N° RG 21/06172 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NYXD
Décision du Tribunal Judiciaire de ROANNE
Au fond du 05 juillet 2021
RG : 19/01006
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile A
ARRET AVANT DIRE DROIT DU 21 Mars 2024
APPELANTS :
M. [F] [B]
né le 12 Juin 1941 à
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représenté par la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, avocat postulant, toque:475
Et ayant pour avocat plaidant l'AARPI AGID WAGNON ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P 405
M. [L] [B]
né le 11 Mars 1945 à
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représenté par la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, avocat postulant, toque:475
Et ayant pour avocat plaidant l'AARPI AGID WAGNON ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P 405
INTIMEE :
Société P2LINK LLC
[Adresse 2]
County
[Localité 1] ETATS-UNIS
Représentée par la SELARL LX LYON, avocat au barreau de LYON, avocat postulant, toque : 938
Et ayant pour avocat plaidant la SCP VBA AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de GRENOBLE, toque : B80
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Date de clôture de l'instruction : 21 Juin 2022
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 14 Mars 2024
Date de mise à disposition : 21 Mars 2024
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Anne WYON, président
- Julien SEITZ, conseiller
- Thierry GAUTHIER, conseiller
assistés pendant les débats de Elsa SANCHEZ, greffier
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Anne WYON, président, et par Séverine POLANO, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
La société anonyme de droit français P2LINK exerce une activité dans le domaine de la télémédecine et de la recherche de solutions appliquées aux maladies chroniques.
La société de droit américain P2LINKLLC (Limited Liability Company), ayant pour dirigeant M. [P], a pour objet la commercialisation des produits et services développés par la société française P2LINK, aux États-Unis et à l'étranger.
M. [F] [B] et son frère, M. [L] [B] (les consorts [B]) ont conclu, chacun, un contrat avec cette société, intitulé « Convertible Note Purchase Agreement » le 2 novembre 2016, prévoyant que l'un et l'autre verseraient la somme de 1 000 000 de dollars, au jour de la signature, et deviendraient ainsi titulaires d'obligations convertibles en actions (OCA), la date de maturité étant le 30 juin 2019.
Aucun versement n'étant intervenu, les consorts [B] ont été mis en demeure de s'exécuter.
Le 26 septembre 2018, à défaut de règlement, la société P2LINLLC les a fait assigner en paiement devant le tribunal judiciaire de Roanne.
Par jugement du 5 juillet 2021, la formation collégiale de jugement du tribunal judiciaire de Roanne a :
- condamné M. [L] [B] à payer la somme de 1 000 000 de dollars à la société P2LINKLLC, outre intérêts au taux légal à compter du jour de la mise en demeure ;
- condamné M. [F] [B] à payer la somme de 1 000 000 de dollars à la société P2LINKLLC, outre intérêts au taux légal à compter du jour de la mise en demeure ;
- condamné in solidum les consorts [B] aux dépens ;
- condamné les mêmes à payer à la société P2LINKLLC la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rejeté le surplus des demandes ;
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.
Par déclaration transmise au greffe le 23 juillet 2021, MM. [F] et [L] [B] ont relevé appel de cette décision.
Dans leurs dernières conclusions, n° 2, déposées le 7 juin 2022, les consorts [B] demandent à la cour de :
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il les a condamnés, chacun, à verser la société P2LINKLLC la somme de 1 000 000 de dollars ainsi que celle de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- confirmer le jugement ce qu'il a débouté la société de ses demandes complémentaires ;
- statuant à nouveau :
- à titre principal :
- constater que le consentement de chacun d'eux, lors de la signature du « Convertible Note Purchase Agreement » le 2 novembre 2016, est vicié en raison des man'uvres dolosives et de la réticence dolosive de la société ;
- déclarer nulles et de nul effet les conventions signées le 2 novembre 2016 ;
- à titre subsidiaire :
- constater que la société a failli à son obligation précontractuelle d'information, en s'abstenant de leur communiquer toute information financière sérieuse concernant l'opération d'acquisition d'actions convertibles, objet du contrat ;
- constater que la société a failli à son devoir de diligence de bonne foi, en les qualifiant d'investisseurs accrédités au sens du droit américain, alors même qu'elle s'est abstenue de procéder à toutes diligences en vue de vérifier leurs capacités financières ainsi que l'adéquation de leur expérience professionnelle au degré de sophistication des instruments financiers, objet du contrat ;
En conséquence :
- condamner la société à leur régler, à chacun, la somme de 1 000 000 de dollars à titre de dommages et intérêts et d'ordonner la compensation de ces sommes avec la créance réclamée par la société à chacun d'entre eux ;
- dire et juger que la société ne justifie d'aucun préjudice en lien direct avec la prétendue faute reprochée et, en conséquence, la débouter de sa demande indemnitaire ;
- constater que la société a abusé de son droit d'ester en justice en saisissant les juridictions françaises et en sollicitant l'application d'un Convertible Note Purchase Agreement frauduleusement conclu aux États-Unis, soumis au droit et la compétence exclusive de l'État de New York ;
- condamner la société à leur régler la somme de 10'000 euros au titre de l'abus du droit d'agir en justice ainsi que celle de 30'000 euros, chacun, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens de l'instance ;
- débouter la société de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions.
Dans ses conclusions déposées le 17 mars 2022, la société P2LINKLLC demande à la cour de :
- confirmer le jugement, sauf en ce qu'il a rejeté ses demandes indemnitaires ;
- statuant à nouveau :
- rejeter l'appel des consorts [B] ;
- débouter les appelants de l'intégralité de leurs demandes, fins, moyens et écritures ;
- lui « adjuger l'entier bénéfice de toutes ses demandes, fins et conclusions » (sic) ;
- condamner les consorts [B] à lui verser la somme de 10'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 21 juin 2022.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se reporter aux conclusions des parties ci-dessus visées, pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
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MOTIFS DE LA DECISION
Le litige porte sur l'exécution du « Convertible Note Purchase Agreement », souscrit le 2 novembre 2016 par les consorts [B].
Or, comme le relèvent les appelants, ce contrat (pièce n° 9 de l'intimée avec traduction) comporte un article 7.2 qui stipule :
« Droit applicable : Le présent contrat et les obligations qui seront analysées et interprétées conformément au droit appliqué dans l'Etat de New York sans une quelconque clause ou règle de choix de juridiction ou conflit de loi (qu'elle existe dans l'Etat de New York ou une autre juridiction). »
Par ailleurs l'article 8 de la « Convertible Promissory Note », annexée au contrat (mêmes pièces) prévoit :
« Cette obligation est émise et sera analysée conformément aux lois appliquées dans l'Etat de New York sans considération des règles de conflits de loi. Chacune des parties se soumet à la compétence exclusive de tout tribunal local ou fédéral situé dans la circonscription de Manhattan, ville de New York, pour toute action en justice, procès ou autre résultant de cette obligation ».
En premier lieu, en l'état de l'affaire, il n'est pas justifié de l'existence de la société américaine ayant formé la demande en paiement.
Or, la cour doit s'en assurer avant de statuer au fond, par la production, notamment, d'un « Certificate of Good Standing » de l'Etat du Delaware justifiant de la persistance de cette société mais aussi de l'identité de son représentant légal.
Par ailleurs, il convient de s'interroger sur le statut des Limited Liability Company, forme sociale américaine de la société P2LINK LLC afin de s'assurer qu'elle dispose d'une personne morale propre, au sens du droit français, lui permettant d'agir en justice.
A défaut d'un tel document et de la reconnaissance d'une personnalité morale, il pourrait être ainsi soulevé d'office la question de la nullité, de fond, pouvant atteindre à l'acte d'engagement d'instance formé par la société.
En second lieu, étant rappelé que le juge est tenu, lorsque les faits dont il est saisi le justifient, de faire application des règles d'ordre public issues du droit de l'Union européenne, même si les parties ne les ont pas invoquées, il convient de constater que la mise en 'uvre des conventions litigieuses, critiquées par les appelants en raison de leurs conditions de formation, dont ils déduisent qu'elles seraient atteintes de nullité, pose la question de l'existence d'un conflit de juridictions, éventuellement mais à tout le moins au regard des dispositions du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 (« Bruxelles I bis »), mais également celle d'un conflit de lois, éventuellement mais à tout le moins au regard des dispositions du Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement Européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicables aux obligations contractuelles (« Rome I »).
Les parties ne se sont pas expliquées sur ce point.
La cour ne peut, dès lors, pas statuer en l'état de la procédure.
Cette situation caractérise une cause grave de révocation de l'ordonnance de clôture, au sens de l'article 803 du code de procédure civile, rendu applicable en cause d'appel par l'article 907 du code de procédure civile.
Il y a donc lieu d'ordonner, d'office, la réouverture des débats et la révocation de l'ordonnance de clôture, et de renvoyer l'affaire devant le conseiller de la mise en état.
Il appartiendra ainsi, et notamment, aux parties de conclure sur:
- l'existence de la société intimée au jour où la cour doit statuer ;
- sa capacité à agir devant la juridiction française, au regard de sa personnalité morale, ou de l'absence de celle-ci et de l'identité de son représentant légal ;
- la compétence des juridictions françaises au regard des règles de conflit de juridictions que suscite la mise en 'uvre d'une convention de droit américain devant une cour judiciaire française ;
- la loi applicable au contrat et, le cas échéant, sur l'applicabilité des dispositions du code civil invoquées au soutien de la demande d'annulation des conventions ou l'applicabilité de toute règle que les parties estimeront devoir désigner.
Toutes les demandes des parties seront réservées.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant par arrêt contradictoire, rendu avant dire droit et par mise à disposition au greffe,
Ordonne la réouverture des débats ;
Révoque l'ordonnance de clôture ;
Renvoie les parties à l'audience de mise en état du 22 octobre 2024, aux fins de conclure sur la régularité de l'instance engagée par la société P2LINKLLC et les conséquences à déduire des règles de conflit de juridictions et de lois applicables à l'espèce ;
Réserve toutes demandes des parties.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE