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04/05/2023 | FRANCE | N°16/06363

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale c, 04 mai 2023, 16/06363


AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE







N° RG 16/06363 - N° Portalis DBVX-V-B7A-KRIS





SAS ECO DECHETS



C/



[O]

SAS BM ENVIRONNEMENT







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de ROANNE

du 09 Août 2016

RG : F16/00061

COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE C



ARRÊT DU 04 MAI 2023







APPELANTE :



SAS ECO DECHETS

[Adresse 1]

[Localité 6]
>

représentée par Me Pierre LAMY de la SELARL SOCIUM AVOCATS, avocat au barreau de LYON





INTIMÉES :



[C] [O]

née le 03 Septembre 1969 à [Localité 5] (Loire)

[Adresse 3]

[Localité 5]



représentée par Me Sylvain SENGEL de la SELARL SELARL AD ...

AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE

N° RG 16/06363 - N° Portalis DBVX-V-B7A-KRIS

SAS ECO DECHETS

C/

[O]

SAS BM ENVIRONNEMENT

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de ROANNE

du 09 Août 2016

RG : F16/00061

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRÊT DU 04 MAI 2023

APPELANTE :

SAS ECO DECHETS

[Adresse 1]

[Localité 6]

représentée par Me Pierre LAMY de la SELARL SOCIUM AVOCATS, avocat au barreau de LYON

INTIMÉES :

[C] [O]

née le 03 Septembre 1969 à [Localité 5] (Loire)

[Adresse 3]

[Localité 5]

représentée par Me Sylvain SENGEL de la SELARL SELARL AD JUSTITIAM, avocat au barreau de ROANNE

SAS BM ENVIRONNEMENT

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Olivier LE GAILLARD de la SELARL BLG AVOCATS, avocat au barreau de ROANNE

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 26 Janvier 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Etienne RIGAL, Président

Thierry GAUTHIER, Conseiller

Vincent CASTELLI, Conseiller

Assistés pendant les débats de Jihan TAHIRI, Greffière placée.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 04 Mai 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Etienne RIGAL, Président, et par Fernand CHAPPRON, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Mme [O] (la salariée) a été engagée par la société BM environnement (la société BME) le 1er avril 2014 en qualité d'agent d'exploitation et comptable. Elle a été affectée au volet administratif du marché de collecte des ordures ménagères résiduelles attribué par la communauté d'agglomération Roannais agglomération (la communauté d'agglomération). Son contrat de travail est soumis à la convention collective nationale de l'activité du déchet.

Elle a été élue comme déléguée du personnel le 14 octobre 2014.

En 2016, la communauté d'agglomération a remis le marché en concurrence et, à la suite de la procédure d'appel d'offre, celle de la société BME a été rejetée, le 18 mars 2016, tandis que celle de la société Eco déchets a été retenue, cette société ayant été chargée de reprendre cette activité à compter du 1er mai 2016.

La salariée ayant manifesté son accord au transfert de son contrat de travail, le 28 mars 2016, son dossier a été transmis à l'inspection du travail, pour autorisation, en raison du transfert partiel de l'activité et du statut de représentante du personnel de la salariée.

La société Eco déchets considérait, par courriel adressé à la société BME le 18 avril 2016, que les contrats de travail de trois employés de la société BME, dont celui de la salariée, n'étaient pas transférables.

Le 2 mai 2016, la société Eco déchets refusait l'entrée dans l'entreprise à la salariée.

Le 12 mai 2016, l'inspection du travail autorisait le transfert de la salariée.

Le 17 mai 2016, après un nouveau refus, du même jour, de la société Eco déchets de la laisser accéder à l'entreprise, la salariée a adressé une lettre à la société Eco déchets et une autre à la société BME, dans lesquelles elle prenait acte de la rupture de son contrat de travail.

Le 18 mai 2016, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes, mettant dans la cause les sociétés BME et Eco déchets, pour faire dire que son contrat de travail avait été transféré à la société Eco déchets à compter du 1er mai 2016 et condamner celle-ci à lui payer à titre de rappel de salaire la somme de 1 456,33 euros, subsidiairement de considérer que le contrat de travail est resté suspendu et condamner la société BME à lui payer ce rappel de salaire. Elle demandait également que la prise d'acte soit considérée comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse, aux torts de la société Eco déchets, et de condamner celle-ci à lui payer des indemnités de congés payés, d'indemnité de préavis, de licenciement et des dommages-intérêts.

Par jugement du 9 août 2016, la formation paritaire de jugement de la section commerce du conseil de prud'hommes de Roanne a :

- jugé que le contrat de travail de la salariée a été transféré à compter du 1er mai 2016 à la société Eco déchets et condamné celle-ci à lui payer la somme de 1 456,33 euros pour le salaire de mai 2016 ;

- requalifié la prise d'acte et jugé que la rupture du contrat de travail de la salariée s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, intervenu à la date du 17 mai 2016, aux torts de la société Eco déchets ;

- condamné celle-ci à payer à la salariée les sommes de :

- 145,63 euros à titre d'indemnité de congés payés sur le mois de mai 2016,

- 5 140,00 euros à titre d'indemnité de préavis, outre indemnité de congés payés 514,00 euros ;

- 1 551,23 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 17 000 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de la situation d'incertitude et vexatoire à son égard ;

- 80 571,57 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de la violation du statut protecteur.

- ordonné à la société Eco déchets la remise à la salariée des bulletins de paie, d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle Emploi conformes à la décision et, ce, sous peine d'astreinte de 50 euros par jour de retard passé le délai d'un mois de la notification de la présente décision ;

- ordonné l'exécution provisoire ;

- condamné la société Eco déchets à payer la somme de 1 000 euros à la salariée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Eco déchets à payer à la société BME la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le 6 septembre 2016, la salariée et la société Eco déchets convenaient par l'intermédiaire de leurs conseils de limiter l'exécution provisoire de la décision au versement de la somme de 20 000 euros.

Par déclaration au RPVJ du 25 août 2016, la société Eco déchets a relevé appel de cette décision.

Sur recours hiérarchique de la société Eco déchets contre la décision d'autorisation de de l'inspection du travail, le Ministre du travail annulait cette décision, le 25 octobre 2016.

La société BME saisissait le tribunal administratif de Lyon d'un recours en annulation, qui était rejeté par jugement du 29 mai 2018, confirmé par arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon le 30 août 2018. Un pourvoi en cassation était engagé devant le Conseil d'Etat.

Devant la présente cour d'appel, l'instruction de l'affaire était clôturée le 30 mars 2018 et appelée à l'audience du même jour puis l'affaire était renvoyée à l'audience du 11 avril 2019. Un nouveau renvoi était de nouveau prononcé à cette audience.

Par arrêt de la présente cour du 4 juillet 2019, un sursis à statuer était prononcé, dans l'attente de l'issue de la procédure administrative concernant l'autorisation de transfert du contrat de travail de la salariée.

Par arrêt du 4 septembre 2020, le Conseil d'Etat a rejeté le pourvoi de la société BME.

Une nouvelle clôture était prononcée le 13 décembre 2022 et l'affaire était rappelée à l'audience du 26 janvier 2023.

Par conclusions déposées le 22 mars 2021, la société Eco déchets demande à la cour de :

- la dire recevable en son appel ;

- infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

- à titre principal, constater l'impossibilité de tout transfert du contrat de travail à la suite de l'annulation de l'autorisation administrative de transfert,

En conséquence :

- la mettre hors de cause ;

- ordonner à la salariée la restitution des sommes qu'elle a perçues au titre de l'exécution provisoire du jugement infirmé, soit la somme de 20 000 euros nets ;

- condamner solidairement la salariée et la société BME au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens.

- subsidiairement, indépendamment même de l'autorisation annulée, dire et juger que la société BME a gravement manqué à ses obligations contractuelles entre le 1er et le 12 mai 2016, justifiant en conséquence la rupture du contrat de travail à ses seuls et entiers torts,

En conséquence :

- la mettre hors de cause ;

- ordonner à la salariée la restitution des sommes qu'elle a perçues au titre de l'exécution provisoire du jugement infirmé soit la somme de 20 000 euros nets ;

- condamner solidairement la salariée et la société BME au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens ;

- À titre infiniment subsidiaire,

- constater que les conditions d'application de l'article L. 1224-1 du code du travail ne sont pas réunies ;

- constater l'absence de toute application volontaire de l'article L. 1224-1 du code du travail ;

- dire et juger que les conditions conventionnelles de transfert du contrat de travail n'ont pas été réunies avant la prise d'acte par la salariée de la rupture de son contrat de travail,

- constater en conséquence que la salariée est toujours restée salariée de la société BME jusqu'à la prise d'acte par cette dernière de la rupture de son contrat de travail,

- et débouter en conséquence la salariée de l'ensemble de ses demandes dirigées à son encontre ;

- la mettre hors de cause ;

- ordonner à la salariée la restitution des sommes qu'elle a perçues au titre de l'exécution provisoire du jugement infirmé soit la somme de 20 000 euros nets ;

- condamner solidairement la salariée et la société BME au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions récapitulatives et en réponse après sursis à statuer déposées le 15 avril 2021, la salariée demande à la cour de :

- statuer ce que de droit sur le transfert ou non de son contrat de travail de la société BME à la société Eco déchets à la suite du changement de titulaire du marché public consenti par la communauté d'agglomération ;

- dans l'affirmative, confirmer le jugement en ce qu'il a :

- dit et jugé que son contrat de travail a été transféré à la société Eco déchets ;

- requalifié la prise d'acte et dit que la rupture du contrat de travail s'analyse en un licenciement intervenu à la date du 17 mai 2016 ;

- condamné la société Eco déchets à lui payer les sommes suivantes :

- 5 140 euros à titre d'indemnité de préavis,

- 514 euros à titre de congés payés afférents,

- 1 551,23 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 80 571,57 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la violation du statut protecteur ;

- infirmer le jugement pour le surplus :

- dire et juger que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail est justifiée par des manquements graves de la société Eco déchets à ses obligations ;

- dire et juger qu'elle doit en conséquence produire les effets d'un licenciement nul, à tout le moins sans cause réelle et sérieuse ;

- condamner la société Eco déchets à lui payer les sommes de :

- 428,33 euros à titre de rappel de salaire de mois de mai 2016, outre 42,83 euros à titre d'indemnité de congés payés ;

- 17 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, à tout le moins sans cause réelle et sérieuse ;

- dans la négative, dire et juger que son contrat de travail s'est poursuivi avec la société BME et que la prise d'acte est justifiée par les manquements graves de celle-ci à ses obligations et doit produire les effets d'un licenciement nul, à tout le moins, sans cause réelle et sérieuse, la date de la rupture étant le 17 mai 2016 ;

- condamner en conséquence la société BME à lui payer ;

- 428,33 euros à titre de rappel de salaire du mois de mai 2016, outre 42,83 euros à titre d'indemnité de congés payés ;

- 5 140 euros à titre d'indemnité de préavis outre 514 euros à titre de congés payés afférents ;

- 1 551,23 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 17 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, à tout le moins sans cause réelle et sérieuse ;

- 80 571,57 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la violation du statut protecteur ;

- condamner les sociétés Eco déchets et BME à lui verser les sommes de :

- 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de la situation d'incertitude et vexatoire résultant du défaut de régularisation du transfert de son contrat de travail

- 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner qui mieux le devra, la société Eco déchets ou la société BME, à lui remettre, à peine d'une astreinte de 50 euros passé le délai de 8 jours à compter de la notification de l'arrêt qui sera rendu, une attestation destinée à Pôle emploi, un certificat de travail et des bulletins de paye conformes à la décision à intervenir ;

- dire et juger que les créances de nature salariale sont productrices d'intérêts au taux légal à compter de la notification à l'employeur de la convocation devant le Conseil de Prud'hommes et que les autres créances de nature indemnitaire le sont à compter de la décision les ayant prononcées ;

- condamner la société Eco déchets et la société BME in solidum aux dépens.

Par conclusions déposées le 15 avril 2021, la société BME demande à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement ;

- débouter, par conséquent, la salariée de l'ensemble de ses demandes dirigées contre elle

- retenir subsidiairement le salaire net de la salariée comme assiette de calcul des dommages et intérêt en réparation de la violation du statut protecteur qui était le sien ;

- condamner en toute hypothèse la société Eco déchets à lui verser à une somme de 8 000 euros HT en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se reporter aux conclusions des parties ci-dessus visées, pour un exposé plus ample des prétentions et moyens des parties.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le transfert du contrat de travail et la prise d'acte de la salariée

À titre infirmatif, la société Eco déchets fait valoir que la décision ministérielle du 25 octobre 2016 ayant annulé l'autorisation de transfert est définitive et s'impose au juge judiciaire, de sorte que le contrat n'a jamais pu lui être transféré et elle ne pouvait conserver la salariée dans ses effectifs et la société BME devait la conserver dans ses effectifs.

A titre subsidiaire, elle soutient que ce n'est que le 12 mai 2016 que l'inspection du travail a autorisé le transfert du contrat de travail, de sorte que la société BME est resté l'unique employeur de la salariée jusqu'à cette date, la seule attribution du marché à compter du 1er mai ne pouvait suffire à emporter transfert du contrat de travail. Elle en déduit que la société BME à manqué à ses obligations contractuelles en refusant de reconnaître l'intéressée comme sa salariée et, ce, en violation de son statut protecteur.

A titre plus subsidiaire, elle soutient que les conditions du transfert n'étaient pas réunies. Elle fait valoir que la perte du marché n'entre pas dans le champ d'application de l'article L. 1224-1 du code du travail et qu'elle n'a jamais accepté de faire une application volontaire de ce texte, laquelle doit résulter d'un accord sans réserve et ne peut résulter de la seule attribution du marché. Elle souligne que le CCTP renvoyait en son article 9 aux dispositions légales, réglementaires et conventionnelles et que les dispositions du CCTP ne résultent que de l'offre lancée par la communauté d'agglomération. Elle indique que, dans son mémoire technique, elle n'a pas accepté la reprise du personnel listé par l'annexe 5 du CCTP, qui mentionnait 8 postes. Elle indique que les fonctions occupées par la salariée n'étaient celles d'un chef de marché.

Elle fait valoir en outre que, si les deux entreprises entrent dans le champ d'application de la convention collective nationale, la société BME n'a pas transmis les éléments justificatifs permettant la vérification de ce que; au regard des dispositions conventionnelles, la salariée devait être transférée, laquelle occupait un poste administratif. Elle ajoute que la société BME a manqué à ses obligations de fournir les éléments justifiant l'affectation de la salariée au marché et que si elle a fourni ces éléments, ce n'est que postérieurement à la prise d'acte de la salariée.

A titre confirmatif, la salariée fait valoir que l'article 9.2 « reprise du personnel » du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du marché public prévoyait la reprise de la totalité du personnel permanent employé par le prestataire actuel tandis que l'année du même cahier prévoyait notamment la reprise d'une assistante d'exploitation, ce qui correspondait à son poste.

Elle indique avoir accepté le principe de la poursuite du contrat de travail avec la société Eco déchets. Elle considère que, aux termes de l'arrêt du Conseil d'Etat, l'administration du travail n'ayant pas à se prononcer sur la demande d'autorisation de transfert, devenue sans objet du fait de la prise d'acte, c'est à la présente cour de statuer sur la validité du transfert.

Elle reproche aux deux sociétés d'avoir manqué à leurs obligations de maintenir son contrat de travail à l'occasion du transfert du marché public.

Elle fait grief à la société BME de lui avoir indiqué, le 2 mai 2016, que son contrat était transféré alors que la décision de l'inspection du travail n'était pas rendue et d'avoir considéré qu'elle ne faisait plus partie de ses effectifs alors que la société Eco déchets lui a refusé l'accès à son poste, outre l'absence de règlement de son salaire de mai 2016.

Elle fait grief à la société Eco déchets d'avoir refusé de l'intégrer dans ses effectifs et de lui fournir du travail.

Elle estime que ces manquements justifient la rupture du contrat de travail, et que sa prise d'acte doit produire les effets d'un licenciement nul, à tout le moins sans cause réelle et sérieuse et que ses demandes pèseront, alternativement, sur l'une ou l'autre des sociétés, la date de cessation du contrat de travail étant le 17 mai 2016.

À titre confirmatif, la société BME fait valoir que, dans la mesure où l'Administration s'est déclarée incompétente pour se prononcer sur la demande d'autorisation de transfert du contrat de travail de la salariée, c'est au juge judiciaire de se prononcer sur ce point.

Elle estime, comme la DIRECCTE, que la salariée remplissait les conditions d'application énoncées par l'article 2-1 de l'avenant n° 53 du 15 juin 2015 de la convention collective nationale des activités du déchet puisqu'elle est classée à un coefficient 132 et qu'elle a une ancienneté de 2 ans et 7 mois.

Elle souligne que, lorsqu'elle indique que la salariée n'est pas transférable, le 18 avril 2016, la société Eco déchets a fait valoir que le marché transféré constituait moins de la moitié de son temps de travail et non que des pièces nécessaires à son transfert ne lui avaient pas été communiquées.

Pour l'application de l'article 2.2. de l'avenant susvisé, elle indique que le volet administratif et d'assistance d'exploitation du marché public représentait 1 500 heures de travail annuel et que c'est pour cette raison que le poste d'assistant d'exploitation figure dans l'annexe 5 du CCTP. Elle souligne que le CCTP prévoyait en son article 9.2 une reprise automatique de la totalité du personnel employé par le prestataire actuel.

Elle fait valoir que, dans son mémoire technique, la société Eco déchets indiquait reprendre le personnel dans les conditions prévues à l'annexe du 5 avril 2012 et que ce n'est que dans le cadre de la procédure judiciaire qu'elle a soutenu qu'elle avait limité sa volonté de reprise des contrat de travail à cinq personnes.

La société Eco déchets a en réalité embauché un responsable de marché, par contrat à durée indéterminée, qui exerce les fonctions anciennement occupées par la salariée.

Elle estime avoir adressé dans les temps qui lui étaient impartis les documents nécessaires au transfert, dès le 29 mars 2016 et que ce n'est que le 28 avril 2016 que la société Eco déchets a prétendu que certains éléments ne lui avaient pas été communiqués. Elle précise avoir alors transmis les documents demandés par la société Eco déchets le 10 mai 2016 tout en précisant que les documents demandés faisaient partie intégrante du marché en ce qu'ils avaient permis la rédaction de l'annexe 5 du CCTP.

Elle indique que la société Eco déchets n'a pas usé de la faculté prévue par l'article 3.3. de l'avenant du 15 juin 2015, en cas de défaut de transmission des pièces, notamment en ne procédant à aucune mise en demeure.

Sur ce,

La cour rappelle que seul le salarié investi d'un mandat représentatif peut se prévaloir d'une absence d'autorisation administrative de transfert de son contrat de travail.

Or, il est constant que la salariée, informée par son employeur du transfert de l'activité exercée pour la communauté d'agglomération, a indiqué son accord au transfert de son contrat de travail, ce qui a été explicitement relevé par les services de l'Inspection du travail, dans leur décision d'autorisation du 12 mai 2016 (pièce n° 10 de la société BME).

Dans ces conditions, il est indifférent que l'autorisation de l'Inspection du travail au transfert du contrat de travail de la salariée n'ait été délivrée que le 12 mai 2016, ou même que cette autorisation ait par la suite été annulée par les juridictions administratives, à raison de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail de la salariée, étant en outre relevé que cette annulation résulte d'un recours formé par l'entreprise entrante, le 20 juin 2016 (voir la pièce n° 11b versée à son dossier).

Dès lors, le moyen invoqué par la société Eco déchets, entreprise entrante, à raison de l'absence d'autorisation de l'administration du travail pour justifier de son impossibilité à poursuivre le contrat de travail de la salariée dans le cadre de la reprise du marché antérieurement attribué à la société BME, entreprise sortante, est inopérant.

Par ailleurs, l'article 9.2 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du marché de collecte des ordures ménagères ayant fait l'objet de l'appel d'offres de la communauté d'agglomération (pièce n° 15 de la salariée) prévoyait :

« 9.2 Reprise du personnel

Conformément aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur, et aux conventions collectives dans l'activité du déchet, le titulaire est tenu de reprendre la totalité du personnel permanent employé par le prestataire actuel, dans des conditions de rémunérations globales (...) a minima identiques à celles actuelles.

L'état quantitatif et les masses salariales des personnels à reprendre dans le cadre du présent marché sont présentées en annexe 5 ».

Ladite annexe vise ainsi 8 postes, dont un concernant une « assistante d'exploitation », que l'entreprise sortante désigne comme étant celui occupé par la salariée.

A cet égard, il n'est pas justifié que le poste transféré était celui de chef de marché, avec statut cadre, moyen de fait sur lequel s'appuie de manière inopérante l'entreprise entrante. En outre, cette même entreprise reconnaît dans ses écritures (p. 26) que le poste d'assistante d'exploitation figurant dans l'annexe V susvisée était celui de la salariée.

Il convient de relever également à cet égard que l'autorité adjudicatrice, dans un message du 1er février 2016 adressé aux entreprises candidates (pièce n° 3b de l'entreprise entrante), a indiqué, sur interrogation d'une entreprise candidate (non identifiée) que le poste administratif, qui correspondait à celui de la salariée, faisait bien partie des emplois devant être repris par l'entreprise attributaire du marché.

En outre, l'autorité adjudicatrice dans sa lettre adressée à l'entreprise entrante le 22 avril 2016, soit avant le transfert effectif du marché qui devait intervenir le 1er mai suivant (pièce n° 4.5 de l'entreprise entrante), rappelant que la marché lui avait été attribué le 13 avril 2016, précisait : « Je vous rappelle que lors du transfert d'un marché, d'un titulaire à un autre, et notamment dans le cadre du traitement des ordures ménagères, il existe une obligation de reprise du personnel (ORP). La source de cette obligation se trouve dans différents textes, notamment le code du travail et précisément l'article L. 1224-1 ».

Il en ressort que l'autorité adjudicatrice estimait que le poste administratif correspondant à celui de la salariée devait être repris, notamment sur le fondement de l'article L. 1224-1 du code du travail, ce dont l'entreprise entrante a été avisée avant l'attribution du marché, sans que, pourtant dûment informée, elle ne se désiste pour autant de sa candidature.

Si l'entreprise entrante se prévaut des termes de son mémoire technique du 10 février 2016, elle n'émet explicitement dans ce document aucune critique de l'obligation de reprise clairement prévue par le CCTP.

L'entreprise entrante soutient que les conditions du CCTP n'interviennent qu'au stade de l'offre lancée par l'autorité adjudicatrice. Toutefois, il sera noté que si ce document indique en ses articles 2 à 5 que ceux-ci « constituent l'offre de base du présent marché », une telle précision ne figure pas à l'article 9, intitulé « personnel - charge des opérations de collecte » susvisé, qui vise l'obligation de reprise du personnel.

En outre, ce document détermine l'intention contractuelle de l'autorité adjudicatrice, dont l'interprétation est confortée par les pièces 3b (message du 1er février 2016) et 4.5 (lettre du 22 avril 2016) susvisées, et ses exigences, notamment au regard des conditions de reprise du personnel, incluant le poste de la salariée.

Il résulte de ces différents éléments que, ayant candidaté pour l'obtention d'un marché aux termes duquel il lui était explicitement requis de reprendre les huit postes - incluant celui de la salariée - que l'entreprise sortante estimait nécessaire pour effectuer sa prestation, marché qu'il a accepté en connaissance de cause, l'entreprise entrante s'est engagée, ce qui peut être implicite, à faire une application volontaire des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail, nonobstant les conditions d'application de ce texte.

Dans ces conditions, il doit être retenu que le contrat de travail a été transféré à l'entreprise entrante à compter du 1er mai 2016.

Il convient de confirmer le jugement sur ce point.

Il résulte ensuite de la combinaison des articles L.1231-1, L.1237-2 et L.1235-1 du code du travail que la prise d'acte ne permet au salarié de rompre le contrat de travail qu'en cas de manquement de l'employeur à ses obligations revêtant une gravité suffisante pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail.

Lorsqu'un salarié titulaire d'un mandat de représentant du personnel prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets d'un licenciement nul pour violation du statut protecteur quand les faits invoqués le justifiaient.

Il sera rappelé en outre que la prise d'acte n'est soumise à aucun formalisme et que l'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige.

En l'espèce, dans sa lettre adressée le 17 mai 2016 à la société Eco Dechets, la salariée indiquait que, son contrat de travail ayant été transféré, elle s'est rendue dans les locaux de l'entreprise ce que celle-ci lui a refusé. La salariée précise que l'accès à cette entreprise lui a été interdit à deux reprises. La salariée indique que le comportement de l'entreprise constituait un manquement notable à ses obligations d'employeur de lui fournir un travail et un salaire.

L'accès à l'entreprise ayant été en outre refusé à la salariée, notamment, le 2 mai 2016, la matérialité des faits reprochés par la salariée n'est pas contestée par la société Eco Dechets.

Il ressort de ce qui précède que cette société, alors que le contrat de travail de la salariée lui avait été transféré le 1er mai 2016 a refusé, à deux reprises à celle-ci d'occuper son poste de travail au sein de l'entreprise et que le versement du salaire a été interrompu à compter du 12 mai 2016 (son salaire lui ayant été versé par la société BME jusqu'à cette date).

Ce manquement, qui constitue une violation de l'une des obligations fondamentales du contrat de travail auxquelles est tenue l'entreprise entrante, notamment au regard des dispositions de l'article L. 1224-2 du code du travail, revêt une gravité suffisante pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail.

Il y a donc lieu de retenir que le contrat de travail de la salariée, dont l'entreprise entrante était devenue l'employeur, a été rompu aux torts exclusifs de celle-ci, et produit les effets d'un licenciement nul.

Le jugement, qui a retenu qu'il en résultait que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, sera infirmé sur ce point.

Sur les demandes de la salariée

À titre infirmatif, la société Eco déchets fait valoir :

- sur la demande de rappels de salaires, que la société BME en est seule débitrice, comme n'ayant pas communiqué, dans le délai de 21 jours suivant la notification du changement de titulaire de marché, un état du personnel à reprendre ;

- sur les demandes relatives au licenciement sans cause réelle et sérieuse, que seule la société BME est tenue d'établir les documents de fin de contrat et d'assumer le coût d'une requalification de la prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- sur la demande de dommages-intérêts en raison de la situation d'incertitude, que la société BME a retardé, de mauvaise foi, la communication des éléments nécessaires ; alors qu'elle-même ne disposait pas des éléments nécessaires lui permettant de vérifier la réunion des conditions prescrites par la convention collective et qu'elle ne saurait tenue au versement de ces sommes, même à titre solidaire ;

- sur la demande en réparation de la violation du statut protecteur : le salaire à retenir est le salaire net et doivent être déduites de la somme celles qui ont été versées pendant la période durant laquelle elle aurait continué à travailler, la base d'évaluation étant en l'espèce de 2 020,03 euros, ce qui porterait l'indemnité à 58 582,87 euros, dont il y aurait lieu de déduire toutes les allocations chômage ou revenus d'activité professionnelle perçus par la salariée durant les 29 mois ; elle ajoute qu'en cas de transfert du contrat de travail, celui-ci aurait mis un terme au mandat et la durée de sa protection n'aurait pas excédé six mois.

La salariée fait valoir :

- sur la demande de rappel de salaire, que la société BME lui a versé jusqu'au 12 mai 2016 et qu'il lui reste dû jusqu'au 17 mai 2016 la somme de 428,33 euros, outre 42,83 euros au titre des congés payés ;

- sur la demande d'indemnité compensatrice de préavis, qu'ayant une ancienneté supérieure à deux ans, elle peut prétendre à une indemnité de deux mois, conformément aux dispositions de l'article L. 1234-1 du code du travail, soit la somme de 5 140 euros, outre 514 euros au titre des congés payés ;

- sur l'indemnité de licenciement, qu'ayant une ancienneté de 2 ans et 9,5 mois, et son salaire annuel moyen étant de 2 778,33 euros, elle doit s'élever à 1 551,23 euros ;

- sur l'indemnité pour violation du statut protecteur, qu'elle a été élue le 14 octobre 2014 pour quatre ans et que son mandat, à la date de la rupture, devait courir pour 2 ans et 5 mois, de sorte que son indemnité doit s'élever à 80 571,57 euros ;

- l'indemnité pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, qu'en application de l'article L. 1235-1 du code du travail, en sa rédaction applicable, elle peut prétendre à une indemnité minimale de six ans et qu'il doit lui être allouée la somme de 17 000 euros ;

- sur les dommages-intérêts à hauteur de 10 000 euros qu'elle réclame, qu'ils doivent lui être alloués pour le préjudice spécifique liés à la situation d'incertitude et vexatoire consécutive au défaut de transfert de son contrat de travail, cette condamnation devant être prononcée in solidum, les deux sociétés étant responsables de ne pas avoir régularisé la situation.

La société BME soutient que la charge de ces condamnations doit peser exclusivement sur la société Eco déchets.

* Sur le rappel de salaires

Le contrat de travail de la salariée lui ayant été transférée, la société Eco déchets (la société ED) devait assurer le paiement du salaire à compter du 1er mai 2016.

C'est en vain que l'entreprise entrante soutient que le transfert du contrat de travail de la salariée était suspendu pour défaut de communication de l'état du personnel à reprendre par l'entreprise sortante.

En effet, si les dispositions de l'article 3-3 de l'annexe V de la convention collective nationale des déchets prévoient effectivement une telle communication, la suspension du transfert du contrat de travail peut intervenir seulement dans le délai de sept jours suivant une mise en demeure restée infructueuse.

En l'espèce, la lettre du 21 avril 2016 adressée par la société ED à la société BME (pièce 4.4 de l'entreprise entrante), concerne le transfert d'un autre contrat de travail que celui de la salariée et ne demande pas la communication de l'état du personnel visé par la convention collective.

La lettre du 28 avril 2016 (pièce 4.7), également adressée par la société ED à la société BME, indique que l'entreprise sortante a adressé les fiches de paye et les contrats de travail des salariés transférables, étant relevé que ces documents sont visés comme faisant partie de l'état du personnel à reprendre.

Dans la lettre adressée par la société ED le 6 mai 2016 (pièce 4.11), celle-ci vise la teneur des dispositions de l'article 3-3 susvisé et demande à la société BME de lui fournir les dates d'affectation sur le marché des salariés transférables ainsi que les fiches journalières de travail.

Dans sa lettre du 10 mai 2016, la société BME a répondu à la société ED que les éléments qu'elle réclamait avaient été fournis dans le cadre des demandes faites par l'autorité adjudicatrice pour l'établissement de l'appel d'offres et indique transmettre de nouveau ces documents, précisant qu'il n'existe pas de feuilles d'horaires journalières pour le poste d'assistante d'exploitation, concernant la salariée. La société BME indiquait toutefois que les conditions de travail étaient justifiées par différents éléments, qu'elle listait.

Il sera relevé que l'article 3.3 de l'annexe susvisé indique la teneur des documents qui constituent l'état du personnel qu'il vise, en donnant une liste qu'il qualifie seulement d'indicative (cet état « comprend notamment les éléments suivants... »).

Dans sa réponse du 17 mai 2016 (pièce n° 4.13) à la lettre de la société BEM du 10 mai 2016 susvisée, la société ED confirme la réception des documents adressés par cette dernière même si elle estime ne pas disposer d'éléments suffisants concernant la salariée, ce qui justifiait selon elle son refus de transférer son contrat de travail. Toutefois, il sera noté que la société ED se borne à déplorer le manque de communication de « justificatif concret d'affectation au contrat » de la salariée sans préciser quels documents précis lui font défaut, ce qui doit être mis en regard avec la liste des éléments indiqués par la société BME, dans sa lettre du 10 mai 2016.

Au regard de ce qui précède, il ne peut être retenu que la société BME ne se soit pas conformé à son obligation d'information à la suite de l'interpellation faite par la société ED et prévue par l'article 3.3 susvisé, de sorte que le transfert du contrat de travail n'a pas été suspendu.

Le conseil de prud'hommes a condamné la société ED à payer à la salariée la somme de 1 456,33 euros, outre celle de 145,63 euros à titre de congés payés.

Il y a lieu de constater que la demande de la salariée a été réduite, vraisemblablement en conséquence de la prise en compte de la date de la rupture et des salaires qui lui ont été versés par la société BME, aux salaires lui restant dus jusqu'au 17 mai 2016. Elle demande ainsi la somme de 428,33 euros ainsi que celle de 42,83 euros à titre de congés payés.

Il sera fait droit à cette demande et le jugement sera réformé de ce chef.

* Sur l'indemnité compensatrice de préavis

En application de l'article L. 1234-1 du code du travail, l'ancienneté de la salariée étant supérieure à deux ans, la salariée peut prétendre au paiement d'un préavis de deux mois.

Conformément aux dispositions de l'article L. 1234-5 du même code, la salariée n'ayant pas exécuté ce préavis, elle peut prétendre au paiement d'une indemnité d'un montant de 5 140 euros auxquels doit s'ajouter une indemnité compensatrice de congés payés de 514 euros.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

* Sur l'indemnité de licenciement

La salariée ayant été au service de la société BME du 1er octobre 2013 au 17 juillet 2016 (ce, compris la période de préavis), son ancienneté est de 2 ans et 9,5 mois.

Etant relevé qu'elle soutient de manière non contestée que son salaire mensuel moyen, tenant compte d'un 13e mois, s'élevait à 2 778,33 euros, son indemnité de licenciement, à la charge de la société entrante et qui correspond à 0,25 mois de salaire par année d'ancienneté en application des dispositions des articles L. 1234-9 et R. 1234-2 du code du travail, s'élève à 1 551,23 euros.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

* Sur l'indemnité pour violation du statut protecteur et l'indemnité pour licenciement nul

Dans le sens de ce que soutient la société BME, relativement à la durée de la protection à laquelle pouvait prétendre la salariée, il convient de rappeler qu'en application de l'article L. 2314-28 du code du travail, en sa rédaction applicable au litige, le mandat du délégué du personnel cesse en même temps que le transfert du contrat de travail en cas de transfert partiel d'activité qui ne constitue pas un établissement distinct de l'entreprise doté d'institutions propres.

En l'espèce, il est constant que le transfert de contrat de travail concernait une partie des équipes de la société BME, ce dont il résulte qu'il ne peut être considéré qu'il concernait un établissement distinct.

Dès lors, le mandant de la salariée a pris fin lors du transfert du contrat de travail et sa protection statutaire aurait dû se poursuivre, pour les six mois suivant sa cessation et, ce, en application de l'article, L. 2411-5 du code du travail, soit jusqu'au 1er novembre 2016.

Il peut être également relevé que la salariée a présenté sa demande durant le temps de sa protection statutaire.

Or, il résulte des articles L. 1235-3 et L. 2411-5 que le salarié protégé qui ne demande pas la poursuite de son contrat de travail illégalement rompu, a le droit d'obtenir, d'une part, au titre de la méconnaissance du statut protecteur, le montant de la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre son éviction et l'expiration de la période de protection dans la limite de la durée de protection accordée aux représentants du personnel et, d'autre part, non seulement les indemnités de rupture, mais une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à celle prévue par l'article L. 1235-3 susvisé.

Dès lors, la salariée peut prétendre à une indemnité pour violation du statut protecteur équivalent à six mois de salaires nets, et non brut, puisque correspondant à ceux qu'elle aurait dû percevoir.

La salariée, tout comme le conseil de prud'hommes, ont effectué leur calcul sur la base du salaire brut.

Les sociétés ED et BME concluent que l'indemnité qu'elle demande (à hauteur de 29 mois), devrait être réduite en fonction de son salaire net, chiffré à 2 020,03 euros, sans être contredites sur ce dernier montant.

Dès lors, le montant de l'indemnité pour violation du statut protecteur à laquelle la salariée peut prétendre doit s'élever, dans la limite de six mois de salaires nets, à la somme de 12 120,18 euros.

Le jugement doit être réformé de ce chef.

Concernant l'indemnité pour licenciement nul, étant rappelé que la salariée disposait d'une ancienneté supérieure à deux ans, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, en sa rédaction applicable au litige, le montant de l'indemnité ne peut être inférieure à six mois.

La salariée ne fait état ni ne justifie de ses conditions d'accès à l'emploi, postérieurement à la rupture.

Le jugement sera ainsi confirmé en ce qu'il a alloué à la salariée la somme 17 000 euros, équivalente à six mois de salaires.

* Sur l'indemnité pour situation d'incertitude et vexatoire

Il sera noté que la salariée demande la condamnation solidaire des deux entreprises.

L'indemnité demandée suppose ainsi que la salariée démontre que l'une et l'autre des deux entreprises ait agi fautivement, qu'elle a subi un préjudice particulier, distinct de ceux réparés par les indemnités dont elle est bénéficie et qu'un lien de causalité lie les fautes reprochées à ce préjudice.

Il a été jugé que c'est à tort que la société ED a refusé le transfert du contrat de travail de la salariée, à la suite de l'attribution du marché dont elle a bénéficié, son refus d'exécuter le contrat de travail ainsi transféré étant fautif.

En revanche, il n'est ni explicité ni justifié par la salariée d'une faute commise, dans ces circonstances, par la société sortante, à l'origine des difficultés qu'elle a subie, dont la responsabilité ne peut ainsi être retenue.

La salariée produit un certificat médical du 19 mai 2016 qui fait état d'une « anxiété certaine directement liée au conteste social et professionnel ». Elle ne fait cependant pas état d'une prescription médicale et de la nécessité d'un suivi, postérieurement à cette date.

Il sera rappelé que la salariée, alors qu'elle avait indiqué consentir au transfert, s'est vue refuser, à plusieurs reprises, l'accès à l'entreprise entrante désignée par l'entreprise sortante comme étant son nouvel employeur.

Au vu de ce qui précède, il y a lieu de retenir que les agissements fautifs de la société ED sont à l'origine d'un préjudice particulier lié aux circonstances dans lesquelles son transfert de contrat de travail lui a été indûment refusé. L'évaluation de ce préjudice sera toutefois ramenée, au regard des éléments produits, à la somme de 1 000 euros.

Le jugement sera réformé de ce chef.

Sur les demandes accessoires

La salariée demande la remise sous astreinte de l'attestation Pôle emploi, du certificat de travail, des bulletins de paye conformes à la décision à intervenir.

Il sera fait droit à cette demande, sous réserve de ce que les documents à remettre par l'employeur devront être conformes au présent arrêt et que l'astreinte pourra courir pour une durée maximale de soixante jours.

Le jugement sera réformé de ce chef.

La salariée demande que des intérêts de droit soient alloués, à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le conseil de prud'hommes pour les rappels de salaires et indemnités, à compter de la décision à intervenir pour les dommages-intérêts.

Conformément aux dispositions des articles 1231-6 du code civil et R. 1452-5 du code du travail, le rappel de salaire, et les congés payés afférents, l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents, l'indemnité légale de licenciement produiront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes, soit le 27 mai 2016, comme l'indique le jugement.

En vertu des mêmes textes, les indemnités prononcées par le conseil de prud'hommes pour violation du statut protecteur et celle pour réparation de la situation d'incertitude et vexatoire porteront intérêts à compter du prononcé du jugement, à hauteur cependant des sommes prévues par le présent arrêt.

L'indemnité pour licenciement nul, fixée par le présent arrêt, portera intérêt à compter de celui-ci.

La salariée réclame par ailleurs le paiement d'une indemnité de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société BME demande le paiement par la société ED de la somme de 8 000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Au vu de l'équité, la société ED sera condamnée à payer la somme de 3 000 euros à la salariée et celle de 1 000 euros à la société BME, et sa demande sera rejetée.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement en ce qu'il a :

- jugé que le contrat de travail de Mme [C] [O] a été transféré à compter du 1er mai 2016 à la société ECO DECHETS (la société ED) :

- condamné la société ED à payer à Mme [O] les sommes de :

- 5 140 euros à titre d'indemnités de préavis, outre celle de 514 euros au titre des congés payés afférents ;

- 1 551,23 euros au titre de l'indemnité de licenciement ;

- condamné la société ED à payer à Mme [O] la somme de 1 000 euros et à la société BM Environnement (la société BME) la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et rejeté la demande de la société ED à ce titre et condamné cette dernière à supporter les dépens ;

INFIRME le jugement pour le surplus ;

STATUANT À NOUVEAU des chefs infirmés :

- requalifie la prise d'acte et dit que la rupture du contrat de travail de Mme [O] est intervenue aux torts exclusifs de la société ED, produisant les effets d'un licenciement nul ;

- condamne la société ED à payer à Mme [O] les sommes de :

- 428,33 euros, outre 42,83 euros pour des congés payés afférents, au titre du reliquat de salaire dû à Mme [O] jusqu'au 17 mai 2016, date de rupture du contrat de travail ;

- 17 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;

- 1 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de la situation d'incertitude et vexatoire à son égard ;

- 12 120,18 euros au titre de l'indemnité pour violation du statut protecteur ;

- ordonne à la société ED la remise à Mme [O] des bulletins de paie, un certificat de travail et une attestation Pôle emploi conformes au présent arrêt et, ce, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, dans la limite de soixante jours, à compter d'un délai d'un mois suivant la notification de la présente décision ;

Y AJOUTANT,

DIT que les sommes dues par la société ED au titre du rappel de salaire pour le mois de mai 2016, des congés payés afférents, de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, de l'indemnité légale de licenciement produiront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes, soit le 27 mai 2016 ;

DIT que les sommes dues par la société ED au titre des indemnités pour violation du statut protecteur et en réparation de la situation d'incertitude et vexatoire porteront intérêts à compter du prononcé du jugement, mais à hauteur des sommes prévues par le présent arrêt

DIT que les sommes dues par la société ED au titre de l'indemnité pour licenciement nul porteront intérêt à compter du présent arrêt ;

MET les dépens d'appel à la charge de la société ED ;

CONDAMNE la société ED à payer à Mme [O] la somme de 3 000 euros et à la société BME la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et rejette sa demande.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale c
Numéro d'arrêt : 16/06363
Date de la décision : 04/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-04;16.06363 ?
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