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05/07/2023 | FRANCE | N°20/02025

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale a, 05 juillet 2023, 20/02025


AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR



N° RG 20/02025 - N° Portalis DBVX-V-B7E-M5PU



SOCIÉTÉ GREEN INGENERIE

C/

[D]



APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 28 Février 2020

RG : 18/03004









COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE A



ARRÊT DU 05 JUILLET 2023







APPELANTE :



Société GREEN INGENERIE

[Adresse 1]

[Adresse 1]



représen

tée par Me Emmanuelle JALLIFFIER-VERNE de la SELARLU EJV AVOCATS, avocat au barreau de LYON







INTIMÉ :



[T] [D]

né le 11 Juin 1989 à [Localité 4]

[Adresse 2]

[Adresse 2]



représenté par Me Frédéric HORDOT de la SCP BONIFACE-HORDOT-FUMAT...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 20/02025 - N° Portalis DBVX-V-B7E-M5PU

SOCIÉTÉ GREEN INGENERIE

C/

[D]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 28 Février 2020

RG : 18/03004

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 05 JUILLET 2023

APPELANTE :

Société GREEN INGENERIE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Emmanuelle JALLIFFIER-VERNE de la SELARLU EJV AVOCATS, avocat au barreau de LYON

INTIMÉ :

[T] [D]

né le 11 Juin 1989 à [Localité 4]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représenté par Me Frédéric HORDOT de la SCP BONIFACE-HORDOT-FUMAT-MALLON, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 09 Mai 2023

Présidée par Nathalie ROCCI, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Joëlle DOAT, présidente

- Nathalie ROCCI, conseiller

- Anne BRUNNER, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 05 Juillet 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant contrat de travail à durée indéterminée, M. [D] a été embauché à compter du 6 janvier 2014 en qualité de Responsable Projet, position 3.1, coefficient 400, par la SARL Green Ingénierie, entreprise spécialisée dans l'ingénierie des fluides du bâtiment.

En dernier lieu, M. [D] percevait une rémunération brute mensuelle de 3 100 euros.

La convention collective des bureaux d'études techniques était applicable à la relation de travail.

La société Green Ingénierie, dirigée par M. [V]-[K] disposait d'un effectif de deux salariés composé de MM. [D] et [P].

A compter de janvier 2016, des négociations ont été engagées entre le gérant de la société Green Ingénierie et MM. [D] et [P] pour le rachat de la clientèle de l'entreprise.

En raison d'un retard dans le paiement de leurs salaires de janvier 2016, MM. [D] et [P] ont sollicité l'intervention du procureur de la République qui a saisi le tribunal de commerce de Lyon d'une demande de placement de la société Green Ingénierie en redressement judiciaire.

Les salariés ont été réglés de leurs arriérés de salaire et le tribunal de commerce a constaté que la société Green Ingénierie n'était pas en situation de cessation des paiements.

Le 23 février 2016, le gérant de la société Green Ingénierie a informé MM. [D] et [P] de la fin des négociations relatives à la cession de clientèle.

Le 14 mars 2016, un huissier de justice a été mandaté par l'employeur aux fins de procéder à des opérations de constat sur l'ordinateur de M. [P].

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 22 mars 2016, la société Green Ingénierie a convoqué M. [D], le 4 avril 2016, à un entretien préalable à sanction pouvant aller jusqu'au licenciement et lui a notifié sa mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier recommandé en date du 14 avril 2016, M. [D] a été licencié pour faute lourde en ces termes :

« Nous faisons suite à l'entretien préalable auquel vous vous êtes présenté assisté de Monsieur [I], Conseiller du salarié le 4 avril 2016 et au cours duquel nous avons exposé les griefs pour lesquels nous sommes amenés à envisager votre licenciement pour faute lourde.

Lors de votre entretien, vous nous avez fourni aucune explication susceptible de modifier notre appréciation de faits qui vous sont reprochés.

Dans ces conditions, nous vous notifiions par la présente votre licenciement pour faute lourde pour les motifs ci-après exposés.

Vous avez été engagé par la société GREEN INGENIERIE à compter du 6 janvier 2014 en qualité de responsable projet, catégorie Cadre, classé Position 3.1 Coefficient 400.

A votre niveau de responsabilité, nous sommes en droit d'attendre de votre part une loyauté exemplaire dans l'exercice de vos fonctions.

Nous vous reprochons de graves manquements mettant en cause votre loyauté et votre intention de nuire à la société GREEN INGENIERIE.

Nous avons été alertés par une baisse du chiffre d'affaires particulièrement conséquente et inexpliquée sur ces derniers mois ainsi que vos dires et ceux de votre collègue de travail, Monsieur

[L] [P], selon lesquels certains de nos dossiers ne seraient pas susceptibles d'être recouvrés alors même qu'ils avaient été facturés et ne présentaient aucun caractère litigieux,

Plusieurs de nos clients, que nous avons pris la précaution d'interroger, nous ont pourtant confirmé par la suite ne pas rencontrer la moindre difficulté dans le cadre de nos interventions.

La situation est devenue plus préoccupante lorsque certains de nos clients nous ont appris que vous les aviez sollicités avec Monsieur [P] non pas au nom de la société GREEN INGENIERIE mais à titre personnel en leur annonçant la création d'une structure qui viendrait se substituer à GREEN INGENIERIE.

Alertés par ces informations et surtout par votre comportement contradictoire sollicitant tout à la fois une rupture conventionnelle de votre contrat et 'uvrant parallèlement auprès du Tribunal de Commerce pour « dénoncer » une situation mensongère et tronquée, nous avons donc mené des investigations complémentaires qui nous ont conduit à procéder à des opérations de constat par voie d'huissier.

Maître [G], l'huissier de justice que nous avons sollicité, a identifié plusieurs documents relatifs à la création ou au projet de création de la société dont vous et Monsieur [P] également salarié de la société GREEN INGENIERIE, êtes à l'origine.

Maître [G] a ainsi extrait un document intitulé « Dossier prévisionnel sur 3 exercices 04/2016 à 03/2019 » qui indique très clairement que « l'activité principale de ce projet sera Bureau d'études fluide » soit une activité identique à celle de la société GREEN INGENIERIE.

Le document le plus ancien identifié par Maître [G] relatif au projet de la création de la société ETC² est daté du 5 mars 2015.

Maître [G] a également identifié plusieurs lettres signées de clients de la société GREEN INGENIERIE indiquant leur intention de poursuivre leur collaboration avec la société ETC².

Ainsi, notamment la société G2AI a, par courrier du 12 février 2016, écrit à la société ETC² dans les termes suivants :

« Messieurs,

Dans le cadre de notre activité d'Architecture et de Maîtrise d''uvre, nous avons fait appel à vos services au travers de la SARL Green Ingénierie, où vous êtes salariés.

Ce partenariat s'inscrivait en tant que bureau d'études fluides techniques, durant les projets dont nous avions la conduite et la charge.

Nous vous confirmons notre volonté de maintenir cette même collaboration en vous missionnant avec votre nouvelle structure ETC², Etudes Techniques [P]-[D], dès lors de la création. »

Les sociétés SORETECH et TE ARCHITECTURE ont également adressé à la société ETC² un courrier dans les termes strictement identiques.

Maître [G] a au surplus constaté qu'une proposition tarifaire a été faite, le 4 février 2016, à la société CARREFOUR PROPERTY, également cliente de la société GREEN INGENIERIE.

Ces documents mettent en lumière, de manière incontestable, l'existence d'un détournement de clientèle.

Lors de votre entretien vous avez effectivement reconnu la création de cette société avec Monsieur [P]. Vous avez tenté de vous dédouaner par votre souhait de reprise de la société GREEN INGENIERIE, demande à laquelle nous n'avions pas souhaité donné suite.

Lors de notre entretien, si vous avez reconnu ce projet commun avec Monsieur [P], vous avez tenté d'éluder votre participation et votre implication avérée en soutenant que la partie administrative serait essentiellement faite par Monsieur [P].

Au demeurant, en votre qualité d'associé de la structure en cours de constitution, et votre futur statut de Directeur Général, votre participation et votre implication est à tout le moins égale à celle de Monsieur [P].

Il est établi que vous avez avec Monsieur [P] utilisé des documents contractuels appartenant à la société GREEN INGENIERIE dans le cadre de votre future activité concurrente à celle de notre société.

Maitre [G] a identité des documents contenant le projet de logo d'ETC² en haut de la première page mais dont le pied de page contient les références de la société GREEN INGENIERIE et plus particulièrement son numéro de TVA intracommunautaire.

Pire encore, Maître [G] a identifié plusieurs documents dans lesquels vous indiquez clairement vous appuyer sur la clientèle de notre société pour démarrer votre activité.

Ainsi dans le document intitulé « Dossier de création ou de reprise d'entreprise » vous indiquez :

« N'ayant aucune clause de non concurrence, nous sommes donc à même d'assurer le transfert de nos activités actuelles sur cette nouvelle structure sans rupture commerciale d'activité avec nos interlocuteurs, qui aujourd'hui nous font toujours confiance.

A la question « Comment pensez-vous trouver vos premiers clients ' », vous répondez :

« Transfert de notre ancienne entreprise puisque absence d'attestations générant de fait une rupture de contrat »

Le document intitulé « Dossier prévisionnel sur 3 exercices de 04/2016 à 03/2019 » précise quant à lui, à la partie relative au lancement de l'activité, les projections suivantes :

« En rachetant les contrats de notre ancien employeur nous avons une facturation assurée sur le début 2016. Nos contacts actuels confirment également la continuité et la confiance de nos donneurs d'ordre, à ce jour nous avons également quelques projections de commandes sur le premier semestre 2016.

- Reprise des contras sur 2016 : 89 048, 50 euros HT

- Commandes à venir sur avril : 25 320,00 euros HT

- Nouveaux Projets sur 2016 : 25 000,00 euros HT »

Vos projets étaient donc initialement basés sur le rachat d'une partie de notre clientèle.

Nous notons d'ailleurs que « la reprise des contrats sur 2015 » pour un montant de 89 048,50 euros HT correspond à nos créances clients qui restent à ce jour impayées du fait de vos man'uvres dolosives !!!

En ce qui concerne les commandes à venir sur avril pour un montant de 25 320,00 euros, cela révèle sans conteste que vous avez engagé des démarches commerciales durant votre temps de travail pour la société GREEN INGENIERIE.

D'ailleurs, lorsque l'on analyse vos courbes de facturation, nous notons, à compter de mai 2015 que le chiffre d'affaires est systématiquement inférieur à celui réalisé à la même période l'année précédente.

Plus grave encore, nous constatons que sur décembre 2015, janvier et février 2016, la facturation réalisée atteint le montant dérisoire de 2.000 euros mensuel.

Pourtant, quel que soit le chiffre d'affaires que vous avez réalisé, nous vous avons toujours payé en temps et en heure.

Vous avez avec Monsieur [P] souhaité obtenir une rupture conventionnelle de votre contrat de travail à laquelle nous n'avons donné aucune suite.

Notre refus a bouleversé vos plans déjà bien établis, puisque vous déclariez déjà la date du 9 février 2016 avec Monsieur [P], être déjà demandeur d'emploi comme on atteste le document intitulé

« Dossier de création ou de reprise d'entreprise ».

Votre réaction ne s'est pas faite attendre puisque, 3 jours après, avec Monsieur [P] vous 'uvriez auprès du Tribunal de Commerce de Lyon pour dénoncer une situation inexacte et amplement déformée de l'état économique de notre société, espérant ainsi obtenir une reprise dans de meilleures conditions de notre structure.

Vous avez ainsi mis en avant le fait que vous n'aviez pas été réglé de vos salaires alors même que nous vous avions expliqué que le début du mois de février 2016 avait été particulièrement perturbé par le départ soudain en congé maternité de la personne en charge de la paie.

