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29/06/2023 | FRANCE | N°20/01979

France | France, Cour d'appel de Lyon, 3ème chambre a, 29 juin 2023, 20/01979


N° RG 20/01979 - N° Portalis DBVX-V-B7E-M5MR









Décision du Tribunal de Commerce de SAINT-ETIENNE du 29 janvier 2020



RG : 2017j00635





S.A.S. MTP DESAMIANTAGE



C/



S.A.R.L. ETERA





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



3ème chambre A



ARRET DU 29 Juin 2023







APPELANTE :



S.A.S. MTP DESAMIANTAGE représentée par son représentant en exerc

ice domicilié es qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 2]



Représentée par Me Sabah DEBBAH de la SELARL JURIS LAW & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, toque : 675, substituée et plaidant par Me DECRENISSE, avocat au barreau de LYON

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N° RG 20/01979 - N° Portalis DBVX-V-B7E-M5MR

Décision du Tribunal de Commerce de SAINT-ETIENNE du 29 janvier 2020

RG : 2017j00635

S.A.S. MTP DESAMIANTAGE

C/

S.A.R.L. ETERA

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

3ème chambre A

ARRET DU 29 Juin 2023

APPELANTE :

S.A.S. MTP DESAMIANTAGE représentée par son représentant en exercice domicilié es qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Sabah DEBBAH de la SELARL JURIS LAW & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, toque : 675, substituée et plaidant par Me DECRENISSE, avocat au barreau de LYON

INTIMEE :

S.A.R.L. ETERA agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié ès qualités audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Emmanuelle BAUFUME de la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON, toque : 1547, postulant et ayant pour avocat plaidant Me Prisca WUIBOUT de la SELARL UNITE DE DROIT DES AFFAIRES, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE

* * * * * *

Date de clôture de l'instruction : 12 Mars 2020

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 27 Avril 2023

Date de mise à disposition : 29 Juin 2023

Audience tenue par Patricia GONZALEZ, présidente, et Raphaële FAIVRE, vice-présidente placée, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,

assistées pendant les débats de Clémence RUILLAT, greffière

A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.

Composition de la Cour lors du délibéré :

- Patricia GONZALEZ, présidente

- Marianne LA-MESTA, conseillère

- Raphaële FAIVRE, vice-présidente placée

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Patricia GONZALEZ, présidente, et par Clémence RUILLAT, greffière, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

EXPOSÉ DU LITIGE

La Sas MTP Désamiantage et la Sarl Etera interviennent dans le domaine du confinement et du retrait de l'amiante.

Par lettres reçues les 23 juin 2017, 26 juin 2017 et 6 juillet 2017, MM. [I] [Y], [N] [O], [D] [H] et [U] [T] ont successivement démissionné de la société MTP Désamiantage.

Le 4 juillet 2017, 6 juillet 2017 et 11 juillet 2017, la société MTP Désamiantage a fait appel à un huissier de Justice et à un enquêteur privé afin de démontrer que ses anciens salariés travaillaient pour la société Etera avant la rupture de leurs contrats de travail et utilisaient son matériel à cette fin.

Par lettres recommandées du 7 juillet 2017, la société MTP Désamiantage a convoqué MM [I] [Y], [N] [O], [D] [H] et [U] [T] à un entretien préalable en vue d'une sanction.

Le 21 juillet 2017, la société Etera a embauché MM. [T] et [H].

Parallèlement, la société MTP Désamiantage a saisi le conseil des prud'hommes aux fins de voir condamner MM [Y], [O], [H] et [T] pour violation de leurs obligations de loyauté, fidélité, confidentialité et d'exclusivisme.

Par acte d'huissier du 24 juillet 2017, la société MTP Désamiantage a assigné la société Etera devant le tribunal de commerce de Saint-Etienne aux fins de voir juger que la société Etera a commis des actes de concurrence déloyale à son encontre.

Par jugement contradictoire du 29 janvier 2020, le tribunal de commerce de Saint-Etienne a :

- rejeté la demande de sursis à statuer,

- jugé qu'il n'y a pas eu d'acte de concurrence déloyale de la part de la société Etera du fait de la démission de MM. [O] et [Y],

- jugé qu'il n'y a pas eu d'acte de concurrence déloyale du fait de l'embauche de MM. [T] et [H] par la société Etera,

- jugé qu'il n'y a pas eu de détournement de clientèle de la part de la société Etera,

- jugé qu'il n'y a pas eu de concurrence déloyale de la part de la société Etera,

- débouté la société MTP Désamiantage de l'intégralité de ses demandes,

- débouté la société Etera de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,

- condamné la société MTP Désamiantage à payer la somme de 1.500 euros à la société Etera au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les dépens sont à la charge de la société MTP Désamiantage

- rejeté la demande d'exécution provisoire du jugement.

La société MTP Désamiantage a interjeté appel par acte du 12 mars 2020.

* * *

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 26 novembre 2020 fondées sur les articles 1240 et suivants du code civil, la société MTP Désamiantage demande à la cour de :

- la déclarer bien fondée et recevable en son appel,

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il :

a jugé qu'il n'y a pas eu d'acte de concurrence déloyale de la part de la société Etera du fait de la démission de MM. [O] et [Y],

a jugé qu'il n'y a pas d'acte de concurrence déloyale du fait de l'embauche de MM. [T] et [H] par la société Etera,

a jugé qu'il n'y a pas eu de détournement de clientèle de la part de la société Etera,

a jugé qu'il n'y a pas eu de concurrence déloyale de la part de la société Etera,

l'a débouté de l'intégralité de ses demandes,

l'a condamné à payer la somme de 1.500 euros à la société Etera au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

a dit que les dépens sont à sa charge,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Etera de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,

statuant à nouveau,

- juger que la société Etera a commis des actes de concurrence déloyale à son préjudice,

- ordonner la restitution à son profit par la société Etera de tous documents, informations, fichiers et matériel lui ayant été soustraits ou détournés, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir,

- faire interdiction à la société Etera d'utiliser à quelque titre que ce soit tous les documents, informations, fichiers, matériels lui appartenant ayant été soustraits ou détournés sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée à compter de la signification du jugement à intervenir, une infraction s'entendant de l'usage d'un document lui appartenant ou provenant d'elle,

- condamner la société Etera à lui payer la somme de 800.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son entier préjudice,

- ordonner la publication judiciaire du jugement à intervenir dans trois journaux professionnels à son choix aux frais de la société Etera,

- débouter purement et simplement la société Etera de toutes demandes plus amples ou contraires,

- condamner la société Etera à lui payer la somme de 25.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Etera aux entiers dépens de l'instance, en ce compris les frais d'enquête et de constats d'huissier.

* * *

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 15 février 2021 fondées sur l'article 1240 du code civil, la société Etera demande à la cour de :

- débouter la société MTP Désamiantage de l'intégralité de ses demandes et prétentions,

- condamner la société MTP Désamiantage à lui payer la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,

- condamner la société MTP Désamiantage à lui payer une indemnité de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens avec droit de recouvrement.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 8 mars 2021, les débats étant fixés au 27 avril 2023.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la situation de concurrence

La société MTP Désamiantage fait valoir :

- qu'une situation de concurrence directe et effective n'est pas une condition de recevabilité de l'action en concurrence déloyale, qui est uniquement subordonnée à l'existence de faits fautifs générateurs d'un préjudice,

- que les sociétés MTP Désamiantage et la société Etera ont une activité de désamiantage, dans le département de la Loire, que l'existence d'activités différentes pour la société Etera est sans conséquence, que les deux sociétés ont donc une activité concurrente, dans la même zone géographique, auprès de la même clientèle.

La société MTP Désamiantage conteste par ailleurs l'existence de relations d'affaires entre les deux sociétés ainsi que le caractère probant des mails produits, expliquant que :

- son salarié M. [O] ne disposait que d'une délégation technique et non du pouvoir d'engager la concluante dans une collaboration avec la société Etera. En ce sens, le jugement rendu le 25 mai 2020 par le conseil de prud'hommes de Montbrison a retenu le comportement déloyal de M. [O], lequel a signé seul la convention de prêt de main d'oeuvre de M. [H], salarié de MTP Désamiantage, à la société Etera, en fraude des droits de la concluante. Il est également responsable de l'établissement de la facture du 23 mai 2017 émise par elle et réglée par la société Etera,

- elle conteste l'existence d'un contrat de sous-traitance au profit de cette dernière.

La société Etera fait valoir que :

- les activités des sociétés MTP Désamiantage et Etera sont complémentaires, et qu'elles intervenaient en parallèle sur les mêmes chantiers de sorte qu'elles ne sont pas en situation de concurrence,

- M. [O] gérait la division désamiantage de la société MTP Désamiantage et disposait pour représenter cette dernière d'une délégation de pouvoir. C'est exclusivement dans ce cadre qu'il a agi auprès de la concluante mais il n'a jamais été son salarié. Le jugement rendu le 25 mai 2020 par le conseil de prud'hommes de Montbrison ne la concerne pas,

- les sociétés MTP Désamiantage et Etera ont collaboré sur plusieurs chantiers, soit de façon complémentaire, soit en substitution, notamment par contrat de sous-traitance,

- elle était également en relation d'affaires avec la société Tradibat, dont le gérant est également gérant de la société MTP Désamiantage,

- Les sociétés MTP Désamiantage et Etera ont signé une convention de prêt de main d''uvre relative à M. [H].

Sur ce,

La comparaison des K-bis des deux sociétés révèle, nonobstant l'existence d'autres activités parfaitement distinctes qui peuvent d'ailleurs être complémentaires sur des chantiers (travaux de charpente pour l'appelante, énergies renouvelables pour l'intimée) que celles-ci exercent toutes les deux des activités de désamiantage de sorte qu'elles sont amenées à être en concurrence en raison de ces activités similaires, ce qui était notamment le cas lors des faits litigieux.

Ce constat n'est pas contredit par le fait que les deux sociétés aient pu être amenées à travailler ensemble de manière complémentaire sur certains chantiers, ce qui ne fait pas disparaître leur situation de concurrence concernant l'activité de désamiantage, étant rappelé en tout état de cause que l'action en concurrence déloyale peut être diligentée hors le cas d'une concurrence directe et effective.

Par ailleurs, si la date de départ des activités de désamiantage de la société Etera qui affirme avoir commencée son activité en 2014 est discutée (adjonction de l'activité au RCS le 22 novembre 2016 et certification Qualibat obtenue le 7 février 2017), cette date est antérieure aux démissions des quatre salariés.

Enfin les deux sociétés sont inscrites au RCS de Saint-Etienne et oeuvrent dans le département de la Loire. Elles pouvaient donc se trouver en situation de concurrence.

Sur les actes de concurrence déloyale

La société MTP Désamiantage fait valoir, sur le fondement de l'article 1240 du code civil, que la société Etera a commis à son encontre des actes de concurrence déloyale, constitutifs de fautes, soit :

- la désorganisation de l'entreprise par débauchage de salariés

- la violation consciente et délibérée des obligations contractuelles pesant sur le personnel débauché ;

- la captation et le détournement de clientèle ;

- le détournement et la soustraction de travail, d'informations, de documentations et de

matériels.

La société Etera conteste chacune de ces fautes.

Sur ce,

Aux termes de l'article 1240 du code civil invoqué par l'appelante, 'Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer'.

Il convient de reprendre successivement les fautes imputées à la société Etera.

* le débauchage de salariés ayant désorganisé l'entreprise

La société MTP Désamiantage fait valoir que :

- l'embauche massive de salariés désorganisant une entreprise concurrente est constitutive d'une faute, notamment lorsqu'elle s'accompagne d'une récupération du savoir-faire de l'encadrement, ou lorsque le salarié d'une société concurrente est employé avant le terme de son contrat de travail,

- la société Etera s'est livrée à une opération de débauchage massif de son équipe du département « désamiantage » avec l'assistance de M. [O]. Cette collaboration est démontrée notamment par les échanges de mails entre eux, et par divers documents de la société Etera retrouvés suite à une expertise sur les ordinateurs professionnels de M. [O] et M. [Y],

- du 21 juin 2017 et le 4 juillet 2017, M. [Y] et M. [O], techniciens, ainsi que M. [H] et M. [T], opérateurs, ont présenté leur démission pour rejoindre la société Etera, ensuite de ces démissions, l'équipe ne comportait plus que deux opérateurs désamianteurs, désorganisant l'entreprise,

- les quatre salariés débauchés étaient soumis à une clause de confidentialité et d'exclusivité mais ils ont commencé à travailler pour la société Etera avant la rupture de leur contrat de travail.

- caractérise un acte de concurrence déloyale l'embauche d'un salarié par un employeur qui le sait soumis à un contrat de travail ou à une clause de non concurrence. Le fait par le nouvel employeur de ne pas s'informer sur l'existence de ces obligations constitue une négligence sanctionnée sur le fondement quasi-délictuel,

- les quatre salariés débauchés étaient liés à la concluante par leur contrat de travail, qui stipulait une clause de fidélité, d'exclusivité et de confidentialité,

- M. [O] a transmis divers contrats de travail et documents concernant ses salariés à la société Etera, qui avait donc connaissance de ces obligations qu'elle a délibérément ignorées.

La société Etera réplique qu'il est licite d'embaucher des salariés qui avaient librement démissionné et que la concurrence déloyale n'est caractérisée qu'en démontrant l'existence de manoeuvres de débauchage ayant entraîné la désorganisation du fonctionnement de l'entreprise concurrente. Elle rappelle que :

- M. [O] et M. [Y] n'ont jamais travaillé pour elle,

- le procès-verbal d'expertise de l'ordinateur de M. [Y] doit être écarté en raison des doutes sur l'ordinateur qui a été transmis,

- les deux opérateurs, M. [H] et M. [T], ont librement démissionné avant d'être embauchés par elle. Ils n'ont commencé à travailler pour elle qu'après la rupture de leur contrat de travail. M. [H] a par ailleurs démissionné de la société Etera le 12 octobre 2018, ces départs s'expliquent par le mauvais fonctionnement de la société MTP Désamiantage,

- Le départ de deux opérateurs ne peut pas désorganiser une entreprise qui compte entre 10 et 19 salariés,

- Elle conteste toute connivence avec M. [O] qui n'a échangé avec elle qu'en qualité de représentant de la société MTP Désamiantage, notamment dans le cadre de la convention de prêt de personnel de M. [H], qui n'a finalement pas été mise en place.

Sur ce,

La cour rappelle que l'embauche par un employeur d'un salarié ayant appartenu récemment à une entreprise exerçant une activité dans le même secteur ne fait pas présumer, par elle-même, de l'existence d'un acte de concurrence déloyale. Ainsi, engager un salarié d'une entreprise concurrente ne constitue pas, en soi, un acte de concurrence déloyale, et à plus forte raison lorsque ce salarié a quitté son ancien employeur libre de tous engagements. Ainsi, un tel départ peut s'expliquer pour des raisons variées et notamment une mésentente au sein de la première entreprise ou une insatisfaction des conditions de travail.

Il n'y a concurrence déloyale que dans l'hypothèse où est rapportée la preuve de man'uvres de débauchage. Ces manoeuvres doivent être caractérisées.

De manière liminaire, la cour relève qu'il est fait état d'un 'débauchage massif', que toutefois, seuls quatre salariés ayant quitté la société appelante sont en cause et que deux seulement ont effectivement rejoint la société Etera.

S'agissant de MM [O] (lequel était responsable du département amiante et chargé de l'encadrement technique) et [Y] (encadrement technique et de chantier), aucune preuve de ce que ces derniers auraient intégré la société intimée n'est concrètement rapportée par les productions. Le fait que M. [O] ait pu exercer une activité de soutien aux entreprises pendant son préavis suite à sa démission, ne concerne pas l'intimée de même qu'elle n'est pas concernée par la décision du conseil de prud'hommes. S'agissant de M. [Y], le constat d'huissier qui aurait été diligenté sur son ordinateur est particulièrement sujet à caution, alors que le salarié a remis son ordinateur postérieurement à la date du constat, ce que révèlent les productions.

S'agissant de MM [T] et [H], il n'est pas contesté qu'ils ont été embauchés par la société intimée respectivement en qualité d'encadrant de chantier amiante et d'opérateur en désamiantage. Il est cependant constant qu'ils n'étaient pas liés à la société appelante par une clause de non concurrence et avaient toute possibilité de changer d'employeur en intégrant la société Etera. Par ailleurs, ils étaient peu qualifié et aucune preuve d'une désorganisation n'est concrètement rapportée. Enfin, il n'est pas démontré qu'ils ont travaillé pour la société intimée pendant leur contrat de travail.

Même s'il ont pu se trouver antérieurement sur un même chantier que la société Etera, ceci ne caractérise pas les manoeuvres du nouvel employeur. De même, l'envoi d'attestations de compétence par M. [O] pour ces salariés n'implique pas une tentative déloyale de débauchage.

Il n'est donc pas établi que la société Etera ait commis des actes de débauchage à l'encontre de la société MTP Désamiantage.

* le détournement de clientèle par détournement des fichiers et commandes

La société MTP Désamiantage fait valoir que :

- si le démarchage de la clientèle d'autrui est libre, dès lors qu'il ne s'accompagne pas d'un acte déloyal, constitue un détournement de commande le fait par un salarié qui a donné sa démission d'utiliser sa période de préavis pour geler et retarder des commandes, afin de les reporter au profit d'une société concurrente,

- M. [O] avait notamment pour tâche de développer le fichier client, de chiffrer et d'évaluer les devis, d'organiser les chantiers de la société MTP Désamiantage,

- la société Etera a capté déloyalement ses clients avec la complicité de M. [O], elle a détourné divers devis, offres et commandes de la concluante avec la complicité de M. [O] sur 13 chantiers.

La société Etera réplique que le démarchage de la clientèle d'un concurrent est considéré comme une pratique commerciale normale. En outre, le salarié peut, en l'absence de clause de non-concurrence, concurrencer librement son ancien employeur, sans témoigner à son égard d'un comportement déloyal. Elle conteste avoir détourné chaque chantier évoqué par la société MTP Désamiantage.

Sur ce,

Il est rappelé que le démarchage de la clientèle, qui ne fait pas l'objet d'un droit privatif, d'un concurrent est considéré comme une pratique commerciale normale et n'est pas constitutif en soit d'actes de concurrence déloyale en dehors de la preuve de procédés déloyaux.

La société appelante fait état en l'espèce d'un comportement complice entre la société Etera et M. [O] pour détourner sa clientèle de divers chantiers.

Il est cependant indéniable que les deux sociétés ont été amenées à travailler de manière ouverte sur plusieurs chantiers, ce en complément ou en substitution.

Sans qu'il ne soit nécessaire de reprendre le détail tous les chantiers de manière exhaustive, il ressort ainsi des pièces de l'intimée que les sociétés sont intervenues pour des prestations distinctes sur les mêmes chantiers (Cirhyo) que des chantiers ont été sous-traités à la société Etera, qu'un contrat de prêt de main-d'oeuvre est également intervenu. De même, la société MTP Désamiantage a facturé à la société Etera des prestations qui lui-avaient été sous-traitées sur le chantier Niro. Rien ne caractérise ainsi un détournement de clientèle.

Le fait que l'interlocuteur de la société Etera ait pu être M. [O] n'implique pas non plus une connivence pour un détournement de clientèle ; en raison de la délégation de pouvoirs, la société Etera n'avait de raison de mettre en doute les actes accomplis par ce dernier pour le compte de la société appelante. Le fait qu'une condamnation ait pu intervenir devant le conseil de prud'hommes à l'encontre de M. [O] est par ailleurs sans effet sur le présent litige, la société Etera n'étant pas partie dans cette procédure.

Aucun des messages échangés entre M. [O] et le responsable de la société Etera, par leurs termes, n'établit par ailleurs une volonté de détournement de clientèle au détriment de la société Etera. Le détournement de clientèle n'est donc pas établi.

* le détournement et la soustraction de travail, d'informations et du matériel

La société MTP Désamiantage fait valoir que :

- la société Etera a frauduleusement obtenu de M. [O] des modèles de documents de travail appartenant à la concluante, tel qu'attesté par le rapport d'expertise de son ordinateur,

- la société Etera a eu recours à la main d'oeuvre de sa concurrente en dehors de toute collaboration ou relation contractuelle, notamment par le travail de M. [H] sur le chantier Cirhyo,

- la société Etera a eu recours au matériel de sa concurrente, notamment de véhicules techniques de type camion plateau et caravane. Aussi, un chariot télescopique a été loué par M. [O] aux frais de la concluante pour le chantier d'Ars Sur Formans mené par la société Etera. Une facture de matériaux désignant 'chantier - etera - etera' en date du 30 juin 2017 a en outre été adressée à la concluante.

La société Etera réplique que :

- elle n'a ni détourné ni soustrait d'informations, de travail ou de matériel,

- elle conteste avoir frauduleusement obtenu la documentation de sa concurrente par l'entremise de M. [O]. Elle a obtenu ces documents par son adhésion à un réseau des techniciens du désamiantage depuis 2014.

- elle conteste avoir utilisé frauduleusement les véhicules de sa concurrente. Elle explique leur présence sur le chantier, où les deux sociétés travaillaient en parallèle, par l'intervention de sa concurrente suite à un problème technique.

- elle a loué le chariot télescopique pour le chantier Cirhyo sur lequel les deux sociétés collaboraient. Elle a également acquis du matériel. Ces opérations avaient pour objectif de gagner du temps et ont été réalisées à la demande de M. [O], expliquant les facturations à la société MTP Désamiantage,

- M. [H] était présent sur le chantier pour le compte de la société MTP Désamiantage,

- M. [T] était présent sur un autre chantier, comme il ressort des pièces adverses.

Sur ce,

De manière liminaire, il est inopérant pour la société MTP Désamiantage de produire le rapport d'un détective privé, pour démontrer que les sociétés se sont retrouvées sur le même chantier, ce qui n'est pas contesté par l'intimée.

Aucune utilisation frauduleuse de véhicule n'est établie par les productions, une facture de location d'un engin a par ailleurs été demandée à l'appelante sur un chantier commun. La société appelante procède essentiellement par affirmations. Il est par ailleurs évident que sur un même chantier, des entreprises peuvent être amenées à collaborer pour l'utilisation de matériels, ce qui n'a rien de frauduleux.

S'agissant du recours à la main d'oeuvre, si notamment la présence de M. [H] et celle de M. [T] sur des chantiers n'est pas contestée, rien ne démontre que cette présence répondait à la réalisation de prestations de la société Etera à l'insu de l'employeur.

Rien n'indique enfin, à supposer régulière l'expertise de l'ordinateur de M. [O], que la société Etera ait frauduleusement obtenu la documentation de sa concurrente par l'entremise de M. [O], notamment au regard des fonctions de ce dernier.

En définitive, le jugement est confirmé en ce qu'il a rejeté l'existence d'actes de concurrence déloyale.

Sur le préjudice subi et le lien de causalité

La société MTP Désamiantage fait valoir qu'elle a subi un préjudice direct, réel, certain causé par le comportement déloyal de sa concurrente, qu'elle évalue à la somme forfaitaire de 800.000 euros, composée de :

- 131.049,44 euros correspondant à la rémunération de ses quatre salariés qui travaillaient en fait pour la société Etera,

- 15.000 euros correspondant aux frais engagés pour les formations reçues par ces salariés,

- 4.600 euros de frais de recrutement et de formation de salariés pour compenser sa désorganisation causée par les fautes de la société Etera,

- le préjudice lié à la paralysie de son organisation, impliquant notamment la réalisation de nouvelles démarches administratives inhérentes à la réglementation du secteur lors du changement de salariés sur un chantier, entraînant de nouveaux délais,

- la perte certaine de clients,

- la perte de chance de conclure de nouveaux contrats,

- le préjudice d'image,

- le détournement de chiffre d'affaires évalué à au moins 630.000 euros HT.

La société Etera réplique que le montant du préjudice allégué est fantaisiste et injustifié sur le plan comptable puisque :

- deux des quatre salariés n'ont jamais travaillé pour elle, il est donc infondé de lui demander de payer leur rémunération et leur formation,

- les deux autres salariés n'ont commencé à travailler pour son compte qu'après leur démission,

- ce n'est pas au nouvel employeur de rembourser les salaires et formations de l'emploi précédent. De surcroît, lesdites formations n'ont probablement pas été financées par la société MTP Désamiantage elle-même,

- elle conteste que la société MTP Désamiantage ait pu être désorganisée ou paralysée par le départ de deux opérateurs puisqu'elle disposait de suffisamment de personnel pour accomplir ses chantiers.

- la société MTP Désamiantage doit apporter les éléments permettant de chiffrer le préjudice de perte de clientèle, ce qu'elle ne fait pas,

- à titre de comparaison, le chiffre d'affaires de l'activité désamiantage de la société Etera s'élève, après 3 ans d'investissement, à 473.000 euros en 2018.

- la baisse de chiffre d'affaires de la société MTP Désamiantage n'est pas causée par une quelconque concurrence déloyale, mais s'explique par la baisse d'activité dans le secteur. En outre, la désorganisation de la société MTP Désamiantage est le fruit du départ de son responsable M. [O], sans lien avec la concluante.

Aucun acte de concurrence déloyale n'étant établi par ce qui précède, le jugement est confirmé en ce qu'il a rejeté l'ensemble des prétentions de la société Etera.

Sur la demande de dommages intérêts de la société Etera

L'exercice d'une action en justice peut dégénérer en un abus du droit d'agir, lequel suppose la démonstration d'une faute.

En l'espèce, l'appel diligenté par la société MTP Désamiantage afin que l'affaire soit rejugée en appel ne revêt aucun caractère abusif, la société Etera se contentant de l'affirmer et non de le démontrer.

Le jugement est en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages intérêts pour procédure abusive de la société Etara

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société MTP Désamiantage qui succombe sur ses prétentions en appel supportera les dépens d'appel et versera à son adversaire la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Les condamnations à ce titre de première instance sont confirmées.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant dans les limites de l'appel,

Confirme le jugement déféré.

Y ajoutant,

Condamne la Sas MTP Désamiantage aux dépens d'appel, ces derniers avec droit de recouvrement et à verser à la Sarl Etera une indemnité de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre a
Numéro d'arrêt : 20/01979
Date de la décision : 29/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-29;20.01979 ?
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