N° RG 22/06982 - N° Portalis DBVX-V-B7G-OSCW
Décision du Tribunal de Commerce de LYON du 12 octobre 2022
(Référé)
RG : 2022r636
S.A.S. EIFFAGE CONSTRUCTION RHONE LOIRE
C/
S.A.S. DEKRA INDUSTRIAL
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile A
ARRET DU 23 Mars 2023
APPELANTE :
S.A.S. EIFFAGE CONSTRUCTION RHONE LOIRE
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par la SELARL DAUMIN COIRATON-DEMERCIERE - AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 728
INTIMEE :
S.A.S. DEKRA INDUSTRIAL
[Adresse 7]
[Localité 2]
Représentée par la SELARL C/M AVOCATS, avocat au barreau de LYON, avocat postulant, toque : 446
Et ayant pour avocat plaidant Me France CHAUTEMPS, avocat au barreau de PARIS
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 26 Janvier 2023
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 02 Février 2023
Date de mise à disposition : 23 Mars 2023
Audience tenue par Anne WYON, président, et Julien SEITZ, conseiller, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,
assistés pendant les débats de Séverine POLANO, greffier
A l'audience, l'un des membres de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.
Composition de la Cour lors du délibéré :
- Anne WYON, président
- Julien SEITZ, conseiller
- Raphaële FAIVRE, vice présidente placée
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Anne WYON, président, et par Séverine POLANO, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
L'Université de [Localité 6] a confié à la société Eiffage construction Rhône Loire (société Eiffage) la conception, la réalisation et la maintenance des ouvrages de réhabilitation des quartiers scientifiques du campus [Localité 6] [8], composé d'un ensemble de 22 bâtiments.
Le marché de contrôle technique a été attribué à la société Dekra industrial (société Dekra).
Par contrat des 06 décembre 2012 et 17 octobre 2017, la société Eiffage a sous-traité la réalisation des bardages métalliques à la société Rhône-Alpes acier.
Le cahier des clauses techniques particulières prévoyait que les bâtiments [5] et [4] soient équipés d'un bardage double-peau, avec bacs extérieurs en aluminium type cassette et coque MD des établissement [3] ou équivalent.
En cours de chantier, la société Rhône-Alpes acier a substitué des cassettes en acier laqué Sifem au bardage double-peau en aluminium [3], ensuite de quoi la société Dekra a délivré des avis techniques défavorables les 13 décembre 2017 et 21 février 2018 en rappelant notamment l'absence d'évaluation du produit de substitution.
Le 20 avril 2018, la société Eiffage a demandé un avis de chantier à la société Dekra, qui a rendu un avis défavorable le 16 novembre 2018.
Par ordonnance du 23 décembre 2019, le président du tribunal de commerce de Lyon a ordonné une mesure d'expertise judiciaire au contradictoire des sociétés Eiffage, Dekra et Rhône-Alpes acier, à dessein d'apprécier, entre autres objectifs, l'équivalence du produit de substitution à celui prévu au cahier des clauses techniques particulières.
Les opérations d'expertise ont été ultérieurement étendues au contradictoire de la société Sifem et de l'Université de [Localité 6].
L'expert [D] a déposé son rapport le 31 décembre 2021, concluant au caractère infondé de l'avis défavorable émis par la société Dekra.
Saisi par l'Université de [Localité 6], le Centre scientifique et technique du bâtiment et la société Dekra ont conclu le 23 juin 2022 que la conformité des produits de substitution employés par la société Eiffage au cahier CSTB 3747 constituant la norme de référence n'était pas avérée.
L'Université de [Localité 6] a refusé de recevoir l'ouvrage.
Par assignation signifiée le 02 août 2022, la société Eiffage construction Rhône Loire a fait citer la société Dekra industrial devant le président du tribunal de commerce de Lyon, statuant en référé, aux fins de l'entendre condamner à délivrer un avis de chantier favorable sous astreinte.
Par ordonnance du 12 octobre 2022, le président du tribunal de commerce a :
- débouté la société Eiffage construction Rhône Loire de sa demande;
- condamné la société Eiffage construction Rhône Loire à verser à la société Dekra industrial la somme de 2.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;
- condamné la société Eiffage construction Rhône Loire aux entiers dépens de l'instance.
La société Eiffage construction Rhône Loire a relevé appel de cette ordonnance selon déclaration enregistrée le 19 octobre 2022.
Aux termes de ses conclusions déposées le 20 janvier 2023, la société Eiffage construction Rhône Loire demande à la cour, au visa de l'article 873 du code de procédure civile et des articles L. 131-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution, de :
- infirmer l'ordonnance du 12 octobre 2022 rendue par le président du tribunal de commerce de Lyon en ce qu'elle l'a déboutée de sa demande tendant à voir la société Dekra industiral condamnée à délivrer, sous astreinte, un avis de chantier favorable pour le procédé de cassettes des entreprises Sifem et condamnée à verser à la société Dekra industrial la somme de 2.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les entiers dépens de l'instance,
statuant à nouveau :
- condamner la société Dekra industrial à délivrer un avis de chantier favorable pour le procédé de cassettes des entreprises Sifem dans un délai de 7 jours à compter de la signification de la décision à intervenir, et ce sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard,
- condamner la société Dekra industrial à lui verser une somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Dekra industrial aux entiers dépens.
La société Eiffage reproche au juge des référés d'avoir assimilé l'avis de chantier rendu par la société Dekra à un rapport de contrôle technique, alors que la délivrance d'un tel avis n'obéit pas aux contraintes légales et réglementaires afférentes au contrôle technique et que sa teneur peut être remise en cause par une juridiction, sur la foi d'un avis expertal.
Elle ajoute que sa demande ne se heurte à aucune contestation sérieuse, les opérations d'expertise judiciaire ayant établi la parfaite équivalence du procédé mis en oeuvre par la société Rhône-Alpes acier à celui prescrit au cahier des clauses techniques particulières. Elle estime en conséquence pouvoir solliciter, sur le fondement de l'article 873 aliné second du code de procédure civile, que l'avis de chantier défavorable soit levé.
En réponse aux contestations adverses, la société Eiffage soutient que le rapport d'expertise de M. [D] n'est pas critiquable et qu'il n'est pas nécessaire qu'un rapport d'expertise judiciaire soit homologué pour être opposé en justice.
Elle conteste que la société Dekra puisse se prévaloir de l'avis du Centre scientifique et technique du bâtiment en tant que difficulté sérieuse faisant obstacle à la demande, compte tenu de son caractère non contradictoire et du fait qu'il aurait été co-rédigé par la société Dekra elle-même, en dehors de l'expertise judiciaire et postérieurement à celle-ci.
Elle conteste la réalité de l'aveu judiciaire que lui prête la société Dekra, en affirmant que l'existence de faits nouveaux ferait obstacle à la caractérisation d'un tel aveu.
Par conclusions déposées le 25 janvier 2023, la société Dekra industrial demande à la cour, au visa de l'article 873 du code de procédure civile et de l'article L.131-1 du code de procédure civiles d'exécution, de :
- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 12 octobre 2022 par le président du tribunal de commerce de Lyon en ce qu'elle a débouté la société Eiffage construction Rhône Loire de sa demande tendant à la voir condamner à délivrer, sous astreinte, un avis de chantier favorable pour le procédé de cassettes des entreprises Sifem,
y faisant droit,
- dire et juger irrecevable et en tout cas mal fondée, la demande de la société Eiffage construction Rhône Loire en raison de contestations sérieuses,
- en conséquence, débouter la société Eiffage construction Rhône Loire de l'ensemble de ses demandes,
- la condamner à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.
La société Dekra soutient que la demande de la société Eiffage souffre de contestations sérieuses faisant obstacle à ce qu'il y soit fait droit sur le fondement du second alinéa l'article 873 du code de procédure civile.
Elle rappelle que le contrôleur technique doit exercer ses missions de manière impartiale et indépendante, et qu'il ne peut être contraint de déposer un rapport de contrôle technique ou un avis de chantier dont le contenu ne reccueillerait pas son assentiment.
Elle précise que la société 'Dekra industrial services techniques', à laquelle la société Eiffage attribue l'avis litigieux, n'existe pas et que la société Eiffage ne peut en conséquence affirmer que cet avis aurait été rendu par une entité ne relevant pas du statut du contrôleur technique.
Elle se prévaut également d'un avis du Centre scientifique et technique du bâtiment, aux termes duquel la conformité des produits de substitution employés par la société Eiffage au cahier CSTB 3747 ne serait pas avérée.
Elle ajoute qu'un avis technique rendu par un contrôleur technique ne peut être combattu que par l'avis d'un autre contrôleur technique ou celui du Centre scientifique et technique du bâtiment, mais non point par l'avis d'un expert judiciaire.
La société Dekra soutient subsidiairement que la demande relève de la seule compétence du juge du fond.
Elle estime que la société Eiffage aurait en plusieurs occasions fait l'aveu judiciaire de ce que le document technique de référence était constitué du cahier CSTB 3747et que les essais réalisés ne permettaient pas de s'assurer de la conformité du produit de substitution à cette norme.
Elle affirme encore avoir respecté ses obligations contractuelles en émettant l'avis sollicité et considère ne pas être tenue d'en délivrer un nouveau, dans le sens convenant à sa contradictrice.
Elle critique les conditions de réalisation de l'expertise, en affirmant que le rapport de M. [D] ne pourrait lui être opposé sans être préalablement homologué judiciairement.
Elle rappelle qu'elle est étrangère à la réception de l'ouvrage et que celle-ci peut être prononcée par l'Université de [Localité 6], nonobstant son avis technique. Elle estime que la société Eiffage tenterait indirectement de faire peser sur elle une obligation de recevoir l'ouvrage, qui n'est pas la sienne.
Elle ajoute qu'elle ne peut délivrer un avis de chantier favorable ou lever un avis défavorable sans se référer à un corpus de normes techniques dont la stricte observance n'est pas assurée en l'espèce.
Elle soutient pour finir n'avoir commis aucune faute et ne pas avoir engagé sa responsabilité, en contestant que le juge des référés puisse ordonner que son avis défavorable soit levé sans trancher au préalable les responsabilités encourues.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 26 janvier 2023.
La société Eiffage construction Rhône Loire a déposé de nouvelles conclusions de fond le 27 janvier 2023.
L'affaire a été appelée à l'audience du 02 février 2023, à laquelle elle a été mise en délibéré au 23 mars 2023.
MOTIFS
Sur la recevabilité des conclusions déposées le 27 janvier 2023 par la société Eiffage construction Rhône Loire :
Vu l'article 802 du code de procédure civile ;
Conformément à l'article 802 susvisé, après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office.
Les conclusions de la société Eiffage construction Rhône Loire, déposées le 27 janvier 2023 après l'ordonnance de clôture, sont irrecevables et il convient de considérer les seules conclusions d'appelante déposées le 20 janvier 2023, en amont de la clôture.
Sur la demande principale, les frais irrépétibles et les dépens :
Vu l'article 873 du code de procédure civile ;
Vu les articles 696 et 700 du même code ;
La société Eiffage fonde sa demande sur les dispositions du second alinéa de l'article 873 du code de procédure civile, aux termes duquel le juge des référés peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation, dans les cas où celle-ci n'est pas sérieusement contestable.
Elle se prévaut des conclusions de l'expert judiciaire, selon lequel l'avis de chantier défavorable du 16 novembre 2018 n'est pas justifié, pour demander que la société Dekra soit condamnée à délivrer un avis de chantier favorable.
Les opérations de contrôle technique s'opèrent toujours par référence à un ensemble de normes
garantissant la performance des procédés constructifs employés.
Lorsque le procédé employé n'est pas amplement connu et normé, la délivrance de l'avis du contrôleur technique implique que ce procédé soit validé par un 'rapport d'étude de conformité' ou un 'avis de chantier' délivré par un organisme agréé, au regard des exigences d'un cahier des charges.
Un 'rapport d'étude de conformité' emporte validation d'un procédé constructif déterminé pour l'ensemble des chantiers réalisés dans les 5 ans de sa délivrance.
Un avis de chantier emporte validation d'un procédé constructif pour le seul chantier pour lequel il est rendu. Il a pour objet d'indiquer si le procédé mis en oeuvre répond au cahier des charges afférent et s'il est en conséquence équivalent aux procédés 'traditionnels'.
Conformément au cahier n° 3251 du Centre scientifique et technique du bâtiment , les bardages en cassettes métalliques peuvent être considérés comme 'traditionnels', mais doivent faire l'objet d'une procédure d'évaluation au regard des exigences fixées par le cahier n° 3747 du même organisme.
Telle est la raison pour laquelle le contrôleur technique Dekra a sollicité, dans son avis de contrôle technique du 13 décembre 2017, la transmission du rapport d'étude validant le procédé à cassettes acier mis en oeuvre par la société Rhône-Alpes Acier.
Il est apparu, ensuite de cette demande, que le procédé à cassettes acier Sifem ne bénéficiait pas d'un agrément valable pour la date à laquelle il a été employé. Cette circonstance a conduit la société Dekra a émettre un avis technique défavorable le 21 février 2018, rappelant la nécessité de procéder à son évaluation selon le cahier des charges applicable, conformément au cahier n° 3251 du Centre scientifique et technique du bâtiment.
La société Eiffage a décidé en retour de solliciter la délivrance d'un avis de chantier, dont elle espérait qu'il emporte validation du procédé Sifem pour le chantier de la réhabilitation des quartiers scientifiques du campus de la Doua.
L'avis de chantier a été confié à la société Dekra, qui a délivré l'avis négatif litigieux, en retenant que la preuve n'était pas rapportée, au regard du dossier technique fourni par les sociétés Eiffage et Rhône-Alpes acier, de la conformité du procédé Sifem aux exigences du cahier n° 3747 du Centre scientifique et technique du bâtiment.
Les contrôleurs techniques doivent recevoir l'agrément du pouvoir réglementaire et sont tenus de se prononcer en toute impartialité et indépendance, dans le cadre de leurs missions de contrôle technique et d'inspection.
La question de savoir si la délivrance d'un avis de chantier par un contrôleur technique s'opère sous le bénéfice du statut fixé par le code de la construction et de l'habitation et s'il est possible d'ordonner à un contrôleur technique de rétracter un avis de chantier portant sur la conformité d'un procédé constructif aux contraintes techniques applicables, au visa d'un rapport d'expertise judiciaire dressé par un homme de l'art ne bénéficiant pas de l'agrément applicable aux contrôleurs techniques, constitue une difficulté sérieuse faisant obstacle à ce que la cour fasse droit à la demande de la société Eiffage.
Il ressort par ailleurs de l'avis de chantier litigieux que le cahier n°3747 du Centre scientifique et technique du bâtiment, dont l'expert judiciaire [D] a admis qu'il constituait la référence technique applicable à l'évaluation du procédé constructif Sifem :
- prévoit la nécessité d'installer des profilés drainants continus toute hauteur et d'assurer un taux d'ouverture maximum de 1.5 % pour la partie en bardage rapporté,
- désaprouve la mise en oeuvre d'un pare-pluie dans le cadre des dispositifs d'étanchéité.
La société Dekra industrial a estimé que le procédé Sifem mis en oeuvre par la société Rhône-Alpes acier ne respectait pas ces prescriptions.
L'expert judiciaire [D] a affirmé en retour que l'exigence d'un taux d'ouverture maximum de 1.5 % était respectée et que le procédé Sifem assurait l'étanchéité sans qu'il soit nécessaire d'installer des profilés drainants.
Le débat technique dont dépend la solution du litige revêt un caractère particulièrement complexe et la question de savoir si le procédé Sifem répond aux prescriptions du cahier n°3747 constitue une seconde difficulté sérieuse faisant obstacle à ce que la cour fasse droit à la demande de la société Eiffage.
Il convient en conséquence de confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions et de condamner la société Eiffage aux dépens de l'instance d'appel, ainsi qu'à payer à la société Dekra industrial la somme de 4.500 euros en indemnisation des frais irrépétibles exposés à hauteur de cour.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par ordonnance contradictoire,prononcé en dernier ressort,
Déclare irrecevables les conclusions déposées le 27 janvier 2023 par la société Eiffage construction Rhône Loire et dit y avoir lieu de considérer ses conclusions déposées le 20 janvier 2023 ;
Confirme l'ordonnance prononcée le 12 octobre 2022 par le président du tribunal de commerce de Lyon entre les parties sous le numéro 2022R00636 en toutes ses dispositions;
y ajoutant :
Condamne la société Eiffage construction Rhône Loire aux dépens de l'instance d'appel ;
Condamne la société Eiffage construction Rhône Loire à payer à la société Dekra industrial la somme de 4.500 euros en indemnisation des frais irrépétibles exposés à hauteur de cour et rejette la demande formée par la société Eiffage construction Rhône Loire sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier Le Président