Nous avons dû missionner du jour au lendemain une société pour gérer toutes les fiches de paie.

Malheureusement cette société ne pouvait intervenir qu'à compter du 11 février.

Telle est la raison pour laquelle un acompte de 80% vous a été réglé le 2 février et la paie effectivement établie le 9 février.

Nous vous avons d'ailleurs remis, à cette date, un chèque qui a été immédiatement encaissé le jour ou vous-même et Monsieur [P], avez ensemble pris l'initiative d'écrire au Tribunal de Commerce.

Vous avez vu, dans ce léger retard de paiement, aux motifs plus que légitimes et dont vous aviez pleinement connaissance, l'occasion de mettre un peu plus à mal notre société.

Vous n'avez d'ailleurs pas hésité à faire part de vos intentions dolosives.

Votre manque de loyauté manifeste à l'égard de notre société et de son dirigeant, caractérisée notamment par le détournement de notre clientèle, l'utilisation frauduleuse de nos documents de travail, le dénigrement de notre société auprès de tiers rendent impossible la poursuite de votre contrat de travail.

Au regard de la gravité des faits qui vous sont reprochés et de votre intention manifeste de nuire à notre société, nous vous notifions par la présente votre licenciement immédiat pour faute lourde.

Le licenciement prend donc effet à la date d'envoi du présent courrier, sans aucune indemnité.

Nous vous rappelons que vous faites l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire. Par conséquent, la période non travaillée durant la période de mise à pied conservatoire no vous sera pas rémunérée. »

Par lettre recommandée en date du 17 mai 2016, la société Green Ingénierie a saisi le procureur de la République de [Localité 3] d'une plainte pour abus de confiance et recel d'abus de confiance à l'encontre de MM. [D] et [P] et de la société ETC2.

Par jugement en date du 1er mars 2018, le tribunal correctionnel de Saint-Etienne a relaxé MM. [D] et [P] des chefs d'abus de confiance et la société ETC2 du chef de recel d'abus de confiance.

Par requête en date du 29 mai 2018, M. [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon en lui demandant de dire son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et de condamner la société Green Ingénierie à lui verser diverses sommes à caractère indemnitaire et commercial.

Par jugement en date du 28 février 2020, le conseil de prud'hommes a :

- dit qu'il y a autorité de la chose jugée au motif que licenciement n'est pas motivé par d'autres faits que ceux ayant donné lieu à la décision de relaxe du tribunal correctionnel,

- dit et jugé que le licenciement de M. [D] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamné la SARL Green Ingénierie à payer à M. [D] les sommes suivantes :

* 18 600 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 6 200 euros d'indemnité compensatrice de préavis,

* 1 680 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 620 euros au titre des congés payés sur préavis,

* 1 550 euros au titre de la mise à pied à titre conservatoire,

* 155 euros de congés payés afférents,

* 159,63 euros au titre de rappel sur les frais de déplacement du mois de mars 2015,

- condamné la Sarl Green Ingénierie à verser à M. [D] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté la Sarl Green Ingénierie de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire autre que celle de droit,

- rappelé qu'aux termes des dispositions de l'article R. 1454-28 du Code du travail, sont exécutoires de droit à titre provisoire, les jugements ordonnant la délivrance de toutes pièces que l'employeur est tenu de remettre (bulletins de paie, certificat de travail') ainsi que les jugements ordonnant le paiement des sommes au titre des rémunérations et indemnités visées à l'article R.1454-14 du Code du travail dans la limite de neuf mensualités,

- fixé les salaire mensuel moyen de Monsieur à 3 100 euros,

- rappelé que les intérêts courent de plein droit au taux légal à compter de la mise en demeure de la partie défenderesse devant le bureau de conciliation en ce qui concerne les créances de nature salariale et à compter du prononcé de la présente décision pour les autres sommes allouées,

- condamné la Sarl Green Ingénierie aux entiers dépens, y compris les éventuels frais d'exécution forcée.

La société Green Ingénierie a interjeté appel de ce jugement, le 13 mars 2020.

Par conclusions notifiées le 20 mai 2020, elle demande à la cour de :

Réformant en tous points les dispositions du jugement rendu le 28 février 2020 par le conseil de prud'hommes de Lyon en sa section activités diverses, et statuant à nouveau :

- constater que les licenciements pour faute lourde notifiés à MM. [D] et [P] reposent sur des motifs identiques,

- constater que le licenciement pour faute lourde de M. [P] a été validé par jugement définitif rendu par le conseil de prud'hommes de Lyon en sa section encadrement le 26 septembre 2019,

- dire et juger que le licenciement de M. [D] repose de la même manière sur une faute lourde,

- débouter M. [D] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions, comme étant infondées et injustifiées,

Très subsidiairement,

- dire et juger que le licenciement notifié à M. [D] repose sur une faute grave,

- réduire à de plus justes proportions les sommes éventuellement allouées à M. [D],

En tout état de cause :

- débouter M. [D] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions, comme étant infondées et injustifiées,

- débouter M. [D] de sa demande tendant au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Par conclusions notifiées le 20 septembre 2021, M. [D] demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu le 28 février 2020 par le conseil de prud'hommes de Lyon dans toutes ses dispositions,

- dire et juger sans cause réelle et sérieuse son licenciement notifié par la société Green Ingénierie le 13 avril 2016,

- condamner la société Green Ingénierie à lui verser les sommes suivantes :

*indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (6 mois) : 18 600 euros,

*indemnité compensatrice de préavis (2 mois : art 15 de la CCN) : 6 200 euros,

*indemnité conventionnelle de licenciement (art 19 de la CCN) : 1 680 euros,

*congés payés sur préavis : 620 euros,

*mise à pied conservatoire : 1 550 euros,

*congés payés sur préavis : 155 euros,

*frais de déplacement (mars 2015) : 159,63 euros,

- condamner la société Green Ingénierie au paiement de l'intérêt légal sur ces sommes, à compter de la saisine du conseil de prud'hommes pour les sommes revêtant un caractère salarial et à compter du jugement du 28 février 2020 concernant les créances indemnitaires,

- ordonner la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du Code civil,

- condamner la société Green Ingénierie à lui payer la somme de 3 000 euros à titre de participation sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Green Ingénierie à supporter l'intégralité des frais d'exécution en ce compris les sommes retenues par l'huissier instrumentaire au titre de l'article A 444-32 du Code de commerce,

- condamner la société Green Ingénierie à supporter les dépens de la présente procédure.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 mars 2023.

SUR CE :

- Sur l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil :

La société Green Ingénierie fait valoir que les faits pénalement poursuivis étaient bien distincts des griefs reprochés à M. [D] dans sa lettre de licenciement, laquelle ne mentionne pas un abus de confiance mais de graves manquements à son obligation de loyauté qui constituent une faute civile indépendante de l'infraction pénale.

M. [D] fait valoir que la plainte pénale déposée par la société Green Ingénierie pour abus de confiance renvoie aux mêmes faits que ceux mentionnés dans sa lettre de licenciement pour déloyauté (utilisation des outils de la société à des fins personnelles, utilisation du temps de travail rémunéré par son employeur afin de développer une autre société, détournement de clientèle), et que l' employeur n'a pas contesté la décision de relaxe rendue par le tribunal correctionnel, de sorte qu'elle est devenue définitive et que la chose jugée au pénal s'impose à la juridiction prud'homale.

****

L'autorité de la chose jugée au pénal s'impose au juge civil relativement aux faits constatés qui constituent le soutien nécessaire de la condamnation pénale.

Une décision de relaxe ne s'impose aux juridictions civiles que dans la mesure de ce qui a été nécessairement jugé.

