AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 20/00989 - N° Portalis DBVX-V-B7E-M3F6
[P]
C/
Association CENTRE DE SANTÉ MÉDIALE
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 09 Janvier 2020
RG : 18/01038
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 14 JUIN 2023
APPELANT :
[V] [P]
né le 18 Mars 1983 à [Localité 5]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Suzy CAILLAT, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
Association CENTRE DE SANTÉ MÉDICALE
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Fabien ROUMEAS, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 28 Mars 2023
Présidée par Anne BRUNNER, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Joëlle DOAT, présidente
- Nathalie ROCCI, conseiller
- Anne BRUNNER, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 14 Juin 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
M. [P] a été embauché au sein du CENTRE DENTAIRE DES CHARPENNES, géré par l'association CENTRE DE SANTE MEDICALE (CESAME), en qualité de chirurgien-dentiste, à compter du 7 octobre 2013.
Par lettre du 29 janvier 2016, M. [P] a démissionné. Il a effectué son préavis de 3 mois, conformément à son contrat de travail.
Contestant le solde de tout compte, M. [P] a saisi le conseil de prud'hommes de LYON, en référé, le 29 juillet 2016.
Par ordonnance du 5 octobre 2016, la formation de référé du conseil de prud'hommes a condamné l'association Centre de Santé Médicale :
à payer à M. [P] les sommes de 4 244,03 euros bruts au titre de son salaire du mois de mai 2016 et de 550,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
à remettre à M. [P] le bulletin de salaire du mois de mai 2016 rectifié, sous astreinte de 30,00 euros par jour de retard suivant le 15ème jour après la notification de l'ordonnance
Par arrêt du 16 mars 2018, la cour d'appel de LYON a infirmé l'ordonnance et débouté M. [P] de ses demandes.
Le 9 avril 2018, M. [P] a saisi le conseil de prud'hommes de LYON d'une demande de rappel de salaire pour le mois de mai 2016, de dommages-intérêts pour retard dans le paiement.
Par jugement du 9 janvier 2020, le conseil de prud'hommes de LYON a débouté M. [P] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné aux dépens.
Le 7 février 2020, M. [P] a fait appel de cette décision.
Aux termes de ses écritures, notifiées le 6 mai 2020, M. [P] demande à la cour d'infirmer le jugement et de :
condamner l'Association CESAME à lui payer la somme de 4 244,03 euros brute à titre de rappel de salaire du mois de mai 2016 ;
condamner l'Association CESAME à lui payer la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour retard dans le paiement du salaire ;
ordonner la rectification du bulletin de salaire du mois de mai 2016, le tout sous astreinte de 50,00 euros par jour de retard à compter du jugement à intervenir ;
condamner l'Association CESAME à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner l'Association CESAME aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions, notifiées le 22 juillet 2020, l'association CESAME demande à la cour de confirmer le jugement et de condamner M. [P] au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 février 2023.
SUR CE
Sur le rappel de salaire :
Aux termes de l'article L1331-2 du code du travail, les amendes ou autres sanctions pécuniaires sont interdites. Toute disposition ou stipulation contraire est réputée non écrite.
En vertu de l'article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.
Les clauses dites de bonne fin sont licites dès lors qu'elles ne privent le salarié que d'un droit éventuel et non d'un droit acquis au paiement d'une rémunération.
Selon l'article 5 du contrat de travail, «la rémunération brute du praticien sera établie mensuellement au prorata du nombre d'actes, de consultations ou des autres prestations donnant lieu à une prise en charge par des organismes d'assurance maladie ou assimilés, effectués par le praticien et facturés par le centre. Le calcul de la rémunération brute mensuelle est établi sur le chiffre d'affaire facturé, à hauteur de 25% sur l'ensemble des actes, comprenant la provision pour congés payés de 10% du salaire brut. [']».
L'article 6 du contrat de travail, qui est relatif à la durée du contrat de travail, de la période d'essai et du préavis, stipule, en son dernier alinéa que «suite à la clôture de l'activité du praticien au sein du centre-un licenciement, une démission ou départ à la retraite- le solde de tout compte, établi à partir du chiffre d'affaires facturé à la date du départ, exclura les impayés et litiges éventuels.».
Le salarié fait valoir qu'il ne fait pas de doute que sa rémunération était fondée sur le chiffre d'affaire facturé et non sur le chiffre d'affaire encaissé ; que l'ordre national des chirurgiens dentiste considère que la rémunération calculée sur les honoraires encaissés est susceptible d'être analysée comme une sanction financière en cas de non-paiement.
Il conteste le bien-fondé des retenues opérées par l'association CESAME, soulignant qu'ont été déduit les encours et clients douteux, ce qui n'est pas prévu à l'article 6 du contrat de travail ; que l'association CESAME ne justifie pas des démarches entreprises pour le règlement des impayés. Il ajoute que sa rémunération ne comportait pas de part variable ; que l'employeur ne pouvait pas le priver d'un droit acquis au paiement de sa rémunération ; que le chiffre d'affaire facturé correspondait aux actes effectivement réalisés sur ses patients.
L'association CESAME objecte que, selon l'article 6 du contrat de travail, suite au départ du praticien, le solde de tout compte, établi à partir du chiffre d'affaires facturé à la date de départ, exclura les impayés et litiges éventuels.
Elle soutient qu'elle justifie des impayés et litiges éventuels existants à la date du départ de M. [P] qu'elle a déduits.
***
Il ressort de la pièce n°6, versée aux débats par le salarié et intitulée « activité globale facturée par le praticien » que le chiffre d'affaire du mois de mai s'est élevé à 45 378,05 euros pour M. [P].
Le centre CESAME a opéré des déductions sur cette somme au titre de 4 postes : «risques patients impayés- Cf liste des lettres de relance de niveau 1», «chiffre d'affaire non récupérable : activité des actes encours» «risques patients impayés : chèque en attente encaissement» et «soins litigieux».
Elle a ainsi obtenu un chiffre d'affaire de 32 223,03 euros, auquel elle a appliqué le pourcentage prévu à l'article 5 pour calculer le montant des «commissions sur acte», sur lequel elle a de nouveau opéré des déductions au titre de deux postes «travail prothèse facturée par labo non facturée patient» et «déduction matériel cassé perdu».
Pour justifier des déductions opérées sur le chiffre d'affaire facturé, l'association CESAME verse aux débats :
la «liste des lettres de relance de niveau 1 à envoyer», éditée le 28 avril 2016, pour des factures dont les dates s'échelonnent entre le 14 novembre 2014 et le 28 avril 2016 ;
un document intitulé «activité des actes en cours par praticien», édité le 28 avril 2016, couvrant la période du 1er janvier 2013 au 28 avril 2016 et dont il ne ressort pas que le chiffre d'affaire serait «non récupérable» ;
le bordereau de remise de chèques, concernant notamment des chèques établis par des patients du Dr [P] et pour lesquels « l'échéance » est différée à une date postérieure au départ du praticien (mai ou septembre 2016) ;
deux courriers d'un patient, se plaignant de ce que son appareil dentaire le blesse lors des repas et retraçant les soins qu'il a reçus entre le 9 novembre 2015 et le 30 mai 2016.
En déduisant du chiffre d'affaire facturé des sommes, au titre d'impayés ou «d'en cours», remontant à des soins réalisés par le praticien depuis l'origine des relations contractuelles, l'association Centre CESAME a privé le salarié d'un droit acquis au paiement de la rémunération, dont le fait générateur est le chiffre d'affaire facturé
Au surplus, l'association ne justifie d'aucune démarche entreprise pour obtenir le paiement des soins.
En déduisant des chèques en attente d'encaissement, l'association a privé le salarié d'un droit acquis au paiement.
Il en va de même des soins litigieux, qui ont été facturés, ouvrant ainsi droit à une rémunération.
En déduisant de la rémunération du Dr [P] des sommes «non facturées au patient» qui ne sont donc pas comprises dans le chiffre d'affaire facturé, l'association a méconnu l'article 5 du contrat de travail.
Enfin, en déduisant de la rémunération, des sommes au titre du «matériel cassé perdu», au demeurant, sans aucun justificatif, l'association a appliqué une sanction pécuniaire.
Le jugement sera infirmé et l'association CESAME condamnée au paiement de la somme de 4 244,03 euros brute à titre de rappel de salaire.
Sur la demande de dommages-intérêts :
L'article 1231-6 du code civil dispose que « les dommages- intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier ne soit tenu de justifier d'aucune perte. Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages-intérêts distincts de l'intérêt moratoire. »
Le salarié fait valoir qu'il a été contraint de saisir la formation des référés puis la juridiction du fond, qu'il n'a toujours pas perçu la rémunération intégrale de mai 2016 et que son préjudice est incontestable.
L'employeur objecte que M. [P] ne justifie d'aucun préjudice.
M. [P] ne justifiant pas avoir subi un préjudice distinct de celui qui est réparé par l'allocation des intérêts de retard, le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages-intérêts.
Sur les autres demandes :
Il y a lieu d'ordonner à l'association CESAME de remettre à M. [V] [P] un bulletin de paie conforme aux dispositions du présent arrêt, et ce dans un délai d'un mois à compter de sa signification.
Aucune circonstance ne justifie que cette décision soit assortie d'une astreinte
L'association CESAME, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
Il est équitable de condamner l'association CESAME à payer à M. [P] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition, contradictoirement :
Infirme le jugement, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts ;
Statuant à nouveau
Condamne l'association CESAME à payer à M. [V] [P] la somme de 4 244,03 euros brute à titre de rappel de salaire pour le mois de mai 2016 ;
Ordonne à l'association CESAME de remettre à M. [V] [P] un bulletin de paie conforme aux dispositions du présent arrêt, et ce dans un délai d'un mois à compter de sa signification ;
Dit n'y avoir lieu à astreinte ;
Condamne l'association CESAME aux dépens de première instance et d'appel ;
Condamne l'association CESAME à payer à M. [V] [P] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE