N° RG 21/09389 - N° Portalis DBVX-V-B7F-OA4Z
Décision du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de LYON
du 14 décembre 2021
[F]
C/
LA PROCUREURE GENERALE
Société SELARL [C]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
3ème chambre A
ARRET DU 08 Juin 2023
APPELANT :
M. [O] [F]
né le [Date naissance 1] 1954 à [Localité 6] (31)
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représenté par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, toque : 475, postulant et ayant pour avocat plaidant MeMathias VUILLERMET de la SELAS FIDUCIAL BY LAMY, avocat au barreau de LYON, toque : 656
INTIMEES :
Mme LA PROCUREURE GENERALE
[Adresse 2]
[Localité 4]
En la personne d'Olivier NAGABBO, avocat général
SELARL [C] représentée par Maître [H] [C], Mandataire judiciaire, ès qualités de liquidateur judiciaire de
Monsieur [O] [F], nommée à cette fonction par jugement du Tribunal de judiciaire de LYON du 23 février 2021
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LAFFLY & ASSOCIES - LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON, toque : 938
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 30 Mars 2023
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 06 Avril 2023
Date de mise à disposition : 08 Juin 2023
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Patricia GONZALEZ, présidente
- Marianne LA-MESTA, conseillère
- Aurore JULLIEN, conseillère
assistées pendant les débats de Clémence RUILLAT, greffière
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.
Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Patricia GONZALEZ, présidente, et par Clémence RUILLAT, greffière, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
EXPOSÉ DU LITIGE
Par jugement du 10 septembre 2019, le tribunal de grande instance de Lyon a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de M. [O] [F], exerçant à titre individuel une activité de conseil pour les affaires et autres conseils de gestion et a désigné la Selarl [C] en qualité de mandataire judiciaire.
Par jugement du 23 février 2021, le tribunal judiciaire de Lyon a converti la procédure en liquidation judiciaire et désigné la Selarl [C] en qualité de liquidateur judiciaire.
Par acte d'huissier du 17 septembre 2021, la Selarl [C], ès-qualités, a fait assigner M. [F] devant le tribunal judiciaire de Lyon aux fins de voir prononcer à son encontre une mesure d'interdiction de gérer.
Par jugement contradictoire du 14 décembre 2021, la chambre des procédures collectives du tribunal judiciaire de Lyon a :
- prononcé à l'encontre de M. [F] une interdiction de diriger, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute personne morale pour une durée de 3 ans,
- dit que la décision est assortie de l'exécution provisoire,
- dit qu'en application des articles L. 128-1 et suivants et R. 128-1 et suivants du code de commerce, cette sanction fera l'objet d'une inscription au Fichier national automatisé des interdits de gérer, tenu sous la responsabilité du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce auprès duquel la personne inscrite pourra exercer ses droits d'accès et de rectification prévus par les articles 15 et 16 du règlement (UE) 20 1 6/676 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données,
- ordonné les mesures de publicité prévues par la loi et la signification de la présente décision par les soins du greffier,
- dit que les dépens seront tirés en frais privilégiés ainsi que les frais de greffe.
M. [F] a interjeté appel par acte du 30 décembre 2021.
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 21 février 2022 fondées sur les articles L. 653-8 et suivants du code de commerce, M. [F] demande à la cour de :
- réformer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau,
- juger qu'il n'a commis aucune faute et n'a pas « omis sciemment » de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements,
en conséquence,
- débouter la Selarl [C], ès-qualités, de sa demande de sanction personnelle,
- débouter la Selarl [C], ès-qualités, de l'ensemble de ses demandes,
- dire que les dépens seront passés en frais privilégiés.
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 16 mars 2022, la Selarl [C], ès-qualités de liquidateur judiciaire de M. [F], demande à la cour de :
- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
- condamner M. [F] au paiement de la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- tirer les dépens en frais privilégiés de la procédure collective.
Le ministère public, par avis du 8 décembre 2022 communiqué contradictoirement aux parties le 14 décembre 2022, a requis la confirmation de la sanction commerciale de 3 ans d'interdiction de gérer prononcée par le tribunal de commerce de Lyon à l'encontre de M. [F].
La procédure a été clôturée par ordonnance du 30 mars 2023.
Pour un plus ample exposé des moyens et motifs des parties, renvoi sera effectué à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de Procédure Civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'interdiction de gérer
À l'appui de ses demandes, M. [F] a fait valoir :
- la pathologie dégénérative dont il est atteint à savoir un diabète de type 2 qui occasionne une fatigue chronique, outre un infarctus du myocarde et d'un problème de paralysie des membres, le diagnostic ayant eu lieu de 2016 à 2018 et ayant empêché tout déplacement
- la reconnaissance de son état d'invalidité en date du 13 janvier 2022
- l'impossibilité d'exercer entre 2016 et 2019 son activité dans des conditions normales et notamment d'initier une procédure de déclaration de l'état de cessation des paiements
- le fait qu'à la date du 10 mars 2018, date à laquelle l'état de cessation des paiements a été fixée, il n'était pas en capacité de se déplacer et de faire le nécessaire concernant la gestion de son activité et que sa situation relève avant tout d'une simple négligence
- la création de la SASU Codep au 1er juin 2021 suite à la liquidation judiciaire de sa précédente activité exercée en son nom personnel en raison de ses besoins financiers et de l'insuffisance de ses ressources d'un montant mensuel de 97,45 euros bruts
- le fait que cette structure est un bureau d'études techniques qui lui permet de percevoir un salaire de 1.500 euros
- le caractère vital pour l'appelant de pouvoir exercer une activité professionnelle.
À l'appui de sa position, la SELARLU [C] a fait valoir :
- le placement de M. [F] en redressement judiciaire par jugement du 10 septembre 2019 qui a fixé la date de la cessation des paiements au 10 mars 2018 soit 18 mois avant l'ouverture de la procédure
- le montant définitif du passif admis pour la somme de 184.172,37 euros dont des dettes fiscales pour 173.278,73 euros :
- 88.055,83 euros de TVA pour la période de janvier 2011 à juillet 2019
- 83.922,90 euros au titre de l'impôt sur le revenu pour les années 2011, 2015, 2016 et 2017)
- 8.128,13 euros au titre des cotisations sociales URSSAF pour la période de janvier 2016 à novembre 2016
- l'ancienneté des dettes exigibles et les difficultés pour y faire face avec en conséquence l'inscription d'un privilège au profit du Trésor Public le 15 décembre 2017 pour la somme de 75.708,83 euros
- l'impossibilité pour M. [F] de prétendre qu'il ignorait la situation.
Sur l'omission volontaire de déclarer l'état de cessation des paiements, la SELARLU [C] a fait valoir :
- le fait que sur la période où M. [F] prétend avoir été dans l'incapacité d'exercer son activité professionnelle en raison de ses difficultés de santé et de l'impossibilité de se déplacer, il dirigeait la SAS SAAGEC créé en 2014 et placée en liquidation judiciaire le 14 juin 2019 par le tribunal de commerce de Macon, qui l'a en outre condamné en paiement de l'insuffisance d'actifs le 8 janvier 2021
- la possibilité pour M. [F] de demander à un tiers de procéder à la déclaration de cessation des paiements pendant sa période de maladie
- l'impossibilité de se prévaloir d'une simple négligence puisqu'il était informé des difficultés financières bien avant l'année 2016, de l'ancienneté des dettes et a fait preuve d'inertie, l'omission étant volontaire
- la création pendant la période d'inertie d'une autre société, la SAS CODEP où il exerce normalement une activité de conseil, alors qu'il prétend que ses problèmes de santé l'empêche de mener tout type de démarches, étant rappelé la simplicité des démarches de déclaration de cessation des paiements, tout comme celles de création d'une entreprise.
Sur ce,
L'article L653-8 du code de commerce dispose :
« Dans les cas prévus aux articles L. 653-3 à L. 653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.
L'interdiction mentionnée au premier alinéa peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui, de mauvaise foi, n'aura pas remis au mandataire judiciaire, à l'administrateur ou au liquidateur les renseignements qu'il est tenu de lui communiquer en application de l'article L. 622-6 dans le mois suivant le jugement d'ouverture ou qui aura, sciemment, manqué à l'obligation d'information prévue par le second alinéa de l'article L. 622-22.
Elle peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation. »
Il convient d'analyser les griefs reprochés à M. [F] et de vérifier s'ils sont constitués.
Il sera tout d'abord rappelé que la date de cessation des paiements a été fixée au 10 mars 2018, soit 18 mois avant la date de cessation des paiements déclarée par l'appelant.
La procédure mise en 'uvre a permis d'établir que le passif était essentiellement constitué de dettes fiscales d'un montant de 173.278,73 euros dont 88.055,83 euros au titre de la TVA pour la période allant de janvier 2011 à juillet 2019, et de 83.922,90 euros au titre de l'impôt sur le revenu pour les années 2011, 2015, 2016 et 2017.
De fait, ce passif était ancien, et les pièces versées au débat démontrent que l'appelant était informé de l'existence de ces dettes et de leur montant avant même la date de cessation des paiements fixée par le tribunal dans le cadre de la procédure collective.
L'appelant a contesté s'être abstenu volontairement de déclarer l'état de cessation des paiements, mettant en avant les problèmes de santé dont il a été atteint, indiquant ne plus être en mesure de se déplacer depuis 2016 pour réaliser des démarches administratives.
Toutefois, l'analyse des pièces médicales remises par l'appelant permettent de déterminer que l'état d'invalidité qu'il met en avant n'est pas celui entendu par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie mais qu'il bénéficie d'une carte mobilité inclusion, ce qui lui apporte une aide et une priorité lors de ses déplacements.
En outre, les documents remis ne font pas état d'une maladie dégénérative empêchant la marche mais uniquement d'une « usure » liée à l'âge et à son surpoids.
De fait, M. [F] ne rapporte aucunement la preuve des difficultés alléguées.
Par ailleurs, il sera rappelé que M. [F] avait la possibilité de mandater un tiers pour effectuer les démarches concernant sa structure.
En outre, il n'est nullement contesté que sur la même période, M. [F] qui était dirigeant de la SAS SAAGEC, créée en 2014 et ayant fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire le 14 juin 2019, a été condamné par le tribunal de commerce de Macon par jugement du 8 janvier 2021 au titre d'une insuffisance d'actifs.
De fait, M. [F] ne pouvait prétendre ignorer les dettes de la structure de conseil qu'il dirigeait, et ne pouvait prétendre ignorer les modalités des procédures collectives puisqu'il en connaissait déjà une en tant que dirigeant.
Par ailleurs, les problèmes de santé mis en avant ne l'empêchaient pas de déclarer l'état de cessation des paiements de sa structure, aucun document n'indiquant une impossibilité de se mouvoir, sans oublier la possibilité de déléguer un tiers pour réaliser les démarches.
Enfin, il doit être rappelé que M. [F] a créé une nouvelle structure, la SAS CODEP où il exerce une activité professionnelle, ce qui renvoie à la possibilité pour l'appelant de réaliser des démarches.
Dès lors, M. [F] a bien commis une faute en ne procédant pas dans un délai de 45 jours à la déclaration de cessation des paiements de sa structure, alors même qu'il était informé des dettes de celles-ci en raison de leur ancienneté et en avait également la possibilité matérielle. Il ne s'agit pas d'une simple négligence au vu de l'ancienneté et de la possibilité de pour M. [F] de réaliser des démarches que ce soit auprès du tribunal de commerce de Macon ou bien pour créer une nouvelle société.
L'abstention volontaire de procéder à la déclaration de l'état de cessation des paiements est donc constituée et la sanction à prononcer doit être envisagée.
Pour contester la sanction d'interdiction de gérer pendant une durée de trois ans, M. [F] a fait valoir qu'il a créé une nouvelle société afin de pouvoir gagner sa vie puisqu'il perçoit une retraite inférieure à 100 euros de la part de la MSA.
Or, M. [F] ne verse aux débats aucun élément concernant ses revenus en totalité, notamment son avis d'imposition sur les dernières années et ne remet qu'un bulletin de salaire de la SAS CODEP dont il est également le dirigeant.
La situation de M. [F] fait ressortir qu'il a déjà été sanctionné par le tribunal de commerce de Macon au titre de la direction d'une précédente société, une condamnation à combler l'insuffisance d'actifs étant même prononcée à son encontre.
De plus, il ressort des éléments du débat que l'appelant avait connaissance de dettes anciennes dont des dettes relatives à la TVA mais aussi relatives à ses impôts sur le revenus et n'a pris aucune mesure pour ramener la gestion de son activité à une situation saine.
De fait, M. [F] a démontré son incapacité à gérer une société dans le respect des cadres légaux et réglementaires.
La sanction prononcée par le premier juge à savoir une interdiction de gérer de trois ans est proportionnelle à la faute commise par M. [F] et à son incapacité à reprendre une gestion sur des bases saines.
Dès lors, la décision déférée sera confirmée dans son intégralité s'agissant de la sanction.
Sur les demandes accessoires
M. [F] échouant en ses prétentions, il sera condamné à supporter les entiers dépens de la procédure de première instance et d'appel, une infirmation étant prononcée concernant la charge des dépens de première instance.
L'équité commande d'accorder à la SELARLU [C] une indemnisation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [F] sera condamné à lui verser la somme de 2.500 euros à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, dans les limites de l'appel
Confirme la décision déférée dans son intégralité sauf concernant la charge des dépens,
Statuant à nouveau
Condamne M. [F] à supporter la charge des dépens de première instance,
Y ajoutant
Condamne M. [F] à supporter la charge des dépens de la procédure d'appel,
Condamne M. [F] à payer à la SELARLU [C] ès qualité de liquidateur judiciaire de M. [H] [F] à la somme de 2.500 euros à titre d'indemnisation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE