservatoire,

532,71 euros au titre des congés payés sur rappel de salaire pour la période de mise a pied à titre conservatoire,

15.981,36 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

1.598,14 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

22.107,54 euros à titre d'indemnité de licenciement,

110.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour nullité de la rupture du contrat de travail.

à titre subsidiaire, 56.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail,

- condamner la société à lui remettre divers documents sociaux rectifiés et sous astreinte,

- condamner la société à payer la somme de 3.000 euros au titre de 1'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance.

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à venir

En réplique, la société concluait au rejet de l'intégralité des demandes du salarié et demandait la condamnation de ce dernier à lui verser la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Le 5 mai 2021, le conseil a rendu le jugement suivant':

«'déboute Monsieur [L] [R] de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur,

dit que le licenciement pour faute grave notifié à Monsieur [R] le 23 avril 2019 repose sur une cause réelle et sérieuse,

Déboute Monsieur [R] de l'intégralité de ses demandes,

Condamne Monsieur [R] à verser à la S.A.R.L. EMC2-42 la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamne Monsieur [R] aux entiers dépens de l'instance.'»

Le salarié a formé un appel partiel du jugement le 1er juin 2021.

Par ses dernières écritures, notifiées par voie électronique le 24 août 2023, le salarié demande à la cour de :

- INFIRMER les chefs de jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Étienne du 5 mai 2021 ayant :

débouté Monsieur [R] de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur,

débouté Monsieur [R] de l'intégralité de ses demandes.

condamné Monsieur [R] à verser à la société EMC2-42 la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

Statuant à nouveau :

- CONDAMNER la société à lui verser la somme de 25 142,75 € à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires outre 2 514,38 € au titre des congés payés afférents,

- PRONONCER la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la société EMC2-42 avec effet à la date du 23 avril 2019

En conséquence :

- condamner la société EMC2-42 au paiement des sommes suivantes :

25 142,75 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires ;

2 514,38 euros à titre de congés payés sur rappel de salaire pour heures supplémentaires;

31 962,72 euros au titre du travail dissimulé ;

5 327,12 euros à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire ;

532,71 euros au titre de congés payés sur rappel de salaire pour la période de mise à pied à titre conservatoire ;

15 981,36 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

1 598,14 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis;

22 107,54 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

56 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail;

- CONDAMNER la société EMC2-42 à lui remettre une attestation destiné à Pôle emploi, un certificat de travail et des bulletins de paye conformes à la décision à intervenir, sous astreinte journalière de 50 euros,

- FIXER la moyenne des salaires des douze derniers mois de salaire à 5327,12 € bruts,

- CONDAMNER la société EMC2-42 à la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance,

Par ses dernières écritures, notifiées par voie électronique le 24 novembre 2021, la société demande à la cour de :

- CONFIRMER le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Étienne en ce qu'il a':

débouté M. [R] de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur.

dit que le licenciement pour faute grave notifié au salarié le 23 avril 2019 repose sur une cause réelle et sérieuse.

débouté de l'intégralité de ses demandes.

condamné M. [R] à lui verser la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

condamné M. [R] aux entiers dépens de l'instance.

- DÉBOUTER M. [R] de ses demandes formées en cause d'appel,

En conséquence:

- DIRE ET JUGER qu'elle n'a commis aucun manquement grave faisant obstacle a la poursuite du contrat de travail ;

- DIRE ET JUGER que M. [R] n'a pas réalisé d'heures supplémentaires;

- CONDAMNER M. [R] à lui payer la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER le même aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 octobre 2023.

En application de l'article 455 du Code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, la cour relève que M. [R] n'a pas interjeté appel des dispositions du jugement relatives au caractère réel et sérieux du licenciement pour faute grave, et à ses conséquences financières subséquentes.

SUR LES HEURES SUPPLÉMENTAIRES

M. [R] affirme qu'il effectuait régulièrement des heures supplémentaires qui ne lui ont jamais été rémunérées, s'élevant en moyenne à 5 heures supplémentaires par semaine, ce que la société ne pouvait ignorer puisqu'il l'en avait avisée à l'occasion d'un courrier du 9 avril 2016, auquel elle n'a pas répondu.

Il considère apporter des éléments suffisamment précis permettant de justifier des heures supplémentaires effectuées tandis qu'en réplique, la société ne produit aucun élément de nature à justifier de ses heures.

L'employeur conteste la réalité de ces heures supplémentaires, affirmant que le salarié n'en rapporte pas la preuve. Il fait valoir qu'à la suite du courrier dont il fait état, ils se sont entretenus et il a alors été rappelé au salarié que, compte tenu de ses fonctions, il lui appartenait d'organiser son temps de travail dans les limites contractuelles et que les heures supplémentaires devaient faire l'objet d'une autorisation préalable que le salarié n'a jamais demandée.

Il rappelle aussi qu'il n'a jamais communiqué ses relevés d'heures, ni établi de tels relevés, les mentions figurant sur l'agenda ne laissant pas apparaître la nécessité de réaliser des heures supplémentaires, ni de problématique concernant la durée ou la charge de travail.

Selon l'article L. 3174-1 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci.

Sur ce,

Il n'est pas contesté par les parties, que les horaires de travail au sein de l'entreprise EMC2-42 étaient les suivants :

- du lundi au jeudi : 7h30-12h et 12h50-17h

- vendredi : 7h30-12h30

- deux pauses de 10 minutes chaque jour.

Au soutien de ses allégations, le salarié verse aux débats :

- le courrier adressé à son employeur le 9 avril 2016 intitulé 'demande d'entretien' aux termes duquel il indique « mon salaire actuel est défini sur la base de 151h par mois. J'effectue en réalité plus de 45h par semaine pour lesquelles je ne vous demande pas de régularisation »

- 8 fiches de relevé hebdomadaire de ses heures de travail du 4 avril au 13 mai 2016, et du 21 janvier au 8 février 2019, mentionnant pour chacun des jours mentionnés, le volume horaire quotidien,

- une liste des messages électroniques envoyés depuis sa messagerie professionnelle de novembre 2017 à octobre 2018, comportant les horaires d'envoi et faisant ainsi apparaître des émissions à partir de 6h30, voire 5h44, ou encore d'autres après 18heures,

- Un tableau récapitulatif des horaires effectués intitulé 'temps de travail reconstitué sur la base de la messagerie professionnelle', sous déduction de la pause repas, pour les semaines 45, 46, 47, 50 et 51 de 2017, les semaines 2, 3, 7 à 12, 20, 22, 23 à 28, 31, 32, 36 à 42 de l'année 2018, et lui permettant de retenir pour une 'simulation sur 3 ans', 6 heures supplémentaires par semaine,

- les mails adressés à son employeur, le 29 janvier et le 4 février 2019 portant ses relevés d'heures pour la semaine 4 (42h15) et la semaine 5 (41 heures),

- les attestations de deux clients qui témoignent de son professionnalisme, et de sa grande disponibilité.

M. [R] déduit de ces pièces, selon un calcul purement théorique, qu'il aurait effectué en moyenne 6 heures supplémentaires, par semaine, pour aboutir à un volume de 810 heures supplémentaires sur 3 ans, sur la base de 45 semaines travaillées par an, évaluation qui serait même selon lui, loin de refléter la réalité de ses heures de travail puisqu'il n'est pas tenu compte de ses déplacements, de ses rendez-vous clients, de ses revues de chantier, et des réunions avec ses équipes dans le cadre de ses fonctions, durant lesquels, de fait, il ne produisait pas d'envois de courriels.

M. [R] présente ainsi des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il dit avoir réalisées, permettant à la société qui est tenue d'assurer le contrôle des heures effectuées, d'y répondre utilement.

L'employeur fait d'abord observer qu'elle n'a jamais été destinataire de relevé d'heures, ce qui est toutefois démenti par les mails adressés par le salarié les 29 janvier et 4 février 2019.

Ensuite, l'employeur confronte les relevés d'heures du salarié d'avril/mai 2016 aux indications de son agenda partagé pour en relever les incohérences, et l'impossibilité pour le salarié d'effectuer le nombre d'heures supplémentaires eu égard au faible nombre de rendez-vous mentionnés.

Il évoque également des incohérences voire les mensonges entre les lieux de rendez-vous et les relevés de télépéage établissant sa présence ailleurs.

Il verse aux débats les attestations de deux salariés de l'entreprise, qui affirment que M. [R] s'absentait régulièrement sans avoir de rendez-vous clients, quittait l'entreprise habituellement vers 17 heures, et ne travaillait pas plus de 30 heures par semaine. Néanmoins, ces deux attestations sont trop imprécises pour établir la durée de travail de M. [R].

Il plaide également que de nombreux mails ne présentent aucun lien avec son activité professionnelle, ou concernent sa qualité d'associé.

Toutefois, force est de constater que l'employeur critique les pièces produites par le salarié mais s'abstient, pour sa part, de verser aux débats des éléments permettant d'établir de manière objective et fiable le nombre d'heures de travail effectuées et le contrôle opéré sur sa charge de travail. Il ne remplit donc pas la charge de la preuve qui lui revient.

De même, s'il affirme que le salarié était libre de l'organisatron de son temps de travail, cette autonomie ne le dispense pas de son obligation de comptabilisation de la durée de travail effectif.

En outre, si l'employeur insiste sur le fait que le salarié n'a pas demandé l'exécution d'heures, la cour entend rappeler que l'absence d'autorisation préalable ou de demande d'effectuer des heures supplémentaires n'exclut pas en soi un accord implicite de l'employeur, lequel résulte en l'espèce du fait que l'employeur avait nécessairement connaissance, par les différents mailsadressés par le salarié, de heures supplémentaires effectuées à l'exécution desquelles il ne s'est alors pas opposé, étant observé d'ailleurs, qu'il n'a mis en oeuvre aucun mecanisme de contrôle des heures après le courrier du 9 avril 2016.

En conséquence, eu égard aux éléments présentés par les parties, la cour a la conviction que le salarié a exécuté des heures supplémentaires qui n'ont pas été rémunérées mais, après analyse des pièces produites, dans une moindre importance que ce qui est réclamé eu égard au caractère épars et incomplet des éléments produits et au fait que l'envoi de courriers électroniques sur lesquels il fonde le calcul de ses heures supplémentaires, ne permet pas, à lui seul, de justifier de l'accomplissement effectif d'un travail sous la subordination de l'employeur.

Par infirmation du jugement entrepris, la société EMC2-42 doit être condamnée à payer à M. [R] la somme de 7 500 euros brut à ce titre, outre la somme de 750 euros brut de congés payés afférents.

SUR LE TRAVAIL DISSIMULE

Aux termes de l'article L. 8223-1 du code du travail , le salarié auquel l'employeur a recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 du même code relatifs au travail dissimulé a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

L'article L. 8221-5, 2°, du code du travail dispose notamment qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli.

Toutefois, la dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes n'est caractérisée que s'il est établi par le salarié que l'employeur a agi de manière intentionnelle.

Le caractère intentionnel ne peut se déduire, de la seule réclamation du salarié (Soc., 31 mai 2011, pourvoi n° 10-14.306), ni de la seule absence de mention des heures supplémentaires sur les bulletins de paie (Soc., 29 juin 2005, pourvoi n° 04-40.758, Bull. 2005, V, n° 222 ; Soc., 15 décembre 2015, pourvoi n° 14-11.509).

Or, il n'est pas caractérisé en l'espèce une intention de l'employeur de se soustraire au paiement des heures supplémentaires dont le salarié n'a pas sollicité le paiement pendant la relation contractuelle, et qui ont été éparses et irregulières.

La décision entreprise qui a débouté M. [R] de cette demande sera confirmée sur ce point.

SUR LA RÉSILIATION DU CONTRAT AUX TORTS DE L EMPLOYEUR

Les dispositions combinées des articles L. 1231-1 du code du travail et 1224 du code civil permettent au salarié de demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur en cas de manquements suffisamment graves de ce dernier à ses obligations contractuelles.

Il appartient au salarié d'établir la réalité des manquements reprochés à son employeur et de démontrer que ceux-ci sont d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation contractuelle.

Lorsqu'elle est prononcée, la résiliation produit les mêmes effets qu'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

L'appelant soutient que la société a gravement manqué à ses obligations empêchant toute poursuite de la relation contractuelle et justifiant le prononcé de la résiliation judiciaire à ses torts.

Au soutien de cette demande, M. [R] invoque plusieurs manquements de son employeur:

- le non paiement des heures supplémentaires qui a été précédemment retenu,

- l'arrêt du remboursement des frais professionnels,

- le retrait abusif de congés non pris,

- le retrait du véhicule et la coupure de sa ligne téléphonique professionnelle,

- le non respect de l'article 15 du RGPD relatif au droit d'accès aux données à caractère personnel.

De son côté, l'employeur considère que ces griefs ne reposent sur aucun fondement, qu'aucun manquement ne peut lui être reproché, et partant, que la demande de résiliation judiciaire est injustifiée.

1- sur le non-paiement des heures supplémentaires

Le principe de l'accomplissement des heures supplémentaires par le salarié a été retenu dans les développements précédents. Il est donc permis de considérer qu'il puisse s'agir de manquements suffisamment graves permettant de solliciter la résiliation judiciaire du contrat de travail.

Toutefois, auregard du montant de la créance d'heures supplémentaires retenue par la présente juridiction, ce manquement de l'employeur ne saurait revêtir à elle seule une gravité suffisante pour justifier la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur, étant observé qu'ils n'ont d'ailleurs pas empêché la poursuite de la relation contractuelle.

2- sur l'arrêt brutal du remboursement des frais professionnels

M. [R] reproche à l'employeur d'avoir cessé brutalement de lui rembourser ses frais professionnels à compter du mois de décembre 2018, et ce jusqu'à son licenciement, la justification de l'employeur par une compensation étant selon lui, totalement irrégulière. Il chiffre ses frais à 2 126,19 euros dont il ne demande pas le paiement.

La société soutient que le salarié disposait d'une avance sur frais de 500 euros et surtout qu'elle avait réalisé sur le compte du salarié, un virement de 1.695 euros destiné à régler le solde d'une commande auprès d'un client, qu'il n'a néanmoins, jamais honorée. Elle en déduit que le salarié disposait ainsi d'une avance de 2 195 euros, sur laquelle elle a opéré une compensation parfaitement régulière avec les frais professionnels.

La cour observe que M. [R] ne remet pas en cause les virements opérés à son profit à hauteur de 2 195 euros, invoquant l'illicéité de la compensation opérée par l'employeur. Néanmoins, si la compensation effectuée sur un élément du salaire est effectivement illicite, les frais professionnels ne constituent pas un élément du salaire comme le souligne à juste titre l'employeur, lequel était par conséquent fondé à imputer les frais exposés par le salarié sur une créance qu'il détenait à son égard.

Aucun manquement à ce titre ne peut donc être imputé à l'employeur.

3- sur le retrait abusif de congés non pris

M. [R] soutient que la société lui a retiré abusivement des congés payés qu'il n'avait pas pris, en novembre 2018 ainsi qu'en 2016 et que la régularisation au titre des congés de novembre 2018 n'est intervenue qu'après saisine du conseil des prud'hommes.

Dans son courrier du 9 avril 2016, M. [R] demandait effectivement de lui 'recréditer' ses jours de congés retirés de manière abusive ou de les lui rémunérer sur ses bulletins de paie. Il n'a jamais à cette occasion, ni ultérieurement, précisé les jours en cause, et n'a à la suite de ce courrier, jamais émis la moindre réclamation plus précise sur le quantum des jours de congés qui lui auraient été retirés.

Il s'est plaint par courrier adressé par son conseil le 11 février 2019, de 20 jours de congés payés 'abusivement retirés'. A la suite de ce courrier, l'employeur a rapidement reconnu son erreur qui a fait l'objet d'une régularisation sur la fiche de paye du mois de mars 2019.

Le salarié ne démontre en rien la mauvaise foi ou un quelconque manquement de son employeur à ce titre. Cette erreur qui n'est avérée qu'à une seule reprise et qui a fait l'objet d'une régularisation dès qu'elle a été signalée par le salarié, ne peut être davantage retenue au titre d'un manquement suffisamment grave pour justifier la rupture de la relation contractuelle.

4- sur le retrait du véhicule et la coupure de la ligne téléphonique

Le salarié reproche à son employeur d'une part, de lui avoir retiré le véhicule mis à sa disposition de façon permanente, alors qu'il était en arrêt de travail pour maladie, en faisant délivrer le 12 mars 2019, une sommation, sans la faire précéder d'une demande amiable directe. Il lui reproche d'autre part, d'avoir coupé sa ligne de téléphone pendant ses congés du 15 février au 1er mars 2019, alors qu'il n'avait jamais procédé de la sorte auparavant.

Il estime que ces mesures étaient une réponse à la saisine du conseil des prud'hommes.

L'employeur rétorque que le véhicule mis à disposition était un véhicule de service et qu'il avait la liberté d'en solliciter la restitution pendant l'arrêt de travail, période pendant laquelle le salarié n'était pas amené à travailler ni à utiliser le véhicule. Il estime qu'il en va de même pour le téléphone professionnel mis à sa disposition et qu'il n'utilisait pas pendant ses congés.

La cour constate que M. [R] ne produit pas le contrat de travail duquel il résulterait que le véhicule dont il disposait était un véhicule de fonction ni ne justifie d'une autorisation de son employeur d'utiliser son véhicule à des fins personnelles.

Dans ces conditions, il ne rapporte pas la preuve du caractère abusif de la demande de restitution du véhicule alors qu'à cette date, il était en arrêt maladie. De même, il ne caractérise pas davantage le manquement de l'employeur par la coupure de sa ligne téléphonique professionnelle dont il n'avait pas l'usage puisqu'il était en congés.

Ces faits ne peuvent donc être qualifiés de fautifs.

5 - sur le non-respect de l'article 15 du RGPD

A cet égard, M. [R] reproche à l'employeur de n'avoir pas répondu favorablement à sa demande formulée par courrier du 18 mars 2019 concernant l'accès à ses données à caractère personnel conformément à l'article 15 du RGPD, portant sur son calendrier professionnel et ses mails stockés sur son compte de messagerie Outlook depuis février 2016, tandis que l'employeur explique avoir subi une panne informatique qui a engendré la perte des données, ce dont le salarié avait parfaite connaissance

L'employeur souligne également que la demande du salarié d'accéder à ses mails ainsi qu'à son agenda professionnel ne porte pas sur des 'données personnelles' mais uniquement professionnelles qui n'entrent pas dans le champ d'application du dit article 15.

La cour rappelle que le règlement européen général sur la protection des données (dit RGPD) vise à protéger les libertés et droits fondamentaux des personnes physiques et en particulier leur droit à la protection des données à caractère personnel.

L'article 15 du règlement général sur la protection des données 2016/679/UE dispose que toute personne concernée a un droit d'accès à ses données à caractère personnel détenues par le responsable du traitement. L'alinéa 3 de l'article 15 précise que la personne concernée a le droit d'obtenir une copie des données à caractère personnel.

En l'espèce, même à retenir que ces informations répondent à la définition des 'données à caractère personnel', M. [R] ne caractérise pas en quoi le silence opposé par l'employeur à cette demande, alors qu'il avait déjà saisi le conseil des prud'hommes d'une demande en résiliation du contrat de travail, et qu'au demeurant, il n'a pas allégué ce grief devant les premiers juges, constitue un manquement aux obligations résultant du contrat de travail, d'autant qu'il verse aux débats, des extraits de sa messagerie professionnelle et des captures de son agenda professionnel.

Ce grief ne peut donc pas être retenu au titre d'un manquement de l'employeur.

En conséquence de ce qui précède, la demande de résiliation du contrat aux torts de l'employeur prenant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse n'est pas justifiée et sera donc rejetée, ainsi que les demandes indemnitaires afférentes de M. [R]. Le jugement sera à cet égard confirmé.

SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES

En qualité de partie succombante, la société intimée sera condamnée aux entiers dépens, y compris ceux de première instance.

L'équité ne recommande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a débouté M. [R] de sa demande de rappel d'heures supplémentaires, et en ce qu'il l'a condamné aux dépens,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

Condamne la société EMC2-42 à payer à M. [R] la somme de 7 500 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires, outre 750 euros au titre des congés payés afférents,

Ordonne à la société EMC2-42 de remettre à M. [R] un bulletin de paie, un certificat de travail et une attestation Pôle emploi conformes aux dispositions du présent arrêt, et ce dans un délai d'un mois à compter de sa signification, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette obligation d'une astreinte,

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société EMC2-42 aux dépens de première instance et d'appel.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale c
Numéro d'arrêt : 21/04810
Date de la décision : 28/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 04/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-28;21.04810 ?
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