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12/03/2024 | FRANCE | N°21/06362

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale d (ps), 12 mars 2024, 21/06362


AFFAIRE DU CONTENTIEUX DE LA PROTECTION SOCIALE





RAPPORTEUR





R.G : N° RG 21/06362 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NZE6





S.A. [7]



C/

CPAM DE LA LOIRE

[Z]







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Pole social du TJ de SAINT ETIENNE

du 08 Juillet 2021

RG : 18/00049















































AU NOM DU PEUPLE FR

AN'AIS



COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE D

PROTECTION SOCIALE



ARRÊT DU 12 MARS 2024











APPELANTE :



S.A. [7]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 2]



représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LX LYON, avocat au barreau de LYON substituée par Me Frédéric CARRON, avocat au barreau de L...

AFFAIRE DU CONTENTIEUX DE LA PROTECTION SOCIALE

RAPPORTEUR

R.G : N° RG 21/06362 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NZE6

S.A. [7]

C/

CPAM DE LA LOIRE

[Z]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Pole social du TJ de SAINT ETIENNE

du 08 Juillet 2021

RG : 18/00049

AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE D

PROTECTION SOCIALE

ARRÊT DU 12 MARS 2024

APPELANTE :

S.A. [7]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LX LYON, avocat au barreau de LYON substituée par Me Frédéric CARRON, avocat au barreau de LYON

INTIMES :

CPAM DE LA LOIRE

[Adresse 6]

[Localité 4]

représenté par Mme [C] [L] (Membre de l'entrep.) en vertu d'un pouvoir général

[S] [Z]

[Adresse 1]

[Localité 5]

comparant en personne, assisté de Me François BOULO, avocat au barreau de ROUEN

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 06 Février 2024

Présidée par Delphine LAVERGNE-PILLOT, Présidente, magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Anais MAYOUD, Greffière.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

- Delphine LAVERGNE-PILLOT, présidente

- Anne BRUNNER, conseillère

- Nabila BOUCHENTOUF, conseillère

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 12 Mars 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Delphine LAVERGNE-PILLOT, Magistrate, et par Anais MAYOUD, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS

M. [Z] (le salarié) a été engagé par la société [7] (la société, l'employeur) à compter du 28 novembre 1999, en qualité de vendeur.

Le 9 novembre 2015, la société a établi une déclaration d'accident du travail survenu le 31 octobre 2015 à 13h00, au préjudice de son salarié, dans les circonstances suivantes : « M. [Z] se situait au niveau de la caisse. Altercation avec le conjoint d'une autre salariée [M. [Y]] », déclaration accompagnée d'un certificat médical initial établi par le docteur [O], le 2 novembre 2015, faisant état de « menaces de violences physiques et menaces verbales sur la personne de M. [Z] », « état anxieux ».

Le 2 février 2016, cet accident a été pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire (la caisse, la CPAM) au titre de la législation professionnelle.

M. [Z] a saisi la caisse aux fins d'obtenir la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur et, en l'absence de conciliation, a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale, devenu le pôle social du tribunal judiciaire, le 18 janvier 2018.

Le 9 mars 2018, la caisse a fixé son taux d'incapacité permanente partielle à 27%, dont 7% pour le taux professionnel, au vu des séquelles suivantes : « persistance d'un tableau psychiatrique entrant dans le cadre d'une névrose post-traumatique ».

Par jugement du 8 juillet 2021, le tribunal :

- dit que l'accident du travail dont M. [Z] a été victime le 31 octobre 2015 est dû à la faute inexcusable de la société,

- déclare le jugement commun et opposable à la caisse,

- ordonne la caisse de majorer au montant maximum la rente versée en application de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale, à partir de la date d'attribution initiale de cette rente,

- dit que la majoration de la rente servie en application de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale suivra l'évolution éventuelle du taux d'incapacité attribué,

Avant dire-droit,

- sur la liquidation des préjudices subis par M. [Z], ordonne une expertise judiciaire et désigne pour y procéder le docteur [R],

- dit que la caisse fera l'avance des frais d'expertise à charge de les recouvrer auprès de l'employeur,

- alloue à M. [Z] une provision de 3 000 euros à valoir sur la liquidation de ses préjudices,

- dit que la caisse versera directement à M. [Z] les sommes dues au titre de la majoration de la rente, de la provision et de l'indemnisation complémentaire,

- dit que la caisse pourra recouvrer le montant des indemnisations à venir, provision et majoration accordées à M. [Z] à l'encontre de la société et condamne cette dernière à ce titre,

- dit n'y avoir lieu à prononcer l'exécution provisoire,

- condamne la société à payer à M. [Z] la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à prononcer l'exécution provisoire,

- déboute les parties de leurs autres demandes,

- dit que l'affaire sera reprise sur simple convocation des parties par le greffe à la première audience utile pour poursuite de l'instance après le dépôt du rapport d'expertise.

Par déclaration enregistrée le 30 juillet 2021, la société a relevé appel de cette décision.

Dans ses conclusions n° 2 reçues au greffe le 19 janvier 2024 et reprises oralement sans ajout ni retrait au cours des débats, elle demande à la cour de :

A titre principal,

- infirmer le jugement,

Statuant à nouveau,

- dire et juger que l'accident du travail de M. [Z] du 31 octobre 2015 n'est pas dû à sa faute inexcusable,

- débouter, en conséquence, M. [Z] de l'intégralité de ses demandes à son encontre,

Subsidiairement,

- confirmer le jugement en ce qu'il a donné à l'expert une mission limitant l'appréciation des chefs de préjudice visés par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, et ceux non couverts par le livre IV du même code, sans étendre l'examen aux autres chefs de préjudice de la nomenclature Dintilhac,

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que la caisse fera l'avance des frais d'expertise,

- infirmer le jugement en ce qu'il a alloué à M. [Z] la somme provisionnelle de 3 000 euros,

Statuant à nouveau,

- rejeter la demande de condamnation au paiement de la somme provisionnelle de 5 000 euros formée par M. [Z] comme étant particulièrement non justifiée,

En tout état de cause,

- écarter des débats le courrier de Maître [V] à l'attention de M. [Z] du 19 janvier 2017 pour violation du secret professionnel,

- débouter M. [Z] de toute demande,

- condamner M. [Z] à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [Z] aux entiers dépens d'instance.

Par ses dernières écritures reçues au greffe le 4 octobre 2023 et reprises oralement sans ajout ni retrait au cours des débats, M. [Z] demande à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement, sauf en ce qui concerne le montant de la provision allouée,

- en conséquence, dire et juger que l'accident du travail dont il a été victime le 31 octobre 2015 résulte de la faute inexcusable de la société,

- ordonner que le montant de la rente servie par la caisse au titre de cet accident du travail soit doublé (majoration au taux maximum),

- condamner la société à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de provision à valoir sur la liquidation de ses préjudices,

- ordonner, avant dire-droit, la désignation de tel expert qui plaira au tribunal avec pour mission d'évaluer ses préjudices en suite de l'accident du travail, sans limitation aux postes de préjudices listés à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, et dans les mêmes termes que décrits par le jugement,

- dire que l'expert pourra s'adjoindre tout spécialiste de son choix, à charge pour lui d'en informer préalablement le magistrat chargé du contrôle des expertises et de joindre l'avis du sapiteur à son rapport ; dit que si le sapiteur n'a pas pu réaliser ses opérations de manière contradictoire, son avis sera immédiatement communiqué aux parties par l'expert,

- dire que l'expert devra communiquer un pré-rapport aux parties en leur impartissant un délai raisonnable pour la production de leurs dires écrits auxquels il devra répondre dans son rapport définitif,

- condamner la société à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société aux entiers dépens de l'instance,

- dire et juger l'arrêt à intervenir commun et opposable à la caisse.

Dans le dernier état de ses conclusions reçues au greffe le 14 novembre 2023 et reprises oralement sans ajout ni retrait au cours des débats, la caisse demande à la cour de confirmer qu'elle fera l'avance des sommes dues, qu'elle procédera au recouvrement de l'intégralité des montants avancés auprès de la société (majoration de la rente et indemnisation des préjudices complémentaires), ainsi que des frais d'expertise.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

SUR LA FAUTE INEXCUSABLE DE L'EMPLOYEUR

La société conteste sa faute inexcusable dans l'accident survenu au préjudice de M. [Z]. Elle prétend avoir respecté son obligation de sécurité et considère que l'intervention de M. [Y] constitue un événement imprévisible qu'elle ne pouvait donc prévoir.

En réponse, M. [Z] fait valoir que les conditions de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur sont réunies et que l'agression commise par M. [Y] à son encontre était prévisible puisqu'elle s'est inscrite dans un contexte où Mme [Y] l'injuriait et le menaçait physiquement depuis plusieurs années, sans que la société ne prenne les mesures nécessaires pour mettre fin à cette situation particulièrement dangereuse et angoissante pour lui. Il estime que son employeur ne rapporte pas la preuve du respect de son obligation de sécurité à son endroit.

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers ce dernier d'une obligation de sécurité de moyen renforcée en ce qui concerne les accidents du travail.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié. Il suffit, pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, qu'elle en soit la cause nécessaire, alors même que d'autres facteurs ont pu concourir à la réalisation du dommage.

Le manquement à l'obligation de moyen renforcée précitée a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, la conscience du danger s'appréciant au moment ou pendant la période de l'exposition au risque.

Ici, M. [Z] prétend avoir été victime d'une agression verbale et d'une tentative d'agression physique sur son lieu de travail par l'époux de Mme [Y], sa collègue, le 31 octobre 2015 vers 13h, dans un contexte où les relations de travail entre lui et Mme [Y] étaient conflictuelles depuis de nombreuses années. Il en justifie par le témoignage de Mme [E], présente lors de l'incident, et le fait que cette dernière soit la collègue de travail de M. [Z] ne suffit pas à priver son témoignage de force probante.

La cour retient, en conséquence, que l'accident du travail est matériellement établi et qu'il est constitué par l'agression verbale et la tentative d'agression physique commise à l'encontre de M. [Z] par M. [Y] au temps et au lieu du travail.

Il est constant que Mme [Y] a fait l'objet d'un avertissement le 12 février 2007 en raison des insultes adressées à M. [Z] sur son lieu de travail. Des salariés témoignent par ailleurs de l'agressivité verbale dont Mme [Y] faisait preuve à l'égard de l'intimé. Peu importe, à cet égard, que les attestations produites ne répondent pas aux exigences de l'article 202 du code de procédure civile dès lors qu'elles restent, en tout état de cause, soumises à l'appréciation du juge du fond. Il n'y a pas lieu, en outre, d'écarter des débats pour violation du secret professionnel le courrier du 19 janvier 2017de Maître [V] rédigé à l'attention de M. [Z], cette lettre étant produite par son client lequel n'est pas tenu au secret professionnel.

Un rappel des obligations professionnelles a en outre été adressé par l'employeur, le 25 février 2014, aux deux salariés du fait des propos désobligeants et menaçants qu'ils avaient échangés.

La société [7] avait donc connaissance depuis plusieurs années des relations conflictuelles entre les deux protagonistes et a pris à leur encontre des mesures disciplinaires. Il convient de rappeler que l'accident du travail résulte non pas des menaces proférées par Mme [Y] à l'encontre de M. [Z], mais de l'agression verbale et de la tentative d'agression physique commises par un tiers, en l'occurrence l'époux de Mme [Y], qui sont à l'origine du syndrome dépressif réactionnel sévère constaté sur M. [Z] par son médecin. Ainsi, si Mme [Y] a notamment menacé M [Z] en ces termes : « je vais le crever, le tuer », elle n'est pas l'auteur de l'accident litigieux, même si elle a pu en être l'instigatrice, et n'a jamais menacé de faire intervenir son époux pour mettre ses menaces à exécution. Or, l'employeur ne pouvait raisonnablement prévoir que M. [Y], extérieur à l'entreprise et avec lequel aucun incident ne s'était jamais produit au sein de l'entreprise, s'en serait pris à M. [Z] sur son lieu de travail. Nonobstant les mesures d'apaisement que l'employeur aurait pu prendre dans la relation entre ses deux salariés, il ne peut lui être fait grief de n'avoir pris aucune mesure de prévention visant à empêcher le passage à l'acte de M. [Y], s'agissant d'un événement imprévisible provenant d'un tiers.

En conséquence, il convient d'infirmer le jugement entrepris et de juger que l'accident du travail du 31 octobre 2015 n'est pas dû à la faute inexcusable de l'employeur, les demandes de [Z] étant subséquemment rejetées.

SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES

La décision attaquée sera infirmée en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile.

M. [Z], qui succombe, supportera les dépens d'appel et une indemnité au visa de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais d'avocat engagés par la société tant en première instance qu'à hauteur de cour.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Rejette la demande de la société [7] visant à voir écarter des débats la lettre de Maître [V] à l'attention de M. [Z] du 19 janvier 2017,

Infirme le jugement entrepris, sauf en ses dispositions relatives aux dépens,

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,

Dit que l'accident du travail dont M. [Z] a été victime le 31 octobre 2015 n'est pas dû à la faute inexcusable de la société [7],

Rejette l'intégralité des demandes de M. [Z], y compris au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. [Z] à payer à la société [7] la somme de 2 000 euros pour les frais d'avocat engagés tant en première instance qu'en cause d'appel,

Condamne M. [Z] aux dépens d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale d (ps)
Numéro d'arrêt : 21/06362
Date de la décision : 12/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-12;21.06362 ?
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