AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE
N° RG 19/08500 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MXXI
[P]
C/
Société EUROFINS BIOMNIS
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 22 Novembre 2019
RG : F 16/03400
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 29 MARS 2023
APPELANTE :
[H] [P]
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Me Pascale DRAI-ATTAL, avocat au barreau de LYON substituée par Me Cyrielle ATTAL, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
Société EUROFINS BIOMNIS
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON
et ayant pour avocat plaidant Me Carole CODACCIONI de la SCP FROMONT BRIENS, avocat au barreau de LYON substituée par Me Marion DE LA O, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 24 Janvier 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Joëlle DOAT, Présidente
Nathalie ROCCI, Conseiller
Anne BRUNNER, Conseiller
Assistés pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 29 Mars 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Joëlle DOAT, Présidente, et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Mme [H] [P] a été embauchée en qualité d'agent polyvalent export par la société Laboratoire Marcel Mérieux (aux droits de laquelle se trouve désormais la société Eurofins Biomnis), suivant contrat à durée déterminée du 26 juin 2006, puis contrat à durée indéterminée du 27 septembre 2007.
La société Biomnis a engagé une restructuration au cours de l'année 2013 et négocié la mise en place d'un Plan de Sauvegarde de l'Emploi (PSE) le 17 février 2014.
Mme [P] a demandé à bénéficier d'un départ volontaire, par lettre du 23 mai 2014, ce que la société a accepté par lettre du 7 juillet 2014.
Par lettre du 28 août 2014, la société a notifié à la salariée son licenciement pour motif économique.
La salariée a bénéficié du congé de reclassement proposé à compter du 30 octobre 2014.
Par requête en date du 16 septembre 2016 (date d'apposition du tampon du greffe du conseil de prud'hommes sur la première des deux requêtes figurant au dossier), Mme [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon aux fins de voir déclarer son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner la société à lui verser diverses sommes à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail , dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par le licenciement injustifié et dommages et intérêts pour non-respect de l'ordre des licenciements.
Par jugement du 22 novembre 2019, le conseil de prud'hommes a :
- déclaré irrecevables comme étant prescrites les demandes formées par Madame [H] [P]
- condamné Madame [H] [P] à régler à la société Biomnis la somme d'un euro symbolique 'à titre de procédure abusive'
- débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- condamné Madame [H] [P] aux dépens.
Mme [P] a interjeté appel de ce jugement, le 11 décembre 2019.
Elle demande à la cour :
- d'infirmer le jugement
statuant à nouveau,
- de dire que son action est recevable
- de condamner la société Biomnis à lui payer les sommes suivantes :
1°/ dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (24 mois) : 62 398 euros
2°/ dommages et intérêts pour non-respect de l'ordre des licenciements (12 mois) : 31 199 euros
3°/ dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail (12 mois) : 31 199 euros
4°/ article 700 du code de procédure civile : 3 000 euros
- de rejeter la demande reconventionnelle de la société Biomnis
- de condamner la société Biomnis aux entiers dépens.
La société Biomnis demande à la cour :
- de confirmer le jugement, sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile
statuant à nouveau,
- de condamner Madame [H] [P] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens
- à tout le moins, la débouter de sa demande à ce titre
- de condamner Madame [H] [P] à lui verser la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 décembre 2022.
SUR CE :
Sur la fin de non recevoir
Mme [P] fait valoir que la formulation utilisée dans la lettre de licenciement a pu lui laisser croire que le fait générateur de la rupture était son départ volontaire et non la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise, de sorte qu'elle a légitimement pu penser que la rupture de son contrat de travail n'était pas contestable, que, compte tenu des termes de la lettre de licenciement, la société 'n'est pas en mesure de démontrer qu'elle ne pouvait ignorer les faits lui permettant d'exercer son action en justice' et qu'il convient de fixer le point de départ de la prescription au moment où le 'dommage' s'est réalisé, soit à la date du 7 mars 2016 à laquelle a pris fin le congé de reclassement.
La société BIOMNIS fait valoir que la salariée a eu parfaitement connaissance du motif de son licenciement, donc des faits lui permettant d'exercer son action prud'homale, à la date de réception de sa lettre de licenciement, de sorte qu'elle avait jusqu'au 5 septembre 2016 pour saisir le conseil de prud'hommes.
****
En application de l'article L 1471-1 du code du travail dans sa version en vigueur du 17 juin 2013 au 24 septembre 2017 applicable à la date du licenciement de la salariée, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.
La lettre de licenciement notifiée le 28 août 2014 est ainsi rédigée :
« Vous occupez actuellement le poste d'agent polyvalent export et faites partie d'une catégorie professionnelle concernée par la réorganisation de notre société.
Cette réorganisation a impliqué la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi sur lequel le comité central d'entreprise et les deux comités d'établissements ont été consultés et dont les mesures sociales ont fait l'objet d'un accord collectif signé par la majorité des organisations syndicales représentatives.
/'/ Dans le cadre de ce dispositif, après avoir été informée sur les perspectives de reclassement interne et externe qui pourraient vous être applicables en cas de licenciement contraint, vous nous avez fait part de votre candidature à un départ volontaire, afin de réaliser un projet consistant en une formation de longue durée diplômante d'assistante administrative, par courrier en date du 23 mai 2014.
Vous demande de départ volontaire a été validée par le relais information conseil (RIC) mis en place avec le cabinet Altedia et acceptée par la société, conformément à la procédure définie à l'article 4.4.2 du PSE, ce dont vous avez été informée par courrier en date du 7 juillet 2014.
Vous avez par ailleurs été destinataire de propositions individuelles de reclassement en date du 7 juillet 2014. Vous avez choisi de refuser ces propositions, par retour de courrier en date du 12 juillet 2014.
En conséquence, et conformément au PSE, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour motif économique, dont les causes sont les suivantes (...)
Le point de départ du délai de l'action portant sur la rupture du contrat de travail se situe à la date de notification du licenciement, étant observé que la lettre est dépourvue de toute ambiguïté en ce qui concerne l'annonce de la rupture et le motif de celle-ci.
C'est bien à cette date et non pas à celle à laquelle le congé de reclassement a pris fin que la salariée a su que son contrat de travail était rompu.
Il convient de confirmer le jugement qui a déclaré irrecevable comme étant prescrite l'action introduite le 16 septembre 2016 par Mme [P], plus de deux ans après la notification de son licenciement en date du 28 août 2014.
Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive
Le conseil de prud'hommes a estimé que l'action de Mme [P] était abusive car cette dernière ne pouvait ignorer qu'elle était prescrite et il a accueilli la demande reconventionnelle de la société Biomnis en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Mme [P] demande l'infirmation de cette disposition et le rejet de la demande.
La société Biomnis soutient que la salariée n'a pas engagé de bonne foi son action et qu'elle n'a saisi le conseil de prud'hommes que dans le but d'obtenir des dommages et intérêts substantiels de manière totalement injustifiée et ce, en dépit des pièces versées aux débats.
L'appréciation inexacte de ses droits par une partie n'étant pas en elle-même constitutive de mauvaise foi, ni de faute, il convient d'infirmer le jugement et de rejeter la demande de dommages et intérêts formée par la société Biomnis.
Il y a lieu de condamner Mme [P], dont le recours est rejeté, aux dépens d'appel et à payer à la société BIOMNIS la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, le jugement étant confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et en ce qu'il a rejeté la demande en paiement d'une indemnité de procédure formée par la société Biomnis.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement :
CONFIRME le jugement, sauf en ce qu'il a condamné Mme [P] à payer à la société Biomnis la somme d'un euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive
STATUANT à nouveau sur ce point,
REJETTE la demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive
CONDAMNE Mme [H] [P] aux dépens d'appel
CONDAMNE Mme [H] [P] à payer à la société Biomnis la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE