AFFAIRE DU CONTENTIEUX DE LA PROTECTION SOCIALE
RAPPORTEUR
R.G : N° RG 21/06234 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NY3Y
CARSAT RHONE- ALPES
C/
[F]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Pole social du TJ de LYON
du 28 Mai 2021
RG : 20/00207
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE D
PROTECTION SOCIALE
ARRÊT DU 12 MARS 2024
APPELANTE :
CARSAT RHONE- ALPES
Services des affaires juridiques
[Adresse 1]
[Localité 4]
représenté par M. [O] [N] (Membre de l'entrep.) en vertu d'un pouvoir spécial
INTIMEE :
[I] [F]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Emmanuel LAROUDIE, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 06 Février 2024
Présidée par Delphine LAVERGNE-PILLOT, Présidente, magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Anais MAYOUD, Greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
- Delphine LAVERGNE-PILLOT, présidente
- Anne BRUNNER, conseillère
- Nabila BOUCHENTOUF, conseillère
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 12 Mars 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Delphine LAVERGNE-PILLOT, Magistrate, et par Anais MAYOUD, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
Par imprimé déposé le 13 avril 2018, Mme [F] a sollicité de la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail (la CARSAT) la délivrance d'une attestation de situation pour un départ en retraite anticipée pour carrière longue.
Le 22 juin 2018, la CARSAT lui a délivré une attestation de situation provisoire lui indiquant la possibilité de bénéficier de sa retraite anticipée à compter du 1er juin 2019 et l'invitant à la recontacter en décembre 2018 pour confirmation de ses droits à retraite anticipée.
Le 4 janvier 2019, Mme [F] a déposé ses 12 bulletins de salaire pour l'année 2018 et indiqué être dans l'attente de l'attestation définitive pour carrière longue.
Le 22 janvier 2019, la CARSAT lui a confirmé la possibilité de demander sa retraite anticipée au 1er juin 2019.
Le 3 février 2019, Mme [F] a signalé des erreurs sur le document de calcul estimatif de sa retraite.
Par lettres des 5 février 2019 puis du 16 juillet suivant, la CARSAT lui a signalé que l'étude de ses droits était terminée depuis le 2 février 2019, qu'elle recevrait sous 7 à 10 jours son attestation de départ anticipé, à son domicile, et qu'elle était invitée à faire sa demande de retraite en ligne 6 mois avant la date d'effet souhaitée.
Le 16 juillet 2019, Mme [F] a déposé une demande de retraite anticipée.
Le 26 juillet 2019, la CARSAT l'a avisée que la date d'effet de sa retraite était fixée au 1er août 2019 et lui a notifié, le 29 juillet 2019, sa décision en ce sens.
Le 30 juillet 2019, Mme [F] a demandé que sa retraite lui soit versée à compter du 1er juillet 2019.
La caisse ayant refusé sa demande, Mme [F] a, le 9 août 2019, saisi la commission de recours amiable afin de solliciter la rétroactivité de ses droits au 1er juillet 2019.
Par décision du 15 janvier 2020, notifiée le 17 janvier 2020, la commission de recours amiable a rejeté sa demande.
Par requête reçue au greffe le 27 janvier 2020, Mme [F] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale, devenu le pôle social du tribunal judiciaire, aux fins de contestation de la décision explicite de rejet de la commission de recours amiable.
Par jugement du 28 mai 2021, le tribunal :
- dit que la date d'effet de la pension de vieillesse de Mme [F] a été à bon droit fixée au 1er août 2019,
En conséquence,
- déboute Mme [F] de sa demande de rétroactivité de pension,
- dit que la CARSAT a commis une faute,
En conséquence,
- condamne la CARSAT à verser à Mme [F] la somme de 890,12 euros à titre de dommages et intérêts,
- condamne la même à verser à Mme [F] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance.
Par déclaration enregistrée le 27 juillet 2021, la CARSAT a relevé appel de cette décision.
Dans le dernier état de ses conclusions reçues au greffe le 3 novembre 2023 et reprises oralement sans ajout ni retrait au cours des débats, elle demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que la date d'effet de la pension de vieillesse de Mme [F] a été justement fixée au 1er août 2019,
- le réformer pour le surplus,
- juger qu'elle n'a commis aucune faute susceptible d'engager sa responsabilité civile,
En conséquence,
- débouter Mme [F] de l'ensemble de ses prétentions, y compris ses demandes pécuniaires,
- condamner Mme [F] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Par ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 13 novembre 2023 et reprises oralement sans ajout ni retrait au cours des débats, Mme [F] demande à la cour de :
A titre principal,
- dire et juger que la décision rendue par le tribunal judiciaire de Lyon a été improprement qualifié en premier ressort,
- déclarer l'appel formé par la CARSAT irrecevable,
A titre subsidiaire,
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a dit que la Carsat avait commis une faute,
- réformer le jugement en ce qu'il a dit que la date d'effet de sa pension de vieillesse été à bon droit fixée au 1er août 2019 et l'a déboutée de sa demande de rétroactivité de pension,
- réformer le jugement sur le montant des sommes allouées,
Statuant à nouveau,
- dire que la date d'effet de sa pension de vieillesse doit être fixée au 1er juillet 2019,
- condamner la CARSAT à lui verser à titre de dommages et intérêts la somme de 1 496,25 euros correspondant au montant de sa retraite de base, outre la somme de 890,12 euros au titre de sa retraite complémentaire pour la période du 1er au 31 juillet 2019,
En tout état de cause,
- débouter la CARSAT de toutes ses demandes,
- confirmer le jugement sur les autres dispositions,
Y ajoutant,
- condamner la CARSAT à lui verser la somme complémentaire de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions susvisées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
SUR LA RECEVABILITE DE L'APPEL
Mme [F] soulève l'irrecevabilité de l'appel formé par la caisse. Elle expose que sa demande est déterminée en ce qu'elle porte sur la date d'entrée en jouissance de sa pension de vieillesse dont les éléments d'évaluation ne sont pas contestés ; que sa demande indemnitaire portant sur la somme totale de 2 386,37 euros et étant inférieur à 5 000 euros, l'appel de la CARSAT est irrecevable.
La CARSAT répond que la demande de Mme [F] est indéterminée en ce qu'elle porte sur la date de liquidation du droit à sa pension de vieillesse de sorte que son appel est recevable.
Le premier alinéa de l'article 536 du même code précise que la qualification inexacte d'un jugement par les juges qui l'ont rendu est sans effet sur le droit d'exercer un recours.
Il est en outre acquis que les demandes se rapportant, par leur objet, aux bases de calcul de la pension de vieillesse, en particulier celle portant sur la date d'effet de la pension de vieillesse, présentent un caractère indéterminé, de sorte que les décisions statuant sur de telles demandes peuvent faire l'objet d'un appel.
Ici, la demande de Mme [F] se rapporte principalement à la date d'effet de sa pension de vieillesse, de sorte que cette demande est indéterminée. C'est donc à bon droit que les premiers juges ont qualifié le jugement déféré en premier ressort, ce qui implique que l'appel de la caisse à l'encontre dudit jugement est recevable.
SUR LA DATE D'EFFET DE LA PENSION DE VIEILLESSE
La CARSAT prétend que, faute pour Mme [F] de rapporter la preuve du dépôt d'une demande dans les formes réglementaires antérieurement à celle présentée le 16 juillet 2019, c'est par une stricte et juste application des dispositions de l'article R. 351-37 du code de la sécurité sociale que le point de départ de son avantage vieillesse a été fixé au 1er août 2019.
En réponse, Mme [F] expose que la chronologie de son dossier révèle qu'elle a bien déposé une demande de retraite avant le 1er juillet 2019, ce que la CARSAT a reconnu expressément aux termes de son mail du 31 juillet 2019. Elle souligne que la preuve d'un récépissé n'est pas exigée par les textes, qu'elle est de parfaite bonne foi et qu'elle n'a pas à souffrir de la défaillance de la caisse.
L'article R. 351-37 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au présent litige, dispose que :
I. - Chaque assuré indique la date à compter de laquelle il désire entrer en jouissance de sa pension, cette date étant nécessairement le premier jour d'un mois et ne pouvant être antérieure au dépôt de la demande. Si l'assuré n'indique pas la date d'entrée en jouissance de sa pension, celle-ci prend effet le premier jour du mois suivant la réception de la demande par la caisse chargée de la liquidation des droits à pension de vieillesse.
II. - L'entrée en jouissance de la pension allouée pour inaptitude au travail ne peut être fixée à une date antérieure au premier jour du mois suivant la date à partir de laquelle l'inaptitude a été reconnue.
III. - L'assuré qui demande à bénéficier des dispositions de l'article L. 351-1-4 en fait la demande auprès de la caisse chargée de la liquidation de sa pension de retraite. Il en est accusé réception.
Cette demande est accompagnée de la notification de rente prévue à l'article R. 434-32 et la notification de la date de consolidation prévue à l'article R. 433-17. Elle comporte en outre, s'il y a lieu, les modes de preuve mentionnés au dernier alinéa du III de l'article L. 351-1-4.
Il résulte de ces dispositions que la preuve de la réception par la caisse de la demande ne peut résulter que de la production du récépissé délivré ou de tout autre document en établissant la réalité.
En l'espèce, il convient de faire sienne la motivation pertinente du premier juge qui a retenu une date d'effet de la retraite anticipée de Mme [F] au 1er août 2019. Il sera simplement ajouté que l'imprimé réglementaire de demande de retraite anticipée signé le 4 février 2019 et la chronologie du dossier invoqués par l'assurée sont inopérants à rapporter la preuve contraire. Il sera au contraire observé que, par mail du 5 février 2019, la CARSAT a informé Mme [F] qu'elle recevrait sous 8 à 10 jours ouvrés son attestation de départ anticipé, précisant la date d'effet de sa pension vieillesse. Cette date correspond en réalité à la première date utile à laquelle l'assurée pouvait prétendre à ce départ anticipé mais à charge pour elle de faire sa demande de retraite personnelle en ligne 6 mois avant la date indiquée, comme le mentionne le mail précité. Or, Mme [F] ne produit aucun document de nature à établir le dépôt d'une demande antérieure à celle du 16 juillet 2019, la production de la photocopie de l'imprimé de demande signé par l'assurée mais sans tampon de la CARSAT étant à cet égard sans emport. Enfin, la circonstance que l'assurée a accompli en parallèle, aux alentours de la date revendiquée, des démarches auprès de la caisse de retraite complémentaire est sans effet sur son droit à retraite de base, s'agissant de deux régimes parfaitement distincts.
En conséquence, la demande de retraite de Mme [F] ayant été déposée le 16 juillet 2019, enregistrée le 23 suivant, puis validée pour mise en paiement le 29 juillet 2019 (pièce 26 de la caisse), la date d'effet de son avantage vieillesse a été à bon droit fixée au 1er août 2019, le jugement étant sur ce point confirmé.
SUR LA DEMANDE DE DOMMAGES ET INTERETS
Mme [F] recherche la responsabilité de la caisse. Elle se prévaut à cet effet de sa faute pour manquement à son devoir de conseil et d'information qui lui imposait de lui rappeler, afin de bénéficier d'un départ anticipé, de déposer son dossier dans les délais. Elle invoque un préjudice subséquent dont le quantum s'élève au montant mensuel de sa pension de vieillesse.
La CARSAT objecte qu'elle n'a commis aucune faute et qu'elle a satisfait à son obligation d'information. Elle ajoute, à titre subsidiaire, que Mme [F] ne justifie d'aucun préjudice au soutien de sa demande de dommages et intérêts.
Selon l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Il est constant que l'obligation d'information et de conseil pensant sur la caisse n'empêche pas l'assuré d'accomplir des démarches personnelles afin de connaître ses droits ou de compléter sa connaissance de sa propre situation.
Au cas présent, il y a lieu de relever, avec la caisse, qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir enregistré une demande réglementaire dont il n'est pas démontré la réalité de l'envoi, ni sa bonne réception par l'organisme. La CARSAT rappelle également à juste titre qu'il appartenait à Mme [F] d'intervenir auprès d'elle avant le mois de juillet 2019 pour solliciter la liquidation de son droit à retraite anticipée par le dépôt de l'imprimé réglementaire prévu, formalité indispensable manifestant sa volonté claire et non équivoque de faire liquider son droit à retraite à effet du 1er juillet 2019. Il n'incombait pas à la CARSAT de prendre l'initiative de la renseigner sur ses droits éventuels. De surcroît, la caisse établit avoir informé Mme [F] des démarches à entreprendre pour obtenir sa pension de retraite de base au régime général (pièces 3 et 5). Enfin, peu importe l'identité de l'interlocuteur de l'assurée, laquelle n'a pas d'effet sur le traitement de sa demande au sein de l'organisme social. L'argument tiré du changement d'interlocuteur est donc inopérant.
La faute de la CARSAT n'étant pas démontrée, la demande de dommages et intérêts de Mme [F] sera rejetée et le jugement réformé en ses dispositions contraires.
SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES
La décision attaquée sera infirmée en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Mme [F], qui succombe, supportera les dépens de première instance et d'appel, sa demande formée au titre des frais irrépétibles étant subséquemment rejetée.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Déclare l'appel de la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail Rhône-Alpes recevable,
Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il rejette la demande de rétroactivité de pension de vieillesse de Mme [F] et dit que sa date d'effet a été à bon droit fixée au 1er août 2019,
Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,
Dit que la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail Rhône-Alpes n'a commis aucune faute susceptible d'engager sa responsabilité civile,
Rejette la demande de dommages et intérêts de Mme [F],
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme [F] formée tant en première instance qu'en cause d'appel,
Condamne Mme [F] aux dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE