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25/03/2024 | FRANCE | N°24/02469

France | France, Cour d'appel de Lyon, Jurid. premier président, 25 mars 2024, 24/02469


COUR D'APPEL DE LYON



JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT



ORDONNANCE DU 25 MARS 2024

statuant en matière de soins psychiatriques





N° RG 24/02469 - N° Portalis DBVX-V-B7I-PRXN



Appel contre une décision rendue le 20 mars 2024 par le Juge des libertés et de la détention de LYON.





APPELANT :



M. PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE



Tribunal judiciaire de LYON

[Adresse 2]

[Localité 4] (RHÔNE)



INTIMES :



[Y] [H]

né le 30 Novembre

1971 à [Localité 3]

Actuellement hospitalisé au centre hospitalier de

[6]



Non comparant, régulièrement avisé, non représenté



PREFETE DU RHONE - ARS

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 4]



No...

COUR D'APPEL DE LYON

JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT

ORDONNANCE DU 25 MARS 2024

statuant en matière de soins psychiatriques

N° RG 24/02469 - N° Portalis DBVX-V-B7I-PRXN

Appel contre une décision rendue le 20 mars 2024 par le Juge des libertés et de la détention de LYON.

APPELANT :

M. PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE

Tribunal judiciaire de LYON

[Adresse 2]

[Localité 4] (RHÔNE)

INTIMES :

[Y] [H]

né le 30 Novembre 1971 à [Localité 3]

Actuellement hospitalisé au centre hospitalier de

[6]

Non comparant, régulièrement avisé, non représenté

PREFETE DU RHONE - ARS

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Non-comparante, régulièrement avisé, non représenté,

En l'absence du représentant de l'établissement hospitalier de [6],

En présence de Jean-Daniel REGNAULD, Avocat général près la cour d'appel de LYON,

*********

Nous,Isabelle OUDOT, Conseiller à la cour d'appel de Lyon, désignée par ordonnance de madame la première présidente de la cour d'appel de Lyon du 4 janvier 2024 pour statuer à l'occasion des procédures ouvertes en application des articles L.3211-12 et suivants du code de la santé publique, statuant contradictoirement et en dernier ressort,

Assistée de Gwendoline DELAFOY, Greffière placée, pendant les débats tenus en audience publique,

Ordonnance prononcée le 25 Mars 2024 par mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

Signée par Isabelle OUDOT, Conseiller, et par Gwendoline DELAFOY, Greffière placée, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

**********************

FAITS ET PROCÉDURE

Vu les pièces utiles et décisions motivées prévues à l'article R. 3211-12 du Code de la santé publique,

Vu le jugement du tribunal correctionnel de Villefranche-sur-Saône en date du 31 janvier 2020 ayant constaté l'irresponsabilité pénale de [Y] [H] en raison d'un trouble psychique ou neuro psychique ayant aboli son discernement,

Vu l'ordonnance du 31 janvier 2020 de la présidente du tribunal correctionnel de Villefranche-sur-Saône qui précise : « eu égard aux conclusions rendues par le Docteur [R], expert près la Cour d'Appel de Lyon, en date du 29 janvier 2020 constatant l'existence d'une abolition du discernement chez M.[H], en raison de l'existence d'un délire paranoïaque sectorisé, de prononcer, conformément aux dispositions de l'article 706-135 du Code de Procédure Pénale, l'admission de l'intéressé en hospitalisation complète au sein de l'établissement psychiatrique du Centre hospitalier spécialisé ([6]), [Adresse 5], à compter de ce jour, ou tout autre structure par I'Agence Régionale de Santé, eu égard au trouble diagnostiqué, non traité, du déni des troubles présenté par M. [H] mais aussi à sa dangerosité à l'égard des tiers, et du risque de réitération existant en l'absence de toute prise en charge, le déni massif posant un obstacle conséquent ».

Vu le courrier du préfet du Rhône en date du 31 janvier 2020 par lequel ce dernier demande au centre hospitalier de [6] d'admettre sans délai [Y] [H] en soins psychiatriques en exécution de l'ordonnance susvisée et conformément aux articles 706-135 et D. 47-29 du code de procédure pénale.

Vu l'arrêté du préfet du Rhône en date du 27 janvier 2022 décidant la forme de prise en charge sous une autre forme qu'une hospitalisation complète de [Y] [H], personne faisant l'objet de soins psychiatriques et ce sous la forme d'un programme de soins.

Vu le certificat médical de modification de la prise en charge de M. [H] dressé par le docteur [V] le 27 février 2024 qui précise que l'intéressé est en rupture de soins depuis le mois d'octobre 2023 et qu'il est demandé sa réintégration pour qu'il reprenne son traitement antipsychotique.

Vu l'arrêté du préfet du Rhône en date du 27 février 2024 portant réintégration en hospitalisation complète concernant [Y] [H], personne faisant l'objet de soins psychiatriques.

Vu la fiche Reflex datée et signée le 28 février 2024 signalant aux forces de l'ordre la disparition inquiétante de M. [H], ce dernier étant en soustraction aux soins depuis le 20 octobre 2023.

Par requête du 04 mars 2024, le préfet du Rhône a saisi le juge des libertés et de la détention afin qu'il soit statué sur la poursuite de l'hospitalisation complète au-delà de 12 jours.

Par ordonnance rendue le 06 mars 2024, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon, avant dire-droit au fond, a ordonné deux mesures d'expertise confiées au docteur [K] et au docteur [X] et a renvoyé l'examen de l'affaire au fond à l'audience du 20 mars 2024.

Le rapport d'expertise du docteur [X] a été déposé le 16 mars 2024 à 18H46.

Le rapport d'expertise du docteur [K] a été déposé le 19 mars 2024 à 03H19.

Par ordonnance en date du 20 mars 2024, le juge des libertés et de la détention a ordonné la mainlevée de la mesure d'hospitalisation complète de [Y] [H] avec effet différé à 24 heures. Le juge des libertés et de la détention a motivé sa décision en ce que le délai qui lui était imparti pour statuer consécutivement a l'ordonnance avant-dire droit rendue le 06 mars dernier expirait en réalité le 19 mars 2024 à 24h.

Par déclaration du 20 mars 2024, reçu au greffe de la cour d'appel le jour même à 18H14, le procureur de la République de Lyon a formé appel avec demande d'effet suspensif. Il motive son recours en indiquant que M. [H] a été réintégré à l'hôpital de [6] le 19 mars 2024 par le biais d'un équipage des forces de l'ordre, l'intéressé s'étant présenté en préfecture pour refaire son titre de séjour. Sa réintégration permettait sa présence à l'audience. L'ordonnance avant dire-droit a été rendue par le juge des libertés et de la détention le 06 mars 2024 et l'affaire a été renvoyée au 20 mars, soit dans le délai de 14 jours prévu par l'article L3211-12-1 du code de la santé publique. Les délais stricts prévus par le code de la santé publique ont pour objectif de protéger les patients et de garantir leur liberté individuelle. Ils ne peuvent être analysés dans un sens qui priverait le patient d'une audience devant le juge des libertés et de la détention, audience qui ne peut se tenir chaque jour de la semaine au sein de chaque hôpital du ressort. En l'espèce, M. [H] n'a réintégré l'hôpital que le 19 mars 2024 et il n'a été effectivement hospitalisé de façon complète que durant 24 heures avant la décision du juge des libertés et de la détention qui doit être réformée.

Par ordonnance en date du 21 mars 2024, le conseiller délégué a déclaré l'appel du ministère public suspensif et renvoyé l'examen de l'affaire au 25 mars 2024.

Vu le certificat médical déposé le 25 mars 2023 par le docteur [N] du centre hospitalier de [6].

Vu le courriel reçu ce jour à 11H29 par lequel le conseil de M. [H] indique que « ce dernier ne souhaite pas se présenter à votre audience et je suis malheureusement absente de [Localité 4] et je ne pourrai pas le représenter. Au vu des expertises ordonnées dans ce dossier, je n'ai pas de remarques particulières à faire valoir . »

L'affaire a été évoquée lors de l'audience du 25 mars 2024 à 13 heures 30.

À cette audience, [Y] [H] n'a pas comparu et son conseil a excusé son absence, précisant dans le mail susvisé qu'elle n'avait pas de remarque particulière à faire valoir.

Lors de l'audience, le Ministère Public était présent et a repris à son compte les réquisitions du procureur de la République, ajoutant que la brièveté des délais fixés ont pour but de limiter la période d'hospitalisation du patient avant sa comparution devant le juge. Or, en l'état, l'intéressé n'a été réintégré que le 19 mars 2024 et l'audience qui s'est tenue le 20 mars 2024 l'a été dans le délai légal et dans le respect des droits du patient.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la régularité de la procédure

Attendu que la fonction du juge réside essentiellement dans un contrôle de l'équilibre entre liberté et contrainte généré par l'état de santé du malade ; que les textes nombreux et différents qui peuvent s'articuler s'agissant des délais à observer par le juge des libertés et de la détention doivent se comprendre selon une position qui préserve la lettre et l'esprit des textes ;

Qu'au cas d'espèce M. [H] était en rupture de soin depuis le mois d'octobre 2023 ; que l'arrêté préfectoral de réintégration n'a pas pu lui être notifié à la date où il a été pris, l'intéressé étant en fuite et sans domicile fixe ; que par contre il est établi et non contesté que la réintégration de M. [H] était effective le 19 mars 2024 et que le 20 mars 2024 il était présent à l'audience du premier juge, a pu être entendu et faire valoir ses observations et critiques ;

Attendu que les pièces de la procédure établissent que la décision avant dire-droit prise par le juge des libertés et de la détention le 06 mars a été faite sur dossier, [Y] [H] n'étant pas présent pour être en rupture de soins ;

Attendu que le juge des libertés et de la détention a ordonné deux expertises conformément aux dispositions de l'article L3211-12 II du code de la santé publique, l'hospitalisation initiale de [Y] [H] faisant suite à une décision du tribunal correctionnel d'irresponsabilité pénale ; que le texte précise que le juge fixe les délais dans lesquels les deux expertises doivent être déposées dans une limite maximale fixée par décret en Conseil d'Etat et que « Passé ce délai, il statue immédiatement » ;

Que par ailleurs il résulte des dispositions de l'article L. 3211-12-1 que lorsque le juge des libertés et de la détention a ordonné deux expertises le délai légal fixé est prolongé d'une durée qui ne peut excéder quatorze jours 'à compter de la date de cette ordonnance' ;

Attendu que dans sa décision du 06 mars 2024 le juge des libertés et de la détention a utilisé la possibilité faite de proroger le délai légal afin de permettre la réalisation des expertises, la communication des expertises aux parties et l'organisation d'un débat contradictoire à cet effet dans l'esprit de la Loi pour protéger les intérêts en présence ;

Attendu que conformément à cet article le juge a fixé au 18 mars le délai dans lequel les experts devaient déposer leur rapport et a renvoyé l'examen de la procédure au 20 mars 2024 ; qu'une des deux expertises a été déposée le 19 mars 2024 à 03H19 du matin, ce qui atteste de la diligence du médecin expert qui a oeuvré pour respecter le délai imparti et que la complexité de la tâche ne peut pas être occultée ;

Attendu que l'audience fixée le 20 mars 2024 l'a été immédiatement passé le délai prorogé par le juge dans sa décision du 06 mars 2024 et que ceci est conforme aux prescriptions légales, à la nature d'une prolongation de délai outre le fait qu'elle est protectrice des intérêts de [Y] [H] qui a pu être présent, être entendu utilement et assisté d'un conseil qui a eu connaissance des expertises et a pu les critiquer ;

Attendu que le premier juge disposait encore d'un délai pour statuer ; Que la décision querellée est infirmée et que la procédure est déclarée régulière ;

Sur le maintien de l'hospitalisation sans consentement

Attendu qu'aux termes de l'article L. 3211-3 du Code de la santé publique, le juge judiciaire doit s'assurer que les restrictions à l'exercice des libertés individuelles du patient sont adaptées, nécessaires et proportionnées à son état mental et à la mise en oeuvre du traitement requis et ce au vu, en l'espèce, des expertises médicales réalisées puisque l'intéressé avait fait l'objet d'une décision d'irresponsabilité pénale ;

Qu'il est constant que le juge judiciaire ne doit en aucun cas substituer son avis personnel aux avis médicaux versés au dossier ni porter la moindre critique sur la décision pénale qui a conclu à l'origine à une décision d'irresponsabilité pénale pour abolition du discernement ; que de la même façon, l'appréciation du consentement ou du non-consentement aux soins est une évaluation médicale qui ne peut être faite que par le seul médecin ; que le juge n'a en effet ni la qualité, ni les compétences requises pour juger des troubles qui affectent le patient, et juger de son consentement ou non aux soins mis en place ;

Attendu que devant le premier juge [Y] [H] a déclaré que cela faisait 4,5 mois qu'il n'avait plus de traitement mais qu'il ne voulait plus qu'on lui injecte des produits dans le corps car cela le mettait dans un 'sale état' et qu'il 'ne voulait plus qu'on lui impose ce truc' car 'il se sentait super bien' ;

Attendu que l'expertise du docteur [K] du 19 mars 2024 permet de lire qu'une prise en charge adaptée de la pathologie de [Y] [H] s'impose eu égard à la nécessité de protéger la sécurité des personnes ou au risque d'atteinte grave à I'ordre public ainsi qu'à I'intérêt du patient et ne peut être assurée par des soins librement consentis, le délire érotomaniaque actif faisant obstacle à la capacité de l'intéressé de donner son consentement éclairé ; qu'il poursuit en indiquant qu'un cadre contraignant reste nécessaire et que la réintégration du patient en soins psychiatriques sans consentement sous le mode de l'hospitalisation complète est à recommander afin de stabiliser son état et l'accompagner à la bonne observance des soins ; qu'il souligne que le contexte de précarité dans lequel vit le patient, sa situation de sans domicile fixe et le manque d'attaches stables représentent des facteurs de pronostic défavorable pour son observance de soins et donc sa stabilité et son accompagnement thérapeutique durable qu'indique son trouble délirant ;

Que le docteur [X] du 18 mars 2024 indique quant à lui que « la personnalité de [Y] [H] semble être psychorigide et persécutoire, c'est une façon de souligner sa détresse due a la solitude et a son incapacité d'introspection, ce sont toujours les autres qui sont responsables de son état. ll présente une anosognosie (ne se considère pas malade). L'hospitalisation sous contrainte dans ces conditions est justifiée, I'absence de traitement par neuroleptiques par injections intramusculaires mensuelles et éventuellement la levée de l'hospitalisation sous contrainte peuvent compromettre la sûreté des personnes ou peuvent porter atteinte de façon grave a l'ordre public.» ; que l'expert formule des propositions en cas de levée d'une hospitalisation complète qui impliquerait nécessairement selon lui un sevrage de [Y] [H] à l'alcool et aux stupéfiants, un suivi avec un psychiatre, une acceptation et une adhésion aux soins, ainsi qu'un suivi par des travailleurs sociaux ;

Attendu qu'il ressort de ses deux expertises récentes des 16 et 19 mars 2024 que la précarité de la situation de [Y] [H], en rupture de soins depuis octobre 2023, sa propension à utiliser des produits toxiques, sa non reconnaissance de ses troubles, outre la nécessité d'une reprise du traitement anti-psychotique tel que préconisé par le docteur [V] le 27 février 2024 établissent que les troubles de [Y] [H] sont en lien avec une pathologie psychiatrique sévère et nécessitent manifestement la poursuite d'examens et de soins auxquels il n'est pas en mesure de consentir pleinement dans le cadre d'une alliance thérapeutique ;

Que le maintien de [Y] [H] dans le dispositif de soins psychiatriques sans consentement sous la forme d'une hospitalisation complète est justifié, cette mesure s'avérant en outre proportionnée à son état mental au sens de l'article L. 3211-3 du Code de la santé publique ;

Attendu en conséquence qu'il y a lieu de maintenir la mesure en soins psychiatriques en hospitalisation complète ;

Sur les dépens

Attendu qu'il convient de laisser les dépens à la charge du Trésor public.

PAR CES MOTIFS

Infirmons l'ordonnance déférée ;

Autorisons le maintien de l'hospitalisation complète sans son consentement de M. [Y] [H] pour lui prodiguer des soins psychiatriques, au-delà d'une durée de 12 jours.

Laissons les dépens à la charge du trésor public.

La greffière, Le conseiller délégué,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Jurid. premier président
Numéro d'arrêt : 24/02469
Date de la décision : 25/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-25;24.02469 ?
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