AFFAIRE DU CONTENTIEUX DE LA PROTECTION SOCIALE
RAPPORTEUR
R.G : N° RG 21/06583 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NZXJ
Société [7]
C/
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU RHONE
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Pole social du TJ de LYON
du 29 Juin 2021
RG : 15/271
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE D
PROTECTION SOCIALE
ARRÊT DU 12 MARS 2024
APPELANTE :
Société [7]
AT de M. [M]
Venant aux droits de la société [6]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Grégory KUZMA de la SELARL R & K AVOCATS, avocat au barreau de LYON substituée par Me Christophe KOLE, avocat au barreau de LYON
INTIMEE :
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU RHONE
[Adresse 8]
[Localité 5]
représenté par Mme [B] [X] (Membre de l'entrep.) en vertu d'un pouvoir général
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 06 Février 2024
Présidée par Delphine LAVERGNE-PILLOT, Présidente, magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Anais MAYOUD, Greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
- Delphine LAVERGNE-PILLOT, présidente
- Anne BRUNNER, conseillère
- Nabila BOUCHENTOUF, conseillère
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 12 Mars 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Delphine LAVERGNE-PILLOT, Magistrate, et par Anais MAYOUD, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
M. [M] a été engagé par la société [6], aux droits de laquelle vient désormais la société [7] (la société), en qualité d'agent qualifié, à compter du 25 septembre 2009.
Le 22 mars 2011, la société a établi une déclaration d'accident du travail survenu au préjudice de son salarié, le 22 mars 2011 à 9h30, dans les circonstances suivantes : « en soulevant une poubelle, M. [M] aurait ressenti une douleur dans le poignet droit », déclaration accompagnée d'un certificat médical initial établi le 22 mars 2011 et faisant état d'une « rupture ligamentaire du poignet ».
La caisse primaire d'assurance maladie du Rhône (la caisse, la CPAM) a pris en charge cet accident au titre de la législation sur les risques professionnels.
Le 7 mai 2014, la caisse a attribué à M. [M] un taux d'incapacité permanente partielle de 5%, à compter du 18 mars 2014, au vu des circonstances suivantes : « blocage du poignet droit en rectitude sans atteinte de la prosupination chez un droitier ».
Le 16 avril 2014, la société a saisi la commission de recours amiable de la caisse aux fins d'expertise médicale.
Par requête reçue au greffe le 17 février 2015, elle a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale, devenu le pôle social du tribunal judiciaire, en contestation de la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable.
Par jugement du 29 juin 2021, le tribunal a rejeté ses demandes et lui a déclaré opposable la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle, par la caisse, de l'accident dont M. [M] avait déclaré avoir été victime le 22 mars 2011, ainsi que les soins et arrêts et frais consécutifs à l'accident, jusqu'au 17 mars 2014, date de consolidation de l'état de la victime.
Par déclaration enregistrée le 13 août 2021, la société a relevé appel de cette décision.
Dans ses conclusions n° 2 notifiées par voie électronique le 8 décembre 2022 et reprises oralement sans ajout ni retrait au cours des débats, elle demande à la cour de :
- infirmer le jugement,
Avant dire-droit,
- juger qu'une mesure d'expertise judiciaire sur pièces s'impose en l'espèce,
- ordonner une mesure d'expertise judiciaire sur pièces et nommer un expert qui aura pour mission de :
* se faire remettre l'entier de son dossier médical par la caisse et/ou son service médical,
* retracer l'évolution de ses lésions,
* retracer ses éventuelles hospitalisations,
* déterminer si l'ensemble des lésions à l'origine de l'ensemble des arrêts de travail pris en charge peuvent résulter directement et uniquement de l'accident du travail survenu le 22 mars 2011,
* déterminer quels sont les arrêts et lésions directement et uniquement imputables à cet accident du travail,
* déterminer si une pathologie évoluant pour son propre compte et indépendante de l'accident du travail est à l'origine d'une partie des arrêts de travail,
* dans l'affirmative, dire si le mécanisme accidentel décrit a pu aggraver ou révéler cette pathologie ou si, au contraire, cette dernière a évolué pour son propre compte,
* fixer la date à laquelle l'état de santé de M. [M] directement et uniquement imputable à l'accident du travail survenu le 22 mars 2011 doit être considéré comme consolidé,
* convoquer uniquement la société et la caisse, seules parties à l'instance, à une réunion contradictoire,
* adresser aux parties un pré-rapport afin de leur permettre de présenter d'éventuelles observations et ce avant le dépôt du rapport définitif,
- juger que les opérations d'expertise devront se réaliser uniquement sur pièces, en l'absence de toute convocation ou consultation médicale et ce, en vertu des principes de l'indépendance des rapports et des droits acquis des assurés,
- ordonner, dans le cadre du respect des principes du contradictoire, du procès équitable et de l'égalité des armes entre les parties dans le procès, la communication de l'entier dossier médical de M. [M] par la caisse au docteur [N], médecin consultant de la société, demeurant [Adresse 1] ' [Localité 4], et ce, conformément aux dispositions des articles L. 142-10 et R. 142-16-3 du code de la sécurité sociale,
- juger que les frais d'expertise seront entièrement mis à la charge de la caisse,
- dans l'hypothèse où des arrêts de travail ne seraient pas en lien de causalité directe et certain avec la lésion initiale, la juridiction devra juger ces arrêts inopposables à la société.
