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06/04/2023 | FRANCE | N°21/04961

France | France, Cour d'appel de Lyon, 3ème chambre a, 06 avril 2023, 21/04961


N° RG 21/04961 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NVTZ









Décision du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de SAINT ETIENNE du 25 mai 2021



RG : 17/00018





[X]



C/



LA PROCUREURE GENERALE

SELARL MJ SYNERGIE





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



3ème chambre A



ARRET DU 06 Avril 2023







APPELANT :



M. [R] [X]

Chez Mme [I] [X]

[A

dresse 3]

[Localité 4]



Représenté par Me Romain LAFFLY de la SELARL LAFFLY & ASSOCIES - LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON, toque : 938





INTIMEES :



Mme LA PROCUREURE GENERALE

[Adresse 1]

[Localité 5]



En la personne d'Olivier NAGABBO, av...

N° RG 21/04961 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NVTZ

Décision du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de SAINT ETIENNE du 25 mai 2021

RG : 17/00018

[X]

C/

LA PROCUREURE GENERALE

SELARL MJ SYNERGIE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

3ème chambre A

ARRET DU 06 Avril 2023

APPELANT :

M. [R] [X]

Chez Mme [I] [X]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représenté par Me Romain LAFFLY de la SELARL LAFFLY & ASSOCIES - LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON, toque : 938

INTIMEES :

Mme LA PROCUREURE GENERALE

[Adresse 1]

[Localité 5]

En la personne d'Olivier NAGABBO, avocat général

SELARL MJ SYNERGIE Mandataires Judiciaires, prise en la personne de Maître [O] [B] ès qualité de liquidateur judiciaire de la SELARL [X] [R] ARCHITECTURE désigné à ces fonctions par jugement du tribunal de grande instance de SAINT-ETIENNE en date du 24 février 2015

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, toque : 475, postulant et plaidant par Me Anthony SCARFOGLIERO de la SELARL SVMH AVOCATS, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE

* * * * * *

Date de clôture de l'instruction : 14 Juin 2021

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 16 Février 2023

Date de mise à disposition : 06 Avril 2023

Audience tenue par Patricia GONZALEZ, présidente, et Raphaële FAIVRE, vice-présidente placée, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,

assistées pendant les débats de Clémence RUILLAT, greffière

A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.

Composition de la Cour lors du délibéré :

- Patricia GONZALEZ, présidente

- Aurore JULLIEN, conseillère

- Raphaële FAIVRE, vice-présidente placée

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Patricia GONZALEZ, présidente, et par Clémence RUILLAT, greffière, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

FAITS, PROCÉDURE ET PRETENTIONS

La Selarl [R] [X] Architecture, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de [Localité 8] le 8 août 2005, exerçant une activité d'architecte et gérée par M. [R] [X] a été placée en redressement judiciaire selon jugement du tribunal de grande instance de Saint-Etienne du 25 février 2014. Me [B] a été désigné en qualité de mandataire judiciaire.

Par jugement du 24 février 2015, confirmé par arrêt de la cour d'appel de Lyon du 2 juillet 2015, le tribunal de grande instance de Saint-Etienne a converti la procédure de redressement en liquidation judiciaire, désigné la Selarl MJ Synergie, représentée par Me [B], en qualité de liquidateur judiciaire (le liquidateur judiciaire) et fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 25 février 2014.

Par ordonnance du 10 juillet 2015, le juge-commissaire de la procédure de liquidation judiciaire a désigné un expert avec pour mission d'étudier les comptes de la société arrêtés au 31 décembre 2014, 31 décembre 2013, 31 décembre 2012 et 31 décembre 2011 ainsi que d'analyser les flux financiers ayant existé entre la société et tout dirigeant de droit ou de fait ou toute personne morale dont elle serait dirigeant ou associée.

L'expert a déposé son rapport lequel n'est pas daté.

Suite au dépôt de ce rapport, la Selarl MJ Synergie, ès-qualité de liquidateur judiciaire de la Selarl [R] [X] Architecture, a assigné par acte extrajudiciaire du 16 février 2017 M. [X] devant le tribunal de grande instance de Saint-Etienne en comblement de passif.

En parallèle, M. [X] a introduit deux actions en recouvrement des créances contre des clients devant le tribunal de grande instance de Dunkerque puis devant la cour d'appel de Douai et devant le tribunal de grande instance de Toulouse. Il a été débouté de ses actions au motif qu'elles étaient prescrites. Suite à ces décisions, M. [X] et la Selarl [R] [X] Architecture, représentée par Me [B] ès-qualités, ont assigné en responsabilité l'ancien conseil de M. [X] et de la Selarl [R] [X] Architecture.

Par jugement en date du 27 octobre 2021, le tribunal judiciaire d'Amiens les a débouté de leurs demandes. La procédure est actuellement pendante devant la cour d'appel d'Amiens.

Par jugement contradictoire du 25 mai 2021, le tribunal judiciaire de Saint-Etienne a :

- débouté M. [X] de sa demande de sursis à statuer,

- déclaré recevable l'action de la Selarl MJ Synergie, ès-qualités de liquidateur de la Selarl [R] [X],

- condamné M. [X] à payer à la Selarl MJ Synergie, ès-qualités, la somme de 121.033,28 euros au titre de l'insuffisance d'actif avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement,

- ordonné la capitalisation des intérêts dus pour une année entière conformément à l'article 1343-2 du code civil,

- débouté M. [X] de sa demande de délai de paiement,

- condamné M. [X] à payer à la Selarl MJ Synergie, ès-qualités, la somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [X] aux entiers dépens,

- dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement.

M. [X] a interjeté appel par acte du 7 juin 2021.

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 8 février 2023 M. [X] demande à la cour sur le fondement des articles L.651-2 et suivants du code de commerce, les articles 378 et 700 du code de procédure civile et l'article 1244-1 du code civil de :

à titre principal, si aucune décision définitive n'est intervenue sur l'action en responsabilité,

- surseoir à statuer dans l'attente de l'issue définitive de la procédure engagée devant la cour d'appel d'Amiens à l'encontre de Me [K] et à laquelle est également partie demanderesse la Selarl MJ Synergie, ès-qualité de liquidateur judiciaire de la Selarl [R] [X] Architecture,

en tout état de cause,

- réformer en toutes ses dispositions le jugement dont appel,

- juger que l'insuffisance d'actif n'est, au jour où la cour statue, aucunement certaine,

- déclarer ainsi irrecevable l'action engager par la Selarl MJ Synergie, ès-qualités, à son encontre,

subsidiairement,

- juger l'absence de fautes de gestion, à savoir la poursuite de l'activité déficitaire et le non-respect des obligations fiscales et sociales, le détournement d'actifs, l'avantage d'un créancier et la tenue d'une comptabilité irrégulière, alléguées par le mandataire liquidateur,

- débouter en conséquence la Selarl MJ Synergie, ès-qualités, de l'ensemble de ses demandes formées à son encontre,

à titre infiniment subsidiaire,

- juger l'absence de démonstration d'un lien de causalité entre les fautes prétendues et l'insuffisance d'actif,

- débouter en conséquence la Selarl MJ Synergie, ès-qualités, de l'ensemble de ses demandes formées à son encontre,

à titre encore plus subsidiaire,

- juger que le montant de condamnation sollicité par le mandataire liquidateur sera grandement diminué et qu'il lui sera octroyé un délai de règlement de deux années, par application de l'article 1244-1 du code civil, pour s'en acquitter,

- condamner la Selarl MJ Synergie à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens avec application de l'article 699 du code de procédure civile.

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 6 août 2021 fondées sur les articles L. 651-2 et suivants du code de commerce, la Selarl MJ Synergie, ès-qualité de liquidateur judiciaire de la Selarl [R] [X] Architecture, demande à la cour de :

- rejeter la demande de sursis à statuer et d'irrecevabilité de M. [X],

- juger qu'elle est recevable et bien fondée en ses demandes,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré,

- condamner M. [X] à lui payer l'intégralité de l'insuffisance d'actif de la Selarl [R] [X] Architecture et déjà, à minima, la somme de 121.033,28 euros outre intérêt au taux légal avec anatocisme,

- débouter M. [X] de l'intégralité de ses demandes,

- condamner M. [X] à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamner M. [X] aux entiers dépens de première instance et d'appel avec application de l'article 699 du code de procédure civile.

Le ministère public n'a communiqué aucun avis.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 9 février 2023, les débats étant fixés au 16 février 2023.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS

A titre liminaire, il sera rappelé que les « demandes » tendant à voir « constater » ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et ne saisissent pas la cour ; il en est de même des « demandes » tendant à voir « dire et juger » lorsque celles-ci développent en réalité des moyens.

Sur la demande de sursis statuer

Au soutien de sa demande de sursis à statuer, M.[X] fait valoir que':

-il a introduit avec la Selarl MJ Synergie devant le tribunal judiciaire d'Amiens une instance à l'encontre de son conseil en indemnisation de la perte de chance de pouvoir obtenir paiement de ses créanciers par suite de la méconnaissance par cet avocat des délais de prescription des actions en recouvrement de créances introduites contre la société La financière la Madgdelaine et la société Edifis Immobilier, et dans laquelle il sollicite une indemnité de 687.454,92 euros,

-par jugement en date du 27 octobre 2021, le tribunal judiciaire d'Amiens les a débouté de leurs demandes, qu'un appel a été interjeté de ce jugement et que l'issue de la procédure introduite devant la cour d'appel d'Amiens est de nature à avoir une incidence sur l'issue du présent litige, en ce que ces sommes recouvrées qui iront au bénéfice de la liquidation judiciaire, permettront de supprimer totalement l'insuffisance d'actif qui s'élève pour l'heure à 133.744,29 euros, ou à tout le moins à le réduire singulièrement.

La Selarl MJ Synergie, représentée par Me [B], ès-qualité de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la société F. [X] Architecture soutient qu'en application de la jurisprudence de la Cour de cassation, la juridiction ne doit pas prendre en compte l'éventualité d'une condamnation contre un tiers susceptible de supprimer ou à tout le moins de réduire le montant de cette insuffisance d'actif. Elle fait valoir que cette jurisprudence s'applique aux actions intentées postérieurement à l'évaluation de l'insuffisance d'actif, ce qui est le cas en l'espèce et qu'il existe une insuffisance d'actif de 133.744,29 euros, soit une insuffisance d'actif indiscutable de 121.033,28 euros si on neutralise le passif postérieur à l'ouverture de la procédure.

En application de l'article 378 du code de procédure civile, la décision de sursis à statuer suspend le cours de l'instance pour le temps ou jusqu'à la survenance de l'événement qu'elle détermine.

Par ailleurs, il n'est pas nécessaire, pour faire application de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif de l'article L.651-2 du code de commerce que le passif soit entièrement chiffré ni que l'actif ait été réalisé, il suffit que l'insuffisance d'actif soit certaine. L'existence et le montant de l'insuffisance d'actif doivent être appréciés au moment où statue la juridiction saisie de l'action tendant à la faire supporter par un dirigeant social.

Il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu en l'espèce de surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la cour d'appel d'Amiens saisie d'un recours contre le jugement en date du 27 octobre 2021 ayant débouté M. [X] de son action en responsabilité formée contre son conseil, alors qu'il ressort des éléments du dossier et des déclarations concordantes des parties que l'insuffisance d'actif existante à ce jour est de 133.744,29 euros, soit 121.033,28 euros après neutralisation du passif postérieur à l'ouverture de la procédure.

Sur la recevabilité de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif

Au soutien de son moyen d'irrecevabilité de l'action engagée à son encontre, M.[X] fait valoir que si une action en responsabilité pour insuffisance d'actif peut être menée sans qu'il soit nécessaire que les opérations de vérification des créances soient totalement achevées, en revanche, elle suppose que le montant de l'insuffisance d'actif soit certain ce qui n'est pas le cas en l'espèce puisque il demeure un total de 687.454,92 euros potentiellement recouvrable.

Pour l'application de l'article L.651-2 du code de commerce, l'existence et le montant de l'insuffisance d'actif doivent être appréciés au moment où statue la juridiction saisie de l'action tendant à la faire supporter par un dirigeant social.

Or, comme relevé précédemment, il n'est pas contesté qu'à ce jour, l'insuffisance d'actif est certaine à concurrence de la somme de 133.744,29 euros, soit 121.033,28 euros après neutralisation du passif postérieur à l'ouverture de la procédure, de sorte que le moyen d'irrecevabilité ne peut prospérer.

Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif

S'agissant du non respect des obligations fiscales et sociales, le liquidateur judiciaire fait état de cotisations URSSAF non payées remontant au 3ème trimestre 2010 et de cotisations Mederic impayées remontant à 2006, et soutient donc que M. [X] n'a pas satisfait à ses obligations sociales ce qui constitue une faute de gestion.

S'agissant de la poursuite d'une activité déficitaire, il fait valoir que':

-la société [X] Architecture présentait des impayés de cotisations sociales depuis 2006, -l'expert judiciaire retient une date comptable de cessation des paiements dès le 31 août 2011 sauf à exclure les loyers dus à Mme [X] au titre de la location du siège social, auquel cas la date de cessation des paiements étant alors fixée au 31 mai 2013,

-M. [X] a laissé perdurer l'exploitation déficitaire de la société sans prendre aucune mesure, dès lors que l'assignation en redressement judiciaire a été délivrée à l'initiative de l'URSSAF,

-la prorogation de la période d'observation en vue d'un plan de redressement est sans incidence sur l'existence de la faute de gestion tenant à la poursuite d'une activité déficitaire,

S'agissant de la faute tenant au détournement d'actif, le liquidateur judiciaire soutient que':

-le rachat par M. [X] des ordinateurs s'est fait en contravention de l'article L.622-7 du code de commerce puisque cette cession n'a pas été autorisée par le juge commissaire,

-si le paiement est intervenu par imputation sur son compte courant associé, aucune déclaration de créance de son compte courant n'a été effectuée de sorte que cette éventuelle créance est inopposable à la procédure collective,

-ce paiement par imputation sur le compte courant d'associé de M. [X] constitue un paiement préférentiel d'une créance antérieure à l'ouverture de la procédure collective, constitutif d'une faute de gestion,

S'agissant de la faute tenant à la volonté d'avantager un créancier, le liquidateur affirme que':

-M. [X] a détourné une partie de l'actif à son profit pour se rembourser une partie de son compte courant d'associé avant la conversion de la procédure de redressement en liquidation judiciaire s'assurant ainsi un paiement préférentiel de sa créance, au détriment de tout autre créancier,

-il apparaît donc clairement qu'un détournement d'actifs a été commis par le gérant à des fins personnelles,

-M. [X] a encaissé en décembre 2013 un chèque de 100.000 euros sur son compte personnel, correspondant au paiement d'un client, l'expert judiciaire confirmant qu'un montant de 105.813,76 euros a été comptabilisé au débit du compte courant associé de ce dernier le 31 décembre 2013, deux mois avant l'ouverture de la procédure collective matérialisant ainsi un encaissement sur son compte personnel, ce qui caractérise un paiement préférentiel d'un créancier par rapport à un autre créancier constitutif d'une faute de gestion,

-comme l'ont retenu les premiers juges, le fait que le compte professionnel de la société ait été, à cette date, frappé d'une résiliation d'ouverture de convention de trésorerie courante avec fermeture de compte est indifférente.

S'agissant de la faute tenant à une comptabilité irrégulière, le liquidateur judiciaire soutient que':

-l'étude des bilans fait apparaître une progression importante voir disproportionnée du montant des encours comptabilisés au 31 décembre de chaque année de 2011 à 2013 et facturés l'année suivante, démontrant comme le relève l'expert une déconnexion avec la réalité économique et la facturation de l'entreprise,

-au 31 décembre 2012 les encours sont presque 5 fois plus importants que la facturation intervenue en 2013 et au 31 décembre 2013 ils sont 18 fois plus importants que la facturation intervenue en 2014,

-l'expert précise que même si les travaux d'un architecte peuvent s'étaler sur la durée et couvrir plusieurs mois, il est extrêmement rare qu'ils soient à cheval sur plus de deux exercices.

S'agissant du lien de causalité entre les fautes de gestion et l'insuffisance d'actif il fait valoir que':

-le maintien en connaissance de cause d'une activité déficitaire constitue en soi une faute de gestion contribuant à l'insuffisance d'actif,

-s'agissant du détournement d'actif, le lien avec l'insuffisance d'actif résulte du détournement lui-même,

-la tenue d'une comptabilité irrégulière est une faute de gestion justifiant le comblement de passif,

-le remboursement par M. [X] de son compte courant associé de manière préférentielle constitue une faute de gestion préjudiciable aux créanciers,

Pour contester l'existence de fautes de gestion, M. [X] fait valoir que la preuve d'une poursuite de l'activité déficitaire et du non respect des obligations sociales et fiscales n'est pas rapportée alors que':

-c'est par une présentation tronquée que le mandataire argue de ce que début 2006 les créances sociales ne sont que partiellement réglées, alors que le rapport de l'expert judiciaire, ne porte que sur le premier exercice 2011 et pas sur les années antérieures,

-il produit l'attestation fiscale et de l'URSSAF pour l'année 2015, soit au cours de la période concernée,

-il justifie des courriers échangés avec le mandataire judiciaire au sujet de l'expert comptable qui a mis fin à sa mission sans préavis en refusant de restituer la documentation comptable,

-M. [F] [P] a tenu la comptabilité de la société [R] [X] à compter de la fin de l'année 2005, jusqu'à la rupture brutale de sa mission le 18 décembre 2013 et a fait de la rétention des documents comptables de la société jusqu'au 25 août 2014,

-le comptable qui est tenu d'un devoir de conseil ne l'a jamais alerté d'une quelconque poursuite abusive d'une activité déficitaire pouvant entraîner sa responsabilité,

-si l'état de cessation des paiements remontait à 2006, aucune prorogation de la période d'observation n'aurait eu lieu ,

-la cour de cassation a jugé le 5 septembre 2018 que la responsabilité du dirigeant est écartée en cas de simple négligence,

-le tribunal a ordonné à plusieurs reprises la prorogation de la période d'observation.

Il affirme en outre qu'aucun détournement d'actif n'est démontré alors que s'agissant du matériel informatique d'une valeur de 450 euros, il a expliqué au juge commissaire avoir racheté ce matériel et que cette opération a été portée au bilan comptable de l'année 2014, sans que le juge commissaire ne sollicite l'annulation de cette opération. Par ailleurs, le tribunal relève la modicité de cette somme sans en tirer les conséquences.

-la preuve d'un détournement de l'actif à son profit pour se rembourser une partie de son compte courant n'est pas rapportée alors que':

*si il a bien encaissé un chèque client sur son compte personnel, il ne s'agit pas d'un paiement destiné à procurer un avantage à un créancier, puisque cette somme a servi à payer des fournisseurs et les urgences du mois de décembre 2013 et des mois de janvier et février 2014, le compte professionnel étant frappé d'une résiliation d'ouverture de convention de trésorerie courante avec fermeture de compte,

*en tout état de cause ce règlement a été effectué en décembre 2013 alors que la société n'était pas en procédure collective,

*l'expert judiciaire a lui-même relevé que des paiements de nombreuses charges de la société ont été effectués avec son propre compte courant,

-la preuve de la tenue d'une comptabilité irrégulière n'est pas démontrée alors que le développement anormal des encours clients s'explique par l'activité particulière en lien avec les monuments historiques qui ne permet pas de facturations intermédiaires et s'accompagne d'un long travail en amont avant toute facturation et alors que des projets sur le point d'aboutir n'ont pas pu être pris en compte au moment de la décision de la cour d'appel sur la liquidation judiciaire de la société, le cabinet comptable ayant attesté de ces encours.

Pour contester tout lien de causalité entre les fautes de gestion reprochées et l'insuffisance d'actif, il expose que la seule affirmation de ce que les fautes de gestion ont nécessairement contribué à l'insuffisance d'actif ne sont pas de nature à caractériser la démonstration de l'existence du lien de causalité exigé par la loi.

En application de l'article L.651-2 alinéa 1er du code de commerce, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion.

Le succès de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif suppose donc la démonstration d'une faute de gestion imputable au dirigeant de droit ou de fait de la personne morale débitrice, d'une insuffisance d'actif et d'un lien de causalité entre cette faute de gestion et cette insuffisance d'actif.

Le jugement qui condamne le dirigeant d'une personne morale à supporter tout ou partie de l'insuffisance d'actif de celle-ci doit préciser en quoi chaque faute à contribué à cette insuffisance.

En l'espèce, le liquidateur judiciaire reproche à M. [X] les fautes de gestion suivantes':

-la poursuite d'une activité déficitaire ne pouvant conduire qu'à la cessation des paiements,

-le défaut de respect des obligations fiscales et sociales,

-un détournement d'actif,

-le fait de vouloir avantager un créancier,

-la tenue d'une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière,

S'agissant de la poursuite déficitaire d'une activité ne pouvant conduite qu'à la cessation des paiements

En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que certaines cotisations sociales de la société [X] Architecture n'étaient que partiellement réglées depuis 2006 s'agissant de la société Malakoff Médéric Prévoyance et depuis 2010 s'agissant de l'URSSAF. Pour autant ces seuls impayés ne caractérisent pas l'existence d'une activité déficitaire à compter de cette période, alors qu'il n'est pas justifié de l'état comptable et financier de la société en 2006 et 2010 permettant de démontrer l'existence d'un déficit de la société dès 2006.

Par ailleurs, si l'expert judiciaire, mandaté par ordonnance du juge commissaire du 10 juillet 2015, invoque une date de cessation des paiements au 31 août 2011 en cas de prise en compte de la dette de loyers due à Mme [X] au titre de la location du siège social de la société et au 31 mai 2013 en cas de non prise en compte de cette dette, la cour relève que la date de cessation des paiements fixée provisoirement au 25 février 2014 par jugement du tribunal de grande instance de Saint-Étienne du même jour ouvrant la procédure de redressement judiciaire de la société [X] Architecture, n'a fait l'objet d'aucun report judiciairement prononcé, de sorte que le liquidateur judiciaire n'est pas fondé à alléguer d'une poursuite déficitaire de l'activité de la société à compter de l'année 2011.

Enfin, il ressort des conclusions de l'expert judiciaire que M. [X] a réglé de nombreuses charges de la société avec son compte personnel et a fait des apports pour environ 103.000 euros. Au regard de l'ensemble de ces éléments, le liquidateur judiciaire échoue à démontrer que M. [X] a laissé perdurer l'exploitation déficitaire de la société sans prendre aucune mesure.

S'agissant du défaut de respect des obligations fiscales et sociales,

Il ressort des constats opérés par l'expert judiciaire l'existence au titre des exercices 2011, 2012 et 2013 de retards de paiement des charges sociales sur salaires et sur les cotisations sociales du dirigeant, lesquels impayés sont confirmés par la déclaration de créance régularisée par l'URSSAF Rhône-Alpes le 2 avril 2014 d'un montant de 24.315,92 euros au titre de cotisations de 2010 à 2014, ces constats n'étant pas remis en cause par l'attestation de régularité URSSAF dont se prévaut l'appelant, laquelle mentionne expressément qu'elle est dressée à partir des déclarations de l'intéressé et ne préjuge pas de leur exactitude, ni ne vaut renonciation au recouvrement d'éventuelles créances.

Si ces défauts de paiements, sont constitutifs d'une faute de gestion, en revanche, la seule affirmation du liquidateur judiciaire selon laquelle le défaut de respect des obligations fiscales et sociales de la Selarl [X] a nécessairement contribué à l'insuffisance d'actif constaté, qui n'est accompagnée d'aucun élément notamment comptable de nature à établir en quoi cette carence y a contribué, ne permet pas de caractériser le lien de causalité entre la faute et cette insuffisance relevée à hauteur de 121.033,28 euros lequel est exigé pour engager la responsabilité du dirigeant sur le fondement de l'article L.651-2 alinéa 1er précité.

S'agissant de la faute tenant au détournement d'actif

Quand bien même le détournement d'actif tenant au rachat par M. [X] d'un matériel informatique d'un montant de 453,94 euros intervenu sans autorisation du juge commissaire et payé par prélèvement sur son compte courant d'associé serait établi, ce qui n'est pas le cas en l'absence de toute indication par le liquidateur judiciaire quant à la date de cette opération et donc quand à son antériorité par rapport au jugement d'ouverture de la procédure collective, en tout état de cause, la preuve du lien de causalité entre ce détournement d'actif et l'insuffisance d'actif ne saurait résulter de la simple affirmation, non assortie de la moindre démonstration, selon laquelle:'«'s'agissant de l'insuffisance d'actif liée au détournement d'actif, le lien de causalité est établi par le détournement lui-même'», étant au demeurant rappelé la modicité du montant du détournement allégué.

S'agissant de la faute tenant au fait d'avantager un créancier

Le liquidateur judiciaire n'est pas fondé à se prévaloir d'une faute tenant au remboursement par M. [X] de son compte courant d'associé avant le 2 juillet 2015, date de la conversion de la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire, alors que l'avance en compte courant consentie par un associé à une société est, sauf stipulation contraire, remboursable à tout moment. Son remboursement constitue dès lors le paiement d'une dette de la société, sans pouvoir être qualifié de détournement d'actif pour l'application de l'article L. 653-4, 5° du code de commerce.

S'il ressort en outre des constatations de l'expert judiciaire que le 5 décembre 2013, M. [X] a encaissé sur son compte personnel une somme de 105.813,76 euros correspondant au paiement d'un client de la société et que cette même somme a été comptabilisée le 31 décembre 2013 au débit de son compte courant d'associé, la cour relève que ces opérations, intervenues le 5 et le 31 décembre 2013 alors que la date de la cessation des paiements est fixée au 25 février 2014, ne peuvent ainsi être qualifiées de paiement préférentiel.

S'agissant de la tenue d'une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière

L'expert judiciaire relève une augmentation des encours à compter de l'exercice 2011 qu'il qualifie d'importante voir même de disproportionnée, le conduisant à s'interroger sur la réalité économique de ces encours qui se sont élevés à 310.000 euros au 31 décembre 2014 alors que la facturation de l'exercice est de 12.000 euros. Il indique que les encours au 31 décembre 2011 sont 1,5 fois plus importants que la facturation 2012, que les encours au 31 décembre 2012 sont 3 ofis plus importants que la facturation 2013 et que les encours au 31 décembre 2013 sont 18 fois plus importants que la facturation 2014.

Il relève également que selon l'expert comptable de M. [X] ces encours s'expliqueraient par l'existence de travaux non facturés car conditionnés à l'obtention d'agréments fiscaux et il conclu au fait qu'il conviendrait de déterminer la nature de ces travaux et d'étudier les instructions des donneurs d'ordre afin de vérifier s'ils n'auraient pas dû donner lieu à facturation, qualifiant d'extrêmement rare le fait que les travaux d'un architecte soient à cheval sur plus de deux exercices.

La cour relève ainsi que si l'expert s'interroge sur la réalité des encours, il ne conclu pas à leur irrégularité mais préconise une méthode de vérification de leur réalité, de sorte que ces conclusions expertales dont se prévaut la liquidateur judiciaire à l'exclusion de tout élément relatif notamment à la nature des travaux comparée aux contrats en cours de la société [X] sur ces périodes, ne suffisent pas à caractériser la faute de gestion alléguée dont la preuve incombe à l'intimée, étant par ailleurs observé que M. [X] justifie de l'existence d'un projet de réhabilitation commandé par la ville de [Localité 7] et du dépôt du permis de construire le 30 avril 2015 relativement à cette opération, ainsi que d'une correspondance du 19 mai 2015 de M. [W], attestant que ce dépôt devrait permettre le déblocage de cette opération et que la constitution de l'association syndicale libre courant du 2ème semestre 2015 permettra à l'appelant de signer le contrat d'ingénierie et de présenter ses honoraires de 520.000 euros.

En tout état de cause, la seule affirmation selon laquelle la tenue d'une comptabilité irrégulière est une faute de gestion justifiant le comblement de passif, qui est exclusive de toute démonstration quant au rôle de l'augmentation des encours sur l'insuffisance d'actif constatée, n'est pas de nature à caractériser le lien de causalité exigé par la loi.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments, que l'appelant échoue à faire la preuve de ce que l'insuffisance d'actif trouve son origine dans une faute imputable à M. [X]. En conséquence il convient d'infirmer le jugement déféré et de débouter le liquidateur judiciaire de sa demande de condamnation de M. [X] à lui payer l'intégralité de l'insuffisance d'actif de la Selarl [R] [X] Architecture et déjà, à minima, la somme de 121.033,28 euros outre intérêt au taux légal avec anatocisme.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile et sur les dépens

Succombant dans son action, le liquidateur judiciaire doit supporter les dépens de première instance et d'appel comme la totalité des frais irrépétibles exposés et verser à M. [X] une indemnité de procédure ce qui conduit à l'infirmation des condamnations prononcées à ces titres par le tribunal de commerce à l'encontre de ce dernier et aux décisions précisées dans le dispositif.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a débouté M. [X] de sa demande de sursis à statuer et en ce qu'il a déclaré recevable l'action engagée par la Selarl MJ Synergie, ès-qualité de liquidateur judiciaire de la Selarl [R] [X] Architectur à son encontre,

Statuant à nouveau et ajoutant,

Déboute la Selarl MJ Synergie, ès-qualité de liquidateur judiciaire de la Selarl [R] [X] Architecture de sa demande de condamnation de M. [X] à lui payer l'intégralité de l'insuffisance d'actif de la Selarl [R] [X] Architecture et déjà, à minima, la somme de 121.033,28 euros outre intérêt au taux légal avec anatocisme,

Condamne la Selarl MJ Synergie, ès-qualité de liquidateur judiciaire de la Selarl [R] [X] Architecture à payer à M. [X] la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et en cause d'appel,

Déboute la Selarl MJ Synergie, ès-qualité de liquidateur judiciaire de la Selarl [R] [X] Architecture de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Condamne la Selarl MJ Synergie, ès-qualité de liquidateur judiciaire de la Selarl [R] [X] Architecture aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers avec droit de recouvrement.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre a
Numéro d'arrêt : 21/04961
Date de la décision : 06/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-06;21.04961 ?
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