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04/05/2023 | FRANCE | N°20/05318

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale c, 04 mai 2023, 20/05318


AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR





N° RG 20/05318 - N° Portalis DBVX-V-B7E-NFJN





Mutuelle MUTUELLE INTERPROFESSIONNELLE ECONOMIQUE LIGERIENN E (MIEL)



C/



[V]







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT ETIENNE

du 09 Septembre 2020

RG : 18/359



COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE C



ARRÊT DU 04 MAI 2023







APPELANTE :



Mutuelle MUTUELLE

INTERPROFESSIONNELLE ECONOMIQUE LIGERIENN E (MIEL)



[Adresse 1]

[Localité 3]



représentée par Me Laurent LIGIER de la SELARL LIGIER & DE MAUROY, avocat postulant du barreau de LYON et Me Yann BOISADAM, avocat plaidant du barreau de...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 20/05318 - N° Portalis DBVX-V-B7E-NFJN

Mutuelle MUTUELLE INTERPROFESSIONNELLE ECONOMIQUE LIGERIENN E (MIEL)

C/

[V]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT ETIENNE

du 09 Septembre 2020

RG : 18/359

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRÊT DU 04 MAI 2023

APPELANTE :

Mutuelle MUTUELLE INTERPROFESSIONNELLE ECONOMIQUE LIGERIENN E (MIEL)

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Laurent LIGIER de la SELARL LIGIER & DE MAUROY, avocat postulant du barreau de LYON et Me Yann BOISADAM, avocat plaidant du barreau de LYON

INTIMÉ :

[I] [V]

né le 04 Mars 1967 à [Localité 5]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représenté par Me Vincent DE FOURCROY de la SELARL DE FOURCROY AVOCATS ASSOCIES, avocat postulant du barreau de LYON et Me Nelly COUPAT-WAWRZYNIAK, avocat plaidant du barreau de SAINT-ETIENNE

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 26 Janvier 2023

Présidée par Etienne RIGAL, Président magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Jihan TAHIRI, Greffière placée.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Etienne RIGAL, président

- Thierry GAUTHIER, conseiller

- Vincent CASTELLI, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 04 Mai 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Etienne RIGAL, Président et par Fernand CHAPPRON, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [I] [V] (le salarié) a été embauché à compter du 2 janvier 2007 par la MUTUELLE INTERPROFESSIONNELLE ECONOMIQUE LIGERIENNE, dite MIEL MUTUELLE (l'employeur), dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée en qualité de responsable de l'audit interne. Ce contrat faisait suite à une période de travail temporaire pour MIEL MUTUELLE, du 19 décembre 2005 au 31 décembre 2006.

Au dernier état, M. [I] [V] occupait les fonctions de responsable du département clients. Aucun avenant au contrat de travail n'a cependant été formalisé.

Après entretien préalable du 1er mars 2018, le salarié s'est vu notifier son licenciement, pour insuffisance professionnelle, par lettre recommandée avec avis de réception du 6 mars 2018, rédigée en ces termes :

" Nous faisons suite à votre entretien préalable du 1er mars 2018, au cours duquel nous vous avons exposé les faits pour lesquels nous envisagions de prononcer à votre encontre une mesure de licenciement. Malgré les explications que vous avez fournies, en concertation avec le Président de la Mutuelle conformément à l'article 7.4 de l'Annexe III à la convention collective nationale de la Mutualité du 31 janvier 2000, la décision a été prise de procéder à la rupture de votre contrat de travail. Ainsi que cela vous a été exposé lors de votre entretien préalable, les motifs de cette rupture sont ci-après rappelés.

Il vous a été confié, en dernier lieu, la responsabilité du Département Clients, votre mission principale consistant à piloter l'ensemble des activités liées aux frais de santé afin de garantir la satisfaction de nos clients. Vous étiez, subséquemment, responsable de l'organisation et du personnel placé sous votre autorité, dont vous deviez assurer le management et la coordination des actions. La Mutuelle a fait un choix structurant de migrer son système d'information vers celui du Groupe APICIL ; dans ce contexte, il était attendu de votre part que :

- Vous assuriez le management et la coordination des actions du personnel, dans un objectif d'appropriation maximale du nouvel outil ;

- Vous adhériez totalement au projet afin de créer les conditions nécessaires à son bon déroulement et à un démarrage réussi.

Force est de constater que cela n'a pas été respecté, et ce, à plusieurs points de vue.

1 - Nous avons constaté l'absence de collaboration constructive en interne et une conduite du changement réduite à sa plus simple expression (les procédures et modes opératoires n'ont pas été suffisamment actualisés et expliqués aux collaborateurs). Les alertes, à la fois sur les difficultés pressenties et sur le besoin impérieux de repenser l'organisation de l'activité, n'ont pas été prises en compte. Nous déplorons aussi un manque de collaboration constructive avec les équipes d'APICIL, voire une agressivité, par exemple envers des personnes venues former vos collaborateurs.

2 - Sur la période postérieure à la migration, les difficultés se sont accrues et les alertes ont été renouvelées. Là encore, vous avez été dans l'incapacité de résoudre les problèmes rencontrés, que ce soit en interne malgré les propositions formulées par vos collaborateurs, que vous avez ignorées, que vis-à-vis d'APICIL dont vous n'avez que trop peu sollicité l'expertise. Vous avez en outre persisté dans votre comportement négatif à l'encontre de l'outil et de notre partenaire APICIL, ce qui n'a pas permis de créer les conditions optimales de retour de la confiance au sein du Département Clients. Ce faisant, alors que vous connaissiez les difficultés rencontrées lors de la mise en 'uvre de la première phase du projet de migration informatique, vous n'avez en aucune façon anticipé l'organisation de la seconde phase, démarrée en janvier 2018.

3 - En réalité, les difficultés rencontrées à l'occasion de cette migration de l'outil informatique n'ont fait que renforcer celles déjà existantes au sein du Département Clients. Ont été ainsi mis en exergue avec une particulière acuité le retard chronique dans la gestion des contrats des clients, ce retard étant, bien entendu, la source principale du mécontentement des adhérents et expliquant le volume d'activité anormalement élevé du service d'accueil téléphonique. Aucune action concrète n'a pas été menée pour régler cette situation.

4 - La Mutuelle a conclu avec le Groupe CASINO un contrat collectif, dont il est à peine besoin de souligner l'importance. Il était plus que nécessaire, surtout dans le contexte ci-dessus évoqué, de faire preuve d'une vigilance accrue dans la gestion de ce client. Encore une fois, nous déplorons :

- Une carence de communication et de transparence vis-à-vis de nos interlocuteurs du Groupe CASINO sur notre situation,

- L'absence de désignation d'un interlocuteur en capacité de gérer la relation opérationnelle avec ce client,

- L'absence de priorisation des dossiers CASINO dès lors que le retard devenait trop conséquent, laquelle aurait pourtant permis de tempérer l'inquiétude de nos collaborateurs vis-à-vis de ce client majeur.

5 - Nous regrettons, corrélativement, votre incapacité renouvelée à ne pas maîtriser les fondamentaux du management d'équipe, dès lors que vous persistez à ne pas garantir l'organisation du travail de vos collaborateurs, à ne pas pouvoir les mobiliser, coordonner et piloter leurs actions et à ne pas relayer efficacement les décisions prises par la Direction Générale, outre le manque singulier de bienveillance dont vous faîtes notoirement preuve. Nous nous trouvons aujourd'hui avec un Département Clients en difficulté majeure et qui, sans l'initiative d'entraide à laquelle vous n'avez pas pris de part active, serait totalement isolé du reste de la Mutuelle. Vous avez ainsi contribué à susciter chez certains collaborateurs une forte inquiétude, lesquels sont par ailleurs régulièrement confrontés à des échanges conflictuels avec des adhérents. Cela devait immanquablement conduire à l'apparition de risques psycho-sociaux dont se sont emparés la médecine du travail, des psychologues et l'inspection du travail.

6 - Confronté à ces constats, le Directeur Général vous a demandé, palliant ainsi d'ailleurs votre inaction, le 3 janvier 2018, de produire un plan d'actions devant conduire à l'amélioration des délais de gestion par des optimisations à court terme, étant précisé qu'il s'agissait pour vous de retravailler votre image en promouvant un travail collaboratif. Après plusieurs semaines d'attente et de relances, aucun plan structuré digne de ce nom n'a été communiqué au Directeur Général, ce qui n'est pas acceptable de la part du Responsable du Département Clients, par ailleurs membre du CODIR. Lors de votre entretien préalable du 1er mars 2018, vous vous êtes limité, en substance, sans contester la matérialité des difficultés majeures rencontrées par le Département Clients, à en reporter la responsabilité sur d'autres interlocuteurs de la Mutuelle. Pour l'ensemble des raisons ci-dessus évoquées, caractérisant une insuffisance professionnelle, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Nous vous dispensons d'effectuer votre préavis d'une durée de trois (3) mois qui débutera à réception de la présente ; votre salaire continuera de vous être versé durant cette période ".

Le 16 juillet 2018, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Etienne aux fins, notamment, de voir :

- Dire et juger que le licenciement prononcé est dénué de cause réelle et sérieuse et, au surplus, intervenu dans des conditions particulièrement vexatoires ;

- Constater que M. [I] [V] a accompli un grand nombre d'heures supplémentaires non rémunérées ;

- Condamner en conséquence MIEL MUTUELLE à lui verser :

- 90 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 15 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire

- 40 000 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires, outre 4000 euros au titre des congés payés afférents

- 45 000 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé.

Par jugement du 9 septembre 2020, le conseil de prud'hommes de Saint-Etienne a :

- Condamné MIEL MUTUELLE à payer au salarié la somme de 65 625 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour conditions vexatoires du licenciement

- Débouté le salarié de sa demande au titre de rappel d'heures supplémentaires et de congés payés afférents

- Débouté le salarié de sa demande au titre d'indemnité pour travail dissimulé

- Condamné MIEL MUTUELLE à verser au salarié la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- Condamné MIEL MUTUELLE aux entiers dépens de l'instance.

L'employeur a relevé appel du jugement le 5 octobre 2020.

L'employeur, aux termes de ses dernières conclusions reçues au greffe le 12 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, demande à la cour de :

Infirmant le jugement entrepris,

- Dire et juger que le licenciement de M. [I] [V] repose sur une cause réelle et sérieuse

- Débouter M. [I] [V] de sa demande de dommages-intérêts à ce titre

- Subsidiairement, limiter le montant des dommages-intérêts éventuellement alloués à M. [I] [V] à 10,5 mois de salaire maximum

Confirmant le jugement entrepris,

- Débouter M. [I] [V] de l'ensemble de ses autres demandes

En tout état de cause,

- Condamner M. [I] [V] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

L'employeur fait principalement valoir que M. [I] [V], cadre dirigeant responsable du département clients, a fait preuve d'insuffisance professionnelle en raison :

- De l'absence de conduite du changement lors de la phase de rapprochement avec APICIL, notamment en ne transmettant pas les documents demandés lors de l'audit ou en les transmettant avec retard

- Du malaise au sein de son équipe, auquel il n'a pas réagi, conduisant ses collaborateurs à formuler une alerte collective

- De son inertie dans la gestion du contrat CASINO, représentant 40 % du chiffre d'affaire de la mutuelle

- De son retard chronique dans la gestion des contrats clients

- De l'absence de maîtrise des fondamentaux du management et de son manque de bienveillance, ayant conduit à l'apparition de risques psycho-sociaux chez certains collaborateurs

- De son absence de réaction à la suite de la mise en demeure de la direction générale le 5 janvier 2018.

L'employeur estime, contrairement au jugement entrepris, que M. [I] [V] a disposé d'un temps suffisant entre l'alerte du 5 janvier 2018 et son licenciement, que le fait qu'il ait été chargé d'assurer l'intérim du directeur général n'est pas exclusif de l'insuffisance professionnelle qui lui est reprochée et que celle-ci repose sur des faits qui lui sont exclusivement imputables.

L'employeur considère que le salarié ne se prévaut d'aucun préjudice distinct de celui occasionné par la perte de son emploi et qu'aucune circonstance particulière de fait ne caractérise des conditions de licenciement vexatoires.

L'employeur fait par ailleurs valoir que le statut de cadre dirigeant de M. [I] [V] est exclusif du paiement d'heures supplémentaires et, subsidiairement, que les pièces produites par le salarié sont inopérantes à cet égard.

L'employeur soutient enfin que le salarié ne prouve pas l'élément intentionnel du prétendu travail dissimulé, demande au soutien de laquelle il ne produit aucune pièce.

Le salarié, aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 24 février 2022, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, demande à la cour de :

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit et jugé que le licenciement pour insuffisance professionnelle dont il a fait l'objet était dénué de cause réelle et sérieuse,

- Infirmer pour le surplus et statuant à nouveau :

- Dire et juger que les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et ceux alloués pour conditions vexatoires entourant la rupture ne se confondent pas

- Constater l'accomplissement d'heures supplémentaires non rémunérées

En conséquence, condamner MIEL MUTUELLE à lui verser les sommes de :

- 90 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 15 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire

- 40 000 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires, outre 4000 euros au titre des congés payés afférents

- 45 000 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé

- 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le salarié fait valoir que les motifs de la lettre de licenciement s'apparentent davantage à des motifs disciplinaires et que, dès lors, le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse.

Le salarié note par ailleurs que les motifs invoqués à l'appui de son insuffisance professionnelle sont vagues, abstraits et dénués d'exemples précis. Il souligne que le processus de mutualisation avec APICIL s'est déroulée dans des conditions très difficiles ; qu'il a assuré l'intérim du directeur général, lui aussi évincé ; que le processus, trop ambitieux, voire impossible, a finalement abouti à l'abandon du projet avec APICIL, MIEL MUTUELLE ayant rejoint MALAKOFF MEDERIC ; que l'employeur ne lui a pas donné les moyens, qu'il avait pourtant réclamés, de mener à bien la mission demandée ; que le compte CASINO était exclusivement traité par le directeur général et non par lui-même ; que pour autant il s'est efforcé de mettre en place certaines solutions opérationnelles ;qu'il a disposé de moins de deux mois, à compter du courriel de la direction du 3 janvier 2018, pour reprendre en main un projet de toute évidence voué à l'échec ; que plus généralement, il n'a jamais fait preuve de mauvaise volonté et qu'il n'est pas à l'origine des difficultés constatées ; que le malaise ressenti par son équipe était généralisé au sein de la mutuelle et qu'il avait lui-même alerté la direction sur les difficultés de son service et sollicité du renfort de personnel. Le salarié considère qu'alors qu'il avait connu une ascension fulgurante au sein de MIEL MUTUELLE, jusqu'à assurer l'intérim du directeur général en octobre et novembre 2017, son licenciement intervenu 4 mois plus tard repose sur des motifs fallacieux et artificiels.

Le salarié évoque la souffrance morale ressentie en raison des conditions de son licenciement, qu'il considère comme vexatoires, en particulier le fait d'avoir été empêché d'exécuter son préavis afin de ne plus être en contact avec ses collègues.

Concernant les heures supplémentaires, il précise qu'il n'était pas rémunéré sur une base forfaitaire et qu'il a consigné l'ensemble des heures réalisées depuis 2015.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 13 décembre 2022.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur le licenciement

Sur la cause du licenciement

En application de l'article L1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

La cause réelle du licenciement est celle qui présente un caractère d'objectivité. Elle doit être exacte. La cause sérieuse suppose une gravité suffisante pour rendre impossible la poursuite des relations contractuelles.

Aux termes de l'article L. 1232-6 alinéa 2 du code du travail, la lettre de licenciement comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur.

Le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié, conformément aux dispositions de l'article L.1235-1 du code du travail.

L'insuffisance professionnelle se définit comme l'incapacité objective, non fautive et durable, d'un salarié à accomplir correctement la prestation de travail pour laquelle il est employé, c'est-à-dire conformément à ce qu'on est fondé à attendre d'un salarié moyen ou ordinaire, employé pour le même type d'emploi et dans la même situation.

En l'espèce, l'employeur soutient avoir exclusivement fondé le licenciement litigieux sur une telle insuffisance, alors que le salarié considère que les motifs de cette rupture s'apparentent davantage à des motifs disciplinaires.

Il appartient, en premier lieu, à la présente juridiction de déterminer quelle est la cause dudit licenciement et, pour se faire, d'analyser et interpréter la lettre de rupture, laquelle énonce ce motif.

L'insuffisance consiste en un état du salarié, une incapacité ou une incompétence avérée, constante, tandis que la cause disciplinaire consiste en une action ou inaction, un ou des actes de violation des obligations nées du contrat.

Il sera recherché si la lettre précitée rapporte un état ou des actes fautifs.

La lettre de licenciement énonce six griefs à l'endroit du salarié :

1) absence de collaboration constructive en interne et conduite du changement réduite à sa plus simple expression

2) incapacité à résoudre les problèmes rencontrés et comportement négatif

3) retard chronique dans la gestion des contrats clients

4) carence de communication et de transparence vis-à-vis des interlocuteurs du groupe CASINO, absence de désignation d'un interlocuteur en capacité de gérer la relation opérationnelle avec ce client, absence de priorisation des dossiers CASINO dès lors que le retard devenait trop conséquent

5) incapacité renouvelée à ne pas maîtriser (sic) les fondamentaux du management d'équipe

6) absence de plan " digne de ce nom " à la demande du directeur général du 3 janvier 2018 de produire un plan d'action devant conduire à l'amélioration des délais de gestion.

La cour relève que la lettre ne fait pas mention de faits successifs mais utilise les vocables " absence ", " incapacité ", " retard chronique ", " carence ", " absence de plan digne de ce nom ", lesquels renvoient bien à un état d'incompétence.

Il sera jugé que ce licenciement était bien fondé sur le seul grief d'insuffisance du salarié.

La cour constate que l'insuffisance reprochée au salarié est essentiellement liée à la mise en 'uvre du projet de rapprochement avec le groupe APICIL, l'employeur arguant dans ses écritures que les premiers faits manifestant cette insuffisance seraient apparus en juillet 2017, à l'occasion d'un audit par APICIL.

Plus encore, il est acquis aux débats que M. [I] [V], à la suite du limogeage du précédent directeur général de MIEL MUTUELLE, s'est vu confier l'intérim de ce poste par délibération du conseil d'administration en date du 24 octobre 2017, puis que le salarié s'est vu attribuer une prime de 2500 euros au mois de novembre 2017 en reconnaissance de l'investissement consenti.

Le fait que de hautes fonctions aient été dévolues au salarié au cours de l'automne 2017 démontre qu'il occupait son poste à la satisfaction de son employeur, lequel lui accordait manifestement une confiance telle qu'il pouvait lui confier même provisoirement les dites fonctions de directeur général. Il sera ajouté que le versement de cette prime prouve qu'il a occupé ces fonctions à la satisfaction dudit employeur.

Dans ces conditions, il est douteux que ce cadre ait pu ;légitimement être considéré comme durablement incompétent quelques semaines après la fin de cet intérim fonctionnel, étant rappelé que la procédure de licenciement a été engagée dès le 21 février 2018..

Au surplus, pour ce qui concerne les griefs allégués à partir de décembre 2017, la cour observe que l'employeur les a rassemblés dans son dernier point (n°6), pour lequel il indique : " Confronté à ces constats, le directeur général vous a demandé ['] le 3 janvier 2018 de produire un plan d'action devant conduire à l'amélioration des délais de gestion ['] ".

Il résulte des pièces produites que cette demande d'un plan d'action destiné à permettre au salarié de remédier aux insuffisances précédemment constatées par l'employeur, a été évoquée pour la première fois lors d'une réunion du 5 janvier 2018, puis a fait l'objet de rappels au salarié par courriers électroniques des 16 janvier et 24 janvier 2018.

L'affirmation d'un telle incompétence durable en ce qu'elle serait fondée sur ce reproche se heurte au fait qu'à peine un mois s'est donc écoulé entre la demande du plan d'action attendu, tâche de réflexion complexe et l'engagement de la procédure d'éviction..

Ce délai particulièrement bref n'a pas pu permettre au salarié de remédier à l'insuffisance professionnelle alléguée, dont le caractère durable, partant, n'est pas établi.

Au regard de ces motifs, il sera considéré que la réalité d'une insuffisance est, à tout le moins douteuse et ainsi il sera jugé que le licenciement querellé est dépourvu de cause réelle. Le jugement sera confirmé en cela.

Sur les conséquences indemnitaires du licenciement

Selon l'article L.1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, applicable à la date de la rupture du contrat de travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Si l'une ou l'autre des parties refuse, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau reproduit à cet article.

Etant acquis en l'espèce que le salarié cumulait onze années d'ancienneté dans l'entreprise à la date du licenciement, l'indemnité doit être comprise entre 3 mois et 10,5 mois de salaire.

Selon le dernier bulletin de salaire du mois de juin 2018, M. [I] [V] percevait un salaire mensuel brut de 6 128,12 euros, auquel il faut ajouter un 13e mois à proratiser, soit un salaire total mensuel de 6 638,80 euros.

La cour relève que le salarié avait travaillé plus de onze années au service de l'employeur sans faire l'objet d'aucune remontrance, qu'il a dû rechercher un nouvel emploi à l'âge de 51 ans, qu'il justifie à cet égard avoir perçu l'allocation de retour à l'emploi (ARE) jusqu'au 31 mai 2020 et qu'il produit par ailleurs des documents médicaux qui attestent d'une dégradation de son état de santé psychique à une période contemporaine de son licenciement.

Au vu de ces éléments, l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sera fixée à la somme de 69 707,40 euros.

Le jugement est réformé en ce sens.

Sur la demande au titre des circonstances vexatoires du licenciement

Le licenciement peut causer au salarié un préjudice distinct de celui lié à la perte de son emploi, en raison des circonstances brutales ou vexatoires qui l'ont accompagné, permettant au salarié de demander réparation de son préjudice moral, sur le fondement de la responsabilité civile prévue aux articles 1240 et suivants du code civil.

C'est donc à tort que les premiers juges ont considéré que le préjudice né de circonstances vexatoires du licenciement serait déjà réparé par l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Toutefois, au cas particulier, il n'est pas démontré par les pièces produites aux débats que le licenciement, nonobstant l'absence de cause réelle et sérieuse et le ressenti compréhensible du salarié à cet égard, fût accompagné de circonstances brutales ou vexatoires.

Il y a donc lieu de rejeter la demande du salarié.

Le jugement est réformé en ce sens.

Sur la demande au titre des heures supplémentaires

Sur le statut du salarié

Selon l'article L.3111-2 du code du travail, les cadres dirigeants ne sont pas soumis aux dispositions des titres II et III. Sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement.

La cour observe en premier lieu que ni le contrat de travail, ni les avenants ultérieurs, ne mentionnent que le salarié avait la qualité de cadre dirigeant. L'avenant du 13 juin 2007, non remis en cause, prévoit expressément que " la durée hebdomadaire du salarié est fixée à 38 heures du lundi au vendredi, telle que prévue par l'accord d'entreprise sur le temps de travail " et qu'" il pourra être demandé au salarié d'effectué des heures supplémentaires dans les conditions fixées par la loi ". Le second avenant, en date du 21 décembre 2017, prévoit une promotion du salarié au niveau " cadre niveau C4 " et une augmentation de sa rémunération, sans autre modification des dispositions précédentes.

Ensuite, bien que le contrat de travail stipule que le salarié " intègre le comité de direction et participe à ce titre aux décisions que ce comité est amené à prendre ", l'employeur n'offre pas de prouver que les trois critères légaux cumulatifs ci-avant rappelés se trouvent réunis. En particulier, aucun élément n'est apporté par l'employeur quant au niveau de rémunération du salarié par comparaison à celui des cadres dirigeants de l'entreprise.

En effet, si les critères précités impliquent que seuls relèvent de la catégorie des cadres dirigeants les cadres participant à la direction de l'entreprise, il n'en résulte pas que la participation à la direction de l'entreprise constitue un critère autonome et distinct se substituant aux trois critères légaux (Soc. 22 juin 2016, n°14-29.246).

Au surplus, il ressort des reproches mêmes adressés par l'employeur au salarié, précédemment examinés, que celui-ci n'était pas habilité à prendre des décisions de façon largement autonome, mais devait à l'inverse se conformer à des directives précises, à l'exception peut-être de la période d'intérim du poste de directeur général (quoique l'employeur précise lui-même que durant cette période, le salarié ne faisait que gérer les affaires courantes et n'a bénéficié d'aucune prérogative particulière).

Il en résulte que le statut de cadre dirigeant du salarié, allégué par l'employeur, n'est pas établi.

Il y a lieu en conséquence d'examiner la demande du salarié au titre des heures supplémentaires.

Sur les heures supplémentaires

En application de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, la preuve des horaires de travail effectués n'incombe spécialement à aucune des parties.

Si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de présenter à l'appui de sa demande des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

En l'espèce, le salarié présente les éléments suivants :

- un tableau reprenant les samedis travaillés par plusieurs personnes, dont lui-même, tableau sur lequel il s'appuie pour alléguer qu'il a travaillé 3 samedis en 2014, 2 samedis en 2015, 3 samedis en 2016 et 4 samedis en 2017, à la demande de son employeur,

- des tableaux de ses horaires réels par semaine pour chacune des années 2015, 2016, 2017 et 2018, sur lesquels il s'appuie pour revendiquer un total de 175,5 heures supplémentaires en 2015, 270,45 heures supplémentaires en 2016, 294,10 heures supplémentaires en 2017 et 69,25 heures en 2018, réalisées à la demande de son employeur.

Le salarié précise dans ses écritures qu'il a tenu compte de la prescription applicable en la matière pour chiffrer sa demande de rappel de salaires.

La cour rappelle à cet égard que selon l'article L.1471-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n°2018-217 du 29 mars 2018, applicable à la date de saisine du conseil de prud'hommes, le 16 juillet 2018, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

Il suit que seuls les faits révélés au cours de la relation de travail depuis le 16 juillet 2016 ne sont pas prescrits.

Les éléments présentés par le salarié quant aux heures supplémentaires alléguées à compter de cette date, détaillées de façon hebdomadaire, sont suffisamment précis et permettaient à l'employeur d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Force est cependant de constater que l'employeur ne produit aucun élément relatif à la durée du temps de travail réalisé par le salarié pendant la période considérée, se bornant à contester, sans portée utile, les éléments présentés par le salarié.

Dans ces conditions, il y a lieu de retenir l'existence d'heures supplémentaires dont la cour évalue la rémunération à la somme de 27 057,50 euros, outre 2 705,75 euros au titre des congés payés afférents.

L'employeur est condamné à verser ces sommes au salarié.

Le jugement est réformé en ce sens.

Sur le travail dissimulé

L'article L 8221-1 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé, et l'article L 8221-5 2° du même code dispose notamment qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié, le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d'heures inférieur à celui réellement accompli.

Au terme de l'article L 8223-1 du code du travail, le salarié auquel l'employeur a recours en commettant les faits prévus à l'article L 8221-5 précité a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Toutefois la dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes et ouvrant droit à indemnité forfaitaire n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle et l'élément intentionnel ne peut se déduire de la seule absence de mention des heures supplémentaires sur les bulletins de paie.

En l'espèce, le salarié n'offre pas de prouver l'intention dissimulatrice de l'employeur autrement que par le défaut de paiement des heures supplémentaires, insuffisante à caractériser une telle intention.

Cette demande doit donc être rejetée.

Le jugement est confirmé sur ce point.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Compte tenu de l'issue du litige, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris quant aux dépens et aux frais irrépétibles de première instance.

L'employeur, succombant en son recours, est condamné aux dépens d'appel.

En considération de l'équité, l'employeur est condamné à verser au salarié la somme de 4 000 euros au titre des frais d'appel non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, rendu en dernier ressort,

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire de M. [I] [V] au titre du travail dissimulé ;

CONFIRME le jugement entrepris des chefs statuant sur les dépens et sur les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile ;

INFIRME le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions ;

Statuant à nouveau,

CONDAMNE la MUTUELLE INTERPROFESSIONNELLE ECONOMIQUE LIGERIENNE à verser à M. [I] [V] la somme de 69 707,40 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

REJETTE la demande indemnitaire de M. [I] [V] au titre des circonstances brutales et vexatoires du licenciement ;

CONDAMNE la MUTUELLE INTERPROFESSIONNELLE ECONOMIQUE LIGERIENNE à verser à M. [I] [V] la somme de 27 057,50 euros à titre de rappel de rémunération des heures supplémentaires impayées, outre 2 705,75 euros au titre des congés payés afférents ;

CONDAMNE la MUTUELLE INTERPROFESSIONNELLE ECONOMIQUE LIGERIENNE aux dépens d'appel ;

CONDAMNE la MUTUELLE INTERPROFESSIONNELLE ECONOMIQUE LIGERIENNE à verser à M. [I] [V] la somme de 4 000 euros au titre des frais d'appel non compris dans les dépens.

LE GREFFIER, LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale c
Numéro d'arrêt : 20/05318
Date de la décision : 04/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-04;20.05318 ?
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