AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 20/01380 - N° Portalis DBVX-V-B7E-M4BT
[W]
C/
Association CRECHE FAMILIALE ASSOCIATIVE LES SEPTIMOUSSES
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 30 Janvier 2020
RG : 19/00309
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 14 JUIN 2023
APPELANTE :
[B] [W]
née le 06 Août 1981 à [Localité 4]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Raouda HATHROUBI, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
Association CRECHE FAMILIALE ASSOCIATIVE LES SEPTIMOUSSES
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Emmanuelle POHU, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 03 Avril 2023
Présidée par Nathalie ROCCI, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Joëlle DOAT, présidente
- Nathalie ROCCI, conseiller
- Anne BRUNNER, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 14 Juin 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Suivant contrat de travail à durée déterminée, Mme [W] a été embauchée à compter du 1er septembre 2014, en qualité de Directrice, par l'association Crèche associative familiale les septimousses, association déclarée qui a pour activité l'accueil de jeunes enfants et qui est gérée par un Conseil d'administration composé de parents bénévoles.
A compter du 13 avril 2015, Mme [W] a été embauchée par contrat à durée indéterminée, en qualité de Directrice de crèche, statut cadre, coefficient 640.
En dernier lieu, elle percevait une rémunération brute mensuelle de 2 898,02 euros dans le cadre d'un forfait de 210 jours par an.
La convention collective nationale des acteurs du lien social et familial du 4 juin 1983 est applicable à la relation de travail et l'association dispose d'un effectif de 20 à 49 salariés.
Mme [W] dit avoir été victime d'un accident du travail le 23 février 2017, à la suite d'une agression par M. [A], trésorier de l'association et parent. La CPAM de [Localité 3] a reconnu le caractère professionnel de l'accident.
Mme [W] a été placée en arrêt de travail le 3 mars 2017.
Par courrier recommandé en date du 7 avril 2017, Mme [W] a été convoquée à un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement, fixé le 20 avril 2017.
Par lettre recommandée en date du 6 mai 2017, la salariée a été licenciée en ces termes :
« Nous sommes contraints de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour cause réelle et sérieuse.
Les motifs de cette rupture sont ceux qui vous ont été communiqués lors de votre entretien préalable qui s'est tenu le 20 avril 2017, au cours duquel vous étiez assistée de Mme [P] [M].
Les explications que vous nous avez fournies lors de votre entretien préalable ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation sur les faits qui vous sont reprochés.
C'est en considération de l'ensemble de ces éléments que nous sommes contraints de vous notifier par la présente votre licenciement pour les raisons exposées ci-dessous :
Votre comportement vis-à-vis tant des membres du Conseil d'Administration de la crèche que des assistantes maternelles et des parents a eu pour conséquence une ambiance délétère au sein de la structure devenue insupportable.
Les membres successifs du Conseil d'Administration, qui sont des parents bénévoles, témoignent d'une communication difficile que vous avez avec le Conseil d'Administration, et l'expression que vous utilisez à son sujet « sur lequel je n'avais plus aucun pouvoir » en dit long sur votre positionnement.
Vous relevez des problèmes avec chacun des présidents successifs en les accusant tous de critiquer votre travail sans jamais vous remettre en question, préférant dénigrer leur implication bénévole au sein de la structure.
Vous n'avez d'ailleurs pas hésité à dénigrer les membres du Conseil d'administration et les Présidents successifs tant en interne qu'auprès des organismes avec lesquels l'association est en lien.
Votre comportement est tout autant empreint d'agressivité envers les assistantes maternelles.
Il est apparu que vous usez des propos dégradants et menaçants à l'égard des assistantes maternelles. La menace d'un retrait d'agrément ne peut être un argument managérial.
Vos relations avec certaines familles apparaissent particulièrement difficiles.
Ces tensions ont bien évidemment un impact sur la bonne marche de la crèche. Le nombre d'arrêts maladie recensés en est une preuve, ainsi d'ailleurs que la démission d'une assistante maternelle.
Nous avons également évoqué lors de l'entretien préalable les carences relevées dans l'exécution de vos missions qui perdurent.
Nous avons ainsi relevé que la mise à jour des documents obligatoires n'a toujours pas été faite (projet social, projet pédagogique), que les visites des assistantes maternelles ne sont pas régulièrement réalisées ce qui a causé une période de suspension de l'agrément de Madame [S], que l'organisation de la journée pédagogique du 2 mai 2017 n'était pas anticipée, que vous ne respectez pas la procédure interne d'admission prévue dans le règlement de fonctionnement.
Vous n'avez donné aucune explication sur ces points.
Lors d 'un rendez-vous avec la MPI le 22 mars dernier, celle-ci s'est plainte d'être sollicitée à outrance sur des questions relevant de vos missions contractuelles. Elle a aussi souligné qu'il existait manifestement des disfonctionnements au sein de notre structure.
Les services de la Ville de [Localité 4] nous ont encore alertés sur l'absence de communication des documents de gestion et d'activité 2016 à la date impartie du 31 mars 2017. Nous vous rappelons que cette communication est particulièrement importante puisqu'elle conditionne le versement de la subvention 2017.
Vous nous avez indiqué, lors de l'entretien, que vous aviez commencé à vous occuper de ce problème à votre retour le 4 avril. Or, l'échéance du 31 mars vous était connue depuis longtemps, d'ailleurs ces documents nous sont demandés chaque année à la même date. Il vous appartient d'anticiper ces échéances particulièrement importantes pour la crèche.
Enfin, vous avez transmis à l'association un arrêt de travail pour accident de travail, qui serait intervenu le 23 février 2017, sans aucune explication sur les circonstances de cet accident malgré nos demandes. Ce n'est que par votre courriel en date du 28 mars 2017 que nous avons découvert de quoi il s 'agissait. Nous avons dû formuler des réserves compte tenu de votre refus de nous apporter des éclaircissements sur les circonstances de cet arrêt de travail. ».
Par requête en date du 31 août 2017, Mme [W] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon en lui demandant, à titre principal, de dire qu'elle a été victime de harcèlement moral, et à titre subsidiaire, de constater la mauvaise exécution de son contrat de travail et la violation de l'obligation de sécurité par son employeur. La salariée lui a également demandé de dire son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, et de condamner la Crèche associative familiale les septimousses à lui payer diverses sommes à titre d'indemnités et de dommages et intérêts.
Par jugement en date du 30 janvier 2020, le conseil de prud'hommes de Lyon a :
- dit que Mme [W] n'a pas été victime de harcèlement moral, qu'il n'y a pas de mauvaise exécution du contrat de travail ni de violation de l'obligation de sécurité de l'employeur,
- dit que le licenciement de Mme [W] est régulier et repose sur une cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
- débouté Mme [W] de toutes ses demandes,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
-débouté l'association Crèche associative familiale « les septimousses » de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Mme [W] a interjeté appel de ce jugement, le 20 février 2020.
Par conclusions notifiées le 30 juillet 2020, elle demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris,
Statuer à nouveau,
- dire et juger ses demandes recevables et bien fondées,
- dire qu'elle a été victime de harcèlement moral, à tout le moins de la mauvaise exécution du contrat de travail et de la violation de l'obligation de sécurité,
- dire que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
- condamner l'association Crèche familiale association les septimousses au paiement des sommes suivantes :
dommages et intérêts en raison de l'exécution déloyale du contrat de travail : 20 000 euros,
dommages et intérêts au titre du harcèlement moral : 20 000 euros
dommages et intérêts nets CSG CRDS pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 30 000 euros,
article 700 du Code de procédure civile : 2 500 euros,
condamnation aux dépens.
Par conclusions notifiées le 14 octobre 2020, l'association Crèche associative familiale les septimousses demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
En conséquence,
- dire et juger que Mme [W] n'a pas été victime de harcèlement moral,
- dire et juger qu'elle a exécuté loyalement le contrat de travail,
- dire et juger qu'elle n'a pas manqué à son obligation de sécurité,
- dire et juger que le licenciement de Mme [W] est régulier et repose sur une cause réelle et sérieuse,
- débouter en conséquence Mme [W] de l'intégralité de ses demandes,
- à titre subsidiaire, limiter le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 6 mois de salaire, soit 17 380 euros,
Y ajoutant,
- condamner Mme [W] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la même aux entiers dépens de première instance et d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 février 2023.
SUR CE :
Sur le harcèlement moral, l'exécution déloyale du contrat de travail et la violation de l'obligation de sécurité :
Mme [W] fait valoir que :
- elle a eu à travailler avec un employeur qui n'était pas clairement identifié, dans une situation de grande instabilité liée à des changements fréquents de présidents
- elle a travaillé dans un climat anxiogène et elle a été embauchée dans un contexte extrêmement difficile,
- son employeur était irrespectueux envers elle et manquait de considération à son égard,
- elle a dû gérer seule une structure manquant de personnel, la conduisant à gérer une mission comptable qui n'était pas la sienne ; elle a demandé à plusieurs reprises de l'aide mais le Conseil d'administration la lui a refusée,
- elle a été agressée verbalement et rabaissée à plusieurs reprises,
- elle a été victime d'échanges verbaux agressifs, notamment de la part de Mme [U], Présidente, et d'un dénigrement perpétuel et sans aucune raison de son travail,
- il lui a été reproché de ne pas atteindre tous les objectifs, alors même que le Conseil d'administration fixait des objectifs irréalisables, et que ce dernier abusait de son pouvoir pour mettre la pression sur l'équipe afin de générer des tensions entre elle et les assistantes maternelles,
- le Conseil d'administration et Mme [N], Présidente, ont poussé certains membres de l'équipe à rédiger des courriers contre elle,
- à partir de janvier 2016 et la présidence de M. [E], elle a été confrontée à une surveillance permanente, ainsi qu'à des appels et messages incessants ; elle a fait part de ce comportement inapproprié, en vain,
- elle a été accusée d'être la source de toutes les difficultés de l'association, elle a été surveillée, rabaissée, privée de certaines de ses fonctions et dénigrée auprès des partenaires institutionnels,
- elle a été menacée d'être licenciée à deux reprises et deux propositions de rupture conventionnelle lui ont été faites,
- le 23 février 2017, elle a été injuriée et agressée physiquement par M. [A], trésorier,
- elle a présenté, à la suite de cette agression reconnue comme un accident du travail, des troubles du sommeil, ce qui a engendré plusieurs mois d'arrêts de travail,
- elle a alerté son employeur sur ses conditions de travail et le harcèlement subi sans que celui ne réagisse.
La Crèche Associative Les Septimousses fait valoir que :
- Mme [W] n'a subi aucun harcèlement moral et que ses allégations, ne sont corroborées par aucun élément de fait objectif permettant de faire supposer des faits de harcèlement,
- les attestations produites par Mme [W] ne sont pas probantes, soit parce qu'il s'agit de courriers établis par elle-même, soit parce qu'il s'agit d'attestations et de courriers rédigés par ses collègues n'établissant pas une situation de harcèlement ; en outre, les faits reprochés à la direction ne sont pas constitutifs d'un harcèlement, mais de l'exercice du pouvoir de contrôle de son employeur,
- les faits reprochés à M. [A] en date du 23 février 2017 ne constituent pas un fait participant à un quelconque harcèlement de l'employeur, M. [A] étant présent à un rendez-vous en qualité de parent,
- plusieurs attestations d'assistantes maternelles démontrent que c'est Mme [W] qui avait un comportement inacceptable envers elles, ce qui a également été constaté par un intervenant extérieur venu établir un audit,
- il ressort de plusieurs attestations versées aux débats que c'est le comportement de la salariée qui a conduit plusieurs parents à se désinvestir de la gestion de la crèche et à démissionner de leurs fonctions ou de membres du conseil d'administration,
- un courrier du 28 mars 2017 démontre que Mme [W] n'a pas supporté de ne plus avoir aucun pouvoir sur le Conseil d'administration, et que dès son arrivée à la crèche, la salariée s'est opposée au Conseil d'administration et à la présidence,
- Mme [W] n'établit pas non plus l'exécution déloyale du contrat de travail et la violation de l'obligation de sécurité.
****
Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel
Et il résulte de l'article L. 1154-1 du code du travail que lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral; dans l'affirmative, il appartient à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifié par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement
Mme [W] fait état d'un comportement irrespectueux de son employeur, d'un manque de considération, de propos rabaissants ou d'échanges verbaux agressifs qui ne sont pas circonstanciés et ne reposent que sur les propres déclarations de la salariée.
Elle produit une pièce n°12 qui a été écartée par le conseil de prud'hommes comme étant partiellement illisible, mais l'association produit cette lettre en pièce n°4 parfaitement lisible.
Elle est intitulée «Lettre pour la présidente et CA de la crèche les Septimouses» ; il en résulte que l'attention de la présidente est attirée sur le comportement et le manque de professionnalisme de Mme [W], mais cette lettre n'est pas signée.
Mme [W] produit en outre en pièces n°15 à 17, les témoignages de Mme [R] [I], de Mme [T] [S], de Mme [Z] [Y] se désolidarisant du contenu de la lettre précitée.
Mme [W] verse par ailleurs aux débats, une convocation du 3 février 2017 à un entretien préalable fixé au 13 février 2017 en vue d'une rupture conventionnelle, qui a précédé de quelques semaines la mise en 'uvre de la procédure de licenciement.
Mme [W] invoque également au titre du harcèlement moral ou de l'exécution déloyale du contrat de travail, une altercation violente avec M. [A], parent d'un enfant fréquentant la crèche et trésorier de l'association, à l'occasion d'un entretien avec Mme [F], assistante maternelle de la fille de M. [A]. Elle s'appuie sur le contenu de l'entretien du 23 février 2017 signé par Mme [M], éducatrice.
Le conseil de prud'hommes a écarté cette pièce comme étant non conforme aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile. Or, il est constant que le juge ne peut rejeter une attestation non conforme aux exigences de l'article 202 du code de procédure civile sans préciser en quoi l'irrégularité constatée constituait l'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public faisant grief à la partie qui l'attaque et il appartient au juge du fond d'apprécier souverainement si l'attestation en question présente des garanties suffisantes pour emporter sa conviction.
En l'espèce, la présence de Mme [M], éducatrice, à l'entretien du 23 février 2017 et sa signature au bas du compte-rendu de l'entretien au cours duquel l'altercation s'est produite ne sont pas contestées, de sorte que cette pièce présente des garanties suffisantes permettant d'en examiner le contenu.
Il en résulte que Mme [M], éducatrice, présente lors de l'altercation le 23 février 2017, a témoigné de l'agressivité de M. [A] au sujet du remplacement de l'assistante maternelle habituelle (Mme [F]) de sa fille, dans les termes suivants :
« M. [A] a accusé Mme [W] d'être responsable de toutes les difficultés depuis leur arrivée à la crèche. Il a dit qu'il observera toujours un regard critique sur son travail ( ') M. [A] et Mme [X] (son épouse) ont été sur la défensive dès le début de l'entretien. Ils ont été très agressifs et ont employé un ton très violent. M. [A] a eu une attitude et des gestes très violentes et déplacés : buste penché très en avant vers Mme [W] (il était assis en face d'elle).Il a tendu le doigt vers elle et a essayé de lui attraper le bras plusieurs fois, son attitude était menaçante et il cherchait visiblement à l'intimider (') »
Enfin, Mme [W] produit les attestations de Mme [J] [C], éducatrice de jeunes enfants et de Mme [D] qui proposent chacune un historique des relations de travail au sein de la crèche depuis leur arrivée en 2011, dont il ressort qu'elles sont arrivées dans un climat de souffrance au travail caractérisé notamment par :
- la pression et le dénigrement de la direction,
- le poids du conseil d'administration exigeant par exemple des points de travail quasi hebdomadaires, - la pression exercée sur Mme [K], directrice ayant précédé Mme [W],
- la remise en cause de la qualité de leur travail,
- le rejet de revendications relatives à l'obtention d'une prime,
- le désengagement du bureau au détriment de l'équipe de direction, notamment au départ de la comptable.
La cour observe que les témoignages sus-visés sur le positionnement du conseil d'administration ne concernent pas uniquement Mme [W] mais également la directrice qui l'a précédée et que l'instabilité dénoncée au sein du conseil d'administration est ancienne, Mme [W] soulignant à ce sujet que cinq présidents différents se sont succédés à la tête du conseil d'administration depuis 2011.
Il n'est pas démontré d'une part que Mme [W] aurait fait l'objet d'un traitement particulier à compter de sa nomination, ni d'autre part que les exigences du conseil d'administration auraient excédé l'exercice normal par l'association, de son pouvoir de direction.
S'agissant de l'altercation du 23 février 2017, prise en compte au titre de la législation des accidents du travail, elle constitue un évènement isolé ayant opposé Mme [W] à M. [A] en sa qualité de parent d'enfant et non en sa qualité de trésorier et il résulte par ailleurs du compte-rendu de Mme [M], que M. [A] a fait preuve d'une grande agressivité également à l'égard de son assistante maternelle habituelle Mme [F].
En définitive, si les éléments apportés par Mme [W], pris dans leur ensemble, traduisent incontestablement un climat de tensions au sein de la crèche associative lequel est confirmé notamment par la présentation en mars 2016 d'un projet d'accompagnement de l'équipe de direction par un coach professionnel ( cf compte rendu du conseil d 'administration du jeudi 24 mars 2016) et rendent compte de difficultés de gestion propres aux structures associatives, ils ne laissent pas présumer l'existence d'un harcèlement moral.
Les mêmes faits sont invoqués à l'appui de la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail qui figure dans le dispositif des conclusions d'appel.
Or, il a été dit que certains d'entre eux n'étaient pas établis.
L'altercation du 23 février 2017 dont les circonstances sont relatées ci-dessus est insuffisante à caractériser l'exécution déloyale du contrat de travail reprochée à l'employeur.
Le jugement déféré est par conséquent confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de dommages et intérêts de Mme [W] fondées sur le harcèlement moral et l'exécution déloyale du contrat de travail.
- Sur le licenciement :
Sur la procédure conventionnelle de licenciement :
Mme [W] fait valoir que les griefs invoqués dans sa lettre de licenciement correspondent à des fautes, de sorte que son licenciement aurait dû être précédé au minimum, de deux sanctions préalables, conformément à la convention collective applicable. Elle conclut au non-respect de la procédure conventionnelle de licenciement.
La Crèche Associative Les Septimousses soutient en réponse que l'article 5.3 chapitre III de la convention collective nationale des acteurs du lien social et familial du 4 juin 1983 n'est pas applicable dans la mesure où Mme [W] a été licenciée pour motif personnel, à savoir mésentente avec le personnel et la direction perturbant le bon fonctionnement de l'association et insuffisances professionnelles et que la procédure de licenciement est régulière.
Sur les motifs du licenciement :
Mme [W] fait valoir que :
- elle a été victime des comportements conflictuels des membres du Conseil d'administration, et que ces derniers n'ont eu de cesse d'outrepasser leur pouvoir, instaurant ainsi des conditions de travail anxiogènes,
- il existait une instabilité et une communication difficile en raison des changements réguliers des membres composant le Conseil d'administration,
- aucune fiche de poste n'a été établie, ce qui a généré des tensions et souffrances au travail imputables à l'employeur,
- elle alerté la crèche sur les difficultés de communication du Conseil d'administration,
- elle conteste les griefs qui lui sont reprochés, notamment les faits de dénigrement du Conseil d'administration, et que son travail a été constamment dénigré devant ses collègues et devant des parents,
- il est faux de lui imputer certaines démissions et elle conteste les faits d'agressivité, de menace de retrait d'agrément et sa responsabilité dans les arrêts maladies des assistantes maternelles qui lui sont reprochés,
- elle conteste également avoir mal exécuté son travail ; la mise à jour des documents n'a pas pu être réalisée car elle nécessitait une validation du Conseil d'administration et les plaintes de la PMI et des services de [Localité 4] ne sont pas prouvés,
- elle a été très « dévolue » et professionnelle, elle a réalisé un certain nombre d'heures, effectué des tâches ne lui incombant pas et a fait remonter des difficultés rencontrées par le personnel,
- elle est restée disponible, même durant ses congés ou arrêt maladie,
- elle n'a pas pu communiquer les documents de gestion et d'activité à la ville de [Localité 4] à la date impartie du 31 mars 2017 mais seulement le 4 avril 2017 car elle était en arrêt de travail,
La Crèche Associative Les Septimousses fait valoir que :
- Mme [W] ne rapporte pas la preuve des faits qu'elle lui reproche et ne produit que des courriers émanant de sa part ; en outre, ces derniers démontrent qu'elle s'est opposée systématiquement aux présidents successifs et autres membres du Conseil d'administration,
- la salariée ne supportait pas que son employeur exerce son pouvoir de direction,
- il ressort des comptes rendus du Conseil d'administration que des fiches de postes existaient mais qu'elles devaient être actualisées,
- Mme [W] n'a eu de cesse de critiquer les membres du Conseil d'administration auprès des nouveaux parents adhérents, et a adressé ses critiques auprès de tiers à la crèche,
- la communication et la mésentente avec les membres du Conseil d'administration découlent de l'attitude de Mme [W],
- la salariée a également eu un comportement empreint d'agressivité et elle a utilisé des propos dégradants et menaçants à l'égard des assistantes maternelles, comme en témoignent plusieurs attestations d'assistantes maternelles se plaignant du comportement de Mme [W],
- s'agissant de l'insuffisance de Mme [W] dans l'exécution de ses missions, le Conseil d'administration n'a pas disposé des documents à valider, et la salariée aurait dû anticiper l'envoi des documents à la ville de [Localité 4], lesquels doivent être retournés tous les ans à la même date,
- Mme [W] ne conteste pas l'absence d'anticipation de la journée pédagogique du 2 mai 2017, ni le non-respect de la procédure interne d'admission, ni l'irrégularité des visites des assistantes maternelles ; en outre, elle ne conteste pas non plus ne pas avoir informé son employeur du caractère professionnel retenu par son médecin s'agissant de l'« accident » du 23 février 2017.
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D'une part, le motif personnel de licenciement relève soit du pouvoir disciplinaire, soit du pouvoir de direction de l'employeur. La lettre de licenciement fixant les limites du litige, il appartient au juge d'apprécier si les faits allégués ont ou non un caractère fautif, et donc si l'employeur s'est placé sur un terrain disciplinaire sans respecter la procédure prévue à cet effet.
D'autre part, si l'irrégularité commise dans le déroulement de la procédure disciplinaire prévue par une disposition conventionnelle ou un règlement intérieur est assimilée à la violation d'une garantie de fond, elle a pour effet de rendre le licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsqu'elle a privé le salarié des droits de sa défense ou lorsqu'elle est susceptible d'avoir exercé une influence sur la décision finale de licenciement par l'employeur.
La crèche associative les Septimousses conteste le licenciement disciplinaire en exposant que Mme [W] a fait l'objet d'un licenciement pour motif personnel, en l'espèce sa mésentente avec le personnel et la direction ; mais les termes de la lettre de licenciement permettent cependant de caractériser plusieurs fautes : soit le dénigrement des membres du conseil d'administration et des présidents successifs, ainsi qu'un comportement agressif, des propos dégradants et menaçants à l'égard des assistantes maternelles et l'usage de la menace d'un retrait d'agrément comme argument managérial.
Ainsi, l'employeur n'hésite pas, dans ses conclusions, à évoquer contre Mme [W], un comportement harcelant, dans les termes suivants :
« Huit assistantes maternelles sur douze entendues se sont ainsi plaintes du comportement de Mme [W], évoquant des pressions de sa part, voire un harcèlement. »
Dans ces conditions, les griefs retenus contre Mme [W] à l'appui de son licenciement ne relèvent pas de l'insuffisance professionnelle ou d'une simple mise en cause de son management, mais bien de l'exécution fautive du contrat de travail.
Mme [W] est en conséquence fondée à invoquer l'application des dispositions de l'article 5.3 chapitre III de la convention collective nationale des acteurs du lien social et familial du 4 juin 1983, lesquelles énoncent :
« Sauf en cas de faute grave, il ne peut y avoir de licenciement pour faute à l'égard d'un salarié si ce dernier n'a pas fait l'objet précédemment d'au moins 2 sanctions ( avertissement ou mise à pied).
En cas de licenciement pour une faute grave, les dispositions des articles concernant le délai-congé ne sont pas applicables. »
Le licenciement de Mme [W] lui ayant été notifié sans avoir été précédé de deux sanctions au moins, il appartient par conséquent à la cour de déterminer s'il s'agit de la violation d'une garantie de fond ou de forme.
L'obligation conventionnelle qui est faite à l'employeur, en application de la convention collective nationale des acteurs du lien social et familial, d'exercer son pouvoir disciplinaire de manière progressive, constitue une garantie de fond dès lors qu'elle offre nécessairement au salarié la possibilité de modifier le comportement litigieux et donc d'éviter le licenciement. Le prononcé de deux sanctions préalables telles qu'un avertissement ou une mise à pied est donc bien de nature à influencer la décision finale de l'employeur.
Il en résulte que le non-respect des dispositions de l'article 5-3 de la convention collective précitée a pour effet de priver de cause réelle et sérieuse le licenciement qui repose sur des fautes disciplinaires.
Le licenciement est par conséquent infirmé en ce qu'il a jugé que le licenciement de Mme [W] est régulier et repose sur une cause réelle et sérieuse, et en ce qu'il a débouté la salariée de ses demandes subséquentes.
- Sur les dommages-intérêts :
En application des articles L.1235-3 et L.1235-5 anciens du code du travail, Mme [W] ayant eu une ancienneté supérieure à deux ans dans une entreprise occupant habituellement 11 salariés au moins, peut prétendre, en l'absence de réintégration dans l'entreprise, à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Compte tenu de l'effectif de l'association, dont il n'est pas contesté qu'il est habituellement de plus de 11 salariés, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Mme [W] âgée de 35 ans lors de la rupture, de son ancienneté de deux années, onze mois et 22 jours, de sa capacité à retrouver en emploi équivalent, la cour estime que le préjudice résultant pour elle de la rupture doit être indemnisé par la somme de 17 390 euros, sur la base d'un salaire moyen mensuel de 2 898,02 euros .
Le jugement qui a rejeté cette demande est infirmé en ce sens et Mme [W] est déboutée de sa demande pour le surplus.
- Sur le remboursement des indemnités de chômage :
En application de l'article L.1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d'indemnisation; le jugement déféré sera confirmé de ce chef.
- Sur les demandes accessoires :
Les dépens de première instance et d'appel, suivant le principal, seront supportés par l'association la crèche associative « Les Septimousses ».
L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d'appel dans la mesure énoncée au dispositif.
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement
CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les demandes en paiement de dommages et intérêts de Mme [B] [W] fondées sur le harcèlement moral et sur l'exécution déloyale du contrat de travail
INFIRME le jugement déféré pour le surplus
STATUANT à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant
DIT que le licenciement notifié par la crèche associative familiale «Les Septimousses» le 6 mai 2017 à Mme [W] est dépourvu de cause réelle et sérieuse
CONDAMNE l'association crèche associative familiale « Les septimousses » à payer à Mme [W] la somme de 17 390 euros de dommages- intérêts en réparation du préjudice résultant du licenciement injustifié
ORDONNE d'office à l'association crèche associative familiale «Les septimousses» le remboursement à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à Mme [W] dans la limite de trois mois d'indemnisation,
CONDAMNE l'association crèche associative familiale «Les septimousses» à payer à Mme [W] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE l'association crèche associative familiale «Les septimousses» aux dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE