AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 20/00469 - N° Portalis DBVX-V-B7E-MZ7B
[R]
C/
Association APF FRANCE HANDICAP - SESVAD DURHONE
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 20 Décembre 2020
RG : 16/02199
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 26 AVRIL 2023
APPELANT :
[V] [R]
né le 28 Juillet 1965 à [Localité 4]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Bénito AGBO, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Guy ABENA OWONO, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
Association APF FRANCE HANDICAP - SESVAD DURHONE venant aux droits de l'Association des Paralysés de France
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Philippe NOUVELLET de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON
et ayant pour avocat plaidant Me Jérôme CHOMEL DE VARAGNES de la SELARL EQUIPAGE, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 06 Mars 2023
Présidée par Nathalie ROCCI, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Joëlle DOAT, présidente
- Nathalie ROCCI, conseiller
- Anne BRUNNER, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 26 Avril 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Suivant contrat de travail à durée indéterminée, M. [V] [R] a été embauché à compter du 1er mars 2010, en qualité d'aide-soignant, coefficient 351, par l'Association des Paralysés de France (APF), aux droits de laquelle vient l'Association APF France Handicap, association à but non lucratif reconnue d'utilité publique, qui a pour objet social le soutien, la défense et l'insertion des personnes atteintes de déficiences motrices.
Les dispositions de la convention collective du 31 octobre 1951 dite «FEHAP» sont applicables aux relations contractuelles et l'APF employait plus de 10 salariés au moment la rupture de la relation de travail.
Par lettre remise en main propre contre décharge en date du 3 décembre 2015, M. [R] a été mis à pied à titre conservatoire et a été convoqué par son employeur à un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement, fixé le 14 décembre.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 21 décembre 2015, M. [R] a été licencié pour faute grave en ces termes :
« Nous avons eu le 14 décembre dernier un entretien préalable à sanction voire à licenciement.
Cet entretien s'est déroulé en présence de Mme [Z] (aide- soignante au SAMSAH et élue CE) qui vous assistait à votre demande et de [F] [T] (adjointe de Direction).
Durant cet entretien, j'ai souhaité vous exposer vos comportements fautifs dont j'ai eu connaissance récemment et connaitre vos explications.
Ces comportements sont les suivants :
Mme [N] usagère du service et personne dépendante en situation de handicap, a signalé à une professionnelle du SESVAD le 1er décembre dernier, qu'elle subissait depuis le début de sa prise en charge des attouchements de votre part, que sa toilette était faite différemment par vous que par les autres aides-soignants, que vous insistiez anormalement sur ses parties intimes.
Elle a aussi déclaré que vous lui faisiez des propositions indécentes et que vous lui envoyiez des SMS à caractère sexuel.
Mme [N] a confirmé ultérieurement ses plaintes devant plusieurs personnes et nous a transmis un mail avec les SMS.
En ce qui me concerne, j'ai entendu que vous aviez des gestes déplacés mal vécus par Mme [N] et j'ai lu vos SMS qui sont non équivoques.
D'après les dires de Mme [N], elle vous aurait demandé d'arrêter à plusieurs reprises mais sans résultat.
Mme [N] vis très mal cette situation et nous avons dû lui proposer un accompagnement psychologique.
J'ai pris ces faits très au sérieux et la loi exige de ma fonction de signaler ces faits à l'ARS, la Métropole et le Procureur de la République.
J'ai été également contrainte de vous mettre à pied à titre conservatoire le temps qu'une décision définitive vous concernant soit prise.
Lors de l'entretien, je vous ai rappelé les dispositions relatives à la discipline du règlement intérieur des personnels APF, à savoir :
En préambule : « Par nature et vocation, l'APF se consacre à la défense des personnes en situation de handicap... ».
L'article 17 dit que : « Le personnel ne doit tenir aucun propos ni adopter de comportement de nature à troubler le bon ordre et la sérénité au sein de l'établissement « ll est tenu au respect et à la correction vis-à-vis de toute personne rencontrée à l'occasion de l'exécution de son travail ». Aucune pression, quel qu'en soit l'objet ou la forme, ne doit être exercée sur les personnes accueillies'
L'article 18 décrit le comportement à adopter à l'égard des usagers : « Dans le cadre du respect des droits et libertés de Ia personne accompagnée » ...
« Chacun se doit d'observer tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la structure le recul professionnel nécessaire à toute relation de proximité avec des usagers.
Le personnel doit faire preuve de discernement en conservant impérativement la distance inhérente à toute action médico-sociale, en se gardant de toute familiarité ou affectivité pouvant être source d'équivoque ou de déstabilisation ».
L'article 19 concerne la maltraitance et indique « que tout acte de maltraitance commis par un membre du personnel à l'encontre d'un usager, constitue une faute pouvant justifier un licenciement' »
L'article 21 rappelle « que toute violence, quelle qu'en soit la nature (morale, verbale, comportementale, physique...) ou la forme ne saurait être tolérée. »
La loi 2002-2 et 2005 décrivent les personnes en situation de handicap comme des personnes vulnérables. Ma responsabilité de directrice m'engage à envoyer auprès de ces personnes, des professionnels qui les respectent et qui sont bien traitants.
Ce dont a témoigné Mme [N] indique que vous avez failli à votre obligation de distance et exercé des pressions à l'égard d'une personne vulnérable, alors que vous êtes engagé au SESVAD pour respecter les usagers.
Lors de l'entretien, vous vous êtes contenté de banaliser les faits.
Vous avez affirmé que vous étiez devenu des amis car vous aviez instauré un climat de confiance avec sa famille.
Vous avez reconnu avoir envoyé des SMS mais que « c'étaient des blagues, il n'y a rien de sérieux. Je considérais Mme [N] comme ma famille car elle est noire comme moi. Je ne me rappelle pas qu'elle m'ait dit d'arrêter. Je lui ai dit que je rigolais tout le temps et elle m'a dit « arrêtez de vous moquer de moi ».
La dernière fois ça c'est mal passe avec Mme [N], elle a dit : vous vous moquez toujours de moi. Elle voulait quitter le SAMSAH »
« Je ne comprends pas Mme [N]
Je me suis trompé sur elle.
J'ai été trop loin, je me suis laisse aller. Je regrette la tournure que ça prend et la gravite ».
Vous avez dit faire tout le temps des blagues a tout le monde et que tout cela n'était pas sérieux.
Vos arguments ne sont pas convaincants et démontrent à l'évidence votre incapacité à conserver les distances nécessaires dans le cadre de votre travail et à minimiser vos actes et vos propos.
Vous n'avez pas su faire preuve de discernement et de respect à l'égard d'une personne vulnérable en situation de dépendance qui se trouve à présent déstabilisée par vos comportements totalement déplaces, a fortiori dans un cadre professionnel.
J'estime à présent que votre maintien à votre poste de travail constitue un risque grave pour les personnes dont nous devons assurer le bien-être et la sécurité et que nous nous devons de protéger.
Compte tenu de ce qui précède, je me vois dans l'obligation de vous notifier par le présent courrier votre licenciement pour faute grave.
Votre contrat de travail prendra fin dès ce jour, sans préavis ni indemnités.
Nous vous ferons parvenir ultérieurement votre solde de tout compte, votre certificat de travail et votre attestation pour pôle emploi.
Compte tenu du motif de ce licenciement, je vous informe que votre période de mise à pied conservatoire, que nous avons été obligés de prendre à votre égard, ne vous sera pas rémunérée. »
Par requête en date du 14 juin 2016, M. [R] a saisi le conseil de prud'hommes en lui demandant de dire son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, et de condamner l'association APF à lui verser diverses sommes à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages et intérêts pour préjudice moral, d'indemnité de préavis, et d'indemnité de licenciement.
Par jugement en date du 20 décembre 2019, le conseil de prud'hommes a :
- dit et jugé que le licenciement pour faute grave de M. [R] est justifié,
- débouté M. [R] de toutes ses demandes,
- débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 1 700 du Code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
- condamné M. [R] aux dépens.
M. [R] a interjeté appel de ce jugement, le 17 janvier 2020.
Dans ses conclusions récapitulatives notifiées le 23 septembre 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, M. [R] demande à la cour de :
- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Lyon en ce qu'il a dit et jugé son licenciement fondé sur une faute grave,
- dire qu'il est bien fondé en toutes ses demandes et d'y faire droit,
- rejeter l'ensemble des demandes, fins et prétentions de l'Association des paralysés de France SESVAD du Rhône,
En conséquence,
- condamner l'employeur à lui verser les sommes suivantes :
53 448 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
13 362 euros au titre des dommages et intérêts pour préjudice moral,
2 227 euros au titre de l'indemnité de préavis,
222 euros au titre des congés payés sur préavis,
2 582 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,
3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- dire que l'ensemble des sommes sollicitées produiront intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes,
- condamner l'Association des Paralysés de France ' SESVAD du Rhône aux entiers dépens.
Il fait valoir que :
- il n'a commis aucun fait susceptible de recevoir la qualification de faute grave,
- l'employeur ne produit aucun élément de nature à corroborer les reproches qui lui sont faits,
- son comportement n'avait pas rendu impossible son maintien dans l'entreprise puisque l'employeur a attendu trois semaines pour le licencier,
- l'employeur n'établit pas la réalité de faits, que les motifs de son licenciement ne sont pas précis et vérifiables et qu'il ne peut prouver les attouchements dont il fait allusion puisque réaliser une toilette oblige à toucher la personne soignée,
- aucune plainte n'a été déposée,
- il peut émerger entre le soignant et le soigné une relation d'amour, et qu'il s'agissait d'un jeu de séduction réciproque,
- il s'agissait d'un fait relevant de sa vie personnelle qui fait obstacle à la qualification de faute grave,
- la patiente n'a subi aucune pression.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 25 octobre 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, l'Association APF demande à la cour de :
- juger que le licenciement de M. [R] repose sur une faute grave,
En conséquence,
- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Lyon en ce qu'il l'a débouté de l'intégralité de ses demandes,
- le réformer pour le surplus et y ajoutant :
- le condamner à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
- le condamner aux entiers dépens.
Elle fait valoir que :
- le licenciement de M. [R] repose sur un faute grave, dès lors qu'il ne conteste pas les écrits adressés à Mme [G] et que leur caractère sexuel est incompatible avec la distance et l'attitude professionnelle qu'un soignant doit savoir garder à l'égard d'une usagère du service de l'APF qui, en raison de son handicap, se trouve dans une situation de vulnérabilité,
- il est principalement reproché au salarié un manque de discernement et de respect à l'égard d'une personne vulnérable et en situation de dépendance, caractérisé par des attouchements de sa part et le fait d'insister anormalement sur les parties intimes d'une usagère lors de toilettes, et par l'envoi de SMS à caractère sexuel,
- ces faits sont démontrés, et la lettre de licenciement mentionne des faits précis, objectivement et matériellement vérifiables,
- elle a mis M. [R] à pied à titre conservatoire dès qu'elle a été informée de la situation,
- les faits ont été confirmés par mail par Mme [G], et les échanges par SMS entre M. [R] et cette usagère du service sont sans équivoque et contiennent des propos à caractère sexuel,
- le comportement de M. [R] contrevient aux dispositions du règlement intérieur et il a gravement manqué à ses obligations contractuelles,
- M. [R] reconnait les faits dans ses dernières écritures, ce qui constitue un aveu judiciaire,
- les faits ne relèvent pas de la vie privée du salarié puisque M. [R] est entré en contact avec la patiente du fait de ses fonctions au sein de l'Association APF France Handicap.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 janvier 2023.
SUR CE :
- Sur le licenciement :
L'association APF France HANDICAP- SESVAD du Rhône verse aux débats :
- l'attestation de Mme [P] [W] épouse [J], assistante sociale qui déclare qu'au cours d'une visite programmée d'accompagnement, Mme [G] lui a confié qu'elle subissait depuis le début de sa prise en charge, des attouchements à caractère sexuel de la part d'un aide-soignant du SESVAD (Services Spécialisés pour une vie Autonome à Domicile) qui lui faisait par ailleurs des propositions indécentes et lui envoyait des sms à caractère sexuel ;
- l'attestation de Mme [F] [T], adjointe de direction du SESVAD de juillet 2015 à juillet 2016, qui déclare s'être rendue le 1er décembre 2015 au domicile de Mme [G] accompagnée de Mme [J] à la suite des révélations faites le matin même par Mme [G]. Elle expose avoir reçu la confirmation, en un récit circonstancié, des accusations portées contre M. [R], et avoir lu les messages par sms, à caractère sexuel, envoyés par M. [R] ;
- l'attestation de Mme [Y] [D], directrice du SESVAD qui déclare avoir été informée des faits le 1er décembre 2015 par Mme [J] et par Mme [T] et s'être rendue au domicile de Mme [G] en compagnie de ces dernières, le lendemain, 2 décembre 2015 où elle a obtenu la confirmation de son récit initial par Mme [G] ;
- un courriel adressé le 9 décembre 2015 par Mme [G] à Mme [T], réitérant les accusations qu'elle avait initialement confiées à Mme [J] ;
- des captures d'écran relatives à des messages à caractère érotique adressés par un certain [B], étant précisé que le prénom de M. [R] est [V] ;
- un rapport de signalement d'une situation de maltraitance établi par Mme [D] à destination de l'association des paralysés et de France ;
- une fiche de déclaration d'un évènement indésirable à destination de l'agence régionale de santé de Rhône-Alpes ;
- une information préoccupante transmise au Procureur de la République de Lyon le 4 décembre 2015, dans laquelle Mme [G] née le 27 février 1979 est présentée comme une jeune femme en situation de handicap moteur et de grande dépendance, à la suite d'une maladie affectant ses quatre membres, mais ayant son discernement intact et ne relevant pas d'une mesure de protection juridique ;
- un courrier de M. [V] [R] du 4 janvier 2016, dans lequel il fait référence aux explications qu'il a données sur le contenu et le contexte des messages adressées à Mme [G] et conteste la faute grave, reconnaissant « simplement ne pas avoir su mettre de la distance avec Mme [N] » et précisant « qu'il est parfois difficile lorsque l'on prend en charge un usager pendant plusieurs années, de garder ses distances» .
Il en résulte que l'association APF France HANDICAP-SESVAD du Rhône établit l'exactitude des faits imputés à M. [R] dans la lettre licenciement et ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l'entreprise pendant la durée limitée du préavis.
Il s'ensuit que le licenciement pour faute grave de M. [R], qui n'apporte aucun élément contraire dans le débat, est justifié. Le jugement déféré qui a fait une juste appréciation des éléments de fait est confirmé par adoption de motifs.
- Sur les demandes accessoires :
Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a mis à la charge de M. [R] les dépens de première instance et en ce qu'il a débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [R], partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, sera condamné aux dépens d'appel.
L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d'appel dans la mesure énoncée au dispositif.
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,
CONDAMNE M. [R] à payer à l'association APF France Handicap-SESVAD du Rhône la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel,
CONDAMNE M. [R] aux dépens d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE