AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 22/01752 - N° Portalis DBVX-V-B7G-OFED
Association ASSOCIATION DE CHIENS GUIDES D'AVEUGLES DE [Localité 4] ET DU CENTRE-EST
C/
[H] [G]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Lyon
du 23 Février 2022
RG : 21/00444
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE C
ARRÊT DU 08 JUIN 2023
APPELANTE :
Association DE CHIENS GUIDES D'AVEUGLES DE [Localité 4] ET DU CENTRE-EST
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Matteo CRISPINO de la SARL TAGO AVOCATS, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
[E] [H] [G]
née le 12 Octobre 1994 à [Localité 3]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Patricia MORIN, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 02 Mars 2023
Présidée par Vincent CASTELLI, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Fernand CHAPPRON, Greffier.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Nathalie PALLE, président
- Thierry GAUTHIER, conseiller
- Vincent CASTELLI, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 08 Juin 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Nathalie PALLE, Président et par Fernand CHAPPRON, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Mme [E] [H] [G] (la salariée) a été embauchée le 11 mars 2019 par l'Association de chiens guides d'aveugles de [Localité 4] et du Centre-Est (l'association) selon contrat de travail à durée indéterminée, en qualité d'assistante monitrice, employée, niveau II, échelon 1, coefficient 210.
Le 2 novembre 2021, l'association a suspendu, sans rémunération, le contrat de travail de la salariée, au motif que celle-ci n'avait pas justifié du respect de l'obligation vaccinale contre le Covid-19. Cette décision lui était notifiée par lettre recommandée avec avis de réception du 3 novembre 2021.
Le 17 novembre 2021, la salariée était convoquée à un entretien, au cours duquel elle sollicitait sa réintégration.
Le 30 novembre 2021, la salariée saisissait le conseil de prud'hommes de Lyon en sa formation des référés aux fins de contester la décision de son employeur.
Par ordonnance du 23 février 2022, le conseil de prud'hommes de Lyon a :
annulé la suspension du contrat de travail de la salariée du 2 novembre 2021,
ordonné à l'association de payer à la salariée les salaires qu'elle aurait dû percevoir du 2 novembre 2021 jusqu'au prononcé de la décision, soit la somme de 6 032,77 euros,
débouté les parties du surplus de leurs demandes,
condamné l'association aux entiers dépens de l'instance.
Le 2 mars 2022, l'association a relevé appel de cette décision.
Par ordonnance du 4 avril 2022, le premier président de la cour d'appel de Lyon, saisi par l'association, a déclaré recevable mais a rejeté la demande d'arrêt de l'exécution provisoire attachée à la décision critiquée.
Dans ses conclusions notifiées par RPVA le 30 mars 2022, l'association demande à la cour de :
A titre principal : annuler l'ordonnance déférée,
A titre subsidiaire : infirmer l'ordonnance déférée,
En tout état de cause, statuant à nouveau :
débouter la salariée de l'intégralité de ses demandes,
condamner la salariée aux dépens.
L'association soutient notamment que :
pour faire droit à la demande de la salariée aux fins d'annulation de la décision de suspension de son contrat de travail, le conseil de prud'hommes n'a pas répondu au principal moyen de défense de l'association, tiré de la présence de professionnels de santé dans ses locaux ; que ce défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motivation de nature à entraîner l'annulation de la décision ;
la demande de la salariée ne présentait pas de caractère d'urgence, dès lors que celle-ci, informée depuis le mois d'août de l'obligation vaccinale, a fait le choix de se mettre volontairement en situation de non-conformité avec la loi et qu'elle a introduit sa demande plus de trois semaines après sa suspension ;
surabondamment, la décision de suspension a été prise en stricte application de l'article 1.IIC-1 de la loi du 5 août 2021 et est parfaitement régulière ;
la demande de la salariée souffrait d'une contestation sérieuse ; qu'en effet l'obligation vaccinale avait vocation à s'appliquer à tous les personnels de l'association dès lors que celle-ci employait dans ses locaux un médecin, deux psychologues et une instructrice en locomotion ; que compte tenu de son activité d'accompagnement de personnes malvoyantes ou aveugles, l'association entrait dans le champ d'application de la loi relative à l'obligation vaccinale ; que l'agence régionale de santé (ARS) a émis un avis en ce sens ;
la demande de la salariée relative au suivi d'une formation est sans objet, faute d'avoir régularisé son inscription à ladite formation.
Dans ses conclusions notifiées par RPVA le 28 avril 2022, la salariée demande à la cour de :
confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
condamner en tant que de besoin l'association au paiement de la somme de 6 032,77 euros,
condamner l'association à lui verser les salaires qu'elle aurait dû percevoir depuis le 23 février 2022, date de l'ordonnance querellée,
En tout état de cause,
débouter l'association de l'ensemble de ses demandes,
condamner l'association à lui payer la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la même aux entiers dépens de l'instance.
La salariée soutient notamment que :
la décision querellée est parfaitement motivée et répond à l'ensemble des moyens soulevés par l'association ;
la décision a été rendue au visa des articles R.1455-5 et suivants du code du travail, l'article R.1455-6 précisant que la formation peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; que les arguments de l'association tirés de l'urgence et de l'absence (sic) de contestation sérieuse sont inopérants ;
l'association est exclue de la catégorie des établissements sociaux et médico-sociaux, comme en attestent les avis des ARS Grand Est et Auvergne Rhône Alpes, de plusieurs DIRECCTE ainsi que de la Direction générale de la cohésion sociale ; que compte tenu de la nature de l'activité qu'exercent les professionnels de santé au sein de l'association, à savoir exempte de toute activité de soins, ces derniers ne sont pas soumis à l'obligation vaccinale ; qu'en tout état de cause, leur obligation vaccinale ne s'étendrait pas à l'ensemble du personnel dès lors que l'association n'est pas un centre médico-social ; que l'association, soumise à une procédure de labellisation ainsi que l'a justement relevé la décision critiquée, n'entre pas dans la catégorie des établissements et services visés à l'article L. 312-1 et suivants du code de l'action sociale et des familles ; que par ailleurs la salariée n'a aucun contact avec les personnes déficientes visuelles et n'a que des contacts ponctuels avec le reste du personnel de l'association, de sorte qu'elle bénéficie de la dispense de l'obligation vaccinale, prévue par l'article III de la loi du 5 août 2021.
Par application des dispositions de l'article 455 alinéa 1er du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions susvisées des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande d'annulation de l'ordonnance déférée
L'article 455, alinéa 1er, du code de procédure civile énonce que tout jugement doit être motivé.
Le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motif.
L'article 458 du même code prévoit que l'observation de ces dispositions est prescrite à peine de nullité.
En l'espèce, l'ordonnance déférée a considéré que la suspension du contrat de travail de la salariée était injustifiée au motif que l'association n'entre pas dans le champ d'application de l'article L.312-1 du code de l'action sociale et des familles relatif aux établissements et services sociaux et médico-sociaux, soumis à l'obligation vaccinale de leurs personnels. Cependant la décision ne répond pas, même implicitement, au moyen de défense de l'association tiré de l'obligation vaccinale des personnes travaillant dans les mêmes locaux que des professionnels de santé en application de l'article 12, I, 4° de la loi n°2021-1040 du 5 août 2021, moyen dont le conseil de prud'hommes était saisi en page 9 des conclusions de première instance de l'association, régulièrement déposées au greffe ladite juridiction le 5 janvier 2022 à l'audience des débats du même jour, auxquelles renvoie l'ordonnance entreprise.
Le défaut de réponse à conclusions étant caractérisé, la décision est annulée.
Sur les critères du référé
Selon l'article R.1455-5 du code du travail, dans tous les cas d'urgence, la formation de référé peut, dans la limite de la compétence des conseils de prud'hommes, ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
Sur l'urgence
Il est constant que la salariée a saisi le conseil de prud'hommes en sa formation des référés moins de quinze jours après avoir vainement sollicité auprès de l'association sa réintégration dans son emploi, et alors qu'elle se trouvait privée de rémunération depuis sa suspension.
Ces circonstances caractérisent l'urgence au sens du texte précité.
Sur l'existence ou l'absence d'une contestation sérieuse
Les parties sont en litige sur l'interprétation de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, spécialement quant au champ d'application de l'obligation vaccinale prévue en son article 12. I.
Selon le 1° de ce texte, doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre le covid-19, les personnes exerçant leur activité dans : [']
k) Les établissements et services sociaux et médico-sociaux mentionnés aux 2°, 3°, 5°, 6°, 7°, 9° et 12° du I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles, à l'exception des travailleurs handicapés accompagnés dans le cadre d'un contrat de soutien et d'aide par le travail mentionné au dernier alinéa de l'article L. 311-4 du même code.
Selon l'article L. 312-1, I, du code de l'action sociale et des familles, sont des établissements et services sociaux et médico-sociaux, au sens de ce code, les établissements et les services, dotés ou non d'une personnalité morale propre, énumérés ci-après : [']
7° Les établissements et les services, y compris les foyers d'accueil médicalisé, qui accueillent des personnes handicapées, quel que soit leur degré de handicap ou leur âge, ou des personnes atteintes de pathologies chroniques, qui leur apportent à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l'insertion sociale ou bien qui leur assurent un accompagnement médico-social en milieu ouvert ;
9° Les établissements ou services qui assurent l'accueil et l'accompagnement de personnes confrontées à des difficultés spécifiques en vue de favoriser l'adaptation à la vie active et l'aide à l'insertion sociale et professionnelle ou d'assurer des prestations de soins et de suivi médical [']
En l'espèce, il n'est pas contesté que l'association a pour objectif d'accompagner à l'autonomie et à la citoyenneté les personnes en situation de handicap visuel, notamment en élevant et dressant des chiens guides, qu'elle remet ensuite gratuitement aux personnes malvoyantes ou aveugles.
L'association allègue également, sans être contredite, être constituée d'un établissement recevant du public (ERP), avec une partie hébergement pour les personnes déficientes visuelles, et être autorisée à délivrer une prestation (sous forme de remise d'un chien guide), laquelle ouvre droit à son bénéficiaire à une aide technique financière intégrée dans la prestation de compensation du handicap (PCH) par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH).
L'association n'est donc pas uniquement constituée d'un centre de formation de chiens guides et de chiens d'assistance, mais délivre également une prestation d'accueil et d'accompagnement de personnes handicapées et confrontées à des difficultés spécifiques, en l'occurrence un handicap visuel.
Contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, il importe peu que l'association relève d'une procédure de labellisation ou d'autorisation pour exercer son activité, de même que la cour n'est pas liée dans son appréciation par les avis des services ou organismes administratifs tels qu'ils ressortent des pièces produites par les parties.
Il en résulte que l'association, qui répond aux définitions énoncées aux 7° et 9° de l'article L.312-1 précité, entre dans la catégorie des établissements et services sociaux et médico-sociaux au sens du code de l'action sociale et des familles.
Il suit que les personnes y exerçant leur activité, comme c'est le cas de la salariée, devaient être vaccinées sous l'empire de la loi du 5 août 2021 précitée.
Dès lors, il n'y a pas lieu d'annuler la suspension de contrat de travail litigieuse, dont la régularité n'est pas autrement discutée en cause d'appel.
Cette analyse, qui découle de la seule application des textes en vigueur à la date de la suspension de contrat de travail litigieuse, ne se heurte à aucune contestation sérieuse. Il n'y a donc pas lieu d'examiner les moyens surabondants des parties.
En conséquence, les demandes de la salariée sont rejetées en intégralité.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Compte tenu de l'issue du litige, la salariée est condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
La demande de la salariée au titre de l'article 700 du code de procédure civile est rejetée.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, par mise à disposition au greffe,
ANNULE l'ordonnance entreprise ;
Statuant à nouveau,
REJETTE la demande de Mme [E] [H] [G] aux fins d'annulation de la suspension de son contrat de travail prononcée le 2 novembre 2021 par l'Association de chiens guides d'aveugles de [Localité 4] et du Centre-Est ;
REJETTE la demande de Mme [E] [H] [G] aux fins de voir condamner l'Association de chiens guides d'aveugles de [Localité 4] et du Centre-Est à lui payer les salaires qu'elle aurait dû percevoir du 2 novembre 2021 jusqu'au 23 février 2022, soit la somme de 6 032,77 euros ;
CONDAMNE Mme [E] [H] [G] aux dépens de première instance et d'appel ;
REJETTE la demande de Mme [E] [H] [G] au titre des frais non compris dans les dépens.
LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,