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28/06/2023 | FRANCE | N°22/08582

France | France, Cour d'appel de Lyon, Jurid. premier président, 28 juin 2023, 22/08582


N° R.G. Cour : N° RG 22/08582 - N° Portalis DBVX-V-B7G-OVYU



indemnisation

détention

COUR D'APPEL DE LYON

JURIDICTION DU PREMIER PRESIDENT



ORDONNANCE DU 28 Juin 2023





























DEMANDERESSE :



Mme [U] [Z]

Chez Madame [D] [W]

[Adresse 2]

[Localité 4]



Représentée par Me Marina STEFANIA, avocat au barreau de LYON





DEFENDEUR :



ETAT FRANCAIS REPRESEN

TE PAR L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 5]

[Localité 3]



Représenté par Me Valentine GARNIER substituant Me Caroline GRAS de la SELAS AGIS, avocat au barreau de LYON





PARTIE INTERVENANTE



Madame la Procureure Générale



Audience de plaidoiri...

N° R.G. Cour : N° RG 22/08582 - N° Portalis DBVX-V-B7G-OVYU

indemnisation

détention

COUR D'APPEL DE LYON

JURIDICTION DU PREMIER PRESIDENT

ORDONNANCE DU 28 Juin 2023

DEMANDERESSE :

Mme [U] [Z]

Chez Madame [D] [W]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Marina STEFANIA, avocat au barreau de LYON

DEFENDEUR :

ETAT FRANCAIS REPRESENTE PAR L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représenté par Me Valentine GARNIER substituant Me Caroline GRAS de la SELAS AGIS, avocat au barreau de LYON

PARTIE INTERVENANTE

Madame la Procureure Générale

Audience de plaidoiries du 24 Mai 2023

DEBATS : audience publique du 24 Mai 2023 tenue par Olivier GOURSAUD, Président à la cour d'appel de Lyon, délégataire du Premier Président dans les fonctions qui lui sont spécialement attribuées selon ordonnance du 2 janvier 2023, assisté de Sylvie NICOT, Greffier.

ORDONNANCE : contradictoire

prononcée publiquement le 28 Juin 2023 par mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile;

signée par Olivier GOURSAUD, Président et Sylvie NICOT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

''''

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES:

Le 9 novembre 2019, Mme [U] [Z] a été mise en examen par le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Lyon du chef de meurtre.

Elle a été placée le même jour en détention provisoire par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon.

Par ordonnance en date du 13 décembre 2019, le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Lyon a ordonné la mise en liberté de Mme [Z] assortie de son placement sous contrôle judiciaire.

Le procureur de la république a interjeté appel de cette décision et par ordonnance en date du 16 décembre 2019, le premier président de la cour d'appel de Lyon a ordonné la suspension des effets de l'ordonnance de mise en liberté sous contrôle judiciaire du 13 décembre 2019 jusqu'à sa comparution devant la chambre d'instruction.

Par un arrêt en date du 20 décembre 2019, la chambre d'instruction de la cour d'appel de Lyon a confirmé l'ordonnance déférée.

Par ordonnance en date du 26 août 2022, le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Lyon a dit n'y avoir lieu à suivre contre Mme [U] [Z].

Cette ordonnance est définitive.

Par requête reçue au greffe le 20 décembre 2022, Mme [U] [Z] a sollicité la réparation du préjudice découlant de la détention provisoire.

Mme [Z] demande l'allocation d'une somme de 9.623,50 € au titre de l'indemnisation de son préjudice matériel et de celle de 20.000 € au titre de son préjudice moral outre une somme de 2.413 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

A l'appui de sa demande d'indemnisation de son préjudice moral, Mme [Z] fait valoir que :

- cette détention provisoire a été sa première et unique incarcération et elle a été particulièrement choquée de faire l'objet de cette accusation alors qu'elle clamait son innocence,

- le choc carcéral a été d'autant plus intense qu'elle était parfaitement insérée dans la société et exerçait une activité professionnelle qui lui plaisait dans un centre commercial,

- elle a dû partager sa cellule insalubre avec plusieurs détenues et s'est retrouvée plongée au milieu de délinquantes notoires et particulièrement virulentes voire violentes,

- la pénibilité de son séjour carcéral s'est trouvé aggravée par la publicité donnée à cette affaire et elle a été prise pour cible au sein de l'établissement pénitentiaire en étant notamment visée par des crachats, des insultes et des intimidations,

- elle a perdu son emploi de responsable de stand pour la marque Kookai des Galeries Lafayette au centre commercial de la Part-Dieu et par voie de conséquence sa crédibilité professionnelle et son estime d'elle même,

- son père n'a pu lui rendre visite comme il l'aurait voulu à la suite d'un refus de permis de visite, ni sa mère compte tenu de l'éloignement géographique et elle s'est donc trouvée coupée de ses proches pendant près d'un mois et demi,

- son père a été particulièrement impacté par l'incarcération de sa fille ce qui a eu des conséquences dramatiques sur son état de santé, ainsi que sa mère, et son incarcération a eu pour elle aussi un impact psychologique important.

Mme [Z] chiffre par ailleurs son préjudice matériel comme suit :

- perte de salaires en raison de son absence : 3.011,49 €

- perte de cotisations pour sa retraite consécutives à son incarcération et à la période de contrôle judiciaire où elle n'a pu travailler : 1.000,00 €

- frais engagés par sa famille pour se rendre sur le lieu de la détention : 212,16 €

- frais d'avocat liés à la détention : 5.400,00 €

L'Agent Judiciaire de l'Etat propose d'indemniser le préjudice moral à hauteur de 7.000 € en faisant valoir que :

- l'indemnité ne peut être minorée dés lors que Mme [Z] n'avait jamais connu d'autre peine d'emprisonnement,

- par contre, le fait qu'elle ait fait part de son innocence ne peut être de nature à majorer l'indemnisation,

- Mme [Z] ne produit aucun élément établissant des conditions de détention particulièrement éprouvantes,

- la rupture familiale caractérise une majoration de l'indemnisation.

Il conclut à la réduction à de plus justes proportion des demandes de Mme [Z] au titre de sa perte d'emploi et de salaire, de sa perte de points de retraite et de points de formation, du remboursement des frais d'avocat et de la somme sollicitée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il fait valoir que :

- la somme réclamée au titre de sa perte de revenus ne peut excéder la somme de 3.011,49 €,

- le montant sollicité au titre de la perte de points retraite et points de formation n'est pas justifié et ce d'autant plus que le bulletin de salaire de décembre 2019 mentionne un montant de cotisations retraites de 423 €,

- les sommes demandées au titre des frais d'avocat doivent être réduites.

Il conclut au rejet de la demande formulée au titre des frais engagés par sa famille pour se rendre sur son lieu de détention au motif qu'elle n'est pas recevable à obtenir la réparation d'un préjudice subi par ses proches.

La Procureure Générale conclut à l'allocation au requérant d'une indemnité de 7.140 € en réparation de son préjudice moral et de 8.411,50 € en réparation de son préjudice matériel ainsi qu'une somme de 2.413 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Vu les articles 149 et suivants du code de procédure pénale,

Après avoir entendu en audience publique l'avocate de Mme [U] [Z] qui a eu la parole en dernier, l'avocat de l'Etat et le représentant du Ministère Public, nous avons statué comme suit :

Sur la recevabilité :

L'article 149-2 du code de procédure pénale édicte que la requête en indemnisation de la détention doit être déposée dans le délai de six mois à compter de la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive.

En l'espèce, la requête a été déposée moins de 6 mois après l'ordonnance de non lieu dont il est justifié par la production d'un certificat de non appel qu'elle est devenue définitive.

La requête est donc recevable.

Sur le préjudice moral :

L'indemnisation du préjudice moral de la personne détenue est fonction, notamment, de sa personnalité, de son mode de vie, de son comportement au cours de l'instruction, de ses antécédents judiciaires et des périodes de détention effectuées en exécution de condamnations antérieures.

Ouvre droit à réparation dans le cadre de la présente procédure la période de détention effectuée par l'intéressée.

En l'espèce, Mme [Z] a subi une détention de 41 jours avant d'être libérée.

Mme [Z], née le [Date naissance 1] 1993, était âgée de 26 ans au moment de son placement en détention.

Elle n'avait jamais été incarcérée ainsi qu'il ressort des mentions de son casier judiciaire ce dont il convient de tenir compte dans l'appréciation du choc causé par son incarcération.

Mme [Z] était parfaitement insérée dans la société et disposait d'un poste à responsabilité dans un magasin de vente de vêtements.

Elle a été séparée de ses proches pendant toute la durée de son incarcération, notamment de son père, faute pour ce dernier d'obtenir un permis de visite, et de sa mère en raison de son éloignement.

Les divers témoignages familiaux versés aux débats, ainsi que la relation par l'intéressée elle même de son ressenti, attestent des répercussions psychologiques et des souffrances morales résultant de son placement en détention.

L'attestation d'un psychologue ayant suivi le père de Mme [Z] témoigne aussi de l'importance du choc émotionnel et du stress post- traumatique ressenti par ce dernier ce qui a nécessairement eu des répercussions sur le moral de sa fille dont il était très proche.

Mme [Z] fait état de scènes de prise à partie par d'autres détenues du fait de la nature particulière des faits pour lesquels elle était incarcérée et de la publicité donnée à cette affaire qui paraissent tout à fait plausibles,

Pour le surplus il n'est pas justifié de conditions de détention particulièrement éprouvantes ni d'une situation exceptionnelle dépassant les conséquences inéluctables mais habituelles d'une incarcération qui sont l'isolement moral et la confrontation avec un monde carcéral difficile.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, le préjudice moral subi par Mme [Z] pendant 41 jours d'incarcération est justement réparé par l'allocation d'une somme de 12.000 €.

Sur le préjudice matériel :

Au moment de son incarcération, Mme [Z] exerçait une activité salariée de responsable de stand au sein d'un magasin 'Kookai' du centre commercial de la Part-Dieu et elle justifie, du fait de son absence à son travail, d'une perte de salaire qui est une conséquence certaine et directe de son incarcération.

Au vu des bulletins de salaire versés aux débats, il convient de lui allouer au titre de cette perte de salaire la somme sollicitée de 3.011,49 €.

Compte tenu de la durée de la détention provisoire subie par Mme [Z], la perte de chance d'obtenir des points de retraite si elle n'avait pas été incarcérée n'est pas démontrée et il convient de rejeter ce chef de demande.

Par ailleurs, les frais supportés par les proches ne constituent pas un préjudice directement subi par la requérante et ne sont pas indemnisables dans le cadre de la procédure en indemnisation de la détention provisoire de sorte qu'il convient également de débouter Mme [Z] de sa demande d'indemnisation des frais exposés par son père pour se rendre en détention afin de lui apporter des livres et du linge.

Les honoraires d'avocat ne sont pris en compte au titre du préjudice causé par la détention que s'ils rémunèrent des prestations directement liées à la privation de liberté et aux procédures engagées pour y mettre fin et le requérant qui sollicite le remboursement de tels frais doit justifier de factures détaillées mentionnant les prestations directement en lien avec la détention.

En l'espèce au vu des factures de son avocat portant l'une sur l'assistance au débat contradictoire devant le juge des libertés et de la détention pour un montant de 2.400 €, et l'autre pour l'assistance à l'audience de la chambre d'instruction et du référé détention pour un montant de 3.000 €, soit dans les deux cas des prestations liées à des procédures destinées à mettre fin à la détention, il est alloué à ce titre à Mme [Z] la somme de 5.400 €.

Il est donc alloué à Mme [Z] au titre de son préjudice matériel la somme de 8.411,49 €.

Sur l'article 700 du code de procédure civile :

Il convient d'allouer à Mme [Z] au titre de la présente procédure et sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 2.413 €.

PAR CES MOTIFS

Déclarons recevable la requête de Mme [U] [Z] ;

Lui allouons, à la charge de l'Etat :

- la somme de 8.411,49 € en réparation de son préjudice matériel ;

- la somme de 12.000 € en réparation de son préjudice moral ;

- la somme de 2.413 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejetons le surplus des demandes ;

Disons que les dépens seront supportés par l'Etat.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Jurid. premier président
Numéro d'arrêt : 22/08582
Date de la décision : 28/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-28;22.08582 ?
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