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01/06/2023 | FRANCE | N°19/04187

France | France, Cour d'appel de Lyon, 3ème chambre a, 01 juin 2023, 19/04187


N° RG 19/04187 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MNS3









Décision du Tribunal de Commerce de SAINT ETIENNE du 15 mai 2019



RG : 2017j00774







[N]

[M]



C/



S.A.S. DISTRIBUTION CASINO FRANCE





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



3ème chambre A



ARRET DU 01 Juin 2023







APPELANTS :



M. [Z] [N]

né le 29 Octobre 1954 à [Localité

6]/TUNISIE

[Adresse 1]

[Localité 3]



Mme [B] [M]

née le 07 Novembre 1976 à [Localité 4]

[Adresse 1]

[Localité 3]



Représentés par Me Nathalie ROSE, avocat au barreau de LYON, toque : 1106, postulant et ayant pour avocat plaidant Me Marie-Julie CONCIAT...

N° RG 19/04187 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MNS3

Décision du Tribunal de Commerce de SAINT ETIENNE du 15 mai 2019

RG : 2017j00774

[N]

[M]

C/

S.A.S. DISTRIBUTION CASINO FRANCE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

3ème chambre A

ARRET DU 01 Juin 2023

APPELANTS :

M. [Z] [N]

né le 29 Octobre 1954 à [Localité 6]/TUNISIE

[Adresse 1]

[Localité 3]

Mme [B] [M]

née le 07 Novembre 1976 à [Localité 4]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentés par Me Nathalie ROSE, avocat au barreau de LYON, toque : 1106, postulant et ayant pour avocat plaidant Me Marie-Julie CONCIATORI-BOUCHARD, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE :

S.A.S. DISTRIBUTION CASINO FRANCE prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représentée par Me Emmanuelle BAUFUME de la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON, toque : 1547, postulant et ayant pour avocat plaidant Me ABRIAL de la SELARL CLERGUE ABRIAL, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE

* * * * * *

Date de clôture de l'instruction : 10 Mars 2021

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 22 Mars 2023

Date de mise à disposition : 01 Juin 2023

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Patricia GONZALEZ, présidente

- Marianne LA-MESTA, conseillère

- Aurore JULLIEN, conseillère

assistées pendant les débats de Clémence RUILLAT, greffière

A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Patricia GONZALEZ, présidente, et par Clémence RUILLAT, greffière, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 28 novembre 2000, M. [Z] [N] a signé un contrat de gérance avec la SAS Distribution Casino France (ci-après « la société DCF ») portant sur l'exploitation du magasin « Petit Casino » n°E8671 situé à [Localité 3].

Le 21 mars 2001, un contrat de cogérance portant sur ce magasin a été signé entre la société DCF, M. [N] et Mme [M].

Entre le 24 avril 2007 et le 22 avril 2016, plusieurs inventaires contradictoires des stocks ont été réalisés dans la superette n°8671. Un arrêté de compte révélant soit un excédent soit un manquant de marchandises était alors établi.

Par courrier recommandé du 8 avril 2016, M. [N] a indiqué à la société DCF faire valoir ses droits à la retraite.

Par courrier recommandé du 3 juin 2016, la société DCF a informé Mme [M] de la rupture de son contrat compte tenu de l'indivisibilité du contrat de cogérance. Elle a prononcé la rupture du contrat de cogérance à son égard par courrier recommandé du 7 juillet 2016.

Le 8 juillet 2016, il a été procédé à l'inventaire de reprise définitif du magasin. Les dernières écritures comptables du compte général de dépôt de M. [N] et Mme [M] ont fait apparaître un solde débiteur de 245.588,18 euros.

Par courrier recommandé du 24 avril 2017 puis du 19 juin 2017, la société DCF a mis en demeure M. [N] et Mme [M] de lui régler la somme de 245.588,18 euros au titre du solde débiteur du compte général de dépôt.

Ces mises en demeure étant restées sans effet, par acte extrajudiciaire du 20 septembre 2017, la société DCF a assigné M. [N] et Mme [M] devant le tribunal de commerce de Saint-Etienne afin d'obtenir notamment la somme de 245.588,18 euros.

Par jugement contradictoire du 15 mai 2019, le tribunal de commerce de Saint-Etienne a :

- rejeté la demande de nullité de la clause attributive de compétence matérielle et territoriale,

- s'est déclaré compétent pour connaître du présent litige,

- dit la demande de la société DCF justifiée dans son principe et dans son quantum,

- rejeté les exceptions de prescription,

- débouté M. [N] et Mme [M] de leurs demandes principales,

- condamné solidairement M. [N] et Mme [M] à payer à la société DCF la somme de 245.588,18 euros outre intérêts au taux légal à compter du 24 avril 2017 date de la première mise en demeure,

- ordonné la capitalisation des intérêts par année entière,

- autorisé M. [N] et Mme [M] à se libérer de leur dette par le versement de 24 mensualités égales successives à compter de la signification du présent jugement,

- dit qu'en cas de non-paiement d'une échéance l'intégralité de la dette deviendra immédiatement exigible,

- débouté M. [N] et Mme [M] de leur demande de dommages-intérêts,

- débouté M. [N] et Mme [M] du surplus de leurs demandes,

- condamné solidairement M. [N] et Mme [M] à payer à la société DCF la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les dépens sont à la charge solidaire de M. [N] et Mme [M],

- rejeté la demande d'exécution provisoire du jugement.

M. [N] et Mme [M] ont interjeté appel par acte du 17 juin 2019.

* * *

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 5 mars 2021 fondées sur les articles 1134, 1135 et 1147 anciens devenus 1103, 1104 et 1231-1 et l'article 1343-5 du code civil, les articles L. 7322-1 et suivants, L. 1411-1, R. 1412-1 du code du travail, les articles 42, 43 et 86 du code de procédure civile et les articles L. 721-3, L. 110-1 et L. 110-2 du code de commerce, M. [N] et Mme [M] demandent à la cour de :

- déclarer recevable et bien fondé leur appel,

- infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

in limine litis,

- constater en tout état de cause que le litige ne relève pas d'une exploitation commerciale mais d'une relation contractuelle de travail,

- prononcer la nullité de la clause attributive de compétence contenue dans le contrat de gérance qui liait les parties, et à défaut réputer ladite clause non écrite,

- déclarer en conséquence l'incompétence matérielle et territoriale du tribunal de commerce de Saint-Etienne au profit du conseil des prud'hommes de Toulon,

- ordonner le renvoi de la cause et des parties devant le conseil des prud'hommes de Toulon,

- si par impossible la cour considérait que le litige relevait de la compétence du tribunal de commerce, déclarer le tribunal de commerce de Saint-Etienne territorialement incompétent au profit du tribunal de commerce de Toulon,

- ordonner le renvoi de la cause et des parties devant le tribunal de commerce de Toulon,

à défaut,

- déclarer applicable la prescription quinquennale fondée sur les dispositions de l'article L. 110-4 du code de commerce,

- juger qu'en application de la prescription quinquennale de l'article L. 110-4 du code de commerce, vu que l'assignation en justice de la société DCF contre eux devant le tribunal de commerce de Saint-Etienne porte la date du 20 décembre 2017, les prétendues sommes en débit du compte général de dépôt que la société DCF réclame comme devant lui être réglées au titre de la période antérieure à la date du 20 septembre 2012 sont prescrites soit la somme de 216.824,69 euros desquelles ne pourront être réclamés aucun paiement, aucune capitalisation ni intérêts,

- juger que la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil trouve également à s'appliquer et ainsi juger que vu que l'assignation en justice de la société DCF contre eux devant le tribunal de commerce de Saint-Etienne porte la date du 20 septembre 2017, les prétendues sommes en débit du compte général de dépôt que la société Distribution Carrefour France réclame comme devant lui être réglées au titre de la période antérieure à la date du 20 septembre 2012 sont prescrites soit la somme de 216.824,69 euros desquelles ne pourront être réclamés aucun paiement, aucune capitalisation ni intérêts,

- déclarer en conséquence irrecevable la demande de condamnation solidaire au paiement de la somme de 245.588,18 euros de la société DCF,

- constater leur absence de faute de gestion et l'absence de démonstration ou de mention d'une quelconque faute de gestion de ces derniers,

- constater l'absence de reproche formulé à leur encontre s'agissant de leur gestion,

- constater l'absence de production et communication des documents comptables qu'ils ont sollicités dans le cadre d'un envoi régulier et prouvé au moyen d'une preuve probante,

- constater que l'absence de preuve certaine de remise par remis en mains propres datés et signés ou par envoi postal certain des documents comptables et de surcroit d'envoi dans le délai imparti les prive de leur possibilité et de leur droit à contestation et exclut toute prétendue approbation de leur part des chiffres avancés par la société Distribution Carrefour France comme étant constitutif d'un déficit de gestion, ceci rendant infondées l'ensemble des demandes, fins et conclusions de la société Distribution Carrefour France dans le cadre de la présente procédure, et ce en application de la loyauté requise dans l'exécution de toute convention,

- constater l'absence de réponse aux contestations des résultats comptables qu'ils ont formulées,

- constater l'absence d'explication et de justification du prétendu solde débiteur allégué par la société Distribution Carrefour France et dont la société Distribution Carrefour France demande la condamnation solidaire au paiement,

bien plus,

- juger que les sommes tirées de la déduction faite entre les sommes objets de la demande soit 245.588,18 euros et les sommes prescrites soit 216.824,69 euros sont injustifiées, erronées et infondées, ils n'ayant pas eu connaissance dans le délai imparti d'un mois de leur comptabilisation et se trouvant ainsi privés de leur droit à contestation, leur approbation n'ayant jamais été donnée,

- débouter purement et simplement la société DCF de l'ensemble de ses demandes,

si par extraordinaire, la cour entrait en voie de condamnation,

- leur accorder des délais de paiement sur la durée de 24 mois en application de l'article 1343-5 du code civil compte tenu de leur situation personnelle et financière ;

sur l'appel incident formé par la société DCF,

- rejeter cette demande de réformation du jugement déféré et leur accorder des délais de paiement sur la durée de 24 mois en application de l'article 1343-5 du code civil compte tenu de leur situation personnelle et financière si par extraordinaire la cour entendait entrer en voie de condamnation,

en tout état de cause,

- condamner la société DCF à payer la somme de 5.000 euros au titre de l'exécution déloyale de l'ensemble de la relation contractuelle les liant à la société DCF et partant de tous les contrats de cogérance signés entre elles,

- la condamner à leur payer chacun la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens avec droit de recouvrement.

* * *

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 21 janvier 2021 fondées sur les articles L. 7322-5 et L. 7322-6 et les articles 1134 ancien, 1932 et suivants et 1992 et suivants du code civil du code du travail, la société DCF demande à la cour de :

- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf celles concernant l'autorisation donnée à M. [N] et Mme [M] de s'acquitter de leur dette moyennant 24 mensualités successives,

sur l'exception d'incompétence matérielle,

- rejeter l'exception d'incompétence matérielle soulevée par M. [N] et Mme [M],

- déclarer le tribunal de commerce compétent rationae materiae pour connaître du présent litige,

sur l'exception d'incompétence territoriale,

- rejeter cette exception d'incompétence,

- déclarer le tribunal de commerce de Saint-Etienne compétent pour avoir connu le présent litige,

sur le fond,

- débouter M. [N] et Mme [M] de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions,

retenant que le solde débiteur du compte général de dépôt de M. [N] et Mme [M] s'élève aujourd'hui à la somme de 245.588,18 euros,

- condamner solidairement M. [N] et Mme [M] à lui payer la somme de 245.588,18 euros, outre intérêts de droit à compter du 24 avril 2017,

- réformer le jugement déféré en ce qu'il a autorisé M. [N] et Mme [M] à se libérer de leur dette moyennant 24 mensualités successives,

- rejeter une telle demande de délai,

en toutes hypothèses,

- condamner solidairement M. [N] et Mme [M] à lui payer la somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner la capitalisation des intérêts,

- les condamner solidairement aux entiers dépens de l'instance.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 10 mars 2021, les débats étant fixés au 22 mars 2023.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il est précisé que le litige n'est pas soumis au nouveau droit des contrats issu de l'ordonnance du 10 février 2016 puisque les contrats litigieux sont antérieurs au 1er octobre 2016.

Sur les exceptions d'incompétence

Les consorts [N] [M] soutiennent que :

- la société DCF viole les dispositions contractuelles initialement convenues de sorte qu'il y a lieu de considérer que le contrat ne fait plus la loi des parties et que l'engagement contractuel initialement pris est remis en question, la juridiction saisie se doit alors d'analyser la réalité des relations liant les parties et d'en tirer une qualification juridique,

- le tribunal de commerce a visé un article erroné sur la compétence, et il a appliqué les stipulations contractuelles sans en faire l'analyse, alors que les sujétions imposées par la société DCF et sa déloyauté font qu'aucun acte de commerce n'est réalisé par eux,

- les tribunaux ont adopté un jurisprudence extensive en application de l'article L 7322-1 du code du travail et estimé que les termes du contrat de gérance non salariée ne lient pas les juridictions prud'homales ; les gérants non salariés se sont vus appliquer l'ensemble des règles dont bénéficient les salariés,

- il se dégage des trois conditions du gérant non salarié que ce dernier doit être indépendant dans la gestion et l'exploitation de son magasin, que si l'une seule de ces conditions n'est pas remplie, le contrat de gérance non-salarié doit nécessairement être requalifié en contrat de travail salarié et il ne peut être question d'exploitation commerciale dans le sens de la réalisation d'actes de commerce,

- en l'espèce, la violation du statut de gérant non salarié est avérée : ils ont exercé leurs fonctions sous la subordination juridique et économique de la société DCF ; ils n'ont pu effectuer d'actes de commerce au sens juridique du terme puisque la revente ne pouvait pas dégager de bénéfice en raison des commandes qui n'étaient pas respectées et le plus souvent revues unilatéralement par la société DCF à son bon vouloir, en raison également des prix imposés par la société DCF et des changements de prix effectués régulièrement le jeudi soir à l'initiative de cette dernière sans aucune information préalable,

- dans des espèces similaires, il y a eu requalification en contrat de travail,

- la notion de cogérance n'a pas d'existence légale et l'accord collectif national du 18 Juillet 1963 impose la régularisation d'un contrat individuel de gérant non salarié, la société aurait dû conclure un contrat individuel avec chacun,

- ils ont été soumis à diverses sujétions : horaires, commandes, livraisons obligées, congés, opérations commerciales,

- à aucun moment la société DCF ne rapporte la preuve de ce qu'ils ont réalisé des actes de commerce de manière indépendante et personnelle, à titre de profession,

- le litige relève donc du conseil de prud'hommes, et le tribunal de commerce étant une juridiction d'exception, la cour doit soulever d'office son incompétence puisque la demande de paiement ne relève pas de la question liée à la mauvaise réalisation des inventaires ou à l'absence de reddition des comptes ou aux achats et ventes de marchandises, puisque la société DCF n'en conteste pas le pilotage et la réalisation, mais est liée à la nature de la relation contractuelle liant les parties c'est-à-dire de fait une relation contractuelle de travail,

- à défaut d'incompétence matérielle, le tribunal de commerce est incompétent territorialement, puisque la clause du contrat est nulle comme relevé par la Cour de cassation,

- la société DCF reprend une argumentation habituelle qui est battue en brèche par la jurisprudence, il n'y a pas lieu de faire une distinction selon la nature du litige.

La société DCF réplique que :

- selon l'article L 7322-5 du Code du Travail, le tribunal de commerce est seul compétent pour connaître d'un différend relatif aux modalités commerciales d'exploitation surgissant entre les gérants et la concluante, tel est précisément le cas en l'espèce, dès lors que le litige porte sur le recouvrement d'un manquant en marchandises, touchant aux modalités commerciales d'exploitation de la succursale, la question de la requalification éventuelle du contrat de gérance mandataire non-salariée en contrat de travail ne relève pas de la compétence de la juridiction commerciale, mais le cas échéant uniquement du Conseil de Prud'hommes ; selon une jurisprudence constante, relèvent ainsi de la compétence du seul Tribunal de Commerce, les demandes en paiement du déficit d'inventaire et autres soldes débiteurs de comptes entre les parties, cette exception d'incompétence est écartée régulièrement par les tribunaux,

- la jurisprudence a tranché la question s'agissant du contrat de cogérance mandataire non salarié régularisé par la concluante avec ses cogérants,

- il faut et il suffit que les trois conditions précitées soient remplies ; les arguments soulevés par les appelants ont à plusieurs reprises été écartés par la Jurisprudence qui rappelle régulièrement que les contraintes pesant sur l'activité professionnelle des gérants n'excèdent pas les limites du cadre inhérent aux relations entre la maison mère et les gérants non-salariés de succursales de maison d'alimentation telles que définies par l'Accord Collectif National des maisons d'alimentation et les dispositions des articles L7322-1 et suivants du Code du Travail, notamment en ce qui concerne la politique commerciale de la concluante,

- la fixation des prix et la présentation des marchandises, qui sont la propriété unique de la concluante font partie de la politique commerciale dont elle est seule titulaire en sa qualité de mandante propriétaire du fonds de commerce, tant le magasin mais également les marchandises, restent sa propriété, et elle les confie aux cogérants dans le cadre d'un contrat de dépôt pour les vendre à la clientèle,

- si les appelants n'ont pas la qualité de commerçants, ils ne sont pas pour autant salariés et il y existe en réalité trois manières d'exercer une activité de commerce, il n'y a donc aucun aveu judiciaire de sa part ; enfin, la compétence matérielle de la juridiction commerciale est expressément prévue par l'article L7322-5 du Code du Travail,

- sur la compétence territoriale, l'article L 7322-6 du Code du Travail ne prévoit la nullité de telles clauses, que lorsque le litige relève de la juridiction prud'homale ; en revanche, dès lors que les litiges portent sur les modalités d'exploitation commerciale (inventaires, redditions de comptes, achats et ventes de marchandises), ceux-ci relèvent de la compétence du Tribunal de Commerce et ne sont pas affectés par la prohibition des clauses attributives de compétence territoriale.

* Sur la compétence matérielle du tribunal de commerce

L'article L. 7322-1 du Code du travail dispose que : « L'entreprise propriétaire de la succursale est responsable de l'application au profit des gérants non-salariés des dispositions du livre Ier de la troisième partie relatives à la durée du travail, aux repos et aux congés, ainsi que de celles de la quatrième partie relative à la santé et à la sécurité au travail lorsque les conditions de travail, de santé et de sécurité au travail dans l'établissement ont été fixées par elle ou soumises à son accord. Dans tous les cas, les gérants non-salariés bénéficient des avantages légaux accordés aux salariés en matière de congés payés. »

Selon l'article L 7322-2, « Est gérant non salarié toute personne qui exploite, moyennant des remises proportionnelles au montant des ventes, les succursales des commerces de détail alimentaire ou des coopératives de consommation lorsque le contrat intervenu ne fixe pas les conditions de son travail et lui laisse toute latitude d'embaucher des salariés ou de se faire remplacer à ses frais et sous son entière responsabilité. »

Selon l'article L7322-5 'Les litiges entre les entreprises et leurs gérants non salariés relèvent de la compétence des tribunaux de commerce lorsqu'ils concernent les modalités commerciales d'exploitation des succursales. Ils relèvent de celle des conseils de prud'hommes lorsqu'ils concernent les conditions de travail des gérants non salariés'.

Les contrats liant les parties (Article 21) stipulent que toutes les difficultés qui pourront résulter du contrat seront soumises au Tribunal de Commerce de Saint Etienne, à qui Casino France Sas et le gérant attribuent juridiction.

Les appelants soutiennent que leur contrat de cogérance mandataire non-salariée doit être requalifié en contrat de travail.

Le litige en cause porte sur le déficit d'inventaire, qui relève habituellement de la compétence des tribunaux de commerce par application des dispositions susvisées en ce qu'il a trait aux modalités d'exploitation commerciale de la supérette Casino.

En application de l'article L 7322-5 du code du travail, la juridiction commerciale n'a par contre pas à connaître des conditions de travail des appelants, les questions portant sur les conditions de travail des gérants et plus généralement sur l'existence d'un contrat de travail relevant du conseil de prud'hommes, et ainsi que relevé par l'intimée, la requalification du contrat de gérance non-salarié en contrat de travail ne relève pas de la compétence de la juridiction commerciale mais du seul conseil de prud'hommes.

Les appelants, à qui il appartenait d'agir devant la juridiction compétente, et de demander le cas échéant un sursis à statuer dans le présent litige, n'ont pas saisi le conseil de prud'hommes aux fins de requalification de leur contrat en contrat de travail.

Il est également vain pour eux d'instaurer un débat sur l'application de l'article L 110-1 du code de commerce, le litige relevant des dispositions spéciales de l'article L 7322-5 du code du travail.

Le jugement est en conséquence confirmé en ce qu'il a retenu la compétence matérielle du tribunal de commerce.

* Sur la compétence territoriale du tribunal de commerce

Selon les articles 42 et 43 du code de procédure civile, 'La juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur'. Le lieu où demeure le défendeur s'entend :

- s'il s'agit d'une personne physique, du lieu où celle-ci a son domicile ou, à défaut, sa résidence, - s'il s'agit d'une personne morale, du lieu où celle-ci est établie'.

Selon l'article 48 du même code, 'Toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu'elle n'ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu'elle n'ait été spécifiée de façon très apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée'.

Par ailleurs, en vertu de l'article L 7322-6 du code de travail, 'Toute clause attributive de juridiction incluse dans un contrat conclu entre une entreprise mentionnée à l'article L. 7322-2 et un gérant non salarié de succursale est nulle'.

Cet article du code du travail immédiatement situé sous l'article précisant la répartition des compétences entre tribunal de commerce et conseil de prud'hommes ne contient aucune distinction selon que le contentieux en cause concerne un conseil de prud'hommes ou un tribunal de commerce.

Il en découle que cette disposition spécifique prime sur l'article 48 du code de procédure civile susvisé nonobstant la qualité des signataires et s'applique pour tous les contrats conclus dans le cadre de l'article L 7322-2 du code du travail.

La clause d'attribution de compétence invoquée par la société DCF est donc nulle et, nonobstant le fait que le litige relève des juridictions commerciales, l'intimée n'est pas fondée à l'opposer.

Il n'est pas contesté par ailleurs que les appelants, personnes physiques, sont domiciliés à [Localité 3].

Le tribunal de commerce de Saint-etienne était en conséquence incompétent pour trancher le litige.

En application de l'article 90 du code de procédure civile, Lorsque le juge s'est déclaré compétent et a statué sur le fond du litige dans un même jugement rendu en premier ressort, celui-ci peut être frappé d'appel dans l'ensemble de ses dispositions.

Lorsque la cour infirme du chef de la compétence, elle statue néanmoins sur le fond du litige si la cour est juridiction d'appel relativement à la juridiction qu'elle estime compétente.

Si elle n'est pas juridiction d'appel, la cour, en infirmant du chef de la compétence la décision attaquée, renvoie l'affaire devant la cour qui est juridiction d'appel relativement à la juridiction qui eût été compétente en première instance. Cette décision s'impose aux parties et à la cour de renvoi.

En application de cette disposition, il convient d'infirmer le jugement querellé et de renvoyer l'affaire, non devant le tribunal de commerce de Toulon comme mentionné par les appelants mais devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, juridiction d'appel du tribunal de commerce de Toulon.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Les dépens sont réservés.

A ce stade de la procédure, il est équitable de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant dans les limites de l'appel,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il s'est déclaré compétent matériellement.

L'infirme pour le surplus.

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Prononce la nullité de la clause attributive de compétence territoriale contenue dans les contrats liant les parties.

Dit que le tribunal de commerce de Saint-Etienne était territorialement incompétent pour juger le litige et qu'était compétent le tribunal de commerce de Toulon.

Renvoie en application de l'article 90 du code de procédure civile la présente affaire devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence auquel le greffe transmettra le dossier ainsi qu'une copie de la présente décision.

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile à ce stade de la procédure.

Réserve les dépens.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre a
Numéro d'arrêt : 19/04187
Date de la décision : 01/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-01;19.04187 ?
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