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05/07/2023 | FRANCE | N°20/01900

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale a, 05 juillet 2023, 20/01900


AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR



N° RG 20/01900 - N° Portalis DBVX-V-B7E-M5GP



SOCIÉTÉ KONICA MINOLTA BUSINESS SOLUTIONS FRANCE

C/

[Y]



APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 13 Février 2020

RG : F 18/03722







COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE A



ARRÊT DU 05 JUILLET 2023







APPELANTE :



Société KONICA MINOLTA BUSINESS SOLUTIONS FRANCE

[Adresse 1]



[Adresse 1]



représentée par Me Fabrice LAFFON de l'AARPI FOURNIER LABAT-SIBON ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS







INTIMÉ :



[L] [Y]

né le 27 Décembre 1960 à [Localité 6]

[Adresse 2]

[Adresse 2]



représent...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 20/01900 - N° Portalis DBVX-V-B7E-M5GP

SOCIÉTÉ KONICA MINOLTA BUSINESS SOLUTIONS FRANCE

C/

[Y]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 13 Février 2020

RG : F 18/03722

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 05 JUILLET 2023

APPELANTE :

Société KONICA MINOLTA BUSINESS SOLUTIONS FRANCE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Fabrice LAFFON de l'AARPI FOURNIER LABAT-SIBON ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉ :

[L] [Y]

né le 27 Décembre 1960 à [Localité 6]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représenté par Me Christian DELUCCA, avocat au barreau de NICE

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 09 Mai 2023

Présidée par Nathalie ROCCI, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Joëlle DOAT, présidente

- Nathalie ROCCI, conseiller

- Anne BRUNNER, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 05 Juillet 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant contrat de travail à durée indéterminée, M. [Y] a été embauché à compter du 20 décembre 1989, en qualité d'Attaché commercial, par la société Minolta, laquelle a ensuite fusionné avec la société Konica au sein de la société Konica Minolta Business Solutions France (ci-après « KMBSF »), ayant pour activité la fabrication, la vente, la maintenance et la distribution de matériels bureautiques.

En vertu d'un avenant du 30 juin 2015, M. [Y] occupait la fonction d'Ingénieur Commercial Production Printing (ICPP) 1, statut cadre, position II, coefficient 135 et percevait, au dernier état de la relation contractuelle, une rémunération composée d'une part fixe de

2 950 euros bruts mensuels et de primes et commissions calculées selon les modalités prévues dans un Plan de Rémunération des Ventes (PRV).

La moyenne mensuelle de ses 12 derniers mois d'activité était de 3 499,34 euros bruts.

La convention collective nationale des ingénieurs et des cadres de la métallurgie du 13 mars 1972 était applicable à la relation de travail.

Par courrier recommandé en date du 16 janvier 2018, M. [Y] a été convoqué par son employeur à un entretien en vue de son éventuel licenciement, initialement fixé le 30 janvier 2018, puis reporté au 14 mars 2018.

Par lettre recommandée en date du 27 mars 2018, M. [Y] a été licencié pour insuffisance professionnelle en ces termes :

« Nous sommes au regret de vous informer de notre décision de procéder à votre licenciement pour insuffisance professionnelle.

Lors de l'entretien préalable du 14 mars 2018, au cours duquel vous avez souhaité être assisté de Monsieur [P] [Z] ' Membre du Comité d'Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail, nous vous avons exposé les différents griefs qui nous amenaient à envisager la rupture de votre contrat de travail.

Ainsi, cet entretien préalable n'a pas été de nature à modifier notre appréciation de la situation.

Cette mesure de licenciement est fondée sur les motifs suivants :

Vous êtes entré dans la Société le 20 décembre 1989 et occupez actuellement le poste d'Ingénieur Commercial Production Printing (ICPP) 1 au sein de l'équipe de Monsieur [N] [D], Responsable du Développement des Marchés Production Printing, au sein de l'agence de Caluire.

En tant qu'ICPP vous devez, principalement, sur un secteur géographique défini, gérer un portefeuille de clients et prospects et réaliser les objectifs qui vous sont assignés et ce, en collaboration avec l'équipe des Ingénieurs Commerciaux Grands Comptes auprès de qui vous intervenez en support avec deux cibles principales qui sont les Grands Comptes Privés et les Grands Comptes Publics.

Bien évidemment, vous réalisez vos missions dans le respect de la méthodologie applicable au sein de KMBSF (dont vous avez connaissance) et dans le respect des directives de votre management.

Depuis plusieurs mois, nous constatons une insuffisance de résultats, résultats qui sont très en-deçà des objectifs fixés au sein de la catégorie à laquelle vous appartenez et pas du tout au niveau d'activité que nous en sommes en droit d'attendre de vous ' étant précisé que les autres membres de l'équipe affichent des résultats plus élevés.

En effet, alors que vous aviez sous-performé sur le 2ème semestre de l'exercice fiscal 2016/2017 durant lequel vous n'atteignez que 25% de vos objectifs en CA Net Total et 30% de vos objectifs en Placements, cette tendance se confirme sur l'exercice 2017/2018 comme le montrent les résultats suivants :

Sur l'exercice 2017/2018 ; au 28 février 2018, vous affichez un taux de réalisation de 11% en CA Net Total soit un montant de 99 469 € et un taux de réalisation de 24% en Placements.

Plus précisément :

' Au 1er trimestre de cet exercice, vous atteignez environ 9% des objectifs qui vous sont fixés en CA Net Total (CA de 23 768 €) et 20% de vos objectifs en Placements ;

' Au 2ème trimestre de cet exercice, vous réalisez 22% de vos objectifs en CA Net Total (CA de 40 000 €) et 25% de vos objectifs en Placements ;

' Au 3ème trimestre de cet exercice, vous atteignez 15% de vos objectifs en CA Net Total (CA de 37 998 €) et 22% de vos objectifs en Placements ;

' Au mois de février 2018, vous étiez en arrêt de travail.

Face à cette situation alarmante de vos résultats, différents Plans d'Actions Commerciales ont été mis en place et dernièrement, un Plan d'Accompagnement de Retour à la Performance (PARP) a été mis en place dès le mois de septembre 2017 afin de vous accompagner et de vous permettre de retrouver un niveau d'activité plus satisfaisant. En outre, votre manager vous a alerté sur cette situation lors de votre entretien annuel d'évaluation en juin 2017.

Malheureusement, vous n'avez pas été capable de retrouver un niveau de résultats satisfaisant (comme le montrent les chiffres ci-dessus) ' confirmant ainsi votre insuffisance professionnelle.

En effet, il est régulièrement fait état d'un manque de résultats dans la découverte de nouveaux comptes d'un manque de prospection et les risques de ces insuffisances sur votre portefeuille d'affaires.

Bien évidemment, ces résultats ont eu une incidence sur les résultats de l'équipe puisque vous affichez un retard de plus de 803 531 € de chiffre d'affaires depuis le début de l'exercice.

Votre management vous a pourtant accompagné afin d'identifier les actions à mettre en 'uvre pour améliorer vos résultats et augmenter le nombre d'affaires en portefeuille. Votre manager a ainsi mis en place plusieurs actions, vous a notamment demandé de :

' orienter votre travail de découverte ;

' augmenter votre productivité en T-day ;

' porter une attention particulière à l'ouverture du ciblage et à la qualité des découvertes que vous devez effectuer ;

' augmenter votre activité de démonstration qui est le baromètre des réalisations à venir ;

' travailler plusieurs dossiers en conclusions chaque mois afin de mener à la conclusion au moins deux dossiers (en prenant en compte un taux de transformation de 30%) ;

' développer votre activité de prospection sur les cibles prioritaires ;

' préparer vos rendez-vous clients avec votre manager et faire des rendez-vous clients avec les Ingénieurs Commerciaux ;

' de qualifier correctement les comptes dans l'outil Falcon et de renseigner votre portefeuille.

Malgré la mise en place du PARP et de l'accompagnement afférent, vous avez présenté une difficulté récurrente à prendre en main votre mission et à atteindre vos objectifs. En effet, durant cette période, votre manager avait décidé de pondérer vos objectifs (à hauteur de 80%) afin de vous permettre d'avoir un taux de réalisation plus satisfaisant et de vous accompagner sur ces trois mois. Malheureusement, au cumul, nous n'atteindrez que 19% de l'objectif CA Net Total fixé dans le PARP et 25% de l'objectif Placements fixé dans le PARP.

Lorsque nous regardons une période plus longue, depuis le 1er janvier 2017, vous n'avez atteint que 12% de vos objectifs en CA Net Total ' ce qui n'est plus acceptable.

Vous n'avez pas cru bon devoir prendre en compte ces points, n'avez mis en place aucune action significative nouvelle et vous avez persisté dans votre comportement et façon de travailler.

Il nous semble également que vous avez adopté une attitude d'opposition et non de construction comme a pu vous l'indiquer votre manager à plusieurs reprises, notamment lors de votre dernier entretien annuel d'évaluation et dernièrement lors de l'entretien du 14 mars 2018.

Au cours de l'entretien préalable, vous n'avez de toute évidence pas saisi l'importance des carences que nous avons mis en évidence et avez principalement évoqué des raisons de marché.

Vous comprendrez qu'en considération de cette présentation, nous ne pouvons envisager la poursuite de la relation contractuelle qui nous lie et notifions par la présente, la rupture de votre contrat de travail.

Croyez bien que nous sommes les premiers à le regretter ».

M. [Y] a été dispensé de l'exécution de son préavis de six mois.

Par requête en date du 24 avril 2018, M. [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon en lui demandant de dire son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et de condamner son employeur à lui verser diverses sommes à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de rappel de salaire et dommages et intérêts pour licenciement abusif.

Par jugement en date du 13 février 2020, le conseil de prud'hommes a :

- dit et jugé le licenciement de M. [Y] sans cause réelle ni sérieuse,

- condamné la société KMBSF à verser à M. [Y] la somme de 50 000 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

- condamné la société KMBSF à verser à M. [Y] la somme de 1 700 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les parties de toutes autres demandes, ou demandes plus amples ou contraires,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné la société KMBSF aux entiers dépens de l'instance, en ce compris les éventuels frais d'exécution forcée du présent jugement.

La société KMBSF a interjeté appel de ce jugement, le 9 mars 2020.

Dans ses conclusions notifiées le 24 février 2023, elle demande à la cour de :

- la recevoir en ses demandes, fins et conclusions,

L'y disant bien fondée,

- infirmer le jugement rendu le 13 février 2020 par le conseil de prud'hommes de Lyon en ce qu'il a considéré que le licenciement de M. [Y] était dépourvu de cause réelle et sérieuse et l'a condamnée en conséquence à lui payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- le confirmer pour le surplus,

Statuant à nouveau,

- dire et juger bien fondé le licenciement prononcé le 27 mars 2018,

En conséquence,

- débouter M. [Y] de l'intégralité de ses demandes fins et conclusions,

- condamner M. [Y] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

- le condamner aux entiers dépens.

M. [Y] a formé appel incident partiel.

Dans ses conclusions notifiées le 16 janvier 2023, il demande à la cour de :

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit et jugé son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- l'infirmer pour le surplus et condamner la société KMBSF à lui verser :

68 238 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

19 800 euros de rappel de salaire et 1 980 euros de congés payés afférents,

10 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

3 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais de procédure de première instance et d'appel.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 mars 2023.

Sur le licenciement :

La société KMBSF fait valoir que :

- elle a été contrainte de licencier M. [Y] au regard d'une insuffisance de résultats devenue pérenne, et de fait, caractéristique d'une insuffisance professionnelle,

- M. [Y] n'a atteint que partiellement les objectifs qui lui avait été fixés pour l'exercice 2016/2017 (à hauteur de 25% en termes de chiffres d'affaires net total et à hauteur de 30% s'agissant de placements), et que la baisse significative de ses résultats s'est poursuivie au cours de l'exercice 2017/2018, et ce malgré la mise en place d'un suivi renforcé au travers d'un Plan de Retour à la Performance (PRP) et de la réduction de ses objectifs, ramenés à 80%,

- le salarié s'inscrivait depuis plusieurs mois dans une logique de repli, marquée par une incapacité à travailler en équipe et ne parvenait pas à appréhender les missions et objectifs fixés,

- M. [Y] n'a pas été capable de mettre en 'uvre la méthodologie précise décrite à l'occasion de son plan de retour à la performance,

- M. [Y] ne renseignait pas correctement le CRM malgré des mises en garde régulières et répétées,

- les résultats de M. [Y] apparaissaient comme les plus faibles des Ingénieurs-Commerciaux de sa catégorie, en dépit de la fixation d'objectifs adaptés et atteints par les autres Ingénieurs-Commerciaux,

- il y a toujours eu trois Ingénieurs Commerciaux Production Printing au sein de l'équipe de M. [D], de sorte que le salarié ne peut invoquer une inadéquation entre les potentiels attribués et les objectifs fixés,

- les résultats de l'équipe sont significativement meilleurs depuis l'arrivée du successeur de M. [Y].

La société KMBSF soutient que M. [Y] ne peut, dans ces conditions, se prévaloir d'une crise du secteur de l'imprimerie, dans la mesure où la situation économique globale est prise en compte lors de la fixation des objectifs, et que son licenciement est indépendant de toute réorganisation.

M. [Y] expose à titre liminaire que son licenciement s'inscrit dans un contexte de réorganisation et de restructuration de l'entreprise, la société KMBSF procédant depuis 2012 et par touches successives au rachat et à la prise en location gérance de filiales ou de revendeurs, ainsi qu'à la suppression de certaines agences, le tout en préparation d'un plan de sauvegarde de l'emploi annoncé depuis le mois de septembre 2019 et mis en oeuvre au 1er avril 2021, avec un an de retard pour cause de Covid.

M. [Y] évoque plusieurs licenciements de salariés ayant une ancienneté importante et la volonté de la société de rajeunir la pyramide des âges de ses commerciaux, ainsi que les décisions de cours d'appels ayant sanctionné ces licenciements jugés sans cause réelle et sérieuse.

M. [Y] fait valoir que :

- sa lettre de licenciement énonce des motifs imprécis alors que la jurisprudence constante affirme que l'insuffisance professionnelle, même avérée, n'est pas en soi une cause de licenciement et que les conditions fixées par la Cour de cassation afin de considérer l'insuffisance professionnelle comme légitimant le licenciement ne sont pas réunies,

- il avait près de 29 ans d'ancienneté au sein de la société KMBSF, avec plusieurs promotions successives et sans qu'aucun reproche ne lui ait été fait,

- l'insuffisance de résultats qui lui est reprochée est imputable à son employeur en raison d'une part, d'une inadéquation entre le potentiel clients et prospects qui lui avait été attribué et les objectifs fixés (le secteur Rhône Alpes / Auvergne n'ayant un potentiel que pour un seul commercial ICPP GC), et de l'absence de formation pour son nouveau poste, d'autre part,

- il n'y a pas d'insuffisance de résultats quand les résultats du salarié concerné sont identiques ou supérieurs à ceux de ses collègues et la comparaison au niveau national démontre que 10 ICPP étaient classés derrière lui, étant précisé que son poste était une création,

- ses résultats sont élogieux dans le Top 10 ICPP d'avril à septembre 2016,

- les objectifs fixés par son employeur étaient délibérément irréalisables et déloyaux afin de faire l'économie des primes de performance prévues par le Plan de Rémunération des Ventes (PRV) en cas d'atteinte des objectifs,

- la crise du secteur de l'imprimerie et le contexte de concurrence accrue, implicitement reconnus par son employeur, font obstacle à l'existence d'une insuffisance professionnelle,

- enfin, il n'a pas bénéficié de l'assistance de son supérieur hiérarchique, ce dernier exerçant au contraire un management oppressif ayant pour objectif de le démoraliser et de l'humilier au travers de mails et d'échanges verbaux.

****

Il résulte des articles L.1232-1 et L.1232-6 du code du travail que le licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse et résulte d'une lettre de licenciement qui en énonce les motifs.

En vertu de l'article L.1235-1 du code du travail, le juge à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure de licenciement suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

La lettre de licenciement fixe les limites du litige.

L'insuffisance professionnelle peut justifier un licenciement dès lors que l'employeur s'appuie sur des faits précis que le juge peut contrôler.

Pour apprécier si le motif d'insuffisance professionnelle alléguée par l'employeur est réel et sérieux, le juge prend notamment en compte l'ancienneté du salarié mais également sa progression dans l'entreprise, les augmentations de salaire allouées, l'existence ou non de constats d'insuffisance déjà effectués par l'employeur.

Lorsque les objectifs assignés au salarié, qu'ils soient fixés par accord des parties ou décidés par l'employeur seul, ne sont pas atteints et que le salarié est licencié pour insuffisance de résultats, le juge doit rechercher si les objectifs étaient réalistes et si le salarié est responsable de ne pas les avoir atteints. Dès lors, le seul fait que le salarié n'ait pas réalisé ses objectifs ne constitue pas en soi un motif de licenciement.

Il résulte des débats que le poste d'Ingénieur Commercial Production Printing ICPP GC de niveau 1 a été créé au 1er juillet 2015, étant précisé que la clientèle de ce poste était auparavant couverte par les ICPP dont la mission était mixte (cibles Arts-graphiques et Grands Comptes).

Le plan de retour à la performance mis en place à compter de septembre 2017 propose un bilan des résultats du salarié pour les deux dernières années. L'observation de la dégradation des résultats de M. [Y] débute au deuxième semestre de l'exercice 2016/2017. En effet, le premier semestre de cet exercice apparait particulièrement satisfaisant dès lors qu'il est fait état d'un chiffre d'affaires de 480 KE représentant 103% de l'objectif et de 12 placements représentants 133% de l'objectif du salarié. En revanche, pour le deuxième trimestre de cet exercice 2016/2017, il était fait état par l'employeur de 133 KE de CA, soit 25% de l'objectif du salarié et de 3 placements soit 30% de l'objectif du salarié.

M. [Y] soutient que ses objectifs étaient délibérément irréalisables et déloyaux et que son plan de rémunération variable est passé, sans aucune justification d'un CA de 750 000 euros pour l'exercice 2015/2016 à un CA de 993 038 euros pour l'exercice du 1er avril 2016 au 31 mars 2017.

Sur cette question de la quantification de l'objectif CA, l'employeur fait grief au conseil de prud'hommes d'avoir retenu une augmentation non justifiée des objectifs, de 32, 50% entre ces deux exercices, alors même que l'entretien d'évaluation 2015/2016, lequel mentionne les objectifs chiffrés, n'a jamais été versé aux débats.

Si l'on peut déplorer que cet entretien ne soit, en cause d'appel, toujours pas versé au débat par les parties, la société KMBS qui indique dans le bilan des résultats de M. [Y] que l'objectif annuel du salarié a été minoré pour l'exercice 2015/2016, compte tenu de sa prise de poste au 1er juillet 2015, et que par conséquent son évaluation ne portera pas sur ce premier exercice, ne peut raisonnablement contester que l'objectif annuel a été augmenté pour l'exercice 2016/2017 suivant.

Cependant, la société KMBS omet de justifier par des éléments objectifs le chiffre d'affaires net total de 993 038 qu'elle a fixé pour l'exercice 2016/2017 et ne permet ni de quantifier, ni d'apprécier l'augmentation de CA entre les deux exercices successifs. Or, les objectifs du plan de rémunération variable doivent être fixés selon des critères sérieux et raisonnables et une obligation de transparence pèse sur l'employeur en ce domaine.

En l'espèce, aucun élément du débat ne permet à la cour d'exercer son contrôle sur le caractère raisonnable et réalisable des objectifs fixés au salarié, étant précisé que les procès-verbaux des réunions du comité d'entreprise entre le 25 janvier 2017 et le 26 janvier 2018, rendent compte d'une conjoncture économique difficile affectant le réseau direct avec une baisse significative et constante du pourcentage de placement de machines. Ainsi le procès-verbal de la réunion du comité d'entreprise du 26 janvier 2018, qui a suivi la convocation de M. [Y] à un entretien préalable à licenciement indique notamment :

- « Notre problématique actuelle est la sous-performance de notre réseau direct. Il est extrêmement important que nous arrivions à remettre à niveau les performances du réseau direct et en particulier la productivité des commerciaux. » ou encore :

- « (') Au niveau de la sous-performance par rapport à nos objectifs et à un impact en particulier sur l'Industrial Printing, il y a aussi un autre domaine sur lequel nous sommes significativement en-dessous de nos objectifs à l'heure actuelle, c'est le Production Printing où les placements sont en retrait par rapport à l'année dernière et significativement en retard par rapport au plan (') »

Il en résulte que l'existence d'une conjoncture économique difficile affectant les résultats du marché Production Printing est avérée et la société KMBSF qui distingue « évolutivité du marché » et « mauvaise conjoncture économique » n'est pas fondée à contester cette réalité.

Par ailleurs, si la société KMBSF affirme que la situation économique globale est nécessairement prise en compte par l'entreprise lors de la fixation des objectifs et intégrée par les collaborateurs qui atteignent les objectifs fixés, elle ne justifie d'aucun critère permettant de garantir que les objectifs commerciaux sont fixés au regard de l'évolution du marché.

En outre, si les mauvais résultats d'un salarié peuvent être établis par comparaison avec les chiffres obtenus par ses collègues ayant des fonctions identiques, force est de constater que plusieurs ingénieurs commerciaux étaient en difficulté. Ainsi, il résulte d'un courriel du 31 mai 2017 adressé par [N] [D], responsable développement du marché Production Printing pour la région Rhône-Alpes, à l'ensemble de son équipe, qu'il exigeait une préparation sans faille du mois de juin en raison de leurs mauvais résultats. Ainsi, aucune vente n'était comptabilisée depuis le 1er avril pour trois membres de l'équipe ([L] [Y], [G] [U] et [T] [I]) ; [K] [V] ne comptabilisait qu'une seule vente et [F] [E] avait huit ventes à son actif pour un montant total très éloigné de son objectif pour le premier trimestre.

S'agissant de l'aide apportée au salarié par la mise en oeuvre d'un plan de retour à la performance, dont se prévaut la société KMBSF, la cour observe que le dit plan comporte une série de directives telles que :

« - ne pas faire preuve d'opposition systématique lors de la fixation d'objectifs, notamment lorsque ceux-ci portent sur la nécessité de collaboration avec les ICGC titulaires des comptes que vous travaillez ;

- respecter l'organisation du planning hebdomadaire défini par votre RDMPP ;

- faire preuve d'assiduité et respecter les horaires de travail définis dans le règlement intérieur en vigueur (')

- que chaque TDay soit scrupuleusement préparé avec l'objectif de prise de rdv =5, que la cible soit communiquée à votre manager, que vous fassiez à l'issue de celui-ci un retour du nombre d'appels aboutis, ainsi que du nombre de rdv pris (') « 

Or, il s'agit là de recommandations générales évoquant des carences professionnelles importantes alors même que M. [Y] n'a jamais fait l'objet au cours d'une relation contractuelle de 28 années, d'aucune observation, rappel à l'ordre ou mise en garde quant à l'organisation et au respect de la méthodologie commerciale.

Ce plan de retour à la performance apparaît dès lors établi sur des postulats contestables et non démontrés par la société KMBSF. Enfin, l'accompagnement supposé résulter de la mise en 'uvre de ce plan de retour à la performance est purement formel. En effet, deux bilans mensuels au 9 octobre 2017 et au 15 novembre 2017 et un bilan définitif au 8 janvier 2018 ont été établis par la société KMBSF, avec la mention « Lettre remise en main propre ». Or, M. [Y] conteste toute remise en main propre de ces documents qu'il n'a jamais signés, sauf à préciser qu'il a reçu le premier bilan par lettre recommandée.

Ces circonstances révèlent, de la part de l'employeur, la volonté d'acter les difficultés, sans aucun soutien apporté, de fait, au salarié et ce alors même que M. [Y] n'avait jamais été pris en défaut sur ses résultats par le passé, et qu'il avait même été remercié pour son engagement et sa fidélité, quelques mois plus tôt, aux termes d'un courrier courrier du directeur des ressources humaines du 1er décembre 2014, précédant de quelques mois sa nouvelle affectation, libellé comme suit :

« Vous avez rejoint notre entreprise le 20 décembre 1989.

Depuis bientôt 25 ans, vous apportez votre concours, par votre travail au quotidien, à la bonne marche de notre entreprise.

Nous tenons à vous exprimer notre fierté de vous compter parmi notre personnel et souhaitons saluer votre ancienneté dans notre société.

Pour marquer cet anniversaire et vous remercier de votre attachement à notre entreprise, nous avons le plaisir de vous octroyer une prime exceptionnelle qui vous sera versée avec votre salaire du mois de décembre. »

En définitive, il ne résulte pas des débats que l'insuffisance de résultats dont il est fait grief à M. [Y], résulterait de son incompétence, de sa négligence ou de sa faute. Et l'absence de mise en 'uvre d'actions significatives ne constitue pas un grief pertinent d'insuffisance professionnelle, compte tenu d'une part des difficultés parfaitement objectivées du secteur Production Printing de la société, d'autre part de l'absence de transparence sur les critères ayant présidé à la fixation des objectifs de M. [Y] et de ce que M. [Y] a pendant plus de 25 années au service du même employeur, donné entière satisfaction, ainsi qu'en atteste la lettre sus-visée.

Il convient par conséquent de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé le licenciement de M. [Y] dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur le rappel de salaire :

M. [Y] fait valoir que la société KMBSF l'a dispensé de son préavis afin de ne pas lui payer les primes relatives à des affaires en cours de conclusions, ce qui a également eu pour conséquence d'effacer de ses résultats le chiffre d'affaires qu'il aurait réalisé au cours de son préavis.

Il soutient que sur cinq dossiers en réponse avant son départ (INSA [Localité 5], Métro de [Localité 5], Métropole de [Localité 3], Hôtel du département de [Localité 4], Ville de [Localité 7]), trois ont été gagnés et un seul commissionné, de sorte que l'employeur reste redevable du commissionnement des affaires « métro de [Localité 5] » et « métropole de [Localité 3] », soit un chiffre d'affaires de 95 000 euros HT pour le Métro de [Localité 5] et un chiffre d'affaires de 354 000 euros HT pour la Métropole de [Localité 3].

La société KMBSF fait valoir que :

- M. [Y] a bénéficié du commissionnement afférent au dossier « INSA [Localité 5] », de sorte qu'il n'est pas fondé à solliciter un règlement complémentaire à ce titre,

- s'agissant des dossiers « Hôtel du département de [Localité 4] » et » ville de [Localité 7] », le salarié admet qu'ils n'ont pas été gagnés,

- s'agissant enfin des dossiers « Métro de [Localité 5] » et « Métropole de [Localité 3] », ils ont été suivis et négociés par M. [D] en direct et non par M. [Y], de sorte que c'est M. [D] qui a perçu les commissions afférentes.

****

Le contrat de travail prévoit que la partie variable de la rémunération sera payée le mois suivant la facturation et qu'elle sera due uniquement sur les commandes acceptées par la société.

Il en résulte que le paiement des commissionnements est subordonné à la confirmation de la commande par l'entreprise.

La société KMBSF produit en l'espèce des échanges de courriels courant janvier 2018 avec la métropole de Lyon relatifs pour l'essentiel à la communication de documentation, mas aucun élément relatif à la passation de la commande ou à son acceptation, de sorte que contrairement à ce qui a été retenu par le conseil de prud'hommes, elle n'apporte aucune pièce démontrant que c'est M. [D] et non M. [Y] qui a réalisé l'action commerciale.

La société KMBSF ne justifie pas davantage de la date de facturation des commandes dans les dossiers « Métro de [Localité 5] » et « Métropole de [Localité 3] ».

Or, c'est à l'employeur qu'il incombe d'établir qu'il a effectivement payé à son salarié les commissions qu'il lui doit et lorsque le calcul de la rémunération dépend d'éléments détenus par l'employeur, celui-ci est tenu de les produire en vue d'une discussion contradictoire, ce que la société KMBSF omet de faire en l'espèce.

Il convient, dans ces conditions, de faire droit à la demande de M. [Y] et de condamner la société KMBSF à lui verser la somme de 19 800 euros à titre de rappel de rémunération variable, outre les congés payés afférents. Le jugement déféré qui l'a débouté de cette demande est infirmé en ce sens.

- Sur les dommages-intérêts :

En application des dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail, M. [Y] qui bénéficie d'une ancienneté de 28 années complètes dans l'entreprise, peut prétendre à une indemnité comprise entre trois mois et 19,5 mois de salaire.

Compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [Y] âgé de 58 ans lors de la rupture, de son ancienneté de plus de 28 années, des difficultés inhérentes à l'âge pour retrouver un emploi équivalent avant de faire valoir ses droits à la retraite, la cour estime que le préjudice résultant pour ce dernier de la rupture doit être indemnisé par la somme de 68 238 euros, sur la base du salaire moyen mensuel des douze derniers mois d'activité, soit 3 499,34 euros.

En conséquence, le jugement qui lui a alloué la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse doit être infirmé en ce sens.

****

M. [Y] soutient en outre que son licenciement a un caractère vexatoire caractérisé par l'affront qui lui a été fait au mépris des efforts consentis et de son dévouement à son employeur.

La société KMBSF s'oppose à cette demande d'indemnité complémentaire en soulignant que le fondement n'en est pas précisé, et que l'on ne comprend pas en quoi elle diffère de la demande au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

M. [Y] ne démontrant pas avoir subi un préjudice moral distinct de celui qui se trouve réparé par les dommages et intérêts alloués en réparation du caractère injustifié du licenciement n'est pas fondé en sa demande d'indemnité complémentaire à ce titre. Le jugement déféré est confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande d'indemnité au titre du préjudice moral.

- Sur le remboursement des indemnités de chômage :

En application de l'article L.1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d'indemnisation.

- Sur les demandes accessoires :

Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a mis à la charge de la société KMBSF les dépens de première instance et en ce qu'il a alloué à M. [Y] une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société KMBSF, partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel.

L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d'appel dans la mesure énoncée au dispositif.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement

CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il juge le licenciement de M. [L] [Y] sans cause réelle et sérieuse, sur le rejet de la demande d'indemnité pour licenciement vexatoire, sur l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens

INFIRME le jugement déféré pour le surplus de ses dispositions

STATUANT à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

CONDAMNE la société Konica Minolta Business Solutions France à payer à M. [Y] les sommes suivantes :

* 68 238 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant du licenciement injustifié

* 19 800 euros à titre de rappel de rémunération variable, outre les congés payés afférents

ORDONNE à la société Konica Minolta Business Solutions France de remettre à M. [Y] un certificat de travail, une attestation destinée au Pôle Emploi et un bulletin de salaire conformes au présent arrêt dans un délai de deux mois à compter de sa signification,

ORDONNE d'office à la société Konica Minolta Business Solutions France le remboursement à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à M. [Y] dans la limite de trois mois d'indemnisation,

CONDAMNE la société Konica Minolta Business Solutions France à payer à M. [Y] la somme de 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel,

CONDAMNE la société Konica Minolta Business Solutions France aux dépens d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale a
Numéro d'arrêt : 20/01900
Date de la décision : 05/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-07-05;20.01900 ?
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