AFFAIRE DU CONTENTIEUX DE LA PROTECTION SOCIALE
RAPPORTEUR
R.G : N° RG 21/06504 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NZQL
CPAM DU RHONE
C/
[U]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Pole social du TJ de LYON
du 28 Juin 2021
RG : 18/02336
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE D
PROTECTION SOCIALE
ARRÊT DU 12 MARS 2024
APPELANTE :
CPAM DU RHONE
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Mme [V] [D] (membre de l'entreprise), en vertu d'un pouvoir général
INTIME :
[X] [U]
[Adresse 3]
[Localité 1]
comparant en personne
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 06 Février 2024
Présidée par Delphine LAVERGNE-PILLOT, Présidente, magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Anais MAYOUD, Greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
- Delphine LAVERGNE-PILLOT, présidente
- Anne BRUNNER, conseillère
- Nabila BOUCHENTOUF, conseillère
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 12 Mars 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Delphine LAVERGNE-PILLOT, Magistrate, et par Anais MAYOUD, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
Le 9 avril 2018, la société [5] (la société) a établi une déclaration d'accident du travail survenu le 4 avril 2018 à 4h30 au préjudice de son salarié, M. [U], dans les circonstances suivantes : « En manipulant et stockant un roll [M. [U]] aurait senti une douleur au ventre », déclaration accompagnée de réserves de l'employeur et d'un certificat médical initial établi le 6 avril 2018 par le docteur [Z] mentionnant : « douleur abdo en tirant des rolls de viande. Probable aggravation d'une hernie de la ligne blanche. Echo à faire ».
Après une enquête administrative, la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône (la caisse, la CPAM) a refusé, le 25 juin 2018, de prendre en charge ledit accident au titre de la législation professionnelle.
Le 1er août 2018, M. [U] a saisi la commission de recours amiable en contestation de cette décision.
Par requête reçue au greffe le 23 octobre 2018, il a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale, devenu le pôle social du tribunal judiciaire, aux fins de contestation de la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable.
Par décision du 6 mars 2019, notifiée le 7 mars 2019, la commission de recours amiable a finalement écarté le caractère professionnel de l'accident déclaré.
Par jugement du 28 juin 2021, le tribunal :
- dit et juge que l'accident dont a été victime M. [U] le 4 avril 2018 doit être pris en charge au titre de la législation professionnelle par la caisse,
- renvoie M. [U] devant la caisse pour la liquidation de ses droits,
- condamne la caisse aux dépens.
Par déclaration enregistrée le 6 août 2021, la CPAM a relevé appel de cette décision.
Dans le dernier état de ses conclusions reçues au greffe le 4 janvier 2023 et reprises oralement sans ajout ni retrait au cours des débats, elle demande à la cour de :
- réformer le jugement entrepris,
- dire et juger que M. [U] ne peut bénéficier de la prise en charge des lésions constatées par certificat médical initial du 6 avril 2018 au titre de la législation professionnelle,
- rejette toute autre demande comme non fondée.
A l'audience, M. [U] demande à la cour de :
- confirmer le jugement,
- dire et juger qu'il peut bénéficier de la prise en charge des lésions constatées par certificat médical initial du 6 avril 2018 au titre de la législation professionnelle.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions susvisées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
SUR LA DEMANDE DE RECONNAISSANE D'ACCIDENT DU TRAVAIL
Au soutien de son recours, la CPAM se prévaut de l'absence de preuve d'un fait accidentel, de l'absence de témoin et d'une constatation médicale tardive, soit deux jours après les faits.
En réponse, M. [U] fait valoir qu'il est de parfaite bonne foi et qu'il a bien été victime, le 4 avril 2018, d'un accident du travail.
Il résulte de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale que constitue un accident du travail un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle.
En application de ce texte, l'accident qui s'est produit au temps et au lieu du travail est présumé être un accident du travail.
Celui qui déclare avoir été victime d'un accident du travail doit établir autrement que par ses simples affirmations les circonstances exactes de l'accident et son caractère professionnel. Il lui appartient dès lors de rapporter la preuve de la réalité de la lésion ainsi que sa survenance au lieu et au temps du travail, c'est-à-dire celui au cours duquel le salarié se trouve soumis au contrôle et à l'autorité du chef d'entreprise. Toutefois, cette absence de témoins ne peut faire obstacle à la reconnaissance d'un accident du travail dès lors qu'un ensemble de présomptions graves et concordantes permet de corroborer, par des éléments objectifs, les déclarations de la victime ou si les circonstances peuvent expliquer cette absence de témoins et que des éléments de preuve sont apportés.
Il revient ensuite à l'employeur ou la caisse qui entend contester la présomption légale d'imputabilité de prouver l'existence d'une cause totalement étrangère au travail ou que l'assuré n'était pas, au moment de l'accident, sous l'autorité de l'employeur.
Ici, il convient de relever avec le premier juge que les déclarations de M. [U] ne sont pas remises en cause ni contredites par l'employeur et qu'elles sont confirmées par M. [E], collègue de travail, à savoir que, le 23 mars 2018, M. [U] a ressenti des douleurs au ventre après avoir ventilé sur le quai des rolls de viande pesant entre 500 et 600 kg. M. [U] a expliqué n'avoir pas consulté immédiatement un médecin dès lors que la douleur cédait sous l'effet de la prise d'antalgiques. Il s'est ensuite trouvé en congé du 24 mars au 3 avril 2018 et a expliqué qu'à son retour, le 4 avril 2018, vers 4h du matin, la douleur ressentie, alors qu'il tirait des rolls, a été beaucoup plus forte, ce qui l'a amené cette fois à consulter un médecin. Le certificat médical initial établi le 6 avril 2018 à 12h24 fait état de « douleurs abdominales en tirant des rolls de viande, probable aggravation d'une hernie de la ligne blanche ».
Le 12 avril 2018, la société a émis les réserves suivantes :
« Ledit accident se serait produit le 4 avril 2018. Cependant après analyse par arbre des causes réalisée le 12 avril 2018, en présence du salarié, M. [U] [X], ce dernier a précisé que l'accident initial aurait eu lieu le 23 mars 2018. Or, nous n'avons jamais eu connaissance de tels faits et cela se serait produit sans témoin il y a trois semaines.
Nous vous demandons de bien vouloir effectuer une enquête visant les circonstances exactes de l'accident et nous tenir informés de votre position quant à la suite de ce dossier ».
La cour observe que, dans le cadre de l'enquête administrative diligentée par la caisse, M. [E], collègue de M. [U], a déclaré avoir entendu ce dernier se plaindre à plusieurs reprises d'une douleur au ventre en tirant des rolls, sans se souvenir d'un fait ou d'un événement précis. Par attestation du 4 mars 2018, il a confirmé les propos de M. [U] concernant ses douleurs au ventre le 23 mars 2018. De plus, comme le relève à juste titre le premier juge, le médecin traitant du salarié atteste que la hernie de la ligne blanche a pu se réaliser en deux temps, le 23 mars 2018 puis, avec un élément majeur d'aggravation, le 4 avril 2018. Or, il est constant que l'aggravation d'un état pathologique antérieur n'occasionnant auparavant aucune incapacité doit être indemnisée en sa totalité au titre de l'accident du travail. Au surplus, M. [U] était en congés du 24 mars au 3 avril 2024, ce qui permet de corroborer le fait qu'il ait attendu avant de se rendre chez le médecin, dans l'espoir d'une amélioration de son étant de santé. De plus, la lésion à l'origine du fait accidentel déclaré a été médicalement constatée dans un temps suffisamment proche de l'accident (2 jours après sa reprise du travail).
Il convient donc de considérer que M. [U] justifie d'une série d'événements soudains survenus à des dates certaines, précises, par le fait ou à l'occasion du travail, à l'origine de la lésion médicalement constatée.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu le caractère professionnel de l'accident déclaré, les demandes de la caisse étant subséquemment rejetées.
SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES
La décision attaquée sera infirmée en ses dispositions relatives aux dépens.
L'abrogation, au 1er janvier 2019, de l'article R. 144-10 du code de la sécurité sociale a mis fin à la gratuité de la procédure en matière de sécurité sociale. Pour autant, pour les procédures introduites avant le 1er janvier 2019, le principe de gratuité demeure. En l'espèce, la procédure ayant été introduite le 20 octobre 2018, il n'y avait pas lieu de statuer sur les dépens de première instance.
La CPAM, qui succombe, supportera les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Confirme le jugement, sauf en ses dispositions relatives aux dépens,
Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à condamnation aux dépens de première instance,
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône aux dépens d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE