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27/04/2023 | FRANCE | N°20/05691

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale c, 27 avril 2023, 20/05691


AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR





N° RG 20/05691 - N° Portalis DBVX-V-B7E-NGDP





S.A.R.L. APAD 42



C/

[R]







APPEL D'UNE DÉCISION DU :



Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT-ETIENNE

du 28 Septembre 2020

RG : F18/00526



COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE C



ARRÊT DU 27 AVRIL 2023







APPELANTE :



S.A.R.L. APAD 42

[Adresse 2]

[Localité 3]



représentée par Me Margerie FARRE-MALAVAL de la SELARL FARRE, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE







INTIMÉE :



[O] [O] [R]

née le 14 Février 1969 à [Localité 3]

[Adresse 1]

[Localité 3]



représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AG...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 20/05691 - N° Portalis DBVX-V-B7E-NGDP

S.A.R.L. APAD 42

C/

[R]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT-ETIENNE

du 28 Septembre 2020

RG : F18/00526

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRÊT DU 27 AVRIL 2023

APPELANTE :

S.A.R.L. APAD 42

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Margerie FARRE-MALAVAL de la SELARL FARRE, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE

INTIMÉE :

[O] [O] [R]

née le 14 Février 1969 à [Localité 3]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 19 Janvier 2023

Présidée par Vincent CASTELLI, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Jihan TAHIRI, Greffière placée.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Nathalie PALLE, président

- Thierry GAUTHIER, conseiller

- Vincent CASTELLI, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 27 Avril 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Nathalie PALLE, Président et par Fernand CHAPPRON, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Mme [O] [R] (la salariée) a été embauchée par la société APAD 42 (l'employeur) selon un contrat à durée indéterminée du 3 avril 2017, en qualité de chargée de développement commercial, pour une rémunération mensuelle brute de 2 000 euros ainsi qu'une part variable. La convention collective applicable est celle des entreprises de services à la personne.

Après convocation à un entretien préalable le 18 avril 2018 auquel la salariée, en arrêt maladie, ne se présentait pas, l'employeur a notifié à celle-ci son licenciement pour faute grave par courrier recommandé du 24 avril 2018, mentionnant notamment :

- " [...] Le jeudi 22 mars 2018 entre 12H00 et 14H00, vous avez déjeuné au centre ADHAP avec deux salariées de notre entreprise qui ont été particulièrement surprises par votre consommation d'alcool excessive. Vous avez bu ¿ litre d'une bouteille de vin en présence de salariées terrain, ce qui est strictement interdit dans le cadre de vos fonctions. Les salariées ont immédiatement prévenu les déléguées du personnel [...] "

- " [...] Vous vous permettez de dire aux salariés que notre infirmier ne fait plus partie de la société et [...] " qu'il pue ". Propos qui ont également choqué l'ensemble des salariés puisque M. [U] fait toujours partie de nos effectifs [...] "

- " [...] Vous m'avez téléphoné le 23 mars 2018, à 22H00, alors que vous étiez encore présente sur le salon CAP SENIOR, dans un état d'ébriété avancé où vous m'avez tenu des propos incohérents. Vous avez également appelé Madame [C] [W], sa coordinatrice, à 21H30, dans le même état d'ébriété. Vous n'êtes pas sans savoir que vous représentez la marque ADHAP et que vos agissements portent préjudice à notre image [...] "

- " [...] Le 22 mars 2018, vous avez pris l'initiative de prévenir les urgences psychiatriques et le médecin traitant de Mme [N] [T] qui selon vous avait crié sur une salariée intervenant à son domicile. Vous avez estimé que cette bénéficiaire avait fait une crise d'hystérie. Vous avez outrepassé vos fonctions et cette décision qu'elle a pris, unilatéralement et sans aucun avis et accord de la direction a eu pour conséquence une réaction très violente de la part de la bénéficiaire qui a immédiatement résilié son contrat [...] "

- " [...] Lundi 26 mars 2018 à 9H10, une personne s'est présentée de votre part au centre pour signer un contrat de travail pour le poste d'assistante de vie. Vous aviez rencontré cette personne en discothèque. Notre coordinatrice [C] [W] a été surprise par la démarche non professionnelle que vous avez eue, d'autant que cette personne n'était pas qualifiée et que, par ailleurs, Mme [W] ne lui avait fait passer aucun entretien et test de rigueur dans notre processus de recrutement [...]

Compte tenu des fautes reprochées et de la gravité de celles-ci, nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier pour faute grave ".

Le licenciement a pris effet le jour même, sans indemnité de préavis ni de licenciement.

La salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Etienne le 5 novembre 2018 aux fins de :

- dire que le licenciement à son encontre ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse,

- condamner la société APAD 42 à lui verser :

- 4 000 euros à titre de dommages-intérêts, soit deux mois de salaire,

- 2 000 euros à titre de préavis,

- 200 euros au titres des congés payés sur préavis,

- 3 500 euros pour licenciement vexatoire.

Par jugement du 28 septembre 2020, le conseil de prud'hommes a :

- requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse

- débouté la salariée de sa demande à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- condamné l'employeur à verser à la salariée les sommes suivantes :

- 400 euros à titre d'indemnité de licenciement

- 2 000 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 200 euros à titre de congés payés sur préavis

- 2 000 euros à titre d'indemnité compensatrice de mise à pied conservatoire

- 500 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire

- condamné l'employeur à payer à la salariée la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- débouté l'employeur de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- condamné l'employeur aux dépens.

L'employeur a relevé appel de ce jugement, le 19 octobre 2020.

Dans ses dernières conclusions du 17 janvier 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens, l'employeur demande à la cour d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il :

- requalifie le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse.

- condamne l'employeur à verser à la salariée les sommes suivantes :

- 400 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 2000 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 200 euros à titre de congés payés sur préavis,

- 2000 euros à titre d'indemnité compensatrice de mise à pied conservatoire,

- 500 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire,

- condamne l'employeur à payer à la salariée la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- déboute l'employeur de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamne l'employeur aux dépens.

Et, statuant à nouveau,

- dire et juger que la salariée a, dans le cadre de l'exécution du contrat de travail, adopté des comportements qui sont contraires aux obligations découlant de son contrat de travail et du règlement intérieur de l'entreprise et qui, compte tenu de ses fonctions de représentation et de développement commercial, sont de nature à porter atteinte à l'image de son employeur et constitutifs d'une faute grave,

- dire et juger bien fondé le licenciement pour faute grave assorti d'une mise à pied conservatoire,

- dire et juger qu'en condamnant l'employeur à payer à la salariée la somme de de 2 000 euros à titre d'indemnité compensatrice de mise à pied conservatoire, alors même que cette dernière ne l'avait pas sollicitée, le conseil de prud'hommes a excédé les limites de sa saisine et statué ultra petita,

- dire et juger que les demandes formulées par la salariée à l'encontre de l'employeur sont irrecevables, illégitimes et infondées,

En conséquence,

- infirmer le jugement du 28 septembre 2020 en ce qu'il a condamné l'employeur à payer à la salariée la somme de de 2 000 euros à titre d'indemnité compensatrice de mise à pied conservatoire,

- rejeter l'ensemble des demandes formulées par la salariée à l'encontre de l'employeur,

- la condamner à payer à l'employeur la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 17 janvier 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens, la salariée demande à la cour de :

- rejeter l'appel interjeté par l'employeur,

- faire droit à son appel reconventionnel,

- infirmer le premier jugement en ce qu'il a dit qu'il y avait lieu à requalifier le jugement (sic) pour faute grave en licenciement avec cause réelle et sérieuse,

- dire que le licenciement ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse,

- condamner l'employeur à lui verser les sommes suivantes :

- 4 000 euros à titre de dommages-intérêts, soit deux mois de salaires,

- 2 000 euros à titre de préavis,

- 200 euros au titre des congés payés sur préavis,

- 3 500 euros pour licenciement vexatoire,

- 2 000 euros au titre de l'indemnité compensatrice de mise à pied conservatoire,

Subsidiairement,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement,

- condamner l'employeur à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 et aux dépens lesquels, avec recouvrement par la SCP AGUIRAUD NOUVELLET sur son affirmation de droit.

Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions précitées des parties pour l'exposé complet de leurs prétentions et de leurs moyens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 décembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la cause du licenciement

En application de l'article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

La cause réelle du licenciement est celle qui présente un caractère d'objectivité. Elle doit être exacte. La cause sérieuse suppose une gravité suffisante pour rendre impossible la poursuite des relations contractuelles.

Aux termes de l'article L. 1232-6, alinéa 2, du code du travail, la lettre de licenciement comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur. Ces motifs doivent être suffisamment précis et matériellement vérifiables. La datation dans cette lettre des faits invoqués n'est pas nécessaire. L'employeur est en droit, en cas de contestation, d'invoquer toutes les circonstances de fait qui permettent de justifier des motifs.

Le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié, conformément aux dispositions de l'article L.1235-1 du code du travail.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Il incombe à l'employeur d'en rapporter la preuve.

Aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

Dès lors que les faits sanctionnés ont été commis plus de deux mois avant l'engagement des poursuites disciplinaires, il appartient à l'employeur d'apporter la preuve qu'il n'en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l'engagement de ces poursuites.

La prise en compte d'un fait antérieur à deux mois peut cependant intervenir pour fonder la lettre de licenciement si le comportement du salarié s'est poursuivi dans ce délai.

En l'espèce, la lettre de licenciement liste une série de griefs, survenus au mois de mars 2018, qui peuvent être regroupés en trois catégories :

1. Consommation excessive d'alcool et un état d'ébriété pendant le temps de travail

L'employeur reproche à la salariée d'avoir consommé les trois quarts d'une bouteille de vin en présence d'autres salariées lors du déjeuner du 22 mars 2018, et de s'être trouvée en état d'ébriété lors du salon Cap Senior du 23 mars 2018.

La salariée conteste ces faits.

L'employeur produit plusieurs attestations d'autres salariés dont il ressort que la salariée, lors du déjeuner du 22 mars 2018, a acheté et bu environ trois quarts d'une bouteille de vin (Mme [H] [Y], Mme [X] [I]).

La salariée ne conteste pas utilement ces faits ; en particulier, l'attestation qu'elle produit, selon laquelle elle était sobre et a correctement exécuté son travail le même jour à 16h00, ne remet pas en cause la consommation d'alcool constatée lors du déjeuner.

Les faits du 22 mars 2018 sont établis.

L'employeur produit l'attestation de Mme [C] [W], coordinatrice de la société, dont il ressort que, le 23 mars 2018 vers 22h00, la salariée l'a appelée par téléphone depuis le salon Cap Senior, lui a tenu des propos incohérents et lui a semblé alcoolisée.

La salariée produit cependant plusieurs attestations de personnes qui se trouvaient avec elle à ce salon, lesquelles attestent qu'elle en est partie à 20h00 dans un état normal (notamment attestations concordantes de M. [Z] [L] et de Mme [V] [A]).

Au vu de ces témoignages, les faits du 23 mars 2018 ne sont pas établis.

Les autres témoignages produits par l'employeur sont imprécis et n'établissent pas que la salariée se soit trouvée en état d'ébriété pendant le temps ni sur les lieux de son travail (notamment l'attestation de Mme [D] [J] qui n'évoque que la consommation de quelques verres lors du déjeuner du 30 mars 2018 ou l'attestation de Mme [C] [W] qui mentionne un message téléphonique, laissé par un tiers le 25 mars 2018 à 20h00, rapportant un état d'ébriété de la salariée).

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que seuls les faits du 22 mars 2018 sont établis, ceux-ci ayant consisté en une consommation d'alcool d'environ 50 centilitres sur son lieu de travail - mais non en un état d'ébriété, dont aucun témoin n'atteste.

2. Propos injurieux à l'égard d'un salarié de la société

L'employeur reproche à la salariée, dans sa lettre de licenciement, d'avoir dénigré M. [S] [U], infirmier coordonnateur, en disant aux autres salariés qu'il ne faisait plus partie de la société et en leur disant : " il pue ".

Toutefois l'employeur ne reprend pas ce grief dans ses écritures et n'offre pas de le prouver autrement que par une attestation de témoignage indirect (Mme [P] [K]) qui n'est dès lors pas de nature à emporter une conviction quant à la preuve exigée de l'employeur.

La cour considère que ce grief n'est pas établi.

3. Initiatives professionnelles inappropriées

L'employeur reproche à la salariée d'avoir :

- le 22 mars 2018, outrepassé ses fonctions en prévenant les urgences psychiatriques de l'état psychologique d'une personne bénéficiaire, ainsi que le médecin traitant de celle-ci, sans accord de la direction, ce qui a entraîné la résiliation de son contrat par la personne concernée,

- le 26 mars 2018, d'avoir invité une personne tierce à se présenter à la société pour signer un contrat de travail pour un poste d'assistante de vie.

La salariée ne s'explique pas sur les faits du 22 mars 2018 et conteste ceux du 26 mars 2018.

Concernant les faits du 22 mars 2018, l'employeur produit l'attestation de Mme [P] [K], animatrice, qui indique que la salariée " a voulu faire interner une de nos clientes sous prétexte qu'elle s'agaçait ['] La cliente était certes agacée mais la situation ne justifiait en rien d'alerter les urgences psychiatriques et le médecin traitant ".

La cour considère que ces faits sont matériellement établis et qu'en l'absence de situation d'urgence manifeste, la salariée a commis une faute en prenant l'initiative d'alerter les services médicaux au sujet d'une cliente sans l'aval de sa hiérarchie.

Les faits du 22 mars 2018 sont établis.

Concernant les faits du lundi 26 mars 2018, l'employeur produit l'attestation de Mme [B] [M] épouse [E] (qui date par erreur les faits du lundi 16 mars 2018, date qui n'existe pas), dont il ressort qu'une personne s'est présentée à la société sur recommandation de la salariée, pour signer un contrat à durée indéterminée.

Cette attestation est toutefois contredite par le témoignage de la personne concernée, Mme [G] [F], qui indique que la salariée lui a simplement conseillé de déposer un curriculum vitae, ce qu'elle a fait.

Au vu de ces éléments, les faits du 26 mars 2018 ne sont pas établis.

4. Insubordination

L'employeur reproche à la salariée d'avoir refusé, le 27 mars 2018, de dialoguer au sujet de son comportement. Toutefois, l'employeur ne reprend pas ce grief dans ses écritures et ne produit qu'une attestation imprécise (Mme [C] [W]), qui indique : " [O] est partie au cours de l'entretien ".

La salariée réplique que, ne souffrant d'aucun problème d'alcoolisme, il ne lui était pas possible de le reconnaître.

La cour considère que ces faits, à les supposer matériellement établis, seraient insuffisants par eux-mêmes à caractériser l'insubordination de la salariée.

Le quatrième grief n'est pas constitué.

Dans ses écritures, l'employeur allègue d'autres griefs que ceux énoncés dans la lettre de licenciement ; par application de l'article L. 1235-2, alinéa 2, du code du travail, ils ne peuvent fonder le licenciement et ne seront pas examinés par la cour.

Il résulte de l'analyse des griefs énoncés par la lettre de licenciement que seuls doivent être retenus :

- la consommation d'alcool au lieu du travail le 22 mars 2018, en violation du règlement intérieur argué par la société, non contesté, mais sans constat d'ébriété ;

- une initiative inappropriée à l'égard d'une cliente le 22 mars 2018, ayant conduit à la perte, non contestée, du contrat avec celle-ci.

La salariée produit, comme éléments de contexte, plusieurs témoignages de personnes étrangères à la société qui attestent de son sérieux et de son professionnalisme dans son travail (pièces n° 10, 11,12).

Il est constant par ailleurs qu'elle n'avait jamais fait l'objet de procédures disciplinaires avant son licenciement.

La cour considère, dans ces conditions, que les deux faits limités à la seule journée du 22 mars 2018, s'ils auraient pu donner lieu à une sanction disciplinaire proportionnée, ne faisaient cependant pas obstacle à la poursuite de la relation de travail et se révèlent dès lors insuffisants à caractériser un motif réel et sérieux de licenciement, de sorte que le jugement est infirmé en ce qu'il a retenu l'existence d'un motif réel et sérieux de licenciement.

Sur les conséquences du licenciement

Sur la demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Selon les dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n°2018-217 du 29 mars 2018, applicable à la date du licenciement, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau mentionné audit article.

Au cas particulier, la salariée, embauchée le 3 avril 2017 et licenciée le 24 avril 2018 disposait d'une ancienneté d'un an. Il n'est pas allégué que l'entreprise employât habituellement moins de onze salariés. L'indemnité maximale est dès lors de deux mois de salaire, la rémunération mensuelle brute étant fixée à 2 000 euros selon le contrat de travail.

La salariée produit un certificat médical du 2 juillet 2018 qui mentionne : " ['] Je reçois Mme [R] le 13.04.2018 et constate l'aggravation de son état de santé psychique dans un état de décompensation psychotraumatique en lien direct avec le licenciement dont elle a été l'objet ".

L'employeur estime que les fragilités de la salariée étaient bien antérieures au licenciement puisque le même certificat évoque une " rechute dépressive ".

Néanmoins l'aggravation constatée, en lien avec le licenciement dont elle est concomitante, justifie de faire droit intégralement à la demande indemnitaire de la salariée, à hauteur de 4 000 euros.

Le jugement sera réformé en ce sens.

Sur l'indemnité de licenciement

Selon l'article L.1234-9 du code du travail, le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte 8 mois d'ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.

L'article R.1234-2 du même code précise que l'indemnité de licenciement ne peut être inférieure à un quart de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années jusqu'à dix ans, ni à un tiers de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années à partir de dix ans.

La cour constate que si la salariée, partie intimée, ne conclut pas expressément à la confirmation du chef du dispositif du jugement qui condamne l'employeur à lui payer une indemnité de licenciement, pour autant son appel incident ne porte pas sur ce chef du dispositif du jugement et l'intimée est donc réputée s'approprier les motifs du jugement sur ce point.

L'employeur n'articulant aucun autre moyen à l'appui de sa demande d'infirmation du jugement qui le condamne, en l'absence de faute grave, à payer à la salariée une indemnité de licenciement, le jugement est confirmé.

Sur la demande d'indemnité compensatrice de préavis

La société ne discute pas utilement le montant accordé de ce chef par les premiers juges, lesquels, par des motifs pertinents que la cour adopte, ont chiffré à la somme de 2 000 euros l'indemnité due à la salariée à ce titre, outre celle de 200 euros au titre des congés payés afférents.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la demande de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire

Le licenciement peut causer au salarié un préjudice distinct de celui lié à la perte de son emploi, en raison des circonstances brutales ou vexatoires qui l'ont accompagné, permettant au salarié de demander la réparation de son préjudice moral, sur le fondement de la responsabilité civile prévue aux articles 1240 et suivants du code civil.

En l'espèce, la société, en procédant au licenciement pour faute grave de la salariée avec mise à pied disciplinaire, en particulier en mettant indûment en cause sa tempérance à l'égard de l'alcool, alors qu'aucune faute sérieuse ni réitérée ne pouvait lui être reprochée, a fait preuve d'une attitude brutale et vexatoire qui l'oblige à en réparer les conséquences dommageables.

Toutefois la salariée ne démontre pas que l'indemnité accordée par les premiers juges de ce chef serait insuffisante à réparer son préjudice.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

Sur la demande au titre de l'indemnité compensatrice de mise à pied conservatoire

La société sollicite l'infirmation du jugement entrepris de ce chef, arguant que celui-ci a statué ultra petita, dès lors que la salariée n'avait présenté aucune demande de ce chef, et sollicite que la demande présentée à ce titre en cause d'appel soit déclarée irrecevable.

La salariée reconnaît dans ses écritures n'avoir en effet formulé aucune demande à ce titre en première instance mais sollicite néanmoins la somme de 2 000 euros de ce chef en cause d'appel.

Selon les dispositions des articles 564, 565 et 566 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent. Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

La demande d'indemnité compensatrice de mise à pied disciplinaire étant l'accessoire et la conséquence de la demande tendant à voir déclarer le licenciement abusif, cette demande, quoique nouvelle, est donc recevable en cause d'appel.

Les premiers juges, par des motifs pertinents que la cour adopte, ont octroyé à la salariée la somme de 2 000 euros au titre de l'indemnité compensatrice de mise à pied conservatoire, correspondant à un mois de salaire pour la période du 29 mars 2018 au 24 avril 2018.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Compte tenu de l'issue du litige, le jugement est confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

L'employeur qui succombe en son appel supportera les dépens d'instance.

Il est équitable de fixer à 1 500 euros l'indemnité que l'employeur devra payer à la salariée au titre des frais non compris dans les dépens qu'elle a pu engager pour faire valoir sa défense dans la présente instance.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société APAD 42 à verser à Mme [O] [R] la somme de 400 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société APAD 42 à verser à Mme [O] [R] la somme de 2 000 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 200 euros au titre des congés payés afférents ;

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société APAD 42 à verser à Mme [O] [R] la somme de 2 000 euros à titre d'indemnité compensatrice de mise à pied conservatoire ;

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société APAD 42 à verser à Mme [O] [R] la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire ;

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société APAD 42 aux dépens ;

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société APAD 42 à verser à Mme [O] [R] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

INFIRME le jugement en toutes ses autres dispositions ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

CONDAMNE la société APAD 42 à verser à Mme [O] [R] la somme de 4 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la société APAD 42 aux dépens d'appel avec distraction au profit de la SCP Aguiraud Nouvellet, avocats, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société APAD 42 à verser à Mme [O] [R] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale c
Numéro d'arrêt : 20/05691
Date de la décision : 27/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-27;20.05691 ?
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