N° RG 21/06707 - N° Portalis DBVX-V-B7F-N2BL
Décision du
TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de LYON
Au fond
du 05 mai 2021
RG : 19/08670
[C]
C/
[V]
[C]
LA PROCUREURE GENERALE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
2ème Chambre B
ARRET DU 25 Mai 2023
APPELANT :
M. [F] [C]
né le 28 Février 1969 à [Localité 8] (MAROC)
[Adresse 4]
[Localité 7]
Représenté par Me Jean-Baudoin Kakela SHIBABA, avocat au barreau de LYON, toque : 1145
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/020369 du 22/07/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de LYON)
INTIMEES :
Mme [Y] [V]
née le 18 Août 1975 à [Localité 12]
[Adresse 3]
[Localité 9]
Représentée par Me Nathalie BONNARD-VIAL, avocat au barreau de LYON, toque : 104
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/025798 du 23/09/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de LYON)
Melle [J] [C]
née le 28 Mars 2003 à [Localité 11]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Alice PERRY, avocat au barreau de LYON, toque : 1521
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/026739 du 23/09/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de LYON)
Mme LA PROCUREURE GENERALE
[Adresse 1]
[Localité 6]
représentée par Mme Anne BOISGIBAULT, avocat général
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 21 Mars 2023
Date des plaidoiries tenues en chambre du conseil : 06 Avril 2023
Date de mise à disposition : 25 Mai 2023
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Anne-Claire ALMUNEAU, président
- Carole BATAILLARD, conseiller
- Françoise BARRIER, conseiller
assistés pendant les débats de Priscillia CANU, greffier.
À l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Anne-Claire ALMUNEAU, président, et par Priscillia CANU, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [Y] [V], née le 18 août 1975 à [Localité 7] (69), de nationalité française, et M. [F] [C], né le 28 février 1969 à [Localité 8] (Maroc), de nationalité marocaine, se sont mariés le 7 juillet 2001 devant l'officier d'état civil de [Localité 11] (69), sans contrat de mariage.
Mme [V] a donné naissance, le 28 mars 2003, à une enfant prénommée [J]. M. [C] a reconnu l'enfant le 30 juillet 2003.
Mme [V] a en outre un fils, né d'une précédente union, et trois autres filles, nées de sa relation avec M. [N].
Par jugement du 20 mars 2009, le juge aux affaires familiales de Lyon a prononcé le divorce par consentement mutuel des époux, lesquels avaient convenu, aux termes de leur convention de divorce par consentement mutuel, d'un exercice conjoint de l'autorité parentale, d'une fixation de la résidence habituelle de l'enfant au domicile de la mère, d'un libre exercice par le père de son droit de visite et d'hébergement, ou à défaut une fin de semaine sur deux ainsi que la moitié des vacances scolaires et d'une contribution du père à l'entretien et l'éducation de l'enfant de 100 euros par mois.
L'enfant [J] a fait l'objet par jugement du 11 mai 2005 d'une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert, puis en juin 2014 d'une mesure de placement auprès de l'aide sociale à l'enfance de la Métropole du Grand [Localité 10], laquelle a été, renouvelée jusqu'à sa majorité. Le juge des enfants de Lyon a relevé dans sa décision du 30 janvier 2017 que Mme [V] avait pu déclarer que M. [C] n'était pas le père et qu'il n'avait reconnu [J] que pour permettre une régularisation de sa situation. Invitée à engager une action en contestation de paternité, Mme [V] a par la suite maintenu sa position en nommant d'autres personnes comme pouvant être le père de [J].
Par actes d'huissier des 12 et 31 juillet 2019, M. [C] a fait assigner Mme [V] puis Mme la Présidente de la commission des mineurs agissant en qualité d'administratrice ad-hoc de la mineure afin de contester sa paternité à l'égard de [J] et solliciter, avant dire-droit, une expertise génétique afin de déterminer la vérité biologique de la filiation paternelle de l'enfant.
Par jugement contradictoire du 5 mai 2021, auquel il est expressément renvoyé pour un plus ample exposé du litige, le tribunal judiciaire de Lyon a :
- débouté Mme [V] de sa demande de communication de la décision du juge des tutelles procédant à la désignation d'un administrateur ad hoc chargé de représenter la mineure,
- déclaré M. [C] irrecevable en ses demandes,
- débouté Madame la présidente de la commission des mineurs de sa demande de dommages-intérêts à l'encontre de M. [C],
- condamné Mme [V] à payer la somme de 150 euros, à titre de dommages-intérêts, à Madame la présidente de la Commission des Mineurs, en qualité d'administrateur ad-hoc de [J] [C],
- condamné M. [C], bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale, aux entiers dépens, qui seront recouvrés conformément à la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle.
Par déclaration du 24 août 2021, M. [C] a interjeté appel de cette décision. Cet appel concerne les chefs du jugement suivants :
- l'irrecevabilité de la procédure qui porte atteinte à la vie privée et familiale de [J] et de M. [C], alors même que le tribunal aurait pu prendre la décision sur aveu de la mère,
- le refus de l'expertise,
- le rejet de la demande de dommages et intérêts.
Par ordonnance du 4 janvier 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la mise hors de cause de Mme la Présidente de la commission des mineurs qui n'a plus le pouvoir de représenter [J] [C] dans l'instance d'appel, celle-ci étant devenue majeure le 28 mars 2021, a renvoyé la cause et les parties à la conférence de mise en état du 8 février 2022, a condamné M. [C] à supporter la charge des dépens exposés par Mme la Présidente de la commission des mineurs sous réserve des dispositions applicables en matière juridictionnelle.
Par arrêt avant-dire droit du 9 juin 2022, la cour d'appel de Lyon a invité M. [C] à appeler en la cause sa fille [J] [C] devenue majeure, ainsi le cas échéant que son tuteur ou curateur, et ce avant le 30 septembre 2022, a renvoyé la cause et les parties à l'audience de mise en état du 25 octobre 2022 et réservé les dépens.
Par assignation en date du 9 août 2022, signifiée conformément aux dispositions de l'article 659 du code de procédure civile, M. [C] a appelé en cause d'appel [J] [C].
[J] [C] n'a ni constitué avocat ni conclu.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 12 novembre 2021, M. [C] demande à la cour, au visa des articles 310-3 alinéa 2, 318-1, 321, 332 alinéa 2, 333 alinéa 1 du code civil, et de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant, de :
- dire et juger M. [C] fondé et recevable en sa demande,
- infirmer le jugement,
- ordonner, avant-dire droit, une expertise génétique afin de déterminer la vérité biologique de la filiation paternelle de l'enfant [J],
- dire et juger que les frais d'expertise seront supportés comme en matière d'aide juridictionnelle,
- prendre acte que M. [C] se réserve de demander à Mme [V], la réparation de son préjudice,
- condamner Mme [V] aux entiers, y compris d'expertise, dont distraction au profit de Me Kabela Shibaba,
- dire et juger que les dépens et frais seront recouvrés conformément à l'article 42 de la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridique et laisser les dépens à la charge de l'Etat.
Il fait valoir au soutien de son appel que :
- c'est au moment où la mère a remis en cause sa paternité devant le juge des enfants le 22 janvier 2018 et qu'il a été privé de sa qualité de père de [J] que le délai de prescription a commencé, car [J] a été placée et il a été privé de fait de toute prérogative découlant de l'autorité parentale, ainsi que de tout droit d'hébergement ;
- il est reproché au tribunal d'avoir rejeté la demande d'expertise génétique alors qu'il s'agit d'une mesure d'instruction qui aurait pu être ordonnée. De ce fait, le tribunal a porté une atteinte grave à la vie privée de [J] et à l'article 7, I de la Convention relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989 qui dispose que l'enfant a le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux ;
- aux termes de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale et le tribunal a porté atteinte à la vie privée de [J], en ne lui donnant pas la possibilité d'être entendue dans toute procédure judiciaire ou administrative l'intéressant ;
- en refusant la mesure d'expertise génétique, le tribunal a laissé [J] dans une incertitude, jusqu'à sa majorité, quant à ses origines et son identité. Le tribunal aurait dû privilégier l'intérêt supérieur de l'enfant et ordonner la mesure d'instruction, qui n'est pas liée à la question du délai d'action ;
- lors de l'audience d'assistance éducative du 22 janvier 2018, Mme [V] a soutenu que M. [C] n'était pas le père de [J] et a désigné d'autres personnes. [J] a été placée chez M. [N], le père des autres enfants de Mme [V], n'accordant à M. [C] qu'un droit de visite qu'il n'a jamais pu exercer. M. [C] a ainsi été privé de l'état de père de [J] et sa filiation paternelle est donc remise en cause. En conséquence ce sont les dispositions de l'article 321 du code civil qui s'appliquent à l'action de M. [C]. C'est donc à compter du 22 janvier 2018 que le délai de prescription de cinq ans aurait dû être apprécié au regard de l'assignation datée du 31 juillet 2019 ;
- dans l'intérêt supérieur de l'enfant et sur le fondement de l'article 3 de la Convention internationale des droits de l'enfant, il avait été demandé au ministère public d'agir mais celui-ci n'a jamais répondu et a préféré soutenir l'irrecevabilité de son action au visa de l'article 333 alinéa 2 du code civil ;
- il est demandé à la cour d'écarter ce moyen dans l'intérêt supérieur de l'enfant et surtout parce que le tribunal n'a pas prouvé que l'action relative à la filiation intentée par lui était enfermée dans un délai autre que celui de l'article 321 du code civil, à savoir dix ans. Il en découle que le délai de prescription n'a commencé à courir qu'à compter de 2018, date à laquelle la possession d'état a cessé. Or le tribunal a été saisi par assignation des 12 et 31 juillet 2019, soit moins de trois ans après la cessation de la possession d'état.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 26 octobre 2021, Mme [V] demande à la cour de :
Avant-dire droit,
- se faire communiquer le dossier d'assistance éducative numéro 315/0008 cabinet 3 du juge des enfants de Lyon,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevable M. [C] en ses demandes,
- l'infirmer en ce qui concerne la condamnation de Mme [V] à payer la somme de 150 euros à titre de dommages et intérêts,
- dire que chaque partie conservera la charge de ses dépens d'appel qui seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle.
Elle répond que :
- l'action en contestation de paternité est soumise à la prescription décennale de droit commun qui est suspendue en faveur de l'enfant durant sa minorité, et le délai court à compter de la reconnaissance lorsque la filiation est établie par celle-ci ;
- en l'espèce, il est établi que M. [C] a une possession d'état de père de [J], conforme à la reconnaissance de l'enfant, pendant au moins cinq ans à compter de sa naissance. M. [C] est donc irrecevable en son action en contestation de paternité ;
- en tout état de cause, l'action se prescrit par dix ans à compter du jour où la personne a commencé à jouir de l'état qui lui est contesté. M. [C] a introduit son action plus de 16 ans après la naissance de [J] de sorte qu'il est tout aussi irrecevable,
- la question de la paternité de M. [C] a été abordée par les services éducatifs en charge de la mesure éducative dès la naissance de [J]. Dès 2005, il est noté dans les rapports que le père naturel de [J] ne l'avait pas reconnue et que M. [C] l'avait reconnue. C'est donc par une inexacte analyse des faits de l'espèce que le tribunal a considéré que Mme [V] avait attendu 2018 pour révéler la non paternité de son ex-mari.
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux conclusions récapitulatives visées ci-dessus pour un exposé plus précis des faits, prétentions, moyens et arguments des parties.
Aux termes d'observations rédigées le 1er avril 2022, maintenues le 3 avril 2023, le ministère public conclut qu'en application de l'article 789 6° du code de procédure civile, applicable aux instances produites à compter du 1er janvier 2020, les parties ne sont plus recevables à soulever les fins de non-recevoir au cours de la même instance à moins qu'elles ne surviennent ou soient révélées postérieurement au dessaisissement du juge de la mise en état. L'assignation de M. [C] ayant été délivrée les 12 et 31 juillet 2019, c'est à juste titre que le tribunal judiciaire de Lyon dans son jugement du 11 février 2021 a estimé pouvoir se prononcer sur la prescription.
Sur la recevabilité de l'action en contestation de paternité, les actions relatives à la filiation se prescrivent par dix ans en application de l'article 321 du code civil, sauf lorsqu'elles sont enfermées dans un autre délai. Concernant l'action en contestation de paternité, l'article 333 du code civil dispose que lorsque la possession d'état est conforme au titre, l'action se prescrit par cinq ans à compter du jour où la possession d'état a cessé. M. [C] a admis avoir une possession d'état à l'égard de [J], née le 28 mars 2003 et reconnue par l'appelant le 30 juillet 2003, a minima jusqu'au mois de janvier 2016. Il n'est dès lors pas recevable à agir en contestation de sa paternité.
Des pièces du dossier d'assistance éducative ont été communiquées à la cour conformément aux dispositions des articles 1072-1 et 1187-1 du code de procédure civile, et ont été mises à la disposition des avocats des parties pour consultation. Ont été versés aux débats les documents suivants :
- les rapports de la Métropole Grand [Localité 10] établis les 5 janvier 2018, 24 janvier 2019 et 26 mars 2020,
- les notes d'information de la Métropole Grand [Localité 10] des 24 juin 2019 et 30 avril 2021,
- le jugement de renouvellement du placement rendu par le juge des enfants de [Localité 10] le 30 janvier 2017,
- le jugement de renouvellement du placement rendu par le juge des enfants de [Localité 10] le 22 janvier 2018,
- l'ordonnance du juge des enfants de [Localité 10] du 9 juillet 2018, transférant au Président de la Métropole Grand [Localité 10] les prérogatives de l'autorité parentale relatives aux démarches auprès de la maison départementale des personnes handicapées,
- le jugement de renouvellement du placement rendu par le juge des enfants de Lyon le 8 avril 2020,
- le jugement de renouvellement du placement rendu par le juge des enfants de Lyon le 31 janvier 2019.
La clôture de la procédure a été prononcée le 21 mars 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'étendue de la saisine de la cour :
Aux termes de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
Ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile les demandes des parties tendant à voir 'constater' ou 'donner acte' ou encore 'à prendre acte'.
Du fait de l'effet dévolutif de l'appel, la cour connaît des faits survenus au cours de l'instance d'appel, postérieurement à la décision déférée, et statue au vu de tous les éléments justifiés même s'ils n'ont été portés à la connaissance de l'adversaire qu'au cours de l'instance d'appel.
Seules sont discutées les questions relatives à l'irrecevabilité de l'action en contestation de paternité, ainsi qu'aux rejets de la mesure d'expertise biologique et de la demande de dommages et intérêts, de sorte que les autres dispositions, non contestées, seront confirmées.
Sur la recevabilité de l'action en contestation de paternité :
Aux termes de l'article 332 du code civil, la paternité peut être contestée en rapportant la preuve que le mari ou l'auteur de la reconnaissance n'est pas le père.
L'article 333 dudit code précise cependant que lorsque la possession d'état est conforme au titre, seuls peuvent agir l'enfant, l'un de ses père et mère ou celui qui se prétend le parent véritable. L'action se prescrit par cinq ans à compter du jour où la possession d'état a cessé ('). Nul, à l'exception du ministère public, ne peut contester la filiation lorsque la possession d'état conforme au titre a duré au moins cinq ans depuis la naissance ou la reconnaissance.
Enfin, il résulte de l'article 334 du code civil qu'à défaut de possession d'état conforme au titre, l'action en contestation peut être engagée par toute personne qui y a intérêt, dans le délai prévu à l'article 321, soit dix ans à compter du jour où la personne a été privée de l'état qu'elle réclame, ou a commencé à jouir de l'état qui lui est contesté.
Aux termes de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, '1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ;
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.'
Ces dispositions sont applicables en l'espèce dès lors que, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, le droit à l'identité, dont relève le droit de connaître et de faire reconnaître son ascendance, fait partie intégrante de la notion de vie privée.
Si l'application d'un délai de prescription ou de forclusion, limitant le droit d'une personne à faire reconnaître son lien de filiation paternelle, constitue une ingérence dans l'exercice du droit au respect de sa vie privée et familiale garanti à l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, cette ingérence est, en droit interne, prévue par la loi, dès lors qu'elle résulte de l'application des textes précités du code civil, qui définissent de manière claire et précise les conditions de prescription des actions relatives à la filiation. La fin de non-recevoir opposée est en effet prévue à l'article 333 du code civil et poursuit un but légitime, au sens du second paragraphe de l'article 8 précité, en ce qu'elle tend à protéger les droits et libertés des tiers ainsi que la sécurité juridique.
Cependant, bien que les délais de prescription des actions en contestation de paternité, qui laissent subsister un délai raisonnable pour permettre à l'enfant d'agir après sa majorité, constituent des mesures nécessaires pour parvenir au but poursuivi et adéquates au regard de cet objectif, il appartient au juge d'apprécier si, concrètement, dans l'affaire qui lui est soumise, la mise en 'uvre de ces délais légaux de prescription ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l'intéressé, au regard du but légitime poursuivi et, en particulier, si un juste équilibre est ménagé entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu.
En l'espèce, il est constant que M. [F] [C], qui a reconnu [J] le 30 juillet 2003, soit quelques mois après sa naissance, a, de son propre aveu, bénéficié à son égard d'une possession d'état de père conforme au titre jusqu'en 2016. Ainsi que l'ont souligné les premiers juges, il est effectivement désigné dans la convention de divorce par consentement mutuel annexée au jugement de divorce prononcé par le juge aux affaires familiales de Lyon le 20 mars 2009 sous le vocable de 'père' ou 'parent' de l'enfant [J]. Il disposait alors de l'autorité parentale conjointe sur sa fille ainsi que d'un droit de visite et d'hébergement et s'était engagé à contribuer à son entretien et son éducation. C'est également en qualité de père qu'il a été systématiquement convoqué aux audiences organisées par le juge des enfants dans le cadre de la procédure d'assistance éducative, auxquelles il s'est d'ailleurs régulièrement présenté.
Il est parallèlement établi que les doutes sur le lien de filiation existant entre M. [F] [C] et [J] [C] ont été progressivement suscités par les propos tenus par Mme [V] devant le juge des enfants, dont le jugement du 30 janvier 2017 s'est fait l'écho. Il ressort en effet de l'analyse des pièces versées aux débats que [J] [C] a été confiée en 2014 aux services de l'Aide sociale à l'enfance Grand-[Localité 10] La Métropole, placement qui a ensuite été régulièrement reconduit. Le juge des enfants avait, en janvier 2017, rapporté dans sa décision les déclarations de Mme [V] selon lesquelles M. [C] n'était pas le père de l'enfant et n'avait reconnu [J] que pour lui permettre une régularisation de sa situation administrative, tout en relevant qu'aucune action en contestation de paternité n'avait été engagée par l'intéressée. Les rapports entre [J] et M. [C] apparaissaient dans les faits inexistants et le juge des enfants avait décidé de suspendre tout droit de visite le concernant. Il soulignait qu'aucune rencontre ne pouvait être organisée en l'absence de réponse fiable sur la paternité de M. [C] de manière à ne pas perturber davantage la jeune fille âgée de presque 14 ans, qui avait par ailleurs investi un ancien compagnon de sa mère comme père de substitution et avait pu confier aux éducateurs ne pas vouloir rencontrer M. [C], qu'elle ne reconnaissait pas comme étant son père.
Notant, au terme de son jugement du 22 janvier 2028, qu'aucun débat sur l'identité du père de [J] ne pouvait plus avoir lieu, sous réserve que celle-ci se saisisse à sa majorité de l'action en contestation de paternité qui lui serait ouverte, le juge des enfants avait réservé les droits de M. [C], tout en demandant aux services éducatifs d'organiser des visites médiatisées entre [J] et ce dernier dès lors que la mineure se serait réappropriée ce lien. Au demeurant, si M. [C] avait, lors de cette audience, réaffirmé sa paternité, Mme [V] l'avait quant à elle une nouvelle fois remise en cause, nommant même d'autres personnes comme pouvant être le père de [J]. Le juge des enfants relevait de surcroît que c'était lorsque M. [C] s'était manifesté dans la procédure d'assistance éducative et que [J] avait demandé à rencontrer son père, offrant la perspective à des visites médiatisées, que la mère avait contesté la paternité de M. [C].
Aux termes des jugements des 31 janvier 2019 et 8 avril 2020, il était indiqué que [J] continuait d'interroger la place de M. [C] dans sa vie, dont les droits avaient été à nouveau réservés. Celle-ci investissait toujours le père de ses soeurs à une place paternelle et entretenait avec lui des liens réguliers.
Il ressort de la note du 30 avril 2021, établie alors que [J] était majeure depuis peu, qu'elle avait signé avec le service enfance un contrat jeune majeur. Elle restait scolarisée à l'institut médico-éducatif, et projetait d'intégrer un ESAT. Une demande de protection pour majeur vulnérable avait été parallèlement déposée et elle bénéficiait d'une prise en charge au centre médico-psychologique adulte de [L]. Les services éducatifs mentionnaient que ses fragilités et sa vulnérabilité restaient importantes, la jeune femme leur ayant confié souhaiter profiter de sa majorité pour ne plus se préoccuper de ses liens familiaux avec Mme [V] et M. [C], et se concentrer sur ses liens avec ses soeurs et leur père.
Les démarches accomplies par l'huissier en charge de la signification de l'acte d'appel en cause n'ont pas permis de la localiser de manière certaine, la dernière adresse connue correspondant au domicile de sa mère à [Localité 9] (69) sans pour autant que son nom n'apparaisse sur la boîte aux lettres. Son contrat jeune majeur s'est terminé fin de l'année 2021.
Il résulte de ce qui précède que si l'intérêt de l'enfant réside dans l'accès à ses origines personnelles et son droit de dissiper son incertitude quant à son identité personnelle, ne saurait être considéré comme contraire à l'intérêt supérieur de celui-ci le choix du législateur de faire prévaloir la réalité sociologique à l'expiration d'une période de cinq ans pendant laquelle le père légal s'est comporté de façon continue, paisible et non équivoque comme le père de l'enfant, comme l'a fait en l'occurrence M. [F] [C] entre la reconnaissance en 2003 et a minima le jugement de divorce en 2009. S'il est indubitable que les liens entre [J] et M. [C] se sont très rapidement distendus avant d'être définitivement rompus, la mineure ne lui reconnaissant d'ailleurs pas le statut de père, l'interdiction posée par l'article 333 alinéa 2 du code civil de faire disparaître un lien de filiation établi depuis plus de cinq années n'apparaît pas porter une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée et familiale de l'enfant dès lors qu'il est de son intérêt de s'inscrire dans deux lignées plutôt qu'une. En effet, la remise en cause de son lien de filiation avec M. [C] ne lui permettrait pas de créer un tel lien avec celui qu'elle a investi comme père de substitution, et avec lequel il n'est pas contesté qu'il n'existe aucun lien biologique.
Enfin, nonobstant l'absence d'affection particulière entre [J] [C] et M. [F] [C], le parcours de la jeune femme, marqué par de nombreuses années de placement, l'accompagnement éducatif dont elle a bénéficié pour accepter la réalité de sa filiation légale et sa vulnérabilité incontestable justifient de privilégier la sécurité juridique au droit de voir établir une éventuelle filiation biologique qu'elle n'a pas entendu revendiquer à sa majorité ni même par l'intermédiaire de l'administrateur ad hoc, voire même que Mme [V] ne soutient pas elle-même. Au demeurant, l'anéantissement de sa filiation légale conduirait à la perte corrélative de son nom de famille qu'elle a toujours porté, sans garantie d'être substitué par un autre que celui de sa mère, avec laquelle elle entretient également des rapports extrêmement compliqués, ce qui au regard de son passé, viendrait immanquablement la fragiliser davantage.
En définitive, il y a lieu de considérer que la fin de non-recevoir prévue par l'article 333 du code civil ne porte pas en l'espèce une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de [J] [C], au regard du but légitime poursuivi de protection des droits des tiers et de la sécurité juridique, mais également du juste équilibre préservé entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu.
C'est donc à bon droit que les premiers juges ont déclaré l'action en contestation de paternité engagée par M. [F] [C] irrecevable, l'intéressé ayant eu une possession d'état de père de l'enfant [J] [C] répondant à l'ensemble des faits énoncés par l'article 311-1 du code civil, conforme à la reconnaissance de l'enfant, et ce pendant au moins cinq ans à compter de sa naissance, le 28 mars 2003.
Le jugement déféré sera en conséquence confirmé sur ce point.
Sur la demande de dommages-intérêts formée à l'encontre de Mme [V] :
Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à la réparer.
Selon l'article 1241 dudit code, chacun est responsible du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
Mme [Y] [V] soutient, sans le démontrer, que la question de la paternité de M. [C] avait été abordée par les services en charge de la mesure éducative dès la naissance de [J], les rapports évoquant en 2005 une reconnaissance de l'enfant par M. [C] du fait de l'absence de démarche en ce sens par son père naturel. Il résulte en outre des jugements rendus par le juge des enfants les 30 janvier 2017 et 22 janvier 2018 que c'est lorsqu'il a été envisagé de restaurer des liens entre [J] [C] et M. [F] [C] et mettre en place des rencontres médiatisées que Mme [V] a déclaré que ce dernier n'en était pas le père, propos qu'elle a ensuite réitérés nonobstant le délitement du lien qui en est résulté entre les deux protagonistes et leur caractère nuisible pour l'équilibre psychique de sa fille, au demeurant particulièrement fragile, et dont les derniers rapports établis en 2021 rappellent l'état de souffrance généré par sa situation familiale.
C'est donc là encore à juste titre que les premiers juges ont estimé qu'en anéantissant la certitude selon laquelle M. [C] était son père, ce qu'il était a minima sur le plan juridique depuis une quinzaine d'années, les déclarations de Mme [V] ont occasionné un préjudice à l'enfant, qu'ils ont, par une exacte appréciation des données de la cause, indemnisé à hauteur de 150 euros.
Le jugement entrepris sera donc également confirmé sur ce point.
Sur les dépens :
Chacune des parties supportera pour moitié les dépens de la procédure d'appel, recouvrés conformément à la loi sur l'aide juridictionnelle.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Après débats en chambre du conseil, après en avoir délibéré, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, et dans les limites de sa saisine,
Vu les articles 14 et 125 du code de procédure civile, et 332, 333, 334 et 388-2 du code civil, et l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
Déclare l'appel interjeté par M. [F] [C] recevable,
Rappelle que Mme la Présidente de la commission des mineurs a été mise hors de cause suivant ordonnance du conseiller de la mise en état du 4 janvier 2022,
Confirme le jugement rendu le 5 mai 2021 par le tribunal judiciaire de Lyon en toutes ses dispositions,
Condamne Mme [V] [Y] et M. [F] [C] à régler chacun pour moitié les dépens de la procédure d'appel, recouvrés conformément à la loi sur l'aide juridictionnelle.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Anne Claire ALMUNEAU, président, et par Priscillia CANU, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président