Par ses dernières écritures reçues au greffe le 21 novembre 2023 et reprises oralement sans ajout ni retrait au cours des débats, la CPAM demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- rejeter, comme non fondée, toute demande d'expertise de l'employeur.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions susvisées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
SUR LA DEMANDE D'INOPPOSABILITE DES SOINS ET ARRETS DE TRAVAIL PRESCRITS
La société se prévaut de l'absence de continuité médicale des symptômes et soins et soutient qu'il existe des éléments laissant présumer l'existence d'une pathologie sans lien avec l'accident ou, à tout le moins, des doutes importants sur le lien de causalité direct et certain entre l'ensemble des arrêts de travail et la lésion initiale. Elle se prévaut de la longueur des arrêts prescrits, de périodes d'absence de continuité dans les soins et de l'existence de diagnostiques fluctuants. Elle considère que M. [M] souffrait d'un état antérieur.
En réponse, la CPAM fait valoir que la présomption d'imputabilité s'applique à l'ensemble des prescriptions médicales prescrites à M. [M] et que la société ne rapporte pas la preuve de l'existence d'une cause étrangère au travail à l'origine exclusive des prescriptions de repos.
En application des dispositions de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée, ou travaillant à quelque titre que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.
Il découle de ce texte que la présomption d'imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d'un accident du travail, dès lors qu'un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial d'accident du travail est assorti d'un arrêt de travail, s'étend pendant toute la durée d'incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l'état de la victime.
La présomption ne fait pas obstacle à ce que l'employeur conteste l'imputabilité à l'accident du travail initialement reconnu de tout ou partie des soins et arrêts de travail pris en charge ultérieurement par la caisse primaire d'assurance maladie, mais lui impose alors de rapporter, par tous moyens, la preuve de l'absence de lien de causalité, c'est-à-dire d'établir que les arrêts de travail et les soins prescrits en conséquence de l'accident résultent d'une cause totalement étrangère au travail.
Une mesure d'expertise n'a donc lieu d'être ordonnée que si l'employeur apporte des éléments de nature à laisser présumer l'existence d'une cause étrangère qui serait à l'origine exclusive des arrêts de travail contestés et, en tout état de cause, elle n'a pas vocation à pallier la carence d'une partie dans l'administration de la preuve.
En l'espèce, l'accident du travail est survenu le 22 mars 2011 à 9h30 alors que M. [M] soulevait une poubelle. Il a ressenti une douleur au poignet droit, le certificat médical initial faisant état d'une « rupture ligamentaire du poignet ».
Le caractère professionnel de l'accident déclaré n'est pas remis en cause par les parties qui divergent uniquement sur l'imputabilité à l'accident du travail des soins et arrêts pour maladie prescrits à M. [M].
La CPAM produit le certificat médical initial et la quasi-totalité des certificats médicaux de prolongation descriptifs faisant tous état du même siège de lésions, à savoir une douleur au poignet droit, en cohérence avec le mécanisme accidentel décrit dans la déclaration d'accident. Elle justifie également du versement d'indemnités journalières de manière continue du 7 au 30 mai 2011 et du 31 août au 2 septembre 2011 (pièce n°4).
Ainsi, dès lors qu'un arrêt de travail a été initialement prescrit, les arrêts de travail et soins prescrits à M. [M] bénéficient de la présomption d'imputabilité à l'accident du travail intervenu le 22 mars 2011, étant en outre observé que la caisse justifie du versement d'indemnités journalières de façon continue du 7 au 30 mai 2011, du 31 août au 2 septembre 2011 et du 19 décembre 2013 au 13 janvier 2014.
Or, la société ne justifie d'aucun commencement de preuve de nature à laisser présumer que les arrêts de travail et soins prescrits en conséquence de l'accident résultent d'une cause totalement étrangère au travail. La cour rappelle que le lien de causalité qui résulte de la présomption subsiste quand bien même l'accident aurait seulement précipité l'évolution ou l'aggravation d'un état pathologique antérieur qui n'entraînait jusqu'alors aucune incapacité. Ici, l'état antérieur sur le poignet droit dont se prévaut la société était connu et a été pris en compte dans l'examen du dossier par le service médical de la caisse. La salariée s'est vue attribuer un taux d'incapacité permanente partielle de 5% en suite de son accident et l'employeur ne démontre pas que l'état antérieur qu'il allègue est à l'origine exclusive des prescriptions de repos. De même, la référence au caractère disproportionné entre la longueur des arrêts de travail et la lésion constatée n'est pas de nature à établir de manière suffisante l'existence d'un litige d'ordre médical, eu égard aux éléments qui précèdent. Enfin, la fluctuation des diagnostics alléguée par la société est contredite par la justification, par la CPAM, du suivi médical par le médecin traitant, par le chirurgien orthopédique, par l'avis du service médical de la caisse et par le traitement de la lésion générée dans les suites de l'accident du travail.
Ainsi, en l'absence d'argument médical suffisamment sérieux en faveur d'une cause totalement étrangère au travail, d'un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte, il n'y a pas lieu de recourir à une expertise médicale.
La société ne renversant pas la présomption d'imputabilité, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté ses demandes.
SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES
La décision attaquée sera infirmée en ses dispositions relatives aux dépens.
L'abrogation, au 1er janvier 2019, de l'article R. 144-10 du code de la sécurité sociale a mis fin à la gratuité de la procédure en matière de sécurité sociale. Pour autant, pour les procédures introduites avant le 1er janvier 2019, le principe de gratuité demeure. En l'espèce, la procédure ayant été introduite le 17 février 2015, il n'y avait pas lieu de statuer sur les dépens.
Succombant, la société sera condamnée aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il condamne la société aux dépens exposés à compter du 1er janvier 2019,
Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à condamnation aux dépens de première instance,
Condamne la société [7] aux dépens d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE