N° RG 22/01538 - N° Portalis DBVX-V-B7G-OETV
Décision du
Tribunal de Grande Instance de LYON
ch 9 cab 09 F
du 07 mars 2018
RG : 17/02703
ch n°
[A]
C/
LA PROCUREURE GENERALE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
2ème Chambre B
ARRET DU 08 Juin 2023
APPELANTE :
Mme [I] [A]
née le 05 Octobre 2001 à WAOUNDE (SENEGAL)
[Adresse 9]
[Localité 10]
Représentée par Me Marie-Noëlle FRERY, avocat au barreau de LYON, toque : 292
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/002965 du 17/02/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de [Localité 6])
INTIMEE :
Mme LA PROCUREURE GENERALE
[Adresse 2]
[Localité 6]
représentée par Mme Anne BOISGIBAULT, avocate générale
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 28 Mars 2023
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 06 Avril 2023
Date de mise à disposition : 01 juin 2023 prorogée au 08 Juin 2023
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Anne-Claire ALMUNEAU, président
- Carole BATAILLARD, conseiller
- Françoise BARRIER, conseiller
assistés pendant les débats de Priscillia CANU, greffier
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Anne-Claire ALMUNEAU, président, et par Priscillia CANU, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSÉ DU LITIGE
Le 13 juillet 2015, le greffier en chef du service de la nationalité, a délivré à Mme [I] [A], se disant née le 5 octobre 2001 à Waoundé (Sénégal), un certificat de nationalité française n°7756/2015 sur le fondement de l'article 18 du code civil, en raison de son lien de filiation avec un père français, M. [F] [A], né le 12 décembre 1977 à Waoundé (Sénégal) et un grand-père français M. [O] [U] [A] décédé le 8 octobre 2015.
L'acte de naissance de Mme [I] [A] a été établi le 5 octobre 2001 à Waoundé, acte transcrit au consulat général de France à [Localité 12], le 26 août 2008, sous le n° [Localité 1].
Mme [I] [A] est arrivée en France avec un passeport français, le 2 décembre 2014.
Par actes des 7 et 15 mars 2017, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lyon a fait assigner Mme [I] [A], prise en la personne de M. [F] [A] et de Mme [V] [Z], ses représentants légaux, devant le tribunal de grande instance de Lyon, sur le fondement des dispositions de l'article 29-3 du code civil, aux fins de faire constater son extranéité.
Par jugement réputé contradictoire du 7 mars 2018, le tribunal de grande instance de Lyon, a :
- constaté que le récépissé prévu à l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré,
- dit que Mme [I] [A] n'est pas de nationalité française,
- ordonné la mention prévue par l'article 28 du code civil.
Le premier juge a retenu que l'acte de naissance de Mme [I] [A] n'était pas suffisamment fiable, qu'il était indiqué que cet acte avait été établi sur les déclarations du grand-père de l'enfant, M.[O] [A], que l'acte de naissance de M. [O] [A] mentionnait que celui-ci était décédé le 10 mars 1989, soit 11 ans avant l'établissement de l'acte de naissance de [I] [A], que l'acte de naissance du 5 octobre 2001 fait état de la reconnaissance le jour même de M. [F] [A] alors que cette reconnaissance ne serait intervenue que le 19 mars 2004.
Par acte du 4 avril 2018, la signification du jugement a donné lieu à un procès-verbal de recherches infructueuses en ce qui concerne M. [F] [A] et par acte du 18 avril 2018, à un procès-verbal de recherches infructueuses en ce qui concerne Mme [V] [Z].
Par déclaration du 24 février 2022, Mme [I] [A] a interjeté appel du jugement rendu le 7 mars 2018. Cet appel concerne le fait que le jugement ait dit que Mme [I] [A] n'est pas de nationalité française.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 20 mars 2023, Mme [I] [A] demande à la cour, au visa des articles 18 et 21-13 du code civil et de l'article 47 du code de procédure civile (il s'agit en réalité de l'article 47 du code civil):
- de rejeter les moyens de caducité de la déclaration d'appel et d'irrecevabilité de la déclaration d'appel au vu de la nullité des actes de signification du jugement du tribunal de grande instance de Lyon de 2018 à l'égard des deux parents de Mme [X],
- de dire et juger que les assignations délivrées par Monsieur le Procureur de la République contestant le certificat de nationalité française de la requérante, comme caduques en l'absence de respect des dispositions prévues par l'article 1043 du code de procédure civile et les significations de jugement faites par l'huissier nulles,
- de dire et juger que l'appel formé par Mme [I] [A], devenue majeure, est recevable au vu de la nullité des actes de signification, ainsi que cela a été démontré ci-dessus,
- de dire et juger que l'état civil de Mme [I] [A] est probant et que la requérante est de nationalité française par filiation avec son père, [F] [A], né le 12 décembre 1977 à Waounde,
En tout état de cause :
- dire et juger que Mme [I] [A], née le 5 octobre 2001 à Waoundé (Sénégal) est Française par son père au vu de l'article 18 du code civil,
Subsidiairement et en tant que de besoin :
- de dire et juger que Mme [I] [A] est de nationalité française au minimum par la possession d'état, conformément aux dispositions de l'article 2l-13 du code civil,
- de laisser les dépens à la charge du Parquet Général, sachant que la requérante bénéficie de l'aide juridictionnelle totale, recouvrés par Me [Y] sur son affirmation de droit.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 23 mars 2023, Mme la procureure générale demande à la cour :
A titre principal, de déclarer Mme [I] [A] irrecevable en son appel.
A titre subsidiaire, de confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Lyon la concernant.
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux conclusions récapitulatives visées ci-dessus pour un exposé plus précis des faits, prétentions, moyens et arguments des parties.
Par soit-transmis du 17 avril 2023, le dossier de première instance a été réclamé au tribunal judiciaire de Lyon et a été reçu le 9 mai 2023.
Par soit-transmis du 23 mai 2023, les parties ont été informées que le dossier de 1ère instance avait été transmis avec notamment la pièce n°14 communiquée par le ministère public et qu'elles pouvaient faire une note en délibéré jusqu'au 1er juin 2023, le délibéré étant prorogé au 8 juin 2023.
Les parties n'ont pas fait usage dans le délai imparti de la possibilité qui leur avait été laissée de rédiger une note en délibéré.
La clôture de la procédure a été prononcée le 28 mars 2023.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Sur la recevabilité de l'appel :
Le ministère public soutient que l'appel interjeté par Mme [I] [A] est irrecevable en faisant observer :
- que l'article 528 du code de procédure civile, prévoit que le délai d'appel court à compter de la notification du jugement, à moins que ce délai n'ait commencé à courir, en vertu de la loi, dès la date du jugement,
- que le jugement du 7 mars 2018 a été signifié à Mme [V] [Z], mère de la requérante, par acte d'huissier, le 18 avril 2018, à la dernière adresse connue : au n° [Adresse 3], que cette adresse est celle figurant sur la pièce d'identité de Mme [I] [A] et sur son dossier scolaire, que le procès-verbal de signification a donné lieu aux formalités prévues par l'article 659 du code de procédure civile,
- que le jugement du 7 mars 2018 a par ailleurs été signifié à M. [F] [A] , par acte d'huissier du 4 avril 2018, que la signification a été faite à l'adresse suivante: au n°[Adresse 8] (74 950), que cette adresse est celle figurant sur la pièce d'identité de M.[F] [A], que le procès-verbal de signification a donné lieu aux formalités prévues par l'article 659 du code de procédure civile,
- que les représentants légaux de la mineure n'ont pas fait appel de la décision dans le délai prévu par l'article 538 du code de procédure civile
Mme [I] [A] a opposé en réponse la nullité des procès-verbaux de signification du jugement réputé contradictoire du 7 mars 2018, en faisant valoir :
- que si son père [F] [A] né le 12 décembre 1977 à Waoundé (Sénégal) est ressortissant de nationalité française, sa mère, Mme [V] [Z] née le 7 juillet 1984 à Waoundé (Sénégal), n'est jamais venue en France et a toujours résidé au Sénégal,
- qu'à supposer que le jugement ait été rendu régulièrement, se pose la question de la légalité de la signification du jugement à ses deux parents, que le jugement aurait été signifié à Mme [V] [Z] au n° [Adresse 3] alors que Mme [V] [Z] devenue [V] [W] n'a jamais vécu en France, que la signification du jugement du 7 mars 2018 est nulle, qu'en ce qui concerne la signification du jugement destinée à M.[F] [A] au n°[Adresse 7], celui-ci ne résidait plus en Haute-Savoie depuis 2009, que cette signification est nulle et ne peut faire courir aucun délai s'agissant de l'appel, qu'en 2017, M.[F] [A] résidait à [Adresse 11],
- que le moyen tiré de l'irrecevabilité de l'appel est inopérant en l'état de la nullité des actes de signification du jugement du 7 mars 2018.
Sur ce :
Le jugement réputé rendu contradictoirement le 7 mars 2018 a fait l'objet de deux actes de signification destinés aux représentants légaux de Mme [I] [A] : en ce qui concerne Mme [V] [Z], le 18 avril 2018, au n°[Adresse 4] et en ce qui concerne M.[F] [A], le 4 avril 2018, au n°[Adresse 8]).
Ces actes de signification ont donné lieu à des procès-verbaux de recherches infructeuses.
Dans l'acte de signification du 4 avril 2018 destiné à M.[F] [A], l'huissier a fait état des diligences qu'il a effectuées avec enquête du voisinage qui lui a indiqué que M.[F] [A] serait parti depuis plusieurs mois à [Localité 10], consultation en vain de l'annuaire téléphonique sur internet, enquête auprès des services de la poste qui lui ont opposé un droit de réserve, auprès des services de la mairie qui n'ont pu lui fournir aucune indication quant à l'adresse actuelle de M.[F] [A].
Si l'huissier de justice (devenu commissaire de justice) a accompli toutes les diligences utiles requises par l'article 659 du code de procédure civile, la signification destinée à M.[F] [A] n'apparaît pas pour autant valide dans la mesure où le ministère public connaissait l'adresse du [Adresse 4] qui correspondait à la fois à l'adresse mentionnée sur le dossier scolaire de Mme [I] [A], avec pour représentant légal M.[F] [A] et à l'adresse figurant sur la carte nationale d'identité de Mme [I] [A], carte d'identité délivrée le 2 février 2015, de telle sorte que la signification du jugement en ce qu'elle était destinée à M.[F] [A] aurait dû intervenir au n°[Adresse 4], à défaut de l'être à son adresse actuelle : [Adresse 5].
L'acte de signification du 4 avril 2018 doit être annulé dans la mesure où une adresse plus récente aurait dû être communiquée à l'huissier significateur.
Dans l'acte de signification du 18 avril 2018 destiné à Mme [V] [Z], valant procès-verbal de recherches infructeuses, l'huissier mandaté indique avoir constaté l'absence du nom de Mme [Z] sur la boîte aux lettres, avoir interrogé les services de la mairie lesquels ne possédaient aucun renseignement quant à sa nouvelle adresse, avoir interrogé les services de Bourg Habitat lesquels ne connaissent pas "Mme [Z] [B]"
Les recherches de l'huissier significateur ont donc été effectuées au moins pour partie avec une identité inexacte, de telle sorte que l'acte de signification du 18 avril 2018 destiné à Mme [V] [Z], ne peut être considéré comme valide, bien que l'adresse du [Adresse 4] ait figuré sur les documents scolaires de [I] [A], étant toutefois observé que seul M.[F] [A] était désigné en qualité de représentant légal de sa fille à cette adresse.
L'acte de signification du 18 avril 2018, ne peut qu'être annulé car les recherches effectuées par l'huissier n'ont pas correspondu à l'identité de la destinataire de l'acte qui était Mme [V] [Z].
Les deux actes de signification des 4 et 18 avril 2018 n'ont pu faire courir le délai d'appel, de telle sorte que l'appel formé par Mme [I] [A], par déclaration enregistrée le 24 février 2022 est recevable.
L'appel d'un jugement réputé contradictoire par la partie défaillante en première instance emporte renonciation à se prévaloir des dispositions de l'article 478 du code de procédure civile aux termes desquelles, le jugement réputé contradictoire au seul motif qu'il est susceptible d'appel est non avenu s'il n'a pas été notifié dans le délai de six mois.
Sur la fin de non-recevoir tirée de l'inobservation des formalités prescrites par l'article 1043 du code de procédure civile :
Mme [I] oppose la fin de non-recevoir tirée de l'inobservation des formalités prescrites par l'article 1043 du code de procédure civile en faisant valoir que les assignations introductives d'instance devant le tribunal de grande instance de Lyon, des 7 et 15 mars 2017, mentionnent de façon curieuse que le procureur de la République a envoyé par courrier du 6 janvier 2015, la copie de l'assignation au ministère de la Justice, qu'il a ainsi respecté les dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile, qu'il appartient aux services du parquet et de la chancellerie de démontrer que la copie de ces assignations a bien été communiquée dans les délais à la chancellerie pour respecter les prescriptions de l'article 1043 du code de procédure civile, qu'à défaut de communiquer ces éléments, Mme la procureure générale ne serait pas recevable en son action, puisque l'assignation serait caduque, que la cour ne pourrait qu'annuler le jugement de première instance.
Le ministère public n'a pas répondu à cet argument.
A la demande de la cour, le dossier de première instance a été transmis dans son intégralité.
Le jugement dont appel a mentionné que M.le procureur de la République a envoyé par courrier du 6 janvier 2015, la copie de l'assignation, ayant ainsi justifié avoir respecté les exigences de l'article 1043 du code de procédure civile, qu'il convenait en conséquence de constater que son action est recevable.
L'article 1043 du code de procédure civile est ainsi rédigé :
'Dans toutes les instances où s'élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l'assignation ou, le cas échéant, une copie des conclusions soulevant la contestation sont déposées au ministère de la Justice qui en délivre récépissé. Le dépôt des pièces peut être remplacé par l'envoi de ces pièces par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.
La juridiction civile ne peut statuer sur la nationalité avant l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la délivrance du récépissé ou de l'avis de réception. Toutefois, ce délai est de 10 jours lorsque la contestation de la nationalité a fait l'objet d'une question préjudicielle devant une juridiction statuant en matière électorale.
L'assignation est caduque, les conclusions soulevant une question de nationalité irrecevables, s'il n'est pas justifié des diligences prévues aux alinéas qui précèdent.
Les dispositions du présent article sont applicables aux voies de recours.'
Le dossier du ministère public en première instance contient en pièce 14, un soit-transmis du 6 janvier 2015 (à priori 2016) émanant du greffier en chef du service de la nationalité des Français nés et établis hors de France et adressé au bureau de la nationalité du ministère de la Justice. Ce soit-transmis a pour objet une demande d'annulation d'un certificat de nationalité française délivré le 13 juillet 2015 à [I] [A], fille de [F] [A] dont l'acte de naissance a été transcrit par le Consulat général de France à [Localité 12] (Sénégal), le 26 août 2008.
Il est mentionné dans ce soit-transmis que la dernière adresse connue de M.[F] [A] est chez [L] [P], [Adresse 3].
Contrairement aux dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile, les assignations introductives d'instance destinées aux représentants légaux de [I] [A] et qui ont donné lieu à des procès-verbaux de recherches infructeuses les 7 et 15 mars 2017, n'ont pas été déposées au ministère de la justice ou transmises par lettre recommandée au ministère de la justice.
Il y a donc lieu de faire droit à la fin de non-recevoir opposée par Mme [I] [A] en l'absence d'observation des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile, les actes introductifs d'instance étant caducs et le jugement du 7 mars 2018 est frappé de nullité.
La procédure de première instance étant caduque, la cour d'appel ne peut ni confirmer ni réformer le jugement dont appel.
Les dépens de l'instance seront supportés par le Trésor public.
PAR CES MOTIFS
La cour
après débats en audience publique après en avoir délibéré, statuant contradictoirement et en dernier ressort, et dans les limites de sa saisine,
Déclare recevable l'appel interjeté par Mme [I] [A].
Fait droit à la fin de non-recevoir tirée de l'inobservation des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile.
Dit et juge que les assignations introductives d'instance des 7 et 15 mars 2017 sont caduques.
Dit et juge que la caducité des ces assignations introductives d'instance entraîne la nullité du jugement rendu le 7 mars 2018 par le tribunal de grande instance de Lyon.
Dit et juge que la cour ne peut donc être saisie du litige.
Dit que les dépens de la procédure d'appel seront supportés par le Trésor public.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Anne Claire ALMUNEAU, président, et par Priscillia CANU, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président