AFFAIRE DU CONTENTIEUX DE LA PROTECTION SOCIALE
RAPPORTEUR
R.G : N° RG 21/02317 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NPW4
S.A.S. [4]
C/
CPAM DU RHONE
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Pole social du TJ de LYON
du 16 Mars 2021
RG : 14/02615
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE D
PROTECTION SOCIALE
ARRÊT DU 27 JUIN 2023
APPELANTE :
S.A.S. [4]
Service AT
[Adresse 1]
[Localité 2]
Accident du travail de M. [B] [U]
représentée par Mme [C] [D], juriste muni d'un pouvoir
INTIMEE :
CPAM DU RHONE
[Adresse 5]
[Localité 2]
représentée par madame [X] [F], audiencière, munie d'un pouvoir
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 21 Mars 2023
Présidée par Nathalie PALLE, Présidente, magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Malika CHINOUNE, Greffier
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
- Nathalie PALLE, présidente
- Thierry GAUTHIER, conseiller
- Vincent CASTELLI, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 27 Juin 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Nathalie PALLE, Présidente, et par Malika CHINOUNE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [U] (l'assuré), employé par la société [4] (l'employeur) et a été mis à disposition de la société [3] en qualité de magasinier.
Le 27 février 2012, l'employeur a établi une déclaration d'accident survenu le 24 février 2012 à 15h00, dans les circonstances suivantes : «[l'assuré] en manipulant un carton aurait ressenti une douleur au dos», accompagnée d'un certificat médical initial, établi le jour de l'incident faisant état d'une lombalgie.
Le 23 avril 2012, la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône (la caisse) a reconnu le caractère professionnel de cet accident.
Le 24 octobre 2014, l'employeur a saisi la commission de recours amiable en contestation du caractère contradictoire de la procédure d'instruction et de la prise en charge des arrêts de travail prescrits à l'assuré.
Le 23 décembre 2014, l'employeur a saisi d'un recours le tribunal des affaires de sécurité sociale de Lyon en contestation de la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable.
Par décision du 15 avril 2015 la commission de recours amiable a confirmé l'opposabilité à l'employeur de la prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de l'accident dont a été victime l'assuré le 24 février 2012 et de la durée de l'arrêt de travail consécutif à cet accident.
Par jugement du 16 mars 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon, devant lequel la procédure s'est poursuivie, a :
- déclaré le recours de l'employeur recevable,
- déclaré opposable à l'employeur la décision de la caisse de prise en charge au titre de la législation professionnelle de l'accident dont l'assuré a été victime le 24 février 2012, ainsi que des soins et arrêts et frais consécutifs à l'accident, jusqu'au 26 juillet 2012, date de guérison,
- débouté l'employeur de sa demande d'inopposabilité des arrêts de travail délivrés à l'assuré,
- débouté l'employeur de sa demande d'expertise médicale judiciaire,
- condamné l'employeur aux dépens exposés à compter du 1er janvier 2019.
Le 30 mars 2021, l'employeur a relevé appel de ce jugement.
Dans ses conclusions déposées au greffe le 25 avril 2022, oralement soutenues à l'audience et auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de ses moyens, l'employeur demande à la cour de :
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande d'expertise médicale judiciaire,
Statuant à nouveau
- lui déclarer inopposables les arrêts de travail prescrits à l'assuré qui ne sont pas en relation directe et unique avec l'accident du travail du 24 février 2012,
Avant dire droit
- ordonner une expertise judiciaire sur pièces et nommer un expert avec pour mission en substance de dire si l'ensemble des lésions de l'assuré sont en relation directe et unique avec son accident du travail du 24 février 2012 et si l'évolution des lésions de est due à un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte, à un nouveau fait accidentel, ou un état séquellaire et déterminer quels sont les arrêts de travail et lésions directement et uniquement imputables à l'accident 24 février 2012 dont a été victime l'assuré,
L'employeur soutient que l'assuré a été placé en arrêt de travail pendant 154 jours sans qu'aucun élément médical ne puisse corroborer la relation de causalité entre l'ensemble des arrêts de travail prescrits et l'accident bénin du 24 février 2012. S'appuyant sur l'avis médico-légal de son médecin conseil, il soutient que l'assuré souffrait d'un état antérieur qui n'a pas été aggravé par l'accident, puisqu'il est demeuré identique avant et après l'accident.
L'employeur ajoute que la caisse n'est pas fondée à s'opposer à l'expertise en se prévalant de la présomption d'imputabilité puisqu'elle ne rapporte pas la preuve d'une continuité des symptômes. Il affirme qu'elle apporte la preuve d'un litige d'ordre médical dont la résolution est essentielle à la solution du litige et qu'il démontre que la discussion médicale caractérise un doute suffisamment sérieux pour rendre nécessaire une expertise médicale judiciaire.
Dans ses conclusions déposées au greffe le 17 janvier 2023, oralement soutenues à l'audience et auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de ses moyens, la caisse demande à la cour de :
- confirmer le jugement,
- si une expertise judiciaire était ordonnée, rejeter toute demande de fixation d'une nouvelle date de guérison.
La caisse soutient que la présomption d'imputabilité a vocation à s'appliquer à l'ensemble des prescriptions médicales, sauf pour l'employeur à rapporter la preuve de l'existence d'une cause étrangère au travail à l'origine exclusive des prescriptions de repos, ce qu'il ne fait pas en l'espèce. Elle met en évidence que l'existence d'un état pathologique préexistant ne permet pas d'écarter la présomption d'imputabilité au travail dès lors que cet état préexistant a été aggravé ou décompensé par l'accident du travail. Elle ajoute que l'employeur se contente de constater une apparente disproportion entre les blessures initiales et la durée des arrêts de travail, sans apporter aucun élément probant de nature à combattre la présomption qui s'attache à cette prise en charge.
La caisse souligne qu'en aucun cas une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie de l'administration de la preuve.
MOTIFS DE LA DÉCISION
En application des dispositions de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée, ou travaillant à quelque titre que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.
Il découle de ce texte que la présomption d'imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d'un accident du travail, dès lors qu'un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial d'accident du travail est assorti d'un arrêt de travail, s'étend pendant toute la durée d'incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l'état de la victime.
Cette présomption demeure pour les lésions non détachables de l'accident initial et qui apparaissent comme des conséquences ou des complications de la lésion initiale.
Il appartient à l'employeur qui conteste cette présomption d'apporter la preuve contraire.
La présomption ne fait pas obstacle à ce que l'employeur conteste l'imputabilité à l'accident du travail initialement reconnu de tout ou partie des soins et arrêts de travail pris en charge ultérieurement par la caisse primaire d'assurance maladie, mais lui impose alors de rapporter, par tous moyens, la preuve de l'absence de lien de causalité, c'est-à-dire d'établir que les arrêts de travail et les soins prescrits en conséquence de l'accident résultent d'une cause totalement étrangère au travail.
Une mesure d'expertise n'a donc lieu d'être ordonnée que si l'employeur apporte des éléments de nature à laisser présumer l'existence d'une cause étrangère qui serait à l'origine exclusive des arrêts de travail contestés et, en tout état de cause, elle n'a pas vocation à pallier la carence d'une partie dans l'administration de la preuve.
Il doit être en outre rappelé que le lien de causalité qui résulte de la présomption subsiste quand bien même l'accident aurait seulement précipité l'évolution ou l'aggravation d'un état pathologique antérieur qui n'entraînait jusqu'alors aucune incapacité.
Enfin, la référence au caractère disproportionné entre la durée des arrêts de travail et la lésion constatée n'est pas de nature à établir de manière suffisante l'existence d'un litige d'ordre médical, eu égard aux éléments qui précèdent.
En l'espèce, alors qu'il ressort de la déclaration d'accident du travail du 27 février 2012 que l'assuré avait ressenti une douleur au dos en manipulant un carton, la caisse produit aux débats le certificat médical initial du 24 février 2012 établi le jour de l'accident, prescrivant un arrêt de travail, faisant état d'une lombalgie, ainsi que chacun des certificats médiaux de prolongation d'arrêt de travail, prescrits par le même médecin du 5 mars au 26 juillet 2012, sous l'indication du même siège de lésion, en l'occurrence en lombaire S1 droite avec une irradiation en sciatalgie apparue neuf jours après l'accident.
Dès lors, les arrêts de travail prescrits jusqu'au 26 juillet 2012, date de la guérison, bénéficient de la présomption d'imputabilité au travail.
L'employeur oppose, d'une part, que le salarié a été placé en arrêt de travail pendant 154 jours, soit plus 5 mois, sans qu'aucun élément médical ne puisse corroborer cette situation, d'autre part, s'appuyant sur l'avis médical du docteur [W], son médecin conseil, également produit devant les premiers juges, que le salarié souffrait d'un état lombaire pathologique antérieur, en l'occurrence une hernie discale mise en évidence le 19 mars 2012 par une IRM, qui interfère avec les conséquences cliniques de l'accident pour estimer qu'au delà de l'infiltration lombaire réalisée entre le 3 et le 25 avril 2012, la durée des arrêts de travail est à imputer à une évolution chronique due à cet état antérieur.
Pour autant, à la lecture des arrêts de travail, la cour relève que c'est sur des doléances de lombo-sciatalgies rapportées dès le 5 mars 2012 qu'un examen médical a amené à la découverte, le 19 mars 2012, d'une hernie discale et, à admettre qu'il s'agissait d'un état pathologique antérieur, il n'est ni établi, ni même soutenu qu'une lésion afférente à une pathologie discale avait fait l'objet d'une prise en charge médicale antérieurement à l'accident du travail, de sorte qu'il n'en ressort aucune incapacité antérieure à l'accident et que cet état pré-existant qui était jusqu'alors muet a été révélé puis aggravé ou décompensé par l'accident du travail, ce dont le médecin conseil de l'employeur ne disconvient pas en admettant que l'inflammation qu'il suppose chronique du disque pathologique est aggravée de manière passagère par l'inflammation aigüe en lien avec le processus accidentel.
Et alors que l'appréciation du caractère passager de l'inflammation aigüe est aléatoire et que l'assuré a été déclaré guéri, le 26 juillet 2012, il n'existe pas d'argument médical sérieux en faveur de la persistance de douleurs exclusivement imputables à la pathologie discale, la seule durée du repos prescrit pour y parvenir ne pouvant suffire à considérer que les arrêts et soins prescrits ont, même pour partie de leur durée, une cause totalement étrangère au travail, de sorte, sans qu'il y ait lieu de recourir à une expertise médicale en l'absence de doute sérieux, par confirmation du jugement, la demande en inopposabilité de la décision prise en charge par la caisse des arrêts de travail et des soins prescrits à l'assuré jusqu'au 26 juillet 2012 doit être rejetée.
Succombant dans ses prétentions, l'employeur est tenu aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant
CONDAMNE la société [4] aux dépens.
La greffière, La présidente