N° RG 22/05718 - N° Portalis DBVX-V-B7G-OO5X
Décision du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de Lyon
Référé du 30 mai 2022
RG : 21/01925
[L]
[L]
[L]
[L]
C/
[W]
S.C.I. DES GRAVIERES
S.A.R.L. BETON LYONNAIS
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
8ème chambre
ARRÊT DU 07 Juin 2023
APPELANTS :
M. [F] [L]
[Adresse 5]
[Localité 6]
Mme [X] [L]
[Adresse 5]
[Localité 6]
M. [J] [L]
[Adresse 5]
[Localité 6]
M. [S] [L]
[Adresse 5]
[Localité 6]
Représentés par Me Franck PEYRON de la SELARL MORELL ALART & ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON, toque : 766
INTIMÉS :
1- La société BETON LYONNAIS, société à responsabilité limitée au capital de 7 622,45 €, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de LYON sous le n° 344 066 162, dont le siège social est [Adresse 5], représentée
par son Gérant en exercice, Monsieur [V] [W].
La SCI LES GRAVIERES, Société Civile Immobilière au capital de 3 030,50 €, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de LYON sous le n° 325 381 598, dont le siège social est [Adresse 4], représentée par son Gérant en exercice, Monsieur [V] [W].
Monsieur [V] [W], demeurant [Adresse 7], gérant de société
Représentés par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, toque : 475
Ayant pour avocat plaidant Me Christophe NEYRET de la SELARL CHRISTOPHE NEYRET AVOCATS, avocat au barreau de LYON
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 05 Avril 2023
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 05 Avril 2023
Date de mise à disposition : 07 Juin 2023
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Bénédicte BOISSELET, président
- Karen STELLA, conseiller
- Véronique MASSON-BESSOU, conseiller
assistés pendant les débats de William BOUKADIA, greffier
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Bénédicte BOISSELET, président, et par William BOUKADIA, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
Exposé du litige
Le 28 octobre 2021, [F], [X], [S] et [J] [L] ont assigné devant le Juge des référés du Tribunal judiciaire de Lyon la société Béton Lyonnais, la SCI La Gravière et [V] [W] aux fins de voir ordonner sous astreinte toutes les mesures nécessaires pour mettre fin au inconvénients anormaux de voisinage qu'ils subissent, notamment désobstruction de leurs fenêtres, enlèvement des silos empiétant sur leur parcelle, nettoyage de tous les déchets illégalement entreposés sur leur propriété, voir ordonner également la fermeture du site sous astreinte et enfin voir condamner les défendeurs à leur payer des dommages et intérêts en indemnisation de leur préjudice.
Ils soutenaient principalement que les sociétés Béton Lyonnais et la Gravière, gérées par [V] [W], exploitaient sur un site classé ICPE (installation classée pour la protection de l'environnement) situé à [Localité 6], au [Adresse 5], au lieu dit '[Localité 8]' une installation de broyage, concassage, criblage de produits minéraux artificiels, que cette activité n'était pas autorisée sur ces parcelles, qu'ayant acquis le 27 juin 2001 la parcelle [Cadastre 3] qui jouxtait le site à usage d'habitation, ils subissaient des troubles excédant les inconvénients normaux de voisinage, en raison du bruit, d'émissions de poussières et d'une pollution visuelle, dans un contexte où l'inspection des installations classées avait relevé de nombreuses infractions à la législation en vigueur, outre que les sociétés empiétaient sur leur propriété.
En défense, la société Béton Lyonnais, la SCI La Gravière et [V] [W] ont sollicité le rejet des demandes, soutenant qu'elles étaient totalement infondées et ont sollicité des dommages et intérêts.
Par ordonnance du 30 mai 2022, le Juge des référés a :
Rejeté les demandes de [F], [X], [S] et [J] [L],
Rejeté la demande reconventionnelle de dommages-intérêts,
Condamné [F], [X], [S] et [J] [L] aux dépens,
Condamné solidairement [F], [X], [S] et [J] [L] à payer à la société Les Gravières, à la société Béton Lyonnais et à [V] [W] la somme de 1000 € à chacun d'eux, soit au total 3000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Le Juge des référés a retenu en substance :
que les installations litigieuses sont exploitées depuis 1993, et préexistaient à l'acquisition par les consorts [L] de leur parcelle en 2001, que les consorts [L] ne rapportent pas la preuve d'une atteinte à leur propriété, que le non respect des installations à la législation en vigueur n'est pas établi et que donc la preuve d'un trouble manifestement illicite n'est pas rapportée et que les demandes se heurtent à des contestations sérieuses ;
que la demande de dommages et intérêts présentée par les défendeurs doit être rejetée, notamment parce qu'ayant choisi de vendre une partie de leur terrain à usage d'habitation, ils ne peuvent déplorer la confrontation de ce voisinage.
Par acte régularisé par RPVA le 4 août 2022, les consorts [L] ont interjeté appel de l'intégralité des chefs de décision figurant au dispositif de l'ordonnance de référé du 30 mai 2022 à l'excepté du rejet de la demande reconventionnelle en dommages et intérêts.
Aux termes de leurs dernières écritures, régularisées par RPVA le 1er décembre 2022, les appelants demandent à la Cour de :
Vu les articles 544 et anc. 1382 du Code civil, L.113-8 du Code de la construction et de l'habitation, 808 et 809 du Code de procédure civile, Vu l'article 700 du Code de procédure civile,
Juger recevable et bien fondé leur appel ;
Infirmer l'ordonnance du 30 mai 2022 dans son intégralité (dont ils reprennent les termes dans le dispositif de leurs écritures) ;
Statuant à nouveau :
' ordonner toutes les mesures nécessaires pour mettre fin aux inconvénients anormaux du voisinage et nuisances subies par les consorts [L] sous astreinte définitive de 500 € par jour de retard à compter de la décision à intervenir ;
Il s'agit très précisément d'ordonner :
que l'exploitant du site ICPE désobstrue les fenêtres de la maison des requérants ;
que l'exploitant enlève les silos empiétant sur la parcelle des consorts [L] et faire cesser le fonctionnement immédiatement ;
que l'exploitant démonte et enlève le mur en béton placé sur la propriété [L] ;
que l'exploitant retire et nettoie tous les déchets illégalement entreposés sur le site et sur la propriété des consorts [L] ;
' Ordonner la fermeture du site, sous astreinte définitive de 500 € par jour de retard à compter de la décision à intervenir ;
' Se réserver la liquidation de l'astreinte ;
' Condamner in solidum la société Béton Lyonnais, la SCI les Gravières et [V] [W] à verser la somme de 45.000 € à [F] [L] en réparation des préjudices qu'ils subissent du fait des inconvénients anormaux du voisinage ;
' Condamner la société Béton Lyonnais, la SCI les Gravières et [V] [W] in solidum à verser la somme de 25.000 € à [S] [L] et [J] [L] en réparation des préjudices qu'ils subissent du fait des inconvénients anormaux du voisinage ;
' Condamner la société Béton Lyonnais, la SCI les Gravières et [V] [W] in solidum à verser la somme de 35.000 € à [X] [L] en réparation des préjudices qu'ils subissent du fait des inconvénients anormaux du voisinage ;
' Condamner la société Béton Lyonnais, la SCI les Gravières et [V] [W] in solidum à verser aux demandeurs la somme de 1.800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
' Condamner la société Béton Lyonnais, la SCI les Gravières et [V] [W] in solidum aux entiers dépens.
Les appelants exposent :
que le site exploité par les défendeurs est situé sur le terrain adjacent à leur propriété qu'ils ont acquise par acte notarié du 27 juin 2001, à des fins d'habitation ;
que les défendeurs méconnaissent la réglementation environnementale de façon délibérée depuis plusieurs années et que le préfet du Rhône a été contraint de prendre plusieurs arrêtés de mise en demeure et de liquidation d'astreinte à leur encontre ;
qu'en représailles aux signalements qu'ils ont effectués auprès de la Direction Régionale de l'environnement de l'aménagement et du logement (DREAL) pour infraction à la législation environnementale, [V] [W] a installé plusieurs silos et de la ferrailles proches de leur maison en empiétant sur leur propriété, a installé des plaques de ferrailles et machines tout contre leurs fenêtres, obstruant ainsi volontairement la lumière dans leur habitation ;
que c'est la raison pour laquelles ils ont introduit en référé une instance pour trouble anormal de voisinage.
Ils indiquent qu'il est fréquent en matière d'installations classées que l'auteur des troubles invoque les dispositions de l'article L.113-8 [Anc. L.112-6] du Code de la construction et de l'habitation et l'antériorité de l'activité sur l'installation de la victime pour s'exonérer de sa responsabilité, mais que pour se prévaloir du bénéfice de ces dispositions, trois conditions doivent être réunies, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
A ce titre, ils soutiennent qu'en l'espèce l'antériorité même de l'installation industrielle pourrait être remise en cause, en ce que la SCI Les Gravières a acquis la parcelle cadastrée n°AE [Cadastre 1] en [Cadastre 2], alors que la famille [L] était déjà installée dans la maison d'habitation du [Adresse 5], bénéficiant d'un bail de location, conclu avec les anciens propriétaires du tènement depuis 1980.
Ils indiquent également que l'activité ne respecte pas les dispositions législatives et règlementaires en vigueur, et ce depuis toujours, comme en atteste la base de données BASOL relative aux sites et sol pollués, les nombreux constats de l'inspection des ICPE et mises en demeure du Préfet du Rhône et que l'exploitation n'est toujours pas faite en conformité avec la règlementation.
Il relèvent enfin qu'il est manifeste que l'activité ne se poursuit pas dans les mêmes conditions que celles qui existaient en 2001, lorsqu'ils sont devenus propriétaire de leur maison d'habitation, alors que :
entre 1993 et 2001, aucune centrale à béton n'était en état de fonctionnement, [V] [W] ne faisant qu'entreposer de la ferraille, des véhicules de chantiers, du sable et du gravier pour les revendre,
le simple fait qu'aujourd'hui l'exploitation fonctionne et comporte plusieurs centrales à béton, suffit à démontrer que l'activité ne se poursuit pas dans les mêmes conditions que celles qui existaient en 2001, ce qu'atteste le constat d'huissier du 23 septembre 2022.
Les appelants soutiennent que du fait que l'exploitation de l'ICPE par la SCI Les Gravières n'est pas faite en conformité avec la règlementation applicable, elle est à l'origine d'un trouble manifestement illicite, car excédant les troubles normaux du voisinage, en ce que :
elle cause diverses nuisances à la famille [L] à l'endroit de son habitation située à proximité directe de l'ICPE, notamment d'importantes nuisances sonores, puisque le voisinage est impacté par les bruits et vibrations dus au passage de camions et voitures tous les jours sur une grande amplitude horaire mais également par les activités réalisées sur l'exploitation et que les émissions sonores sont au-dessus de la limite règlementaire comme en atteste le rapport de contrôle des ICPE de juillet 2019 qui conclut à la non-conformité de l'exploitation en termes d'émergences sonores ;
les opérations entraînent une dispersion des poussières, lesquelles, au delà du fait que leur habitation, leur jardin et leurs véhicules en sont recouverts, leur causent des problèmes respiratoires et portent atteinte à leur santé et que d'ailleurs l'inspection des installations classées mentionne dans le rapport de 2019 la présence d'une épaisse couche de poussières sur les voies de circulation et l'espace public ;
il existe également des pollutions visuelles et une perte d'ensoleillement du fait de la présence des différents engins utilisés pour l'exploitation, volontairement entreposés à proximité directe de leur habitation, en limite de leur propriété, obstruant les fenêtres de l'habitation ;
la Sci Les Gravières et la société Béton Lyonnais sont également à l'origine d'un empiètement sur leur propriété, comme en atteste le rapport de contrôle des ICPE juillet 2019 ;
enfin, la famille [L] subit un stress et une anxiété constante en raison du comportement des défendeurs qui les met en danger et révèle ouvertement une intention de nuire, ce qui les amenés à déposer de nombreuses plaintes.
Les appelants ajoutent que les troubles dénoncés sont d'une particulière gravité eu égard à la configuration du site, la durée depuis laquelle ils ont lieu, la dégradation des conditions d'exploitation du site constatés par tous les rapports de l'inspection de la DREAL.
Ils sollicitent enfin des dommages et intérêts en réparation des préjudices subis, au visa de l'article 1240 du Code civil, qu'il s'agisse de la pollution provoquée par l'envol des poussières qui justifie l'octroi de la somme de 20.000 € pour les travaux de nettoyage, d'entretien et de remise en état de leur propriété, de leur préjudice de jouissance de leur bien, préjudice qu'ils évaluent à 10.000 € pour chacun des appelants, du fait des troubles de bruit, de l'empiétement de leur propriété, de l'obstruction de leurs fenêtres.
Ils indiquent subir également un préjudice moral, compte tenu du comportement délibérément hostile et menaçant envers eux, [X] [L] ayant été plus fortement impactée moralement car elle a assuré le traitement administratif et judiciaire des procédures intentées en représailles contre sa famille et qu'elle a subi des menaces, troublant grandement les conditions de son existence, ce qui justifie l'octroi de dommages et intérêts à hauteur de 15.000 € pour [F], [S] et [J] [L] et celle de 25.000 € pour [X] [L].
Aux termes de leurs dernières écritures, régularisées par RPVA le 2 novembre 2022, la société Béton Lyonnais, la SCI Les gravières et [V] [W] demandent à la Cour de :
Vu les articles 808 et 809 du Code de procédure civile,
Juger qu'il n'y a pas de troubles anormaux de voisinage ;
Juger qu'il n'y a pas eu d'aggravation de troubles de voisinage.
En conséquence,
Confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a débouté les consorts [L] de l'intégralité de leurs demandes ;
Rejeter toutes les mesures sollicitées par les consorts [L] sous astreinte ;
Rejeter la demande de fermeture du site ;
Débouter les consorts [L] de leur demande indemnitaire.
A titre reconventionnel
Réformer la décision entreprise en ce qu'elle a rejeté la demande de dommages et intérêts à titre provisionnel ;
En conséquence,
Condamner solidairement les appelants à leur régler à chacun la somme de 20.000 € à titre de dommages et intérêts et à leur verser à chacun la somme de 2000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Les intimés exposent :
qu'[V] et [N] [W] travaillent depuis des décennies dans le domaine des travaux publics, et plus particulièrement dans le concassage de gravier et la fabrication de béton et que c'est dans ces conditions que la SCI Les Gravières, dont ils sont détenteurs des parts sociales, a acquis en 1991 un terrain sis [Adresse 5] afin de pouvoir structurer leur exploitation industrielle ;
que ce terrain est non agricole depuis plus d'un siècle, que, de 1970 à 1990, le site était occupé par la société [C] qui exerçait une activité de récupération de déchets et qu'en faisant l'acquisition du terrain en 1991, la SCI Les Gravières a hérité de la pollution précédente ;
que par acte authentique en date du mois de juin 2001, la SCI Les Gravières a cédé à [D] [L] et son épouse une parcelle du terrain dans des conditions financières extrêmement avantageuses, de surcroît en leur prêtant une partie des fonds pour acquérir et qu'ils n'ont jamais respecté leur engagement de remboursement ;
que se trouvait à l'époque sur la parcelle vendue un ancien vestiaire de 35 mètres carrés, transformé par les consorts [C], leur prédécesseur, en un modeste logement et que par la suite en toute illégalité et sans permis de construire, les consorts [L] ont transformé le bâtiment initial en créant de nouvelles fenêtres, en rehaussant le bâtiment et en l'agrandissant de sorte qu'il fait aujourd'hui plus de 150 mètres carrés ;
que c'est dans ce contexte que la famille [L] a décidé à compter de 2015 d'harceler la famille [W] au motif que l'activité déployée sur la parcelle mitoyenne était polluante et créerait des troubles de voisinage en faisant preuve d'une particulière mauvaise foi ;
qu'ils ont soutenu notamment de façon erronée que la société Béton Lyonnais exploitait illégalement sur le site des installations de véhicules hors d'usage et de stockage de déchets de ferraille et plastique alors qu'il a été établi que ces déchets se trouvaient sur le terrain leur appartenant, ce qu'a confirmé un arrêt de la Cour administrative d'appel du 26 mai 2015.