Par jugement rendu le 11 janvier 2018, le tribunal correctionnel de Saint-Etienne a relaxé, notamment M. [D] et M. [P] des fins de la poursuite. Ces deux salariés étaient prévenus :

« d'avoir à [Localité 5] et en tout cas sur le territoire national entre le 1er mars 2015 et le 29 mars 2016, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription, étant salarié de la société Green Energie, détourné en faisant usage pour son compte personnel et celui de la société qu'il était en train de former : ETC2, des fichiers clients, le numéro SIREN, des documents contractuels de la société Green Energie, la matériel fourni par l'employeur, en l'espèce en utilisant le fichier client Green Energie en vue de les convaincre de changer de prestataire, utilisant dans les documents au nom de ETC2 le numéro SIREN de la société Green Energie, en utilisant l'ordinateur fourni par son employeur , la société Green Energie, notamment pour créer un tableau de bord de la future société et effectuer les différentes démarches en vue de sa création, documents et biens qui lui avaient été remis à charge d'en faire un usage déterminé, en l'espèce en les utilisant pour le compte et dans l'intérêt de la société Green Ingenierie, ce au préjudice de la société Green Energie représenté par [R] [V] dit [K]. »

Il s'agit de faits d'abus de confiance prévus par l'article 314-1 du code pénal et réprimés par les articles 314-1 alinéa 2, et 314-10 du code pénal.

Il apparaît que sous la qualification pénale d'abus de confiance, les faits poursuivis devant le tribunal correctionnel étaient strictement identiques à ceux reprochés à M. [D] au soutien de son licenciement, s'agissant du détournement de la clientèle de la société Green Ingénierie et de l'utilisation à cette fin, des documents contractuels ou de travail de Green Ingénierie.

Et le manquement à l'obligation de loyauté invoqué par la société Green Ingénierie comme seul motif du licenciement, manquement qui résulterait notamment de la violation de la clause d'exclusivité figurant dans le contrat de travail de M. [D] et plus généralement du non- respect de son obligation de consacrer toute son activité et tous ses soins à l'entreprise Green Ingénierie, repose exclusivement sur le détournement de clientèle dans le cadre du projet de création d'une société concurrente ETC2 par MM. [D] et [P].

La relaxe pure et simple des fins de la poursuite, sans plus de précisions, signifie que les éléments constitutifs de l'infraction ne sont pas caractérisés, de sorte que la faute civile qui repose sur les mêmes éléments matériels ne peut être retenue comme un élément objectif justifiant le licenciement.

Outre les faits de détournement de clientèle et de documents contractuels, la lettre de licenciement vise le grief de « dénigrement de la société auprès de tiers « et reproche à M. [D] ainsi qu'à M. [P] d'avoir oeuvré auprès du Tribunal de Commerce de Lyon pour dénoncer une situation inexacte et amplement déformée de l'état économique de la société.

Ainsi, la société Green Ingénierie impute à M. [D] une tentative d'obtenir un dépôt de bilan de son employeur en vue de racheter la société à bas prix.

Il s'agit là de faits distincts pour lesquels le principe de l'autorité de chose jugé ne saurait être invoqué.

Mais, la cour observe d'une part que si le tribunal de commerce a rendu le 28 avril 2016, une décision constatant que la société Green Ingénierie ne se trouvait pas en état de cessation des paiements et qu'il n'y avait pas lieu d'ouvrir une procédure collective à son encontre, il résulte des débats que la juridiction commerciale a été saisie par le Procureur de la République, à la requête de M. [P] au motif d'un retard de paiement de salaires non contesté par la société Green Ingénierie.

Il en résulte que ces circonstances ne permettent pas de caractériser le dénigrement imputé à M. [D], dénigrement que la société Green Ingénierie n'illustre par aucun autre élément.

Le jugement déféré est en conséquence confirmé en ce qu'il a jugé que l'autorité de chose jugée attachée au jugement correctionnel du 11 janvier 2018 qui a prononcé la relaxe de M. [D], s'impose au conseil de prud'hommes et en ce qu'il a dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

- Sur la demande de rappel de frais sur le mois de mars 2015 :

M.[D] sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Green Ingénierie à lui payer la somme de 159,63 euros au titre de frais de déplacement au mois de mars 2015.

La société Green Ingénierie s'oppose à cette demande en faisant valoir qu'elle n'est justifiée par aucun élément.

****

M. [D] produit des copies de reçus de péage autoroutier ainsi qu'un état de frais partiellement illisible et signé par lui seul. Ces éléments sont insuffisants à fonder sa demande. M. [D] est débouté de sa demande de rappel de frais de déplacements et le jugement déféré est infirmé sur ce point.

- Sur les demandes indemnitaires de M. [D] :

1°) sur les indemnités de rupture :

Le licenciement étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, le salarié peut prétendre au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, ainsi qu'à une indemnité conventionnelle de licenciement ; aucune des parties ne remet en cause, même à titre subsidiaire, les bases sur lesquelles le conseil de prud'hommes a liquidé les droits de M. [D]; le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Green Ingénierie à payer à M. [D] les sommes suivantes :

* 6 200 euros (3 100 x 2) à titre d'indemnité compensatrice de préavis, conformément aux dispositions de l'article 15 de la convention collective applicable,

* 620 euros de congés payés afférents,

* 1 680 euros à titre d'indemnité conventionnelle, conformément à l'article 19 de la convention collective

2°) Sur les dommages- intérêts :

M. [D] qui était employé dans une entreprise dont il n'est pas contesté que l'effectif était habituellement inférieur à onze salariés, peut prétendre, en application de l'article L.1235-5 ancien du code du travail à une indemnité calculée en fonction du préjudice subi; il déclare qu'il est toujours allocataire de Pôle Emploi en dépit de la création de sa société ETC2, mais il ne verse au débat qu'un courrier de Pôle Emploi daté du 11 septembre 2017 indiquant qu'il avait été admis au bénéfice de l'allocation d'aide au retour à l'emploi du

14 avril 2016 au 31 août 2017, à l'exclusion de tout document permettant de reconstituer l'évolution de sa situation professionnelle et de ses ressources depuis le 31 août 2017, étant précisé que la société ETC2 dont M. [D] est le directeur général et M. [P] le Président, est immatriculée depuis le 26 avril 2016.

En conséquence, la cour estime que le préjudice résultant pour M. [D] de la rupture de son contrat de travail doit être indemnisé par la somme de 6 200 euros, et rejette la demande pour le surplus.

Le jugement qui lui a alloué la somme de 18 600 euros à ce titre est infirmé.

3°) Sur le rappel de salaires au titre de la mise à pied conservatoire :

En l'absence de licenciement pour faute lourde, la société Green Ingénierie est redevable des salaires dont elle a privé M. [D] durant la période de mise à pied conservatoire du 22 mars 2016 au 14 avril 2016, date de réception de la lettre de licenciement pour la somme de 1 550 euros outre les congés payés afférents. Le jugement déféré est confirmé.

- Sur les demandes accessoires :

Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a mis à la charge de la société Green Ingénierie les dépens de première instance et en ce qu'il a alloué à M. [D] une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Green Ingénierie, partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, sera condamnée aux dépens d'appel.

L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d'appel dans la mesure énoncée au dispositif.

La cour fait droit à la demande de capitalisation des intérêts au visa des dispositions de l'article 1343-2 du code civil selon lequel, les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une décision de justice le précise.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement

CONFIRME le jugement déféré, sauf en ce qu'il a condamné la société Green Ingénierie à payer à M. [D] la somme de 18 600 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et la somme de 159,63 euros de rappel de frais de déplacement

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant

CONDAMNE la société Green Ingénierie à payer à M. [D] la somme de 6 200 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

DÉBOUTE M. [D] de sa demande de rappel au titre des frais de déplacement du mois de mars 2015

DIT que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt

CONDAMNE la société Green Ingénierie à payer à M. [D] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel,

CONDAMNE la société Green Ingénierie aux dépens d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale a
Numéro d'arrêt : 20/02025
Date de la décision : 05/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-07-05;20.02025 ?
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