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25/05/2023 | FRANCE | N°20/03705

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale c, 25 mai 2023, 20/03705


AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE







N° RG 20/03705 - N° Portalis DBVX-V-B7E-NBK4





Société NT2I

C/

[E]







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT ETIENNE

du 24 Juin 2020

RG : F18/00575











COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE C



ARRÊT DU 25 MAI 2023













APPELANTE :



Société NT2I

[Adresse 1]


[Localité 2]



représentée par Me Laurent LIGIER de la SELARL LIGIER & DE MAUROY, avocat postulant inscrit au barreau de LYON, et représentée par Me Flore PATRIAT de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat plaidant inscrit au barreau de LYON



INTIMÉ :



[J] [E]

[Adresse 3]

[Loc...

AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE

N° RG 20/03705 - N° Portalis DBVX-V-B7E-NBK4

Société NT2I

C/

[E]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT ETIENNE

du 24 Juin 2020

RG : F18/00575

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRÊT DU 25 MAI 2023

APPELANTE :

Société NT2I

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Laurent LIGIER de la SELARL LIGIER & DE MAUROY, avocat postulant inscrit au barreau de LYON, et représentée par Me Flore PATRIAT de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat plaidant inscrit au barreau de LYON

INTIMÉ :

[J] [E]

[Adresse 3]

[Localité 2]

représenté par Me Emmanuelle BAUFUME de la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 23 Février 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Etienne RIGAL, Président

Vincent CASTELLI, Conseiller

Françoise CARRIER, Magistrat honoraire

Assistés pendant les débats de Malika CHINOUNE, Greffier.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 25 Mai 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Etienne RIGAL, Président, et par Fernand CHAPPRON, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*************

FAITS ET PROCÉDURE

La société NT2I (ci-après la société est une entreprise spécialisée dans le développement et la réalisation d'applications innovantes dans les domaines de l'imagerie industrielle et de l'intelligence artificielle).

Elle emploie des salariés qui bénéficient de la Convention Collective de la Métallurgie.

Monsieur [J] [E] ( ci- après Monsieur [E]) est entré au service de celle-ci le 1er octobre 2007, selon contrat de travail à durée déterminée en qualité d'Ingénieur d'Études, dans le cadre d'une thèse CIFRE intitulée « Acquisition et Traitement d'Images 3D Couleur en temps réel».

La relation contractuelle s'est poursuivie dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée conclu le 1er octobre 2010, les fonctions de Monsieur [E] demeurant inchangées.

Il était stipulé au contrat de travail une clause de non-concurrence s'appliquant après rupture du lien salarial quelle qu'en soit la cause.

Au dernier état de la relation contractuelle, Monsieur [E] occupait les fonctions d'Ingénieur d'Études position II, coefficient 108 de la convention collective et percevait un salaire mensuel d'un montant brut de 4065€.

Par lettre du 27 janvier 2018, celui-ci présentait à son employeur sa démission en informant la société que son préavis d'une durée de trois mois commencerait à courir à compter du 29 janvier 2018.

La société prenait acte de cette démission et lui rappelait, par lettres des 5 février et 8 mars 2018, le maintien de la clause de non-concurrence insérée à son contrat de travail.

Le 20 avril 2018, la société convoquait ce salarié à un entretien préalable à une éventuelle rupture anticipée du préavis, selon lettre remise en mains propres contre décharge; il était simultanément mis à pied à titre conservatoire.

Suivant une lettre recommandée avec accusé de réception du 24 avril 2018, la société lui notifiait la rupture immédiate du préavis en cours d'exécution et cela en raison d'une faute lourde.

La société payait à Monsieur [E] la contrepartie financière de sa clause de non-concurrence s'agissant de l'échéance échue le 26 avril 2018; cependant, elle suspendait par la suite le paiement des autres échéances de ladite contrepartie.

En suite de la rupture de ce lien salarial, Monsieur [E] était embauché en qualité de chef de projet, par la société SILEANE à Saint-Etienne.

Par requête déposée au greffe le 4 décembre 2018, la société faisait convoquer cet ancien salarié à comparaître devant le conseil de prud'hommes de Saint-Étienne et cela, à titre principal, afin de voir juger que celui-ci avait violé l'interdiction de concurrence ayant été stipulé au contrat de travail.

Elle demandait condamnation de ce dernier à lui rembourser la contrepartie financière perçue, soit la somme de 4473,54 €, outre intérêts et capitalisation de ceux-ci.

Elle demandait en outre condamnation de celui-ci à lui payer la somme de 40 000 €, à titre de dommages-intérêts, en réparation du dommage né de son comportement déloyal antérieur à la rupture du lien salarial et celle de 45000 € en réparation du dommage né de son comportement déloyal postérieurement à cette rupture.

Elle demandait également condamnation de son adversaire à lui verser la somme de 28752,94 €, en remboursement des frais engagés pour prouver sa déloyauté et celle de 6000€, en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ailleurs, elle entendait que le conseil :

Condamne Monsieur [E] à retirer des réseaux professionnels Viadeo et Linkedin le fait qu'il serait encore salarié de la société NT2I, sous astreinte de 200 € par jour de retard à compter du prononcé du jugement à intervenir.

Prononce l'exécution provisoire du jugement à intervenir, sans caution.

Déboute Monsieur [E] de toutes ses demandes, fins et conclusions.

L'autorise à communiquer le résultat du jugement à intervenir aux sociétés où Monsieur [E] a travaillé lorsqu'il était encore salarié de la société NT2I, à savoir les entreprises suivantes : Groupe PASQUIER, MAHLE, Groupe SEB, OPTSYS, IFP ENERGIES NOUVELLES, SILAB, MICHELIN, BIOMÉRIEUX, GEMALTO, CHAMBERLIN.

Le défendeur demandait au fond au conseil de :

Déclarer que l'ordonnance présidentielle du 16.4.2018 et le PV du 19 avril 2018 de la SELARL HUISSIERS VERTS sont nuls et de nul effet,

Prononcer l'annulation de la clause de non concurrence,

Débouter la société de toutes ses demandes,

La condamner à lui payer une indemnité de non concurrence de 26381,85 €,

La condamner à lui délivrer les bulletins de paie correspondants, sous astreinte,

La condamner à lui payer la somme de 40000 € à titre de dommages et intérêts et celle de 8000 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le 24 juin 2020, le conseil de prud'hommes précité rendait un jugement dont le dispositif était le suivant :

'Déclare le mémoire en délibéré et la nouvelle pièce qui l'accompagne adressés par Monsieur [E], après la clôture des débats irrecevables,

Déboute la société NT2I de l'ensemble de ses demandes,

Condamne la société NT2I à payer à Monsieur [E] la somme de 26'381,85 € bruts correspondant au solde de l'indemnité de non-concurrence,

Condamne la société NT2I à délivrer le bulletin de paye correspondant au paiement du solde de l'indemnité de non-concurrence,

Dit n'y avoir lieu à assortir cette condamnation d'une astreinte,

Condamne la société NT2I à payer à Monsieur [E] la somme de 13'000 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral,

Condamner la société NT2I à payer à Monsieur [E] la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société NT2I aux entiers dépens de l'instance.'

Le 15 juillet 2020, la société NT2I interjetait appel de ce jugement.

Au terme de ses écritures récapitulatives notifiées le 22 décembre 2022, l'appelante demande à la cour de :

Constater que Monsieur [E] a commis des agissements déloyaux à son préjudice durant l'exécution du contrat de travail,

En conséquence,

Le condamner de ce chef à lui payer la somme de 40000 € à titre de dommages et intérêt,

Le condamner à lui rembourser les frais qu'elle a engagés pour constater et prouver les dits agissements déloyaux, soit la somme de 28 752,94 €.

Constater la violation par Monsieur [E] de sa clause de non concurrence ;

En conséquence,

Le condamner à lui restituer la somme de 5 284.50 € versées en contrepartie de la clause de non concurrence.

Le condamner à lui régler la somme de 40 000 € à titre de dommages et intérêts pour violation de la clause de non-concurrence.

En tout état de cause,

Le débouter de l'ensemble de ses demandes ;

Le condamner à lui verser la somme de 6000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Condamner le même aux dépens.

Au terme de ses dernières écritures, notifiées le 28 novembre 2022, l'intimé demande à la cour de :

Juger que l'ordonnance présidentielle du 16.4.2018 et les opérations d'instruction subséquentes menées le 19 et 24 avril par la SELARL HUISSIERS VERTS sont nulles et de nul effet,

Ecarter des débats le PV du 19 et 24 avril 2018 de la SELARL HUISSIERS VERTS,

Ordonner, en tant que de besoin, l'audition et la confrontation des parties ainsi que des salariés suivants : [L] [K], [I] [U],

En tout état de cause

Dire et juger qu'il n'a enfreint ni ses obligations de loyauté ni son engagement de non concurrence,

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- débouté la société NT2I de l'ensemble de ses chefs de demande,

- condamné NT2I à lui payer la somme de 26 381,85 € au titre de son indemnité de non concurrence et à lui délivrer les bulletins de paye correspondants,

- condamné NT2I à lui payer la somme de 13 000 € au titre de son préjudice moral, et la somme de 3000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

-débouté la société NT2l de l'ensemble de ses chefs de demande,

Condamner cette société à lui payer une indemnité complémentaire de non concurrence de 32 701,65 € brut et à lui délivrer les bulletins de paye correspondants, sous astreinte de 150 € par jour de retard,

Condamner la société NT2I à lui payer la somme complémentaire de 27 000 € au titre de son préjudice moral,

Condamner la société NT2I à lui payer en application de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 5 000 € au titre des frais irrépétibles de première instance et la somme de 6000 € au titre des frais irrépétibles d'appel.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se reporter aux conclusions des parties ci-dessus visées, pour un exposé plus ample des prétentions et moyens des parties.

MOTIFS

Sur la demande en annulation de l'ordonnance sur requête du 16.4.2018 et les opérations d'instructions subséquentes

Arguments des parties

Monsieur [E] fait valoir que:

Par requête du 16.4.2018, la société a sollicité des mesures d'instruction auprès de la Présidente du TGI de Saint-Etienne, en se fondant sur des motifs aussi graves qu'erronés;

C'est en abusant de la religion du tribunal, que cette société a obtenu une ordonnance du même jour, afin de rechercher toutes preuves d'une prétendue violation de la clause de non concurrence à son domicile ;

Le PV d'huissier de justice du 19.4.2018 devra être écarté des débats à raison des irrégularités commises par la société qui a fait usage d'une ordonnance comportant de nombreuses ratures manuscrites, destinées à élargir la mission de l'expert , outre son caractère tout simplement excessif ;

La Cour devra également considérer que la mesure exécutée à son domicile était illicite, dès lors que le caractère trop général de l'ordonnance sur le fondement de laquelle elle a été exécutée autorisait la société à mener une mesure d'investigation trop générale , attentatoire à une liberté fondamentale, et notamment au respect de sa vie privée et, au delà, disproportionnée au regard du but revendiqué ;

Cette mesure a été exécutée le matin du 19.4.2018, dès 8h, avant qu'il ne se rende à son travail, en présence de sa famille ;

Tant l'ordonnance visée par l'huissier que son procès-verbal devront être frappés de nullité, sur le fondement des articles 114 et suivants du code de procédure civile, l'existence d'un grief étant en l'espèce évidente.

Sur ce

Il sera rappelé que l'ordonnance rendue par le président du tribunal judiciaire de Saint-Etienne le 19 avril 2018 n'a été l'objet d'aucun recours juridictionnel ; dès lors son bien fondé ne saurait plus aujourd'hui être contesté, ainsi son prétendu caractère trop général ou sa disproportion au but revendiqué.

L'intimé soutient, par ailleurs, qu'elle aurait été altérée, ce que démontrerait l'apposition en son sein de mentions manuscrites.

Il lui revient de démontrer que ces mentions n'ont pas été apposées sur ce titre de la main même du magistrat l'ayant signée.

Or, aucune pièce n'en justifie et il n'apparaît pas que Monsieur [E] aurait sollicité le greffe afin d'obtenir qu'il lui délivre une copie inaltérée de cette ordonnance.

La demande en annulation de ladite ordonnance sera rejetée, ainsi que celle tendant à voir écarter le procès verbal d'huissier établi en stricte exécution de ce titre.

Sur l'exécution déloyale du contrat de travail

Arguments des parties

La société appelante expose que :

Elle a constaté que Monsieur [E] n'avait pas conservé un certain nombre de documents sur le serveur externe sur lequel les salariés de la société sont tenus de sauvegarder leurs travaux ;

Elle lui a alors demandé de transmettre l'intégralité des informations et données relatives à l'ensemble des projets des développements logiciels pour lesquels il avait collaboré et lui a rappelé l'interdiction d'effectuer des copies de données propres à la société NT2I et relatives à son savoir-faire ;

Monsieur [E] s'est exécuté, mais de manière parcellaire ;

Il est en effet apparu qu'un certain nombre de fichiers étaient manquants tant sur son ordinateur que sur le serveur externe ;

Elle a alors mandaté le 16 mars 2018 Maître [F], Huissier de Justice, et la société IBOU.FR, expert près la Cour d'appel de Lyon, afin de consulter l'ordinateur professionnel de Monsieur [E] et de copier les disques durs de cet ordinateur aux fins d'analyse ;

L'analyse du disque dur de Monsieur [E] a permis notamment de constater :

- un nombre anormalement élevé de « fichiers accédés » pour les dates du 6 décembre 2017 et 12 mars 2018 en comparaison à l'utilisation habituelle de cet ordinateur ;

- la présence dans le dossier « TRAVAIL » et plus précisément dans un dossier du client CALOR du nom LENSBOX, société créée par Monsieur [E] initialement pour assurer la location de matériels d'appareils photos, faisant craindre à la Société NT2I que la Société LENSBOX ait accédé ou se soit appropriée certains fichiers, en faisant apparaître son nom au lieu de celui de la société NT2I ;

- dans le dossier LENSBOX, un des fichiers est lié à d'autres fichiers concernant un autre client de la société NT2I, la société PASQUIER, par ailleurs client de la société SILEANE (pièce n°15) ;

- il existe des traces d'accès au compte DROPBOX de LENSBOX depuis l'ordinateur laissant penser que des copies de fichiers de la Société NT2I ont pu être faites sur le compte de LENSBOX auprès de DROPBOX ;

- un logiciel APPCLEANER « destiné à désinstaller complètement une application et tous les fichiers associés (') a notamment été utilisé le 1,7,21,24,25,27, et 31 janvier 2018 alors que le disque dur a été analysé dans son ensemble, c'est-à-dire depuis la mise en service de l'ordinateur en janvier 2015, et que ce logiciel n'a été utilisé qu'à trois reprises en 2017 ;

- l'ordinateur professionnel de Monsieur [E] porte des traces permettant de démontrer que des fichiers appartenant à la société NT2I ont été transférés sur un autre ordinateur utilisé par Monsieur [E] ;

Il ressort et du procès-verbal diligenté à son domicile en exécution de l'ordonnance sur requête que des bibliothèques de traitement d'images de la société ont été retrouvées chez lui alors qu'elles font parties du savoir-faire de la société concluante et résultent de plusieurs années de travail ;

Il est ainsi établi que Monsieur [E] a exécuté son contrat de travail de façon déloyale;

Le préjudice qu'elle a subi est moral, économique et d'image ;

Monsieur [E] sera condamné à lui verser la somme de 40 000 € à titre de dommages et intérêts de ce chef.

Monsieur [E] , en réponse, dénie l'ensemble des comportements fautifs qui lui sont imputés ; il précise notamment que l'activité LENSBOX qu'il a développée consistait en de la location sur Internet d'appareils photographiques à travers une SARL qu'il avait constituée.

Elle avait été portée à la connaissance de son employeur qui l'avait autorisée.

Comme M. [E] travaillait parfois de chez lui pour la société NT2I, il y emmenait son ordinateur professionnel. Après ses heures de travail, il consacrait quelques moments à son activité LENSBOX. C'est pourquoi, par pure commodité, il lui est arrivé de poursuivre ce travail sur l'ordinateur professionnel.

C'est aussi pourquoi il a créé un fichier à part pour qu'il n'y ait pas de confusion et, n'ayant rien à cacher, l'a intitulé du nom de sa société.

Par ailleurs, la société NT2l met arbitrairement en compte une somme de 40 000 € en réparation de son préjudice moral, économique et d'image.

Ces préjudices ne sont nullement caractérisés. Outre que la preuve de la faute reprochée, à savoir le manquement à l'obligation de loyauté, n'est pas rapportée, le lien de causalité qu'il lui incombe d'établir entre ladite faute et ces chefs de préjudice est tout simplement inexistant.

Enfin les notions de préjudices économiques et d'image au regard de la faute alléguée sont tout bonnement incompréhensibles.

Sur ce

Il sera rappelé que de ce chef la demande formée par la société est exclusivement de nature indemnitaire.

Il revient dès lors à cette partie de justifier d'un dommage imputable à son ancien salarié, consécutif à un défaut de loyauté.

Or celle-ci se contente d'affirmer qu'elle a subi un préjudice qu'elle qualifie, tout à la fois, de dommage moral économique et d'image, sans aucune explicitation des dits chefs de préjudice, sans produire aucune pièce étayant son affirmation de la réalité de ces dommages et sans soutenir ni démontrer que les données prétendument conservées ou détournées par son ancien salarié auraient été exploitées à son détriment par un tiers, ainsi notamment son nouvel employeur ou par la société de location qu'il avait créée.

En l'absence d'éléments de preuve d'un dommage quelconque en lien avec les fautes alléguées, reprochées à l'intimé et sans besoin de s'attacher aux autres arguments développés par les parties, tenant notamment à la réalité ou non d'un comportement déloyal, le jugement querellé sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande indemnitaire.

La société ne saurait, dans ces conditions être reçue en sa demande en remboursement de ses frais d'enquête, étant au surplus précisé que de tels frais constituent en toute hypothèse, des frais irrépétibles devant en cela être intégrés à la prétention formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur le respect de la clause de non-concurrence

A titre liminaire, il sera observé que l'intimé, au terme de ses conclusions déposées en phase d'appel, ne formalise aucune demande en annulation de la clause de non-concurrence stipulée au contrat de travail.

Il sera également rappelé immédiatement qu'il est acquis que l'intimé a été engagé par la société SILEANE à Saint-Etienne, ensuite de sa démission, étant précisé qu'il est reconnu par les parties qu'il avait informé l'appelante de sa volonté de rejoindre cette entreprise, avant même de démissionner.

La clause litigieuse est rédigée comme suit :

'Compte tenu de la nature des fonctions exercées par le salarié au sein de la SARL NT2l, et en application de la convention collective de la métallurgie, il s'engage, postérieurement à la rupture de son contrat de travail, quelle qu'en soit la cause, à ne pas exercer directement ou indirectement de fonctions similaires ou concurrentes de celles exercées au sein de la SARL NT2l.

Il s'engage donc à ne pas travailler en qualité de salarié ou de non-salarié pour une entreprise concurrente et à ne pas créer directement ou indirectement, par personne interposée, d'entreprises ayant des activités concurrentes similaires à celle de la SARL NT2l, c'est-a-dire le développement et la réalisation de systèmes de vision numériques d'imagerie industrielle, ceci sur le territoire de la région Rhône Alpes pendant une durée de 12 mois ;

Cet engagement est également limité au territoire national, pendant une durée de 24

mois, concernant la clientèle qui a travaillé directement ou indirectement avec la SARL NT2l».

Arguments des parties

La société expose que :

En intégrant les effectifs de la société SILEANE, Monsieur [E] n'a pas respecté sa clause de non concurrence ;

En effet, les deux sociétés sont concurrentes ;

Elle développe, quant à elle, des solutions de vision industrielle, des capteurs de vision et des logiciels de traitement d'images qui sont par la suite principalement intégrés sur des équipements industriels le développées pour ses clients finaux ;

Son savoir-faire lui permet de répondre à des applications de contrôle qualité mais aussi

à des applications de robotique et vision ;

C'est ainsi qu'elle a conclu en 2008 avec le Groupe PASQUIER un contrat d'exclusivité

pour des applications Robotique et Vision ;

La société SILEANE, qui a pour activité initiale la robotique, a depuis lors développé

l'activité vision ;

Le Groupe PASQUIER est également un de ses clients ;

La concurrence entre ces deux entreprises est donc incontestable ;

L'intimé répond que :

Ses fonctions anciennes au sein des effectifs de l'appelante étaient les suivantes : développer des programmes informatiques de traitement de l'image, appliqués à du contrôle qualité dans l'industrie ;

Ainsi qu'il le rappelait dans son courrier du 29/11/2018, sans avoir été contredit, ces fonctions consistaient exclusivement en la création de programmes informatiques portant sur le traitement d'images, pour établir la conformité ou le défaut de conformité de produits et plus particulièrement de produits alimentaires sur chaînes de fabrication ;

Il ne fait absolument pas cela chez SILEANE ; il a été embauché à l'effet d'assurer les fonctions de Pilote Informatique et de Chef de Projet, caractérisées comme suit :

Pilote informatique :

- Choix de solutions techniques pour les projets concernant l'informatique (PC, logiciels, développement) et les caméras s'il y en a dans l'application

- Management des développeurs (2 à 4 personnes)

Chef de projet :

- Responsable des relations avec le client

- Coordination entre les 3 métiers techniques (mécanique, robotique, informatique)

- Gestion de projet (planning, budget, ressources, déplacement) ;

Il ne fait pas de programmation chez SILEANE. Les développeurs qu'il encadre ne développent pas de programmes d'analyse d'images, ce qui est le c'ur de métier de

NT2I, mais des programmes destinés à piloter des machines et notamment des robots ;

Ainsi il n'exerce pas chez SILEANE de fonctions identiques, ni même similaires, nonobstant le caractère vague et non défini de ce en quoi consisteraient des fonctions similaires, ce qui leur confère à la clause litigieuse un caractère excessif et donc illégitime ;

La notion de fonctions similaires est trop imprécise et en tout cas trop vaste ;

Quant à la notion de fonctions concurrentes, elle est bien pire : qu'est-ce que cela peut

vouloir dire. Travailler pour une entreprise ayant une activité concurrente a du sens, mais pas le fait d'exercer des fonctions concurrentes, en l'espèce nullement caractérisées ;

Dans une espèce similaire, la Cour de cassation confirme une décision de la Cour d'appel de Poitiers, qui avait décidé de restreindre le champ d'application d'une clause de non-concurrence à la seule interdiction faite au salarié de démarcher les clients de son ancien employeur. La clause s'appliquait sur le département de la Vendée et ses départements limitrophes. La Cour d'appel avait considéré que son application n'aurait pas permis au salarié, en raison de la spécificité de son activité professionnelle, d'exercer une activité conforme à sa formation et à son expérience professionnelle.

Elle considère que dans un tel cas, le juge peut parfaitement restreindre le champ d'application de la clause, quand bien même pourrait-elle a priori, être considérée comme indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise.

Enfin, il est de jurisprudence constante que les clauses de non-concurrence doivent s'interpréter de façon stricte, puisqu'elles consacrent une atteinte au principe fondamental de la liberté de travail et d'entreprendre.

En l'absence de toute définition de la notion de fonctions similaires ou concurrentes, de la généralité de ces notions et de l'intitulé du poste de M. [E], la Cour devra s'attacher à identifier les fonctions effectivement exercées par M. [E] au sein de NT2I afin de déterminer s'il a exercé ou non des fonctions identiques au sein de SILEANE et si celle-ci était une entreprise concurrente, le tout pendant la durée d'application de la clause. Tel n'est pas le cas en l'espèce.

Cette interdiction consiste en fait en une précision à l'interdiction faite en première partie, de ne pas exercer de fonctions similaires ou concurrentes à celles qu'il a exercées chez NT2I.

Les notions de fonctions similaires ou concurrentes, non définies, non caractérisées et non démontrées constituant la condition première, la deuxième partie de la clause invoquée ne peut trouver à s'appliquer sui generis, puisqu'elle ne s'applique qu'en conséquence de la première.

Cette seconde partie énonce en effet ce qui suit : « Il s'engage donc à ne pas travailler en qualité de salarié en ou de non-salariés pour une entreprise concurrente ».

Les deux paragraphes de cette stipulation énoncent bien de conditions cumulatives.

Au demeurant, prises isolément, chacune des parties de la clause aurait une portée trop large. La première partie de la clause serait contraire à l'article 28 de la convention collective, puisqu'elle énonce un champ d'application bien plus large que l'intérêt légitime énoncé audit article, qui est circonscrit à la notion de « maison concurrente ». La deuxième partie serait aussi trop vaste puisqu'elle lui interdirait de travailler pour toute entreprise concurrente, quelles que soient ses fonctions.

Quoi qu'il en soit, la preuve de l'existence d'activités concurrentes des deux entreprises au moment de son embauche par la société SILEANE et cela pendant toute la durée d'application de 12 mois n'est pas rapportée.

Ce n'est pas le cas.

Le seul client commun PASQUIER, que la société NT2I invoque dans ses écritures, ne considère pas les parties comme étant concurrentes, ainsi qu'il l'a confirmé à la société SILEANE par courriel du 31.5.2018, précisant ce qui suit : « vous n'êtes pas du tout positionné sur les mêmes métiers et mêmes périmètres (Robotique et solutions complètes pour vous et Contrôle Vision associée à nos machines pour NT2I ».

La société SILEANE ne développe pas d'applications informatique vision. Elle se fournit en logiciels quand elle en a besoin, chez des tiers.

Sur ce

Le premier paragraphe de la clause litigieuse pourrait, à lui seul, apparaître imprécis quant à la définition de l'interdiction de concurrence stipulée. Cependant, il est précisé par le paragraphe suivant, comme le démontre l'utilisation en son sein du mot 'donc'.

Ce paragraphe définit parfaitement l' interdiction stipulée en prohibant de travailler en qualiteé de salarié ou de non-salarié pour une entreprise concurrente et de créer directement ou indirectement, par personne interposée, d'entreprises ayant des activités concurrentes similaires à celle de la SARL NT2l'.

Le moyen tiré de l'imprécision alléguée de la clause de non-concurrence sera rejeté.

Dès lors qu'il n'est pas allégué que l'intimée aurait créé une entreprise concurrente à celle de son ancien employeur, il doit exclusivement être recherché si, en s'engageant dans les effectifs de la société SILEANE, il a travaillé pour une entreprise ayant des activités concurrentes similaires à celle de la SARL NT21.

L'activité de cette dernière société est elle-même précisée par cette clause de non-concurrence; il s'agit du 'développement et la réalisation de systèmes de vision numériques .'

Il revient à l'appelante, en charge de la preuve du manquement de respect à ladite clause, qu'elle reproche à son adversaire, de démontrer que dans les 12 mois suivant la rupture du contrat de travail, ce dernier a travaillé pour une entreprise, en l'espèce la société SILEANE ayant alors une activité de le développement ou de réalisation de systèmes de vision numériques d'imagerie industrielle.

Le fait que ces deux entreprises aient eu un client commun est indifférent à caractériser la similitude d'activité, étant même relevé que l'appelante indique avoir eu une contrat d'exclusivité avec la société PASQUIER, ce qui induit que le service recherché auprès de la société SILEANE avait un objet différent.

La société NT21 soutient que la société SILEANE, qui a pour activité initiale la robotique, a depuis lors développé l'activité vision, mais elle ne précise aucunement à quelle date cette seconde activité a ainsi été développée et notamment si elle l'a été dans l'année faisant suite à l'embauche de l'intimé.

La société NT21 produit aux débats une pièce numérotée 46 indiquant que la société SILEANE se serait alliée avec l'entreprise VISiONIC, laquelle serait un constructeur de contrôle par vision.

Ce document n'est pas daté, mais fait référence au chiffre d'affaires 2021 du Groupe SILEANE.

Il n'est donc pas établi que cet accord aurait été formé dans les 12 mois d'application de la clause de non concurrence litigieuse.

Le raisonnement sera le même s'agissant des pièces 38,45 et 46 de l'appelante, qui ne font référence à aucune date ou période.

En l'absence d'autre élément de preuve, il sera jugé que ladite société ne démontre pas que dans les 12 mois suivant la rupture de son contrat de travail avec elle, l'intimé a travaillé pour une entreprise, en l'espèce la société SILEANE ayant alors une activité concurrente de la sienne, c'est à dire une activité de développement ou de réalisation de systèmes de vision numériques d'imagerie industrielle.

Le jugement sera confirmé en cela.

Il s'en suit que l'appelante succombera en ses demandes en restitution de la contrepartie versée en l'exécution de cette clause de non-concurrence et en dommages-intérêts.

Elle devra également verser le solde de cette contrepartie.

De ce chef, elle ne conteste pas le calcul de la somme réclamée, telle qu'actualisé par l'intimé , même à titre subsidiaire, et, dès lors, il sera fait droit à l'entière demande de ce chef.

Sur la remise de bulletins de paie rapportant le paiement de cette contrepartie

Le principe d'une créance en cette contrepartie étant confirmé, le jugement sera également confirmé en ce qu'il a fait droit à la cette demande en remise d'un bulletin de paie relatant le versement de cette contrepartie ; en l'état, le conseil a justement rejeté la demande en prononcé d'une astreinte.

Sur la demande en dommages et intérêts formée par Monsieur [E]

Monsieur [E] énonce que :

Il avait réclamé une somme de 40 000 €, en réparation de son préjudice moral, devant le conseil, soit une somme équivalente à celle que lui demandait NT2I au titre de son propre préjudice moral ;

Le Conseil de prud'hommes ne lui a alloué que 13 000 €, raison pour laquelle il entend

former appel incident ;

En effet, c'est à une véritable campagne de harcèlement et d'intimidation que s'est livrée la société, qui n'a pas supporté que son ancien salarié le quitte pour aller travailler dans

une autre entreprise ;

Jeune père de famille, il a été très éprouvé par toute cette affaire qui l'a fortement déstabilisé ;

Les montants mis en compte pour un total de 129 752 € y ont largement contribué, outre le fait que son ancien mentor cherche à le faire passer pour un être indigne, déloyal et

contrefacteur et à le discréditer professionnellement ;

N'hésitant pas à travestir la réalité pour noircir son portrait, NT2I a immanquablement porté atteinte à son crédit et à sa réputation, lui occasionnant un préjudice moral et d'image ;

Il a sincèrement craint que SILEANE ne se mette également à douter de sa loyauté alors même qu'il n'était qu'au tout début de sa relation contractuelle.

Sur ce

Là encore, il sera constaté que Monsieur [E] ne dépose aucune pièce au soutien de l'affirmation de ce qu'il aurait subi un préjudice moral du fait de son ancien employeur l'ayant mis en cause.

Cette demande sera rejetée, le jugement étant en cela infirmé.

Sur les dépens et frais irrépétibles

La société succombant supportera les entiers dépens.

Elle verra sa demande en remboursement de frais irrépétibles rejetée.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a condamnée à payer à l'intimé la somme de 3 000 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile et au titre des frais irrépétibles engagés en première instance, justement appréciés en leur montant.

En équité, ce dernier recevra de ce chef la somme supplémentaire de 3 000 €, au titre de ces frais engagés en phase d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par sa mise à disposition au greffe,

Déboute Monsieur [J] [E] ( ci- après Monsieur [E]) de ses demandes tendant à voir :

- Juger que l'ordonnance présidentielle du 16.4.2018 et les opérations d'instruction subséquentes menées les 19 et 24 avril par la SELARL HUISSIERS VERTS sont nulles et de nul effet,

- Écarter des débats le PV du 19 et 24 avril 2018 établi par la SELARL HUISSIERS VERTS,

Pour le surplus, confirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Saint-Étienne le 24 juin 2020 en toutes ses dispositions, excepté celle condamnant la société NT2I à verser à Monsieur [E] la somme de 13'000 € de dommages-intérêts pour préjudice moral,

Statuant à nouveau de ce chef, déboute Monsieur [E] de sa demande de dommages-intérêts au titre de la réparation d'un préjudice moral,

Ajoutant audit jugement, condamne la société NT2I à payer en surplus de la somme déjà allouée par le jugement au titre du solde de l'indemnité de non-concurrence, la somme additionnelle de 32 701,65 € bruts,

Ajoutant aux dispositions du jugement condamnant la société NT2I à payer la somme de 3 000 € à Monsieur [E] au titre des frais irrépétibles engagés en première instance, condamne la dite société NT2I à payer à ce dernier la même somme de 3000 €, en remboursement des frais irrépétibles engagés en cause d'appel,

Rejette les autres ou plus amples demandes ;

Condamne la société NT2I aux dépens.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale c
Numéro d'arrêt : 20/03705
Date de la décision : 25/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-25;20.03705 ?
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