Les intimés soutiennent en premier lieu que par application de l'article 113-8 du Code de la construction et de l'habitation, les appelants ne sont pas fondés à se plaindre de nuisances résultant de leur exploitation dès lors que l'installation querellée est bien antérieure à l'acquisition par les consorts [L] de leur propriété, faisant valoir :
que les ICPE datent du 22 mars 1993 et que les autorisations comportaient l'exploitation d'une centrale béton et d'installation de criblage concassage, (étant observé que seules les société Béton Lyonnais et Etablissements [W] en bénéficiaient et non la SCI La Gravière), et que donc les consorts [L] ne peuvent se plaindre d'un trouble anormal de voisinage compte tenu de cette antériorité ;
Ils ajoutent respecter parfaitement les dispositions législatives et réglementaires et qu'ils produisent pour en attester, afin de mettre un terme à 'toute la litanie' des arrêtés préfectoraux cités par les consorts [L], le le rapport de l'inspection des installations classées du 8 avril 2022, postérieur à tous les arrêtés cités par les consorts [L].
Ils soutiennent par ailleurs que la poursuite de l'activité a lieu dans les mêmes conditions que celles qui existaient lors de leur installation, faisant valoir :
que l'exploitation de centrale à béton existe depuis l'origine et bien avant l'achat par les consorts [L] de la parcelle de terrain appartenant à la SCI Les Gravières ;
qu'il ressort du rapport [P] établi en 2009 qu'il existait déjà des silos et des centrales à béton ;
qu'en réalité, il est manifeste que l'activité s'est poursuivie dans les mêmes conditions que celles qui existaient en 2001 ;
qu'en toute hypothèse, les consorts [L] ne rapportent absolument pas la preuve qu'il y aurait une évolution des conditions de l'activité qui pourrait justifier de l'anormalité du trouble causé ;
que la famille [L] ne peut affirmer qu'elle ignorait le projet d'installation de plusieurs centrales à béton lors de son acquisition alors même qu'il existait déjà des centrales à béton sur le site et que de surcroit la société Béton Lyonnais bénéficiait d'une autorisation administrative.
Il font valoir enfin que l'existence du trouble manifestement illicite allégué n'est aucunement démontrée, en ce que :
s'agissant des nuisances sonores, la société Béton Lyonnais exploite son activité comme l'autorise l'ICPE dans un environnement parfaitement connu par les consorts [L] de sorte qu'il ne peut être établis de troubles anormaux en suite de cette activité ;
s'agissant de la dispersion des poussières, il ressort du dernier rapport de la DREAL du 8 avril 2022 qu'il n'y a aucune défaillance de la société Béton Lyonnais au sujet de l'émission des poussières et que les consorts [L] sont défaillants dans la preuve de telles émissions qui seraient susceptibles de constituer un trouble de voisinage ;
s'agissant de la pollution visuelle et la perte d'ensoleillement, que les consorts [L] ont manifestement modifié la destination du bâtiment sans aucune autorisation et qu'ils se gardent bien de répondre sur ce point dans leurs écritures ;
les silos et les murs en béton existaient préalablement à l'acquisition du bâtiment par la famille [L] et que s'il existe des pollutions visuelles, c'est en raison même de la construction illicite de rehaussement et de la création de fenêtre de ce bâtiment ;
s'agissant de l'empiètement, il n'en existe aucun.
Les intimés s'estiment par ailleurs fondés en leur demande de dommages et intérêts, alors que les pièces produites aux débats, et notamment les extraits des pages Facebook, du site change.org, démontrent que les consorts [L] ont multiplié les interventions sur les réseaux sociaux pour jeter le discrédit sur la famille [W] et la société Béton Lyonnais et qu'il existe une véritable volonté de nuire à leur encontre.
Il convient de se référer aux écritures des parties pour plus ample exposé, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I : Sur le trouble anormal de voisinage
Les consorts [L] soutiennent subir, de par l'exploitation de la société Béton Lyonnais, un trouble anormal de voisinage constituant un trouble manifestement illicite justifiant les mesures de remise en état qu'ils sollicitent.
Cette demande, présentée dans le cadre d'une procédure de reféré, relève des dispositions de l'article 835, alinéa 1 du Code de procédure civile, selon lequel :
'Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite'.
Au sens de ce texte, il appartient aux consorts [L] de rapporter la preuve que, de façon manifeste, ils subissent du fait de l'exploitation querellée, un trouble excédant par sa gravité les inconvénients normaux du voisinage, l'existence d'un trouble manifestement illicite étant en ce cas caractérisée.
A ce titre, ils font état en premier lieu de nuisances sonores, indiquant que le voisinage est impacté par les bruits et vibrations quotidiens dus au passage des camions, ce sur une grand amplitude horaire, et également par les activités réalisées sur l'exploitation.
Pour l'établir, ils se réfèrent principalement au rapport de contrôle des ICPE du 30 juillet 2019 réalisé par la DREAL, lequel aurait conclu à la non conformité de l'exploitation en termes d'émergences sonores (pièce 3 appelants).
La Cour constate, après lecture du rapport de la DREAL du 30 juillet 2019, dont il est utile de rappeler, sur un plan contextuel, qu'elle est intervenue à la suite d'une plainte des consorts [L], qu'il était seulement indiqué en page 4 de ce rapport que l'exploitant devait procéder à la réalisation d'une mesure du niveau de bruit, permettant de contrôler le niveau du bruit en limite de propriété.
Il n'était donc aucunement conclu, comme le soutiennent les appelants, que les émergences sonores étaient non conformes à la réglementation.
Surtout, la Cour observe que dans son rapport de contrôle ultérieur du 8 avril 2022, (Pièce 31 intimés) l'inspection des installations classées, après avoir fait référence à une étude bruit réalisée par le bureau Véritas le 24 septembre 2020, propose de lever l'arrêté de mise en demeure du Préfet du Rhône et que ce rapport de contrôle ne fait état d'aucune non conformité s'agissant du bruit généré par l'installation.
La Cour en déduit que la preuve de l'existence d'un trouble de voisinage au regard de nuisances sonores n'est pas rapportée par les appelants et par voie de conséquence d'un trouble manifestement illicite.
Les consorts [L] font état en second lieu de dispersions de poussières, recouvrant leur habitation, leur jardin, leurs véhicules et qui seraient nuisibles à leur santé.
Ils se prévalent pour en justifier du même rapport de la DREAL du 30 juillet 2019 et d'un constat d'huissier.
La Cour observe que le rapport de la DREAL fait état en page 4 de voies de circulation couvertes d'une épaisse couche de poussières et d'une circulation de camions sur le site entraînant l'apparition de nuages de poussière sur l'espace public.
Elle demande en conséquence à l'exploitant de prendre toutes dispositions utiles pour limiter la formation de poussière.
Le constat d'huissier du 6 mars 2020 versé aux débats par les appelants (Pièce 13 appelants) mentionne quant à lui la présence de poussières sur différentes ouvertures de la maison d'habitation des consorts [L].
Pour autant, outre que les constatations de l'huissier ont été réalisées il y a plus de trois ans, aucun élément ne permet d'identifier l'origine de ces poussières alors que par ailleurs le rapport de la DREAL du 8 avril 2022, qui est un rapport de contrôle, ne fait état d'aucune non conformité à ce titre.
La Cour en déduit que les éléments probatoires présentés par les consorts [L] sont insuffisants pour rapporter la preuve d'une part du trouble anormal de voisinage allégué à ce titre, d'autre part de sa gravité et par la même de l'existence d'un trouble manifestement illicite.
En troisième lieu, les appelants dénoncent un empiètement sur leur propriété, faisant état notamment du socle d'un silo situé en partie sur leur parcelle. Pour autant, outre qu'un empiétement de propriété ne saurait caractériser un trouble anormal de voisinage, le débat se situant sur la violation d'un droit de propriété, en tout état de cause, en l'absence d'un constat de bornage, un tel empiètement ne peut être considéréré comme établi, au regard des seules allégations des consorts [L].
Les appelants font état en dernier lieu d'une pollution visuelle et d'une perte d'ensoleillement en raison de la présence de différents engins utilisés pour l'exploitation, entreposés à proximité directe de leur habitation, en limite de propriété et en obstruant les fenêtres.
Le constat d'huissier du 6 mars 2020 relève effectivement la présence de matériel de chantier visible depuis les fenêtres de l'habitation des consorts [L] et d'une vue totalement bouchée dans la cuisine en raison de la présence d'un élément métallique.
Néanmoins, les consorts [L] sont restés et restent toujours taisants sur les conditions dans lesquelles a été édifiée leur maison d'habitation, et ne donne aucune explication bien que sollicités à ce titre, sur le fait que le bâtiment initial était de 35 mètres carrés, qu'il aurait fait l'objet d'un agrandissement et d'un réhaussement pour parvenir à une surface de 150 mètres carrés, avec mise en place d'ouvertures et fenêtres supplémentaires, ce sans aucune autorisation de permis de construire, (attestation particulièrement circonstanciée de [K] [I] pièce 26 intimés) ce qu'a d'ailleurs relevé le premier juge.
La Cour retient qu'une telle incertitude fait obstacle de ce fait à ce que soit retenu un trouble anormal de voisinage, constituant un trouble manifestement illicite.
Surtout, en vertu de l'article 113-8 du Code de la constrution et de l'habitation, dès lors qu'un bâtiment a été acquis postérieurement à l'existence d'activités occasionnant des nuisances sur le fonds voisin, cette antériorité obère tout droit à réparation des dommages causés par ces nuisances dès lors que ces activités s'exercent en conformité avec les dispositions légales en vigueur et qu'elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions.
Il en résulterait, si les conditions énoncées aux dispositions sus-visées sont établies, que les appelants ne seraient pas fondés à se prévaloir d'un trouble anormal de voisinage et à en solliciter l'indemnisation et par voie de conséquence, qu'aucun trouble manifestement illicite, au sens de l'article 835 alinéa 1 du Code de procédure civile ne pourrait être retenu.
Or, en l'espèce, cet antériorité n'est pas contestable dès lors que les intimés justifient bénéficier d'une autorisation ICPE accordée le 24 mars 1993 pour une installation de concassage, criblage, lavage de produits minéraux (pièce 1 intimés) et que la parcelle occupée par les consorts [L] a été acquise le 27 juin 2001, étant observé que si ces derniers soutiennent avoir bénéficié d'un bail de location depuis 1980, ils ne justifient d'aucun élément pour étayer leurs allégations.
Les consorts [L] opposent toutefois que l'exploitation litigieuse est opérée sans respecter les dispositions légales et réglementaires, se prévalant de constats de l'inspection ICPE datant de 2009, 2011 et 2019, d'arrêtés de mise en demeure pour mise en conformité du Préfet du 23 août et 7 novembre 2019, puis du 3 février 2020, les intimés opposant de leur côté le rapport de la DREAL du 8 avril 2022 selon lequel l'installation est désormais conforme.
Les consorts [L] font valoir également que la centrale à béton, à l'origine des troubles dont ils demandent réparation, n'existait pas initialement, qu'elle n'a été mise en activité qu'en 2009 et que l'activité ne s'est donc pas poursuivie dans les mêmes conditions, se référant notamment à un rapport d'inspection de la DREAL de septembre 2009 et à un constat d'huissier du 23 septembre 2022
Les intimés de leur côté le contestent, au regard de l'autorisation d'exploitation obtenue le 24 mars 1993, de photographies, d'un rapport [P] établi en 2009, soutenant qu'il y a toujours eu des centrales sur le terrain.
Or, ce débat qui oppose les parties, qui repose sur des éléments contradictoires et relativement complexes, justifiant des appréciations de fond sur lesquelles ne saurait se prononcer la juridiction des référés, démontre par lui même qu'il n'est manifeste ni que les Consorts [L] ne peuvent se prévaloir d'un trouble anormal de voisinage, ni au contraire qu'ils le peuvent.
Par voie de conséquence, à supposer l'existence d'un trouble anormal de voisinage démontré, il n' y aurait en tout état de cause pas de démonstation d'un trouble manifestement illicite.
En conséquence, la Cour confirme la décision déférée en ce qu'elle a rejeté les demandes présentées par les Consorts [L] au titre d'un trouble anormal de voisinage, sur lesquelles il n'y avait lieu à référé.
II : Sur la demande de dommages et intérêts des consorts [L]
Aux termes de l'article 835, alinéa 1 du Code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier.
En l'espèce, outre que la demande de dommages et intérêts présentée par les consorts [L] n'est pas présentée à titre provisionnel, en tout état de cause, elle repose sur l'indemnisation d'un trouble anormal de voisinage dont il a été retenu qu'il n'était pas démontré et elle se heurte en tout état de cause à des contestations sérieuses au regard des éléments précédemment exposés.
La Cour en conséquence confirme la décision déférée qui a rejeté cette demande, sur laquelle il n'y avait lieu à référé.
III : Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts des intimés
Les intimés présentent une demande de dommages et intérêts à l'encontre des appelants, faisant principalement valoir qu'est démontré une véritable intention de la famille [L] de leur nuire dont ils demandent réparation.
La Cour retient que cette demande reconventionnelle, outre qu'elle n'est pas présentée à titre provisionnel, se heurte à des contestations sérieuses au sens de l'article 835 alinéa 2 du Code de procédure civile, alors qu'il n'appartient pas à la juridiction des référés, juge de l'évidence, de procéder à l'analyse des différents comportements de la famille [L], dans un contexte ancien et complexe, pour en déduire une faute justifiant l'octroi de dommages et intérêts, ce pouvoir appartenant au seul juge du fond.
La Cour en conséquence confirme la décision déférée qui a rejeté cette demande reconventionnelle, sur laquelle il n'y avait lieu à référé.
IV : Sur les demandes accessoires
Les consorts [L] succombant, la Cour confirme la décision déférée qui les a condamnés aux dépens.
Dans la mesure où les consorts [L] sont à l'initiative de la procédure, qu'ils ont assigné tant la SCI La Gravière que la société Béton Lyonnais et [V] [W], ils ne peuvent reprocher au premier juge de les avoir condamnés au titre des frais irrépétibles à payer à chacune des parties qu'ils avaient assignées la somme de 1000 € chacune sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, montant au demeurant que la Cour retient comme parfaitement justifé en équité, étant observé qu'ils se prévalent pour contester cette condamnation d'une situation économique dont ils ne justifient pas.
La Cour confirme en conséquence la décision déférée de ce chef.
Les consorts [L] succombant à hauteur d'appel, la Cour les condamne in solidum aux dépens à hauteur d'appel et à payer à la SCI La Gravière, la société Béton Lyonnais et à [V] [W] la somme de 1000 € chacun sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, justifiée en équité.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme la décision déférée dans son intégralité ;
Condamne in solidum [F] [L], [X] [L], [S] [L] et [J] [L] aux dépens à hauteur d'appel ;
Condamne in solidum [F] [L], [X] [L], [S] [L] et [J] [L] et à payer à la SCI La Gravière, la société Béton Lyonnais et à [V] [W] la somme de 1000 € chacun sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile à hauteur d'appel ;
Rejette toute autre demande plus ample ou contraire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT