AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 20/00557 - N° Portalis DBVX-V-B7E-M2EM
Société MAJESTICFILATURES RETAIL
C/
[D]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 16 Janvier 2020
RG : F 18/01524
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 26 AVRIL 2023
APPELANTE :
Société MAJESTICFILATURES RETAIL
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Anne CHAURAND, avocat au barreau de LYON
et ayant pour avocat plaidant Me Johanne MAUCHAND de l'AARPI NEPTUNE, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Baptiste CHORON, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
[G] [D]
née le 06 Octobre 1959 à [Localité 6]
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Laurent LIGIER de la SELARL LIGIER & DE MAUROY, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Karine THIEBAULT de la SELARL CABINET KARINE THIEBAULT, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 06 Mars 2023
Présidée par Nathalie ROCCI, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Joëlle DOAT, présidente
- Nathalie ROCCI, conseiller
- Anne BRUNNER, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 26 Avril 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Suivant contrat de travail à durée indéterminée, Mme [G] [D] a été embauchée à compter du 1er juin 2011, en qualité de Responsable de boutique, statut cadre, par la société Ventilo.
Par jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 1er février 2016, le plan de cession de l'entreprise Ventilo a été arrêté et le contrat de travail de Mme [D] a été transféré à la société Filatures du Lion, aujourd'hui Majestic Filatures Retail (ci-après « Majestic »), qui commercialise des tee-shirts de luxe.
La société Majestic applique la convention collective de l'habillement et articles textiles (commerce de détail) et employait habituellement plus de 11 salariés au moment de la rupture de la relation de travail.
Le 23 mai 2016, la société Majestic a adressé à Mme [D] un premier avertissement en raison d'un chiffre d'affaires insuffisant pour le mois de mai 2016. Mme [D] a contesté cette sanction par lettre recommandée en date du 10 juin 2016, à laquelle son employeur n'a pas répondu.
Le 12 juin 2017, la société Majestic a adressé à Mme [D] un deuxième avertissement pour comportement inadapté à l'égard de deux vendeuses affectées à la boutique de [Localité 5]. Mme [D] l'a également contesté par lettre recommandée en date du 26 juin 2017, à laquelle son employeur n'a pas répondu.
A la suite d'une vente non enregistrée le 22 novembre 2017, Mme [D] s'est vu notifier sa mise à pied conservatoire et a été convoquée par son employeur à un entretien en vue de son éventuel licenciement, fixé le 19 janvier 2018, par lettre remise en main propre contre décharge en date du 3 janvier 2018.
Par lettre recommandée en date du 9 février 2018, Mme [D] a été licenciée pour faute grave, en ces termes :
« Madame,
Par lettre remise en main propre du mercredi 03 janvier 2018, nous vous avons signifié une mise à pied conservatoire et vous avons convoqué à notre siège social en vue d'un entretien préalable à sanction pouvant aller jusqu'au licenciement.
Cet entretien, auquel vous vous êtes présentée accompagnée de Mme [K] [W], Conseiller du salarié, était fixé au vendredi 19 janvier 2018 à 12 heures.
Lors de cet entretien, Mme [S] [Y], Responsable Retail, assistée de Mme [U] [A], Responsable RH, vous a exposé les faits suivants :
Le 26 décembre 2017, alors que vous étiez en congés payés, l'inventaire tournant hebdomadaire a été réalisé dans la boutique où vous exercez vos fonctions par Mme [M] [C], Responsable adjointe, et Mme [I] [F], conseillère de vente. A l'issue de l'inventaire, il a été constaté un écart d'une pièce manquante de la référence H17 05 19, Colori 856 Baltic Blue (col rond manches courtes) en taille 2.
Mme [I] [F] s'est alors souvenue avoir vendu cette pièce le vendredi 22/12/2017 car c'est précisément en voulant encaisser cette vente qu'elle a rencontré une problématique lors de l'encaissement.
Mme [I] [F] nous a relaté les circonstances de cette problématique : Vendredi 22/12/2017, la première cliente de la journée a acheté la pièce de la référence H17 05 19 en taille 2 et l'a réglé en espèces pour un montant de 80 euros.
Mme [I] [F] ayant moins d'1 mois d'ancienneté dans l'entreprise, ne s'est pas souvenu qu'il fallait valider l'achat informatiquement sur la caisse afin que le tiroir-caisse puisse s'ouvrir. C'est pourquoi, pensant faire face à un problème technique d'encaissement et pour ne pas faire patienter trop longuement la cliente, Mme [I] [F] a pris les billets que lui avait donné la cliente, s'excusant auprès de cette dernière de ne pouvoir lui délivrer un ticket de caisse.
Votre journée de travail ne débutant qu'à 13h00 ce jour, Mme [I] [F] vous a alors immédiatement alertée par téléphone en vous expliquant la situation et la raison pour laquelle elle n'avait pas pu procéder à l'encaissement de la vente en question.
Lors de l'entretien, en vous relatant les faits exposés ci-dessus, Mme [S] [Y], vous a alors demandé si vous aviez le souvenir de cet appel de Mme [I] [F].
Vous n'avez pas souhaité répondre à la question de Mme [S] [Y].
Mme [S] [Y] a donc poursuivi dans sa présentation des faits tels que relatés par Mme [I] [F] :
Lors de l'appel téléphonique et de l'explication de Mme [I] [F], vous lui avez répondu de ne pas manipuler la caisse et que vous vous chargeriez personnellement plus tard de l'opération d'encaissement.
Une nouvelle fois, Mme [S] [Y] vous a demandé si vous vous souveniez avoir donné cette consigne à Mme [I] [F].
Là encore vous n'avez pas souhaité répondre à la question de Mme [S] [Y].
Mme [S] [Y] a alors poursuivi l'exposé des faits en indiquant que Mme [I] [F] a affirmé avoir pris note de vos instructions, a glissé dans une enveloppe les 80 euros reçus de la cliente ainsi que l'étiquette de référence de la pièce vendue puis a rangé le tout dans le tiroir du comptoir d'encaissement, sous des papiers afin qu'il ne soit pas visible.
Par la suite, vous avez pris votre poste et Mme [I] [F], vous a alors montré l'endroit où elle avait déposé l'enveloppe contenant les espèces et l'étiquette de la pièce vendue à la cliente. Vous lui avez alors confirmé que vous vous chargeriez de l'encaissement. Mme [S] [Y] vous a alors demandé si vous vous souveniez des faits relatés par Mme [I] [F].
Une nouvelle fois vous n'avez pas souhaité répondre à la question qui vous était posée.
Mme [I] [F] a poursuivi son récit en indiquant avoir consulté, un peu plus tard dans l'après-midi, les statistiques de vente et a pu constater que la vente de la pièce H17 05 19 Colori 856 Baltic Blue en Taille 2 n'avait pas été comptabilisée dans le journal d'encaissement. Elle vous a donc alerté à ce sujet en vous demandant si vous aviez comptabilisé l'opération comme vous lui aviez dit juste avant sa pause déjeuner. Vous lui avez alors confirmé avoir bien procédé à l'enregistrement de la vente en question.
Alors que Mme [S] [Y] vous a demandé si vous vous souveniez de ces faits, vous avez répondu que vous n'aviez « rien à dire ».
A l'issue de l'entretien, vous avez déclaré : « Je tiens juste à dire que je ne suis pas d'accord avec les faits ».
Malgré votre mutisme persistant lors de votre entretien préalable et après vérification et enquête, il est matériellement établi que l'ensemble des faits relatés par Mme [I] [F] se sont déroulés tels qu'énoncés.
Si, comme vous l'avez affirmé à Mme [I] [F], vous aviez enregistré la vente, nous en aurions trouvé trace sur le journal d'encaissement de la journée du 22/12/2017 ainsi que sur le compte rendu des ventes par article du 22/12/2017.
Nous avons également pris soin de regarder les comptes rendus des ventes pour les journées du 23 et 24/12/2017, veille de votre départ en congés, et aucune vente de l'article H17 05 19, Colori 856 Baltic Blue en taille 2 n'y figure.
Nous n'avons pas trouvé trace également de l'enveloppe contenant les 80 euros d'espèces correspondant au paiement de la cliente ni de l'étiquette de référence de la pièce en question.
Il en résulte que nous ne pouvons que constater plusieurs manquements dans le respect de nos procédures d'encaissement dans la mesure où vous auriez dû enregistrer la vente dès votre arrivée en boutique ou, tout du moins, procéder à l'enregistrement lorsque Mme [I] [F] vous en a reparlé par la suite.
Il est tout aussi établi que vous avez affirmé de manière mensongère avoir enregistré une vente alors que cela n'était pas le cas, tel que le démontre le journal d'encaissement.
Plus grave encore, il est matériellement établi au terme de notre enquête interne que vous avez jeté l'étiquette de référence du produit avant de mettre les espèces dans votre poche.
Nous avons donc dû déposer une plainte auprès du CSP du 20ème arrondissement de Paris en date du 05 janvier 2018.
Il apparaît très clairement que vous n'avez pas respecté les procédures applicables au sein de notre entreprise, en particulier celle relative à l'enregistrement d'une vente. Ces agissements ne peuvent s'accorder avec le professionnalisme et l'honnêteté que nous sommes en droit d'attendre de nos collaborateurs.
Compte tenu de la violation caractérisée de vos obligations professionnelles les plus essentielles en votre qualité de responsable de magasin, nous nous voyons contraints de procéder à votre licenciement pour faute grave (') ».
Mme [D] a contesté les motifs de son licenciement, par lettre recommandée en date du 20 février 2018, à laquelle la société Majestic Filatures Retail n'a pas répondu.
Par jugement en date du 16 janvier 2020, le conseil de prud'hommes de Lyon a :
- dit et jugé que le licenciement de Mme [D] est sans cause réelle et sérieuse,
- fixé le salaire moyen de Mme [D] à 3 169,84 euros,
En conséquence,
- condamné la SAS Majestic Filatures Retail à payer à Mme [D] les sommes suivantes :
4 649,09 euros bruts de rappel de salaire pendant la mise à pied du 3 janvier au 16 février 2018,
464,91 euros de congés payés afférents,
6 339,68 euros bruts d'indemnité compensatrice de préavis,
633,97 euros de congés payés afférents,
4 913,24 euros d'indemnité de licenciement,
20 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
2 000 euros nets à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice distinct de nature morale résultant tant des conditions de l'éviction de Mme [D] que du caractère infamant des accusations invoquées à son encontre par la société Majestic Filatures Retail,
1 700 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs plus amples demandes,
- ordonné l'exécution provisoire de droit du présent jugement,
- rappelé qu'aux termes des dispositions de l'article R.1454-28 du code du travail, sont exécutoires de droit à titre provisoire, les jugements ordonnant la délivrance de toutes pièces que l'employeur est tenu de remettre (bulletins de paie, certificat de travail, ....) ainsi que les jugements ordonnant le paiement des sommes au titre des rémunérations et indemnités visées à l'article R.1454-14 du code du travail dans la limite de neuf mensualités, étant précisé que la moyenne brute des salaires des trois derniers mois doit être fixée à la somme de 3 169,84 euros,
- rappelé que les intérêts courent de plein droit au taux légal à compter de la convocation de la partie défenderesse devant le bureau de conciliation en ce qui concerne les créances de nature salariale et à compter du prononcé de la présente décision pour les autres sommes allouées,
- condamné la SAS Majestic Filatures Retail aux entiers dépens.
La société Majestic a interjeté appel de ce jugement, le 21 janvier 2020.
Dans ses conclusions notifiées le 21 décembre 2020, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, la société Majestic demande à la cour de:
- infirmer le jugement rendu en ce qu'il a :
« Dit et jugé que le licenciement de Mme [D] est sans cause réelle et sérieuse,
Fixé le salaire moyen de Mme [D] à 3 169,84 euros,
Débouté la société Majestic Filatures Retail de ses demandes,
Condamné la société Majestic Filatures Retail au paiement des sommes suivantes :
4 649,09 euros bruts à titre de rappel de salaire pendant la période de la mise à pied du 3 janvier au 16 février 2018,
464,91 euros bruts au titre de congés payés afférents,
6 339,98 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
633,97 euros bruts au titre des congés payés afférents,
4 913,24 euros à titre d'indemnité de licenciement,
20 000 euros nets, à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
2 000 euros nets à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice distinct de nature moral résultant tant des conditions de l'éviction de Mme [D] que du caractère infamant des accusations invoquées à son encontre par la société Majestic Filatures Retail,
1 700 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Aux entiers dépens »,
Et statuant à nouveau :
A titre principal :
- la recevoir dans ses écritures, fin et conclusions,
- dire et juger que le licenciement de Mme [D] est fondé sur une faute grave,
- débouter Mme [D] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
A titre subsidiaire et si la Cour d'appel devait faire droit à la demande de rappel de salaire au titre de la mise à pied du 3 janvier 2018 au 10 février 2018,
- ramener le montant du rappel de salaire au titre de la période de la mise à pied susvisée à un montant de 3 381 euros et de 338 euros au titre des congés payés afférents,
En tout état de cause :
- condamner Mme [D] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner Mme [D] aux entiers dépens.
Dans ses conclusions en date du 29 septembre 2020, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, Mme [D] demande à la cour de :
Confirmant le jugement entrepris,
- dire et juger que le licenciement notifié le 9 février 2018 ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse,
- condamner en conséquence la société Majestic Filatures Retail à lui verser les sommes suivantes :
rappel de salaire pendant mise à pied du 3 janvier au 16 février 2018 (date de présentation de la lettre de licenciement), soit 44 jours : 4 649,09 euros bruts,
congés payés sur rappel de salaire pendant mise à pied : 464,91 euros bruts,
indemnité compensatrice de préavis correspondant à deux mois de salaire : 6 339,68 euros bruts,
congés payés sur préavis : 633,97 euros bruts,
indemnité de licenciement correspondant à une ancienneté de 7 ans et 9 mois acquise au terme du préavis : 4 913,24 euros
Y ajoutant,
- dire et juger que doit être écarté le plafonnement prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité, ce plafonnement violant les dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la Convention 158 de l'OIT et le droit au procès équitable,
- dire et juger qu'à tout le moins, au cas d'espèce, le plafonnement institué à l'article L. 1235-3 du code du travail ne permet pas l'indemnisation adéquate de ses préjudices résultant de son licenciement abusif qui lui a été notifié par la société Majestic Filatures Retail,
- porter les dommages et intérêts qui lui sont alloués pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 38 038 euros nets de toutes charges équivalant à 12 mois de salaire,
- porter les dommages et intérêts qui lui sont alloués en réparation du préjudice distinct de nature morale résultant tant des conditions de son éviction que du caractère infamant des accusations invoquées à son encontre par la société Majestic Filatures Retail : 6 000 euros nets de toutes charges,
- article 700 du code de procédure civile : 2 500 euros en sus de la somme allouée de ce chef par les premiers juges.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 janvier 2023.
SUR CE :
- sur le licenciement :
La société Majestic fait valoir que le licenciement pour faute grave est bien-fondé et soutient que :
- Mme [F] a informé Mme [D] de la réalisation par ses soins, d'une vente de T-shirt portant la référence H 170519 le 22 décembre 2017, vente pour laquelle elle n'avait pas réussi à ouvrir le tiroir-caisse,
- Mme [F] a expliqué avoir déposé une enveloppe contenant l'étiquette du produit et son montant en espèces, soit 80 euros,
- il ressort de deux inventaires réalisés par la société, qu'une pièce référencée H 170519 taille 2 est manquante et que la vente de cette pièce n'a pas été comptabilisée pour la journée du 22 décembre 2017,
- Mme [D] a manqué à ses obligations en ne respectant pas les règles d'encaissement après avoir affirmé de manière mensongère avoir enregistré une vente, et avoir mis les espèces liées à cette vente dans sa poche,
- les enregistrements du système de vidéosurveillance, attestés par un constat d'huissier, permettent d'observer Mme [D] en train de déchirer l'étiquette du produit, sortir l'argent de l'enveloppe et le mettre dans sa poche,
- les faits sont établis dans leur matérialité et leur gravité,
- la gravité de son comportement découle également des sanctions disciplinaires qui lui ont été notifiées les 23 mai 2016 et 12 juin 2017,
- le système de vidéosurveillance est licite, même en l'absence de déclaration du dispositif à la CNIL au moment de la commission des faits,
- elle a respecté les conditions d'instauration d'un système de surveillance puisqu'elle l'a mis en place pour assurer la sécurité des biens et des personnes, qu'elle a informé individuellement Mme [D] et qu'elle n'était pas tenue à une consultation préalable des représentants du personnel,
- en outre, l'autorisation préfectorale qu'elle a obtenue postérieurement aux faits reprochés à Mme [D], n'est pas un préalable obligatoire imposé par le code du travail pour installer une vidéosurveillance,
- le comportement de la salariée est d'autant plus inacceptable qu'elle avait une ancienneté de six ans et qu'elle ne pouvait ignorer les procédures ou ne pas en mesurer l'importance.
Mme [D] fait valoir que son licenciement pour faute n'est pas fondé et soutient que :
- l'inventaire versé aux débats, organisé hors sa présence, n'est ni signé, ni tracé et que le comparatif stock/inventaire peut être falsifié et ne présente aucune garantie probatoire,
- elle n'a jamais été informée de la vente litigieuse,
-il lui arrivait régulièrement de déchirer des étiquettes d'articles dont la vente n'avait pas été définitivement enregistrée, de sorte qu'il ne peut en être déduit qu'elle a commis un vol,
- le dispositif de surveillance vidéo n'a jamais été invoqué ni lors de l'entretien préalable, ni dans la lettre de licenciement,
- la société Majestic employant plus de 11 salariés, une représentation du personnel aurait dû être instituée et consultée pour la mise en place d'un tel système,
- l'arrêté préfectoral dont la société Majestic se prévaut est postérieur aux faits qui lui sont reprochés,
- les pièces n°9 à 14 sont illicites et les pièces adverses n°9 à 14 et 32 doivent être écartées des débats.
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Il résulte des dispositions de l'article L.1231-1 du code du travail que le contrat à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié; aux termes de l'article L.1232-1 du code du travail, le licenciement par l'employeur pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.
Il résulte des dispositions combinées des articles L.1232-1, L.1232-6, L.1234-1 et L.1235-1 du code du travail que devant le juge, saisi d'un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l'employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d'une part d'établir l'exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d'autre part de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l'entreprise pendant la durée limitée du préavis.
En l'espèce, il ressort de la lettre de licenciement dont les termes ont été restitués ci-dessus que la société Majestic Filatures a licencié Mme [D] pour faute grave en invoquant ses déclarations mensongères relatives à l'enregistrement d'une vente, et en lui reprochant d'avoir jeté l'étiquette de référence du produit avant de mettre la somme en espèces correspondant au paiement de l'article, dans sa poche.
Mme [D] conteste la réalité de ces griefs et soulève l'illicéité du moyen de preuve utilisé.
En droit, l'illicéité d'un moyen de preuve au regard des dispositions de la loi 78-17 du 6 janvier 1978, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant rechercher si l'utilisation d'une preuve illicite au regard de la loi précitée, a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle du salarié à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
En l'espèce, la société Majestic Filatures ne justifie d'aucune autorisation d'installation d'un système de vidéoprotection à la date de notification du licenciement, mais d'une autorisation obtenue a posteriori en vertu d'un arrêté préfectoral du 25 mai 2018, lequel précise en son article 2 que les finalités du système de vidéoprotection pour lequel la présente autorisation est délivrée sont la sécurité des personnes, la prévention des atteintes aux biens, la lutte contre la démarque inconnue.
Il en résulte qu'à la date du licenciement, la société Majestic Filatures ne justifie d'aucune autorisation d'installation d'un système de vidéoprotection et qu'elle n'a à aucun moment avisé ses salariés que ce système permettait également de contrôler et de surveiller leur activité et qu'il pouvait être utilisé par l'employeur afin de recueillir et d'exploiter des informations concernant personnellement les salariés.
Ainsi, en omettant d'aviser les salariés dans le sens d'une utilisation à cette fin du système de vidéo protection, la société Majestic Filatures a utilisé un moyen de preuve illicite qui porte atteinte au caractère équitable de la procédure, la production d'images au demeurant non datées issues de ce système n'étant pas indispensable à l'exercice du droit à la preuve eu égard aux autres éléments apportés aux débats et l'atteinte à la vie privée causée à la salariée apparaissant en l'espèce disproportionnée au but poursuivi. Ce moyen de preuve doit être rejeté.
S'agissant des autres éléments de preuve versés aux débats, à savoir :
- le témoignage de Mme [I] [F] sur les circonstances dans lesquelles elle a été amenée, le 17 décembre 2017, à procéder à la vente d'un Tshirt pour un montant de 80 euros sans pouvoir ouvrir le tiroir-caisse et à ranger dans un tiroir, près de la caisse, le ticket et la somme contenue dans une enveloppe ;
- l'inventaire réalisé le 26 décembre 2017 mentionnant une pièce manquante ;
- le compte-rendu des ventes par article pour la journée du 22 décembre 2017 ;
- le comparatif entre le stock et l'inventaire,
il s'agit d'éléments qui ne présentent pas de garantie d'objectivité suffisante, Mme [F] étant impliquée dans la vente dont l'enregistrement est litigieux et les pièces relatives à l'inventaire étant établies par l'employeur lui-même.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société Majestic Filatures n'établit pas la matérialité des faits imputés à Mme [D] et le licenciement se trouve donc dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le jugement est confirmé.
- Sur les indemnités de rupture :
Le licenciement étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, la salariée peut prétendre au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, ainsi qu'à une indemnité légale de licenciement ; aucune des parties ne remet en cause, même à titre subsidiaire, les bases sur lesquelles le conseil de prud'hommes a liquidé les droits de Mme [D]. Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a condamné la société Majestic Filatures à payer à Mme [D] les sommes suivantes :
* 4 913,24 euros à titre d'indemnité de licenciement
* 6 339,68 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis
* 633,97 euros de congés payés afférents
- Sur les dommages- intérêts :
Mme [D] demande que soit écarté le plafonnement prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité au motif que ce plafonnement viole les dispositions de l'article 24 de la charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention n°158 de l'OIT et le droit au procès équitable et ne permet pas une indemnisation adéquate de l'ensemble des préjudices.
Elle cite plusieurs décisions ayant écarté le plafonnement et expose que :
- le contrôle de conventionnalité appartient aux juridictions ordinaires, sous le contrôle de la cour de cassation et du conseil d'état,
- ce contrôle peut conduire à écarter la loi française pour faire prévaloir une convention internationale dans la résolution du litige,
- les dispositions de la convention n°158 de l'OIT et l'article 24 de la charte sociale européenne du 3 mai 1996, ratifiée par la France, ont été jugées comme pourvues d'un effet directement applicable aux litiges entre citoyens des Etats signataires, nonobstant les avis rendus par la cour de cassation le 17 juillet 2019 aux termes desquels elle a écarté l'application de la charte sociale européenne et jugé le barème de l'article L. 1235-3 du code du travail conforme à la convention n°158 de l'OIT.
La société Majestic s'oppose à cette demande et fait valoir que :
- l'article L. 1235-3 du code du travail est conforme aux textes internationaux précités dès lors qu'il prévoit une indemnité adéquate et qu'il met en mesure l'ancien salarié de percevoir toute autre forme de réparation considérée comme appropriée par le juge,
- le droit français permet la réparation de l'intégralité des préjudices subis par le salarié, seul le préjudice résultant de la perte injustifiée de l'emploi faisant l'objet d'un barème d'indemnisation, au surplus suffisamment dissuasif,
- l'indemnisation prévue par l'article L. 1235-3 alinéa 2 et 3 du code du travail ne répare pas uniquement un préjudice lié à l'ancienneté,
- le droit français modère l'application du barème d'indemnisation par un certain nombre de mécanismes tels que le droit à réintégration,
La société Majestic soutient en tout état de cause, que Mme [D] ne rapporte nullement la preuve du préjudice matériel et moral qu'elle invoque.
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Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, qui permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi et assurent le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur, sont de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation Internationale du Travail (OIT).
Il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention précitée.
Sous réserve des cas où est en cause un traité international pour lequel la Cour de justice de l'Union européenne dispose d'une compétence exclusive pour déterminer s'il est d'effet direct, les stipulations d'un traité international, régulièrement introduit dans l'ordre juridique interne conformément à l'article 55 de la Constitution, sont d'effet direct dès lors qu'elles créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir et que, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale du traité invoqué, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, elles n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers.
S'agissant des dispositions de la Charte sociale européenne selon lesquelles les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en oeuvre nécessite qu'ils prennent des actes complémentaires d'application et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique visé par la partie IV, elles ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.
L'invocation de son article 24 ne peut dès lors pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.
Il en résulte que la demande de Mme [D] tendant à ce que le barème de l'article L. 1235-3 du code du travail soit écarté, n'est pas fondée.
En application de ce texte, Mme [D] dont l'ancienneté est de six années complètes, peut prétendre à une indemnité comprise entre trois et sept mois de salaire brut.
Compte tenu de l'effectif de l'entreprise, dont il n'est pas contesté qu'il est habituellement de plus de onze salariés, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Mme [D] âgée de 58 ans lors de la rupture, la cour estime que le préjudice résultant pour cette dernière de la rupture a été justement indemnisé par les premiers juges, sur la base d'un salaire moyen mensuel de 3 169,84 euros ; en conséquence, le jugement qui lui a alloué la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice consécutif au caractère abusif du licenciement doit être confirmé.
Mme [D] invoque en outre un préjudice moral résultant de la brutalité de son éviction, du motif infâmant du licenciement et de la durée de sa mise à pied conservatoire. Elle ne justifie cependant pas d'un préjudice distinct de celui réparé tant par le rappel de salaire que par l'indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse, de sorte qu'elle sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts au titre du préjudice moral.
Le jugement déféré qui lui a alloué la somme de 2 000 euros à ce titre sera infirmé en ce sens.
- Sur le rappel de salaires :
En l'absence de licenciement pour faute grave, la société Majestic Filatures est redevable des salaires dont elle a privé Mme [D] durant la période de mise à pied conservatoire.
La société Majestic Filatures conteste le quantum de la demande de la salariée, soit la somme de 4 649,09 euros correspondant à 44 jours. Elle soutient que la période à prendre en compte est de 39 jours, soit du 3 janvier 2018 au 10 février 2018, date de première présentation de la lettre de licenciement et non le 16 février qui correspond à la date de réception de la lettre de licenciement, et que le montant correspondant à cette période s'élève à 3 355,74 euros outre les congés payés afférents.
La mise à pied conservatoire court de sa notification, en l'espèce, le 3 janvier 2018, jusqu'à la notification de la décision définitive relative au licenciement. Il en résulte que seule la date de réception de la lettre recommandée avec accusé de réception met fin à la mise à pied conservatoire et que Mme [D] est fondée à solliciter un rappel de salaire pour la période du 3 janvier 2018 au 16 février 2018.
Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu'il a condamné la société Majestic Filatures à payer à Mme [D] la somme de 4 649,09 euros à titre de rappel de salaire, outre la somme de 464,91 euros au titre des congés payés afférents.
- Sur le remboursement des indemnités de chômage :
En application de l'article L.1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d'indemnisation.
- Sur les demandes accessoires :
Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a mis à la charge de la société Majestic Filatures les dépens de première instance et en ce qu'il a alloué à Mme [D] une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Majestic Filatures, partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, sera condamnée aux dépens d'appel.
L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d'appel dans la mesure énoncée au dispositif.
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement
CONFIRME le jugement déféré sauf en ce qu'il a alloué à Mme [D] la somme de 2 000 euros en réparation d'un préjudice moral,
Statuant à nouveau sur ce chef et y ajoutant,
DÉBOUTE Mme [D] de sa demande de dommages-intérêts au titre du préjudice moral
ORDONNE d'office à la société Majestic Filatures le remboursement à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à Mme [D] dans la limite de trois mois d'indemnisation,
CONDAMNE la société Majestic Filatures à payer à Mme [D] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel,
CONDAMNE la société Majestic Filatures aux dépens